eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 45/89

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2018
4589

Sophie Hache et Thierry Favier (dir.):À la croisée des arts. Sublime et musique religieuse en Europe (XVIIe-XVIIIe siècles). Paris: Classiques Garnier, 2015. 524 p.

2018
Anne Piéjus
PFSCL XLV, 89 (2018) Sophie Hache et Thierry Favier (dir.) : À la croisée des arts. Sublime et musique religieuse en Europe (XVII e -XVIII e siècles). Paris : Classiques Garnier, 2015. 524 p. Sophie Hache et Thierry Favier ont réuni, en un beau livre qui prend place dans la collection « Musique et littérature » des classiques Garnier, les actes du colloque qu’ils avaient organisé à Poitiers en 2012 (Sublime et musique religieuse de Lalande à Haydn). Dans une riche introduction d’une ampleur inhabituelle, les deux auteurs, qui se sont distingués l’un et l’autre dans l’étude de cette notion complexe (S. Hache, La Langue du ciel. Le sublime en France au XVII e siècle paru en 2000 chez Champion, et Th. Favier dans un article consacré aux grands motets de M. R. de Lalande paru en 2008) dressent un bilan historiographique, soulignant le manque d’intérêt des musicologues pour le sublime (en dépit des contributions séminales de Michela Garda, 1995, et avant elle, d’Alexander Shapiro (1936), Luca Zopelli (1990), Michael Fend (1993), Ruth Smith (1995), etc.), tout particulièrement en français. Face à des approches nationales ou chronologiques jugées biaisées et limitatives, ils proposent un déplacement historique de la notion de sublime traditionnellement attachée à la 2 e moitié du XVIII e siècle, en considérant l’apport des traités théoriques de la fin du XVII e . Prenant acte du fait que les études chronologiques survalorisent aussi les interprétations nationales, ils ouvrent délibérément l’enquête à différentes aires européennes (France, Angleterre, Allemagne, Autriche, Bohème). Si l’objet central de l’ouvrage demeure la musique sacrée de la fin du XVII e et du XVIII e siècles, les vingt-et-unes contributions illustrent l’importance de la question dans plusieurs disciplines voisines : histoire, littérature, philosophie, liturgie, peinture, architecture. La première partie (« L’œuvre à l'épreuve du sublime ») propose une série d’études de cas qui s’efforcent « de saisir le sublime à partir d’un faisceau concordant de faits » (p. 49), accordant une large place à l’analyse des effets et des procédés. La deuxième (« Le sublime en situation ») comporte deux sections : « Textes mis en musique », consacrée à trois études de livrets d’œuvres musicales et « Le sublime en acte. Discours et contextes », qui envisage la pertinence de la notion de sublime dans la peinture, l’architecture et la cérémonie de la messe. La dernière partie (« Théories et théoriciens »), divisée entre « Penser la norme » et « Penser le sublime » s’attache aux théories du sublime, en abordant la question du point de vue des textes théoriques, en en questionnant les limites et les zones de friction, en particulier dans les excellents textes d’Hélène Michon, qui conteste le lien entre sublime et mystique en remontant aux sources PFSCL, XLV, 89 (2018) 426 tardoantiques, et de Pascale Thouvenin qui s’intéresse à l’articulation entre sublime et plaisir littéraire de Rapin à Du Bos. Alternent ainsi des études de genres (les pastorales de Noël tchèques), de répertoires d’auteur, d’œuvres singulières, voire d’un mouvement de pièce (l’Et incarnatus est de la messe en ut mineur KV 427 de Mozart) et de larges synthèses - exercice difficile entre tous. On ne peut que saluer le décloisonnement et l’aisance de nombreux auteurs dans le maniement d’objets et de notions véritablement interdisciplinaires. La diversité des approches, des méthodes, des disciplines, comportait aussi le risque d’une certaine disparate, et la qualité des contributions est un peu inégale. Certaines n’échappent pas à une certaine surcharge ; d’autres reviennent (p. 165-166) sur des questions traitées en introduction. Tous les auteurs n’évitent pas l’écueil qui consiste à réduire le sublime à une « notion ressentie », ou à trancher un peu rapidement entre styles et effets sublimes ou non (par ex. à propos du style pastoral). On relève aussi quelques assertions hâtives ou erronées : affirmer que « le Christ est nécessairement représenté en termes sublimes » (p. 134) trahit une méconnaissance théologique qui tranche avec l’érudition d’autres chapitres. On note aussi par ex. (p. 132) une confusion entre magie et miracle. À la décharge des auteurs, le sublime, terme omniprésent dans l’ouvrage, demande effectivement à être constamment redéfini, comme le soulignent avec force les éditeurs en introduction. Se saisir de cette notion pour aborder une œuvre d’art, un traité, une architecture ou une cérémonie exige en outre que soit précisé le point de vue : une œuvre est-elle sublime en vertu d’un genre ? d’un style ? d’un effet ? l’œuvre était-elle sublime aux yeux contemporains (et lesquels) ? Le qualificatif est-il venu après coup ? et de quelle tradition critique ? En dépit de ces menues réserves, sur cette notion infiniment plastique, qui ne se résume ni à des « moments-clefs » ni à une évolution géochronologique, qui relève « de l’expérience transcendante » (p. 45), et dont l’étude impose de considérer son étendue implicite et ses variations lexicales, ce livre constitue un apport important. Se saisissant d’une des entrées privilégiées par les éditeurs (procédés et effets ; pensées de la norme, de la convenance, de l’écart, de la « transgression maîtrisée » ; définitions et évolutions), la majorité des contributions évalue la manière dont la notion s’est déplacée d’un domaine de la pensée à un autre (voir par ex. l’article d’Agathe Sueur, qui montre comment, dans l’Allemagne des années 1730, le sublime rhétorique a pu influencer la théorie et la critique musicale), assument des hypothèses de travail, se fondent sur des points de vue démultipliés, des postulats comparatistes, et y associent parfois un renouvellement méthodologique. Ainsi de l’étude des motets de Lalande par Comptes rendus 427 Thierry Favier, spécialiste du grand motet, qui associe le sublime à la démesure, suivant une acception dominante en Angleterre, qu’il confronte au rationalisme esthétique français. Une autre méthode probante consiste à approcher le sublime par des concepts périphériques, comme le fait Sophie Hache qui, partant de la notion de tableau, fonde son analyse du sublime attaché aux livrets de Mondonville sur l’harmonie imitative pour mieux éclairer, in fine, le rôle de la composition dans l’effet. Particulièrement convaincants sont les essais qui cernent les contours de la définition jusque dans ses éventuelles contradictions, comme celui d’Hélène Michon, cité plus haut, l’article de Servane L’hopital, qui étudie les cérémonies la messe « à l’aune du sublime » entre les deux références majeures que sont le sublime théologique et le sublime rhétorique, ou celui de Pierre Dubois, qui évalue le hiatus entre un sublime objectif, associé en plein XVIII e siècle à la grandeur, et un sublime subjectif - dans un temps et un lieu donné. La présentation remarquable de l’ouvrage mérite d’être soulignée. La bibliographie est abondante et à jour, classée de manière à en faciliter d’usage. Un index nominum, de courtes introductions à chaque partie, un bref résumé bilingue de chaque chapitre, une présentation des auteurs, et de nombreux exemples musicaux (un peu trop réduits par la mise en page), l’effort de traduction en français de pas moins de six articles, facilitent considérablement la lecture de ce livre dense, qui s’imposera comme un jalon important des études sur le sublime et la musique. Il augure aussi de la richesse du prochain livre codirigé par S. Hache et Th. Favier, qui vient de sortir des presses universitaires de Rennes (Réalités et fictions de la musique religieuse à l’époque moderne : essais d’analyse des discours). Anne Piéjus Marie-Gabrielle Lallemand, Pascale Mounier (éds.), L’oralité dans le roman (XVI e et XVII e siècles). Elseneur n°32, Presses universitaires de Caen, 2017. 222 p. Lorsqu’on lit aujourd’hui certains « grands romans » du début ou du milieu du XVII e siècle, comme ceux de Madame de Scudéry (Artamène ou le Grand Cyrus, ou Clélie, histoire romaine), on est frappés du nombre de passages où un personnage est mis en scène prenant la parole pour raconter à son tour une histoire, d’une manière qui peut nous sembler aujourd’hui très artificielle. Ce procédé dit des « histoires insérées » se retrouve encore dans La Princesse de Clèves (1678), roman pourtant connu par la continuité dramatique déjà toute moderne qu’il met en pratique. Le collectif réuni ici par Marie-Gabrielle Lallemand et Pascale Mounier, de l’université de Caen,