eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 45/89

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2018
4589

Delphine Reguig: Boileau poète: «de la voix et des yeux». Paris: Classiques Garnier «Lire le XVIIe siècle 42; Voix poétiques 5», 2016. 386 p.

2018
Allan Wood
Comptes rendus 433 « un autre éclairage, venu de sa foi chrétienne, et permettant de sonder le mystère des personnages à une autre profondeur » (563). Des jugements sévères parsèment la première et la deuxième partie du livre. Bien qu’appréciant le mystère du Viel Testament, Mazouer critique que « le dramaturge ajoute à la matière plus qu’il ne retranche ! […] Mais pour lui, massivement, dramatiser, c’est mettre en œuvre une inventio foisonnante, trop peut-être à notre goût » (124). Pire est le bilan sur Marguerite de Navarre, qui s’inspire de la dramaturgie des mystères médiévaux, « mais elle n’en reprend ni le mouvement ni le goût de réalités données en spectacle ». C’est pourquoi ses « petits drames bibliques donnent une terrible impression de statisme » (25). La Tragédie française à huit personnages (1571) de Jean Bretog, la « plus intéressante » de ce type de pièces, « n’introduit aucune vision tragique » et signale davantage « la capacité de la moralité à persister qu’à se renouveler » (260). La Tragédie de feu Gaspard de Coligny (1575), dans laquelle François de Chantelouve cherche à justifier les atroces massacres de la Saint-Barthélemy, est tirée par lui « de l’oubli des œuvres mineures ». Elle « présente peu de beautés » mais elle mérite notre attention « comme bon modèle d’une dramaturgie de propagande » (290). Il semble mesurer ces œuvres à l’aune du classicisme dont il ne condamne rien. Mazouer est plus familier des données religieuses que la plupart des critiques d’aujourd’hui qui lui seront reconnaissants de mettre à leur disposition des informations qu’ils auraient autrement beaucoup de difficultés à repérer. Volker Kapp Delphine Reguig : Boileau poète : « de la voix et des yeux ». Paris : Classiques Garnier « Lire le XVII e siècle 42 ; Voix poétiques 5 », 2016. 386 p. Le titre de cette étude est simple, Boileau poète, mais il résume le sens de tout un examen nuancé et profond de l’esthétique de l’auteur. Et le situe bel et bien au fond du classicisme, pas celui de quelques paragraphes d’un manuel scolaire qui n’expriment que des formules arrachées de leur contexte. Tout au début Reguig indique le bon chemin pour une compréhension valide des idées du poète ; il faut refuser de suivre ceux qui veulent être guidés par un législateur caricatural, érigé comme une « légende » factice et figée dans les idées reçues. La position de Reguig est claire, Boileau n’est pas un « icône, » ni un « fétiche » (p. 8) et son œuvre est analysée de tous les angles. Par exemple, on voit d’abord un Boileau affectif PFSCL, XLV, 89 (2018) 434 et vulnérable, lamentant son « désespoir » et « peur » devant son apohonie inexplicable de 1687-88. Ce livre présente des examens riches, denses et profonds des concepts poétiques au vrai cœur de l’œuvre du poète, mettant au jour le fond de son esthétique. L’organisation de cette étude ne suit pas la plupart des commentaires précédents (biographique, chronologique, générique), mais recouvre des éléments clés de la poétique classique qui apparaissent dans son œuvre. Une introduction et une conclusion encadrent le corps du texte qui se divise en deux parties, chacune comportant quatre sections - une belle symétrie classique. Le programme pour la première partie s’annonce comme un examen détaillé des « termes presque intraduisibles » : esprit, travail, perfection, raison, sublime, beauté, vérité. Reguig traite les concepts « traduits » par ces mots, dans la complexité de leurs connotations et interactions, au lieu d’un simple lexique ou répertoire. Elle n’offre pas de justification pour le choix de ces catégories (ni pour celles qui reviennent souvent dans ses discussions, comme « l’art », « la nature », « la cohérence », et « l’unité »), mais ce petit détail importe peu dans la présentation des arguments. Reguig sait bien dénouer tous ces concepts qui s’entrelacent, et ne tombe pas dans les pièges de la tautologie ni des cercles vicieux. La seconde partie du livre, « Se connaître poète », entame des discussions sur plusieurs concepts bien liés aux « intraduisibles » de la première partie : le style, l’usage des noms, la métapoétique, et l’universalité. Ce dernier comprend le rôle des Anciens dans la pensée de Boileau. Celui-ci est même vu par moments comme un « moderne » à cause de son élévation au sommet de Parnasse de plusieurs de ses contemporains, surtout Racine. Dans les deux parties, chaque division propose d’abord une épigraphe, une citation de Boileau (souvent peu connue et tirée des sources diverses) dont le rapport avec le texte suivant est plutôt implicite et évocateur. Pourquoi, par exemple, l’examen du travail nécessaire au poète se déclenche-t-il par le vers de l’Epître XI, « Prendre dans ce jardin la lune avec les dents » ? Reguig demande un certain travail (et esprit) de ses lecteurs pour arriver à un bon entendement de ses analyses sur Boileau. Loin de se satisfaire d’une répétition des formules bien connues du poète classique, des clichés de l’icône, ce commentaire se base sur des principes fondamentaux chers à l’auteur (mais pas souvent mis en évidence). Venant peu après l’échec des épopées françaises des années 1650, Boileau croyait pourtant à la grandeur de la poésie, à l’idéal de l’épopée comme l’expression d’un but moral et politique. Son œuvre satirique doit être vue comme un aboutissement de cette vision, car le poète « appréhendait le faux grand de l’enflure et la complaisance dans le petit » (p.179). Boileau était un empi- Comptes rendus 435 riste, il a nommé des noms, condamnant des Cotins et Chapelains contemporains pour leur pratique, avant de recourir aux abstractions théoriques. Reguig maîtrise parfaitement tous les aspects de ses examens, surtout les textes de Boileau, ceux des critiques du poète, et les idées des chercheurs sur le 17 e siècle en général. La bibliographie est exhaustive, et on doit signaler des auteurs récents qui ont beaucoup enrichi ce livre : Debailly, (Delphine) Denis, Genetiot, Merlin-Kajman, et Siouffi. Un index de noms sert bien des chercheurs ; il est regrettable qu’un index de textes de Boileau soit pourtant absent. Le style de Reguig présente clairement des rapports dynamiques entre des concepts poétiques assez complexes, et les lecteurs peuvent se réjouir des trouvailles à chaque page. Ce n’est pas peut-être un premier commentaire à lire sur Boileau, ni un texte pour les débutants, mais il est essentiel pour tous ceux qui veulent une compréhension juste de son œuvre. Cette étude marque un tournant important dans notre appréciation de Boileau, qui ne peut plus être jugé comme auparavant. Allen Wood