eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 45/89

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2018
4589

Le duel dans les Mazarinades. Théâtralité textuelle du mot «duel» sur la scène de la Fronde

2018
Patrick Rebollar
PFSCL XLV, 89 (2018) Le duel dans les Mazarinades. Théâtralité textuelle du mot « duel » sur la scène de la Fronde P ATRICK R EBOLLAR (U NIVERSITÉ N ANZAN ) « La victoire que l’homme emporte sur vn autre, doit estre conquise par la pointe de la raison ». (Aux François fratricides, par un ecclésiastique 1 , 1652, p. 4) Le glas du duel fut-il sonné par les Mazarinades ? Le duel de plume a-t-il remplacé le duel d’épée ou au pistolet ? - symboliquement au moins, historiquement peut-être, quantitativement sans doute. Et au-delà des réalités duelles ou individuelles, l’image sociale de cette chevaleresque et létale dualité d’honneur, et tout ce qu’elle régissait ou à quoi elle se rattachait dans la société médiévale et à la Renaissance, a-t-elle été remplacée par l’image non létale d’un accommodement urbain et déjà bourgeois, qui serait le prolégomène d’un contrat social dans lequel, au moins en apparence, l’opposition duelle serait remplacée par la soumission au collectif ? Ne serait-ce pas, au fond, ce que martèle La Fontaine ? Car combien de ses Fables montrent, et ce dès le titre, une binarité agonistique qui dénonce le plus souvent un schéma social agonisant, ou pour le moins affaibli et stigmatisé quel que soit le vainqueur ? Le chêne et le roseau 2 , bien sûr, voit la victoire du faible qui négocie avec les éléments, qui « plie et ne romp[t] 1 Cette mazarinade, présente dans le corpus en ligne du Projet Mazarinades (cf. mazarinades.org), provient de la collection de l’Université de Tokyo (cote B-9-31) et elle est référencée dans Célestin Moreau, Bibliographie des Mazarinades, Paris, J. Renouard, 1850-1851 avec le numéro 436, soit la référence M0_436 de la nouvelle numérotation proposée en 2011 par l’équipe des Recherches Internationales sur les Mazarinades. 2 Jean de La Fontaine, Fables., Paris, C. Barbin, 1668, (I, 22). Patrick Rebollar 344 pas », contre le fort qui, « au Caucase pareil », ne peut s’accommoder aux changements. Dans La cigale et la fourmi 3 , la cigale, « fort dépourvue », est littéralement exposée par le texte, sa désinvolture complètement imaginaire 4 fait scandale à toutes les lignes du texte tandis que rien n’est dit de la fourmi, sinon qu’elle n’est « pas prêteuse », c’est-à-dire qu’elle est économe, et donc déjà membre d’un collectif social conditionné par l’économie. Dernier exemple, dans Le loup et le chien 5 , le loup s’enfuit, certes, et semble triompher parce qu’il garde sa liberté - tel La Fontaine lui-même peut-être - mais à quel prix ? Celui de l’isolement et de la famine dans la forêt, c’est-àdire en dehors de la société - la société où l’on doit, il est vrai, porter collier. Un corpus numérique de Mazarinades, à définir préalablement, sera utilisé ici pour montrer que la période de la Fronde est un moment critique, peut-être pas seulement pour le duel, durant lequel le modèle nouveau de la parole sociale supplante le modèle ancien de l’action nobiliaire. Cela se produit dans un contexte plus général de pensée philosophique et morale où la théorie de la souveraineté de Jean Bodin était déjà bien connue des lettrés et des juristes, où Descartes, en 1649 dans Les passions de l’âme 6 , semble vouloir changer, inconsciemment peut-être, le sens du mot « courtois » en considérant qu’il s’agit de « faire du bien aux autres hommes », où paraît en 1651 le Leviathan de Thomas Hobbes, dont certains éléments ou arguments politiques et épistémologiques - notamment contre la violence inhérente à l’état de nature - devaient forcément déjà affleurer dans la société. Mais résumons d’abord, sous la forme rapide d’un conte, l’histoire de ce corpus de Mazarinades. Il était une fois, dans le lointain empire du soleil levant, une belle collection de plus de 2700 mazarinades que laissaient dans le noir les lourdes portes d’une grande bibliothèque. Elle était belle, certes, mais personne ne la pouvait voir. Une fée chercheuse du Japon, alors en 3 Ibid., (I, 1). 4 Le mode de vie de la cigale n’a rien à voir avec la description de La Fontaine ! Voir les erreurs relevées par Jean-Henri Fabre, Souvenirs entomologiques t. V, Paris, Ch. Delagrave, 1897, p. 215. 5 Jean de La Fontaine. Fables. op. cit., (I, 5). 6 René Descartes, Les passions de l’âme, Paris, H. Legras, 1649, art. 156. Rappelons qu’à partir du XII e siècle, le mot courtois qualifie un membre de l’entourage du souverain tenu de respecter des valeurs morales et de se comporter avec de bonnes manières. Descartes attesterait d’un franchissement social : le passage d’une éthique d’avant qui consistait à ne pas faire de mal aux autres sinon en y étant contraint et en respectant certaines formes à une conscience nouvelle de vouloir faire du bien aux autres. Le duel dans les Mazarinades 345 quête de burlesque, vint à passer par là et s’éprit de la belle collection. « Mais comment faire pour te sortir de là, ma belle ? », se lamentait cette fée japonaise. Après des années de longs et assidus travaux 7 , la fée chercheuse parvint à convaincre le bureau impérial qui lui manda de faire une copie virtuelle de la belle collection de Mazarinades. Elle recruta par la suite un lecteur français de sa connaissance 8 et ils firent en deux ans une complète numérisation qu’ils mirent en ligne sur les autoroutes de l’information de 2011, tout en continuant à y ajouter des métadonnées, même quand une grande catastrophe irradia toute une région de l’empire nippon. Pour faire découvrir cette prodigieuse création que devenait de jour en jour leur Projet Mazarinades et la rendre utile à d’autres, ils commencèrent à visiter des bibliothèques de France, où l’on ignorait parfois avoir aussi une belle collection de Mazarinades, ils trouvèrent de savants amis qui les soutinrent pour faire éclore de beaux colloques, jusqu’au jour où il fut certain que la belle collection pouvait être admirée de tous, qu’elle pouvait venir en aide à celles et ceux qui la sollicitaient, et même devenir, par sa beauté et sa performance, un encouragement pour d’autres projets. Alors la fée et le lecteur converti furent heureux et connurent beaucoup de chercheurs et de chercheuses qui commencèrent des thèses 9 . Car il se trouve que les Mazarinades n’ont pas encore livré tous leurs secrets, en partie à cause des difficultés d’accès mais aussi à cause de la mésestime - idée reçue que résumait Flaubert : « Les mépriser. Inutile d’en connaître une seule 10 . » De fait, elles forment un ensemble très hétérogène d’environ 5000 publications imprimées entre juin 1648 et août 1653 et qui commentent, accompagnent et alimentent la période dite de la Fronde, centrées le plus souvent sur la personne, l’histoire et les activités de Mazarin. L’hétérogénéité en est à la fois générique, volumique et tempo- 7 Tadako Ichimaru, dont il est ici question, a soutenu sa thèse de doctorat à l’Université de Tokyo en 2006 sous le titre (en japonais) Qu’est-ce que les Mazarinades ? (non publiée, on en trouvera un résumé dans la page à l’adresse suivante : http: / / mazarinades.org/ 2007/ 10/ quest-ce-que-les-mazarinades-resumede-these-de-doctorat/ ). Elle a ensuite obtenu une subvention de recherche en 2008 pour la numérisation des mazarinades de la collection de Tokyo ; puis elle a codirigé l’équipe de recherche des RIM subventionnée en 2010-2013 pour la création du Projet Mazarinades. 8 Qui n’est autre que l’auteur du présent article. 9 Le terme « beaucoup » est quelque peu exagéré car début 2018, il n’y aurait que deux thèses en cours s’appuyant en partie sur le Projet Mazarinades. Il y a toutefois plusieurs étudiants de master qui utilisent le corpus en ligne pour des travaux sur le XVII e siècle. 10 Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues, commencé vers 1850 et publié pour la première fois chez L. Conard en 1913. Patrick Rebollar 346 relle : générique puisque les nombreuses pièces en vers burlesques côtoient des arrêts, vrais et faux, des correspondances vraies et fausses, des périodiques d’information et de désinformation, des traités politiques, des chansons, des horoscopes, des entretiens de voyageurs ou de paysans, parfois en patois, quelques thèses en latin, etc. - la liste des genres n’en est pas encore arrêtée - ; volumique puisqu’à côté d’une majorité de pièces de 4 à 8 pages, vite imprimées, lues et probablement détruites, se trouvent des mémoires de 40 ou 60 pages, parfois plus longs encore quand y sont incluses d’autres pièces, commentées ou non ; temporelle, enfin, car au lieu d’une parution linéaire de 1000 pièces par an, ou de 19 libelles hebdomadaires, il y a deux années de très forte activité, 1649 et 1652, tandis que 5 à 10 fois moins de pamphlets paraissent les autres années 11 . Ajoutons à cela une forte variété qualitative et le nombre important de pièces ordurières ou blasphématoires ; la réticence de beaucoup de littérateurs et d’historiens semble ainsi compréhensible. Telle était en tout cas la situation avant les importantes études de la seconde moitié du XX e siècle, notamment celles de Christian Jouhaud et Hubert Carrier qui inspirèrent en partie le Projet Mazarinades. Ce sont donc les 2709 pièces de la collection de Tokyo que, depuis 2010, l’équipe des RIM (pour Recherches Internationales sur les Mazarinades) a numérisées, transcrites, renseignées et mises en ligne dans le site du Projet Mazarinades, accessibles principalement par les fonctions de catalogue et de recherche lexicale. Commençons par la recherche du duel dans le catalogue, que nous compléterons ensuite par la recherche lexicale dans le corpus. Les formes « DUEL » et « DVEL », au singulier, sont les seules présentes, quatre fois, dans des titres de pièces ; pas de pluriel ni de duelliste(s) 12 . Ces 4 pièces, dont une en double dans la collection de Tokyo, concernent toutes le fameux duel entre les ducs de Beaufort et de Nemours, le 30 juillet 1652. 11 Les premiers décomptes sérieux ont été proposés en 1850 par Célestin Moreau dans l’introduction de sa Bibliographie des Mazarinades (voir notre réédition en ligne : http: / / mazarinades.org/ 2015/ 04/ introduction-de-la-bibliographie-des-ma zarinades-par-celestin-moreau-1850/ ), mais on se référera surtout au graphe de Hubert Carrier qui recense précisément les Mazarinades sur l’ensemble de la période et fait apparaître la prééminence des années 1649 et 1652. Hubert Carrier, La presse de la Fronde (1648-1653) : les Mazarinades. La conquête de l’opinion, Genève, Droz, 1989, p. 275. 12 Voir les titres reproduits ci-dessous. Cette recherche de titre, comme toute autre, peut être effectuée dans le site en utilisant la fonction de recherche dans le catalogue, à l’adresse : http: / / mazarinades.org/ corpus/ . Un document rassemblant les liens et les résultats du présent article a été mis en ligne à l’adresse : http: / / mazarinades.org/ 2018/ 02/ duel-dans-les-mazarinades/ Le duel dans les Mazarinades 347 Ce duel resté célèbre oppose deux frondeurs qui sont également beauxfrères, Nemours ayant épousé la sœur de Beaufort. Pour différentes raisons, ils ne s’entendaient pas depuis longtemps. Déjà en avril 1652, après un malentendu dans les mouvements de troupes près de Jargeau, Nemours accusait Beaufort de trahir le prince de Condé. Par la suite, Nemours aurait provoqué Beaufort en duel en l’accusant, selon certains propos, de « trahir la France et le roi 13 », expression malheureusement absente des Mazarinades… Le duel eut lieu vers l’emplacement actuel de la place Vendôme, au pistolet et à l’épée. Nemours tira le premier, manqua Beaufort qui proposa d’en rester là. Mais Nemours s’emporta, voulut tirer l’épée, Beaufort tira alors à son tour et le toucha mortellement. Pour ne pas déplaire au prince de Condé, un prêtre appelé dans le voisinage certifia, même si personne n’y croyait, que Nemours mourant se serait repenti, de sorte qu’il pût être inhumé chrétiennement. Mais l’archevêque, bravant Condé, fit interdire toute pompe à la cérémonie. Quant à Beaufort, selon Valentin Conrart, il « eut le bonheur d’être excusé, même par ceux qui ne l’aimoient pas 14 ». Y a-t-il eu des historiens pour vouloir que la raison du duel ait une cause nationale plutôt qu’un différend familial ? Vouloir tuer en duel celui qui a trahi « la France et le roi » pourrait en effet passer pour une circonstance atténuante du double crime (désobéir et tuer) - au point d’excuser Nemours pour avoir outrepassé l’interdit du duel, pourtant renouvelé en septembre 1651 par Louis XIV, dès sa majorité, moins d’un an avant les faits. Voici les titres de ces trois pièces : • Le recit dv dvel deplorable entre messieurs le duc de Beaufort & de Nemours. auec ce qui s’est passé dans le luxembourg entre monsieur le prince & le comte de rieux 15 . • Le dvel de monsievr le dvc de Beavfort ivstifié par l’innocence de ses mœurs, par le succez de ses armes, & par sa fidelité incorruptible enuers les bourgeois de paris. avec le paralelle de ses actions, & de celles du coadjuteur, pour seruir de preuue à ses trois raisonnemens 16 . 13 Dans le site Histoire et secrets, qui ne donne pas ses sources : http: / / www.histoireet-secrets.com/ articles.php? pg=42&lng=fr (consulté le 10/ 02/ 2018). Les Mémoires de Conrart ne donnent pas de raison, sinon « une haine et un mépris étrange » de Nemours pour Beaufort. Valentin Conrart, « Mémoires », dans Mémoires pour servir à l’histoire de France t. IV, éd. Joseph-François Michaud et Jean-Joseph François Poujoulat, Paris, Éditeur du commentaire analytique du code civil, 1838, p. 587. 14 Ibid., p. 589. 15 Pièce de 8 pages, référence Moreau [M0_2992], cote Tokyo : B_9_19. 16 Pièce de 32 pages, [M0_1176], cote Tokyo : B_9_21. Patrick Rebollar 348 • La censvre et l’antidote de qvelqves maximes tres-pernicieuses, contenuës dans vn libelle qui a pour titre, le recit du duel déplorable entre messieurs les ducs de Beaufort, & de Nemours. addressé à la noblesse raisonnable & chrestienne 17 . Ces titres montrent déjà une diversité intéressante : tandis que le premier propose deux épisodes différents tout en suggérant leur interdépendance dans un certain contexte politique commun, le deuxième propose un Beaufort « justifié » et ses actions mises en « parallèle » avec celles du futur cardinal de Retz, dans une tout autre perspective politique. Quant au troisième titre, incluant celui de la première pièce auquel il prétend être une « réponse 18 », il entre dans la catégorie de ce que l’équipe des RIM propose de nommer « méta-mazarinade 19 » quand il y a citation extensive, intertextualité discursive ou incorporation pure et simple d’autres pièces. Même si ce n’est pas le cas de toutes les mazarinades, il apparaît déjà que beaucoup d’entre elles se présentent comme des appareils textuels qui affichent leur prétendu mécanisme discursif - « prétendu » parce qu’il arrive que le contenu d’une pièce ne tienne pas la promesse de son titre. Autre remarque péri-textuelle que l’on peut faire : les cotes de ces 3 pièces, dans la collection de Tokyo, sont presque contiguës. B_9, suivi des numéros 19, 21, 23. Cette succession a-t-elle une valeur, un sens ? Autrement dit : comment fonctionne cette cotation ? Ou encore : quelles sont les métadonnées sur les collections dans le Projet Mazarinades ? La collection de Tokyo, dont on peut voir en annexe 1 le chariot 20 dans la réserve de la bibliothèque principale de l’université, est composée de 5 sous-collections, nommées de A à E, de provenances visiblement différentes et qui ont été rassemblées pour la vente au XX e siècle. La collection B est composée de 20 volumes probablement reliés peu après la Fronde. Son commanditaire, ou propriétaire, dont les initiales DB ou BD n’ont pas encore permis l’identification, a groupé les pièces par personnalité et par période, 17 12 pages, M0_672, cote Tokyo : B_9_23. 18 Voir la notice de la pièce dans la Bibliographie de Célestin Moreau ou dans notre catalogue en ligne. 19 Tadako Ichimaru. « Les Mazarinades et leur étude aujourd’hui : la place du Japon », intervention au colloque L’exploration des Mazarinades, Université de Tokyo, novembre 2016, à paraître (programme en ligne à l’adresse : http: / / mazarinades.org/ 2016/ 08/ l-exploration-des-mazarinades-tokyo-20161103/ ). Le terme est repris dans la Liste des genres & catégories, document en ligne : http: / / mazarinades.org/ 7-liste-des-genres-categories/ 20 Cette photographie, dans la page « chariot » du site web, contient des zones cliquables permettant d’accéder directement aux listes des pièces des différentes sous-collections : http: / / mazarinades.org/ edition/ collections. Le duel dans les Mazarinades 349 en commençant par le roi et la famille royale. Le 9 e volume (voir page de titre en annexe 2), consacré au duc de Beaufort, contient plusieurs pièces qui traitent du même événement. Que l’ordonnance du volume soit thématique ou chronologique, il convient d’établir ce qui fait se suivre ces numéros 19, 21 et 23, ce qu’il y a entre eux, avant et après. La fonction de recherche nommée « chariot » - parce qu’elle présente virtuellement la collection de Tokyo dans l’ordre des volumes et des pièces - permet d’accéder au volume dans sa continuité, et donc, dans notre cas, à la liste des pièces de la fin du 9 e volume. Nous découvrons alors qu’il y a plus d’une dizaine de pièces consacrées à ce duel, le mot « duel » lui-même n’étant pas employé dans les autres titres, comme suit 21 : • B_9_19 (déjà citée) • B_9_20 : RELATION VERITABLE. De ce qui s’est passé dans le combat de Messieurs les Ducs de Beaufort & de Nemours, auec le sujet de leur querelle. [M0_3225] • B_9_21 (déjà citée) • B_9_22 : L’ABOLITION DE MONSIEVR LE DVC DE BEAVFORT AV PARLEMENT DE PARIS. Auec les dernieres Nouvelles de l’Armées de Messieurs les Princes, & l’ordre que Monsieur le Prince à donné pour oster les viures au Mareschal de Turenne. [M0_14] • B_9_23 (déjà citée) • B_9_24 : EPITAPHE DE MONSIEVR DE NEMOVRS. [M0_1267] • B_9_25 : LES REGRETS DE PARIS, SVR LA MORT DE MONSIEVR LE DVC DE NEMOVRS. [M0_3083] • B_9_26 : LES REGRETS DE MADAME LA DVCHESSE DE NEMOVRS, Sur la mort du Duc son Mary. [M0_3082] • B_9_27 : RELATION VERITABLE DE TOVT CE QVI s’est passé en Parlement, le Lundy trentiesme Sept. 1652. EN PRESENCE DE SON ALTESSE Royale, & plusieurs Ducs & Pairs de France. AVEC L’ARREST D’ABOLITION de Monsieur le Duc de Beaufort. Ensemble la Response de Messieurs le Chancellier & Garde des Sceaux de France, aux Lettres de Monsieur l’Aduocat General Talon. [M0_3246] • B_9_28 : LETTRE DE CONSOLATION POVR MADAME LA DVCHESSE DE NEMOVRS. [M0_1925] • B_9_29 : LES PVRES VERITEZ Qui ne sont point connuës. [M0_2929] • B_9_30 : LES MOTIFS DE LA RETRAITE DE MONSEIGNEVR le Duc de Beaufort dans sa solitude. [M0_2502] 21 Cette liste peut également être consultée dans le document en ligne, avec liens hypertextes vers les notices du catalogue. Patrick Rebollar 350 • B_9_31 : AVX FRANÇOIS FRATRICIDES, PAR VN ECCLESIASTIQVE. [M0_436] (Cette pièce étant la dernière de ce 9 e volume.) La recherche lexicale (dans les titres comme dans les textes) montre qu’un mot-thème, comme l’hyperonyme « duel » dans le cas présent, n’est pas nécessairement employé dans un texte où il est cependant question de ce thème. En effet, soit qu’il relève implicitement de l’évidence dans un faisceau d’informations (ici les noms des protagonistes, par exemple), soit qu’il y ait une réticence morale ou autre à l’employer (du fait de l’interdit bien connu de tous), le mot absent n’empêche ni la présence ni la redondance du thème sous-entendu. Ici, malgré le peu d’occurrences du mot, c’est avant tout l’accumulation de ces pièces, chacune gardant ses particularités, qui nous signale l’importance qu’avait eue ce duel pour les contemporains, ainsi que sa possible influence sur le devenir de la Fronde, ce que pourrait résumer cette phrase de Madame de Motteville : « Depuis ces désordres, l’autorité du Roi commença à reprendre des forces, et celle des princes diminua tout-àfait 22 . » Bien entendu, la confidente d’Anne d’Autriche ne se réfère pas seulement à ce duel, cependant inclus et important pour cette période particulière de l’été 1652. La recherche portant sur les titres du catalogue cède logiquement la place à la recherche lexicale dans l’ensemble des textes du corpus. Car outre la lecture nécessaire de ces quelques pièces 23 , il serait intéressant de savoir où et comment le thème du duel est présent dans les Mazarinades dont nous disposons numériquement et, quand le mot est absent, quels synonymes, quelles périphrases ou allusions sont employés. Il ne s’agit donc plus d’une dizaine de pièces, sélectionnées sur catalogue et totalisant 150 pages environ mais d’un ensemble de plus de 20.000 pages, contenant plus de 7 millions de mots. Le mot duel s’écrit « duel », « dvel » mais aussi « duël ». Ces formes peuvent être recherchées séparément 24 ou regroupées. L’emploi d’un « E » dans la requête permet de regrouper les termes contenant les formes de « e » 22 Françoise Bertaud de Motteville, « Mémoires », dans Mémoires pour servir à l’histoire de France t. II, éd. Joseph-François Michaud et Jean-Joseph-François Poujoulat, Paris, Éditeur du commentaire analytique du code civil, 1838, p. 440. 23 Ici se pose en effet une question méthodologique, et même épistémologique : dans une recherche de ce type, faut-il lire dès maintenant ces pièces entières, ce qui demande un temps considérable mais pas nécessairement profitable à l’étude entreprise, ou attendre les résultats d’une recherche informatisée sur le lexique, susceptible de désigner d’autres pièces pour une lecture plus utile ? 24 Ces recherches lexicales sont effectuées dans la page à l’adresse : http: / / mazarinades.org/ recherche/ . Le duel dans les Mazarinades 351 accentuées ou non à l’emplacement demandé. Tantôt avec un « u », soit « duEl », il y a 54 occurrences ; tantôt avec un « v », il y a 7 occurrences de « dvEl » (en majuscules de titre) ; donc 61 occurrences du mot au singulier. Il peut aussi être au pluriel : 34 occurrences de « duEls » mais aucune de « dvEls ». Le dérivé « duellistes » n’a qu’une seule occurrence, qui est au pluriel, mais il n’y a pas de « dvelliste(s) ». Par habitude, on peut suspecter une variante orthographique avec un seul « l » et, en effet, il y a 2 occurrences de « duelistes ». Le total est donc de 98 occurrences. Elles peuvent être regroupées dans une seule page de résultats grâce à la requête suivante 25 : « d[u-v]El|d[u-v]els|d[u-v]eli.*|d[u-v]elli.* » (98 occurrences en effet). La même requête peut être utilisée en même temps qu’une année de publication, ce qui fait clairement apparaître les deux années les plus importantes : • 1649 : 24 occurrences • 1650 : 7 occurrences • 1652 : 56 occurrences • Autre ou pièce non datée : 11 (? ) Comme on le voit dans l’exemple de l’annexe 3 présentant deux de ces 98 occurrences, les résultats sont proposés sous la forme d’extraits (ou contexte 26 ), précédés des références abrégées de la pièce et suivis de deux liens, l’un pour voir la page entière, texte numérisé ou image de l’exemplaire original, l’autre pour accéder à la notice complète de la pièce dans le catalogue. Un classement de l’ensemble de ces occurrences, à effectuer par la suite selon la cote des pièces, permet tout d’abord de dénombrer les pièces concernées : il y en a 44 au total, soit 1,6 % du catalogue. Il permet aussi de repérer les pièces dans lesquelles les mots de la famille de duel sont employés plusieurs fois, de dénombrer leur fréquence. Ces fréquences pourront être rangées par ordre décroissant, faisant apparaître les pièces les plus concernées, ici celles que nous connaissions déjà par la recherche dans le catalogue : 1652 B_9_23 (pièce de 12 pages) 26 occ. 1652 B_9_21 (pièce de 32 pages) 6 occ. 1652 B_14_16 (double de B_9_21) 6 occ. 1650 A_9_2 5 occ. 25 Voir les explications de cette syntaxe des requêtes dans la même page web, sous les boîtes de formulation des requêtes et des éventuelles restrictions de recherche. 26 À différencier du terme concordance qui propose une seule ligne de texte par occurrence (voir plus bas dans le présent article). Patrick Rebollar 352 1647 B_1_1 4 occ. 1652 B_9_19 4 occ. 1649 C_9_61 3 occ. 1649 A_6_79 2 occ. 1649 C_6_60 (double de A_6_79) 2 occ. 1652 B_16_28 2 occ. 1652 B_18_14 2 occ. 1652 B_18_17 2 occ. 1652 B_9_27 2 occ. 1649 C_4_59 2 occ. Quoique peu pertinent dans notre cas, le tri par ordre chronologique 27 montre à nouveau l’importance de l’année 1652. 1647 B_1_1 4 occ. 1649 A_6_79 2 occ. Total 1649 : 7 1649 C_4_59 2 occ. 1649 C_6_60 (double de A_6_79) 2 occ. 1649 C_9_61 3 occ. 1650 A_9_2 5 occ. 1652 B_14_16 (double de B_9_21) 6 occ. Total 1652 : 44 1652 B_16_28 2 occ. 1652 B_18_14 2 occ. 1652 B_18_17 2 occ. 1652 B_9_19 4 occ. 1652 B_9_21 6 occ. 1652 B_9_23 26 occ. 1652 B_9_27 2 occ. Parmi la dizaine de pièces de 1652 qui traitent directement du duel Beaufort-Nemours, celle qui est un commentaire d’une autre (car en effet B_9_23 porte sur B_9_19) présente, avec ses 26 occurrences de « duel », une fréquence des mots bien supérieure à celle des autres pièces du groupe. Qu’est-ce qui se joue dans cette fréquence atypique ? Le titre pose clairement l’intention : « la censure et l’antidote de quelques maximes très pernicieuses » contenues dans Le récit du duel déplorable, etc. Pour l’auteur, qui s’adresse à « la noblesse raisonnable et chrétienne », il ne s’agit pas de trouver ce duel-ci « déplorable » ni de déplorer la mort de 27 Le corpus portant sur une courte période, les résultats annuels sont peu pertinents. Il n’en serait pas de même s’il pouvait y avoir une périodisation mensuelle. Le duel dans les Mazarinades 353 Nemours plutôt que celle de Beaufort, mais bien d’attaquer l’existence même du duel. Il déclare ainsi : « je n’attaque personne […] et que pour le détail de ce combat, je n’en prends aucune connaissance 28 », de sorte qu’il s’inscrit dans la tradition des publications contre le duel par principe et reprend les arguments qu’il juge pernicieux dans la pièce à laquelle il répond. Ces arguments, déjà bien connus et souvent utilisés par les duellistes, et notamment par les duellistes malgré eux dans leur défense, sont ici au nombre de quatre, quatre obligations, ou commandements : défendre son honneur, ne pas être poltron, exercer une prérogative de la noblesse et se montrer généreux en faisant peu de cas de sa propre vie. Pour contrer ces arguments, il s’appuie, écrit-il, sur un livre qu’il a entre les mains depuis peu, intitulé La destruction du duel 29 qui, en effet, date de l’année précédente, 1651. Il en fait la promotion et va jusqu’à en donner les références éditoriales : « Ce liure se vend chez Roger, Libraire, ruë des Amandiers, deuant le College des Grassins. » Pour finir, il cite le Concile de Trente (1563) qui menace les duellistes d’excommunication. Il n’est pas nouveau d’affirmer ainsi que, quelles qu’en soient les raisons, le duel est contre la société et contre la religion. En revanche, cette insistance, incidemment, nous signale que : La faiblesse du gouvernement d’Anne d’Autriche et les troubles de la Fronde […] vont toutefois réactiver les duels et la production sur le sujet. En 1651, un nouvel édit voit le jour, bientôt suivi - signe d’une conception de l’identité nobiliaire qui se modifie -, par une initiative privée de renoncement au combat 30 . Les résultats d’une recherche lexicale peuvent également être visualisés par une concordance 31 , dans laquelle il est possible de ranger les occurrences de différentes manières. L’ordre alphabétique du contexte gauche du mot recherché (voir ci-dessous) permet par exemple de repérer facilement les répétitions dues aux pièces en double ou aux reprises de texte d’une pièce à l’autre. De ce fait, si l’on retire la vingtaine de doublons, le nombre de 98 occurrences descend à 78, en termes d’expressions et de phrases originales. Avec le classement chronologique d’une concordance, l’observation des contextes gauche et droit d’une requête peut permettre de remarquer une 28 B_9_23, p. 6. 29 Cyprien de la Nativité de la Vierge, La destruction du duel par le jugement de messeigneurs les Mareschaux de France, sur la protestation de plusieurs Gentilshommes de Marque, Paris, J. Roger, 1651. 30 Julien Perrier-Chartrand, Le théâtre du sang. Imaginaire héroïque et dramatique dans les traités sur le duel (XVI e -XVII e siècle), Paris, Honoré Champion, 2018, p. 24-25. 31 Les concordances que nous utilisons sont obtenues grâce à un outil logiciel pour l’instant réservé aux membres du Projet Mazarinades. Patrick Rebollar 354 évolution sémantique - ce qui n’est pas le cas avec le duel, d’une part, parce que la période est courte et, d’autre part, parce qu’il y a très peu de qualifications du mot. L’adjectif « déplorable » prend alors tout son sens du fait qu’il est presque le seul employé ; il y a aussi, chacun une fois seulement, les adjectifs « véritables », « malheureux » et « fameux » - fameux au sens de la réputation, sans connotation positive. Une écrasante majorité des emplois est précédée de l’article défini, désignant la généralité, et donc sans pertinence de la distinction singulier / pluriel. Enfin, on ne trouve qu’un seul cas d’appropriation, avec un adjectif possessif, dans une pièce burlesque de 1649, avec « mes dix duels » dans la bouche d’un fanfaron gascon 32 . Extraites de la concordance, voici les 28 premières occurrences du tri alphabétique gauche : 1. B_9_23 (bib: p.9)s Ordonnances qui foudroyent le duel, s’addressent principalement aux Nobles, qui se 2. B_14_16 (bib: p.3)emens. A PARIS, M. DC. LII. LE DVEL DE MONSIEVR le Duc de Beaufort, iustifié 3. C_7_2 (bib: p.5)xprés en France, où il offrit le duel à celuy qui voudroit maintenir que la Reyne sa s 4. B_9_23 (bib: p.10)naturel, du surnaturel : Or le duel est contre la raison, tendant à vne fin mauuaise 5. B_9_23 (bib: p.6)pour poltron qui aura refuse le duel, on qui n’aura point fait vn appel, ayant témoin 6. B_13_54 (bib: p.13)ns la capitale du Royaume. Le duel de Monsieur de Beaufort de Nemours luy rendoit vn 7. B_9_19 (bib: p.4)eur permettent non seulement le duël mais encore le commandement Vn homme ne passera 8. B_9_23 (bib: p.6)eur permettent non seulement le duel, mais encore le commandent. 2. Qu’vn homme ne pa 9. B_1_1 (bib: p.170)ns les duels. Dauantage, si le duël est vne action genereuse, il s’ensuit que deux 10. B_18_7 (bib: p.5)enant de la Connestablie sur le duel du Duc de Beaufort, lesquelles le Parlement ne tro 11. A_9_2 (bib: p.21) de ce costé-là. Au surplus, le duel n’est qu’vne vertu de gladiateur, nous ne pouu 12. A_6_8 (bib: p.3) crimes en vertus, canonizer les duels, les meurtres les adulteres, mettre les Rois leur 13. B_17_22 (bib: p.14)l a Scellé l’Edict contre les duels qui fut publié dans le Parlement, le Roy Parleme 32 La rencontre d’vn Gascon et d’vn Poitevin, les fanfaronades de l’vn, et les continvelles railleries de l’avtre. dialogve, [M0_3346], cote locale : C_9_61, p. 8. Le duel dans les Mazarinades 355 14. B_9_23 (bib: p.12) Concile de Trente, contre les Duels, en la Session vingt-cinquiesme. Chap. 19. QVE le 15. D_1_7 (bib: p.16)e dégradent eux-mesmes dans les duels, pour prendre la qualité infame de gladiateurs. 16. B_1_1 (bib: p.170)nce, ne paroist point dans les duels. Dauantage, si le duël est vne action genereuse, 17. C_10_11 (bib: p.8)es violences, il deffendit les duels, il chastia rigoureusement les impies les blasphe 18. B_9_23 (bib: p.8) aussi dauantage à detester les duels que tout le reste des hommes qui sont capables de 19. A_9_2 (bib: p.21)mais si on oste les duels, comment est-ce que la Noblesse pourra tesmoigner son courage ? 20. B_14_16 (bib: p.3)ne se reconnoist point par les duels qu’il a fait, mais bien par les combats qu’il 21. A_9_2 (bib: p.20)a point quelque remede pour les duels. L. G. SIRE, Cette maladie qui paroist incurrable 22. B_1_1 (bib: p.169)timbrés, se persuadent que les duels ne sont pas moins glorieux aux ieunes Princes, qu 23. B_14_16 (bib: p.17)eois, on luy fait refuser les Duels du Duc de Candale, de Gerzé, de Brancas, de Ruui 24. B_9_23 (bib: p.9)nt ne connoistrons que tous les duelistes dans ces deplorables combats n’ont pas vne 25. C_2_35 (bib: p.3)deffensif, Sert plus dans leurs duëls que lengin offensif. En cét arroy guerrier ces 26. B_16_28 (bib: p.29) si ozé de faire des apels ou duels, espandant le sang dans des querelles particulier 27. B_14_16 (bib: p.30) Duc de Beaufort, par quelque duël ou dans les Armées, si par ses intrigues il met 28. C_7_69 (bib: p.4) traisneurs de rapieres, querelleurs, duelistes, ennemis de nôtre Estat, se retirent Indépendamment de la lecture utile de telle ou telle pièce, le champ des recherches lexicales peut être élargi par l'observation des contextes : « Edict » (n° 13) et « Concile de Trente » (n° 14), bien sûr, mais aussi les verbes « offrir » (n° 3) ou « faire des ap(p)els » (n° 26), les substantifs « rapière », « querelleur » (n°28), etc. Les occurrences 7 et 8 permettent de voir la reprise entre les deux pièces vues plus haut, la seconde citant la première en retirant le tréma de « duel » et en corrigeant la coquille « commandement » en « commandent ». En retournant aux résultats par contexte, tels que les fournit au public le Projet Mazarinades, il est possible de sortir de l’étroit lexique du « duel » et de découvrir in situ les mots, expressions ou formes allusives employés pour désigner, qualifier ou encadrer le duel. On trouvera notamment les mots et expressions « querelle », « combat » associé à « honneur », « offense » et Patrick Rebollar 356 « offensé », mais aussi « brette », « bretteur 33 », « cette lice », « la guerre […] l’intestine », le « champ clos », le « pré », « l’appel », le « cartel de déf(f)i(t) » ou de « défy », etc. En revanche, aucune occurrence de l’expression « jeter le gant » dans notre corpus de Mazarinades, ni aucun gant dans un contexte de défi ou de duel 34 . On peut regrouper tous ces termes dans un champ sémantique du duel, obtenu non pas a priori mais par la plongée dans les textes, c’est-à-dire par la fouille textuelle. L’étude de ce champ sémantique du duel dans le corpus serait alors un énorme travail, qui dépasse en tout cas les limites de la présente étude, peut-être un sujet de doctorat. L’occurrence n°19 - « mais si on oste les duels, comment est-ce que la Noblesse pourra tesmoigner son courage ? », extraite du Catéchisme royal de 1650 - montre bien le désarroi existentiel de la noblesse. Cette pièce de Pierre Fortin, sieur de La Hoguette, se présente comme un débat socratique entre le roi (dénommé « LR » dans le texte) et le gouverneur (« LG »). À la page 20, LR demande « s’il n’y a point quelque remède pour les duels ». La longue réponse de LG est plus politique que juridique. En résumé : il conviendrait d’abord de modérer plutôt que d’interdire complètement. Puis de faire établir si l’injure est avérée et assumée (si ce n’était pas qu’un simple malentendu). Ensuite, si le combat doit avoir lieu, de considérer les seconds comme des juges, qui ne doivent donc pas se battre. À la question que pose ensuite le roi, « comment la noblesse pourra témoigner son courage ? », le gouverneur répond finalement : « dans vos armées, Sire ! » Et le roi de comprendre que « le vray honneur » est associé au « bien de [s]on Estat. » Le gouverneur disait également : « les querelles ne sont rien autre chose qu’vne impuissance actiue ou passiue en la societé de la vie ciuile ». Or c’est bien cette conscience nouvelle, cette prise de conscience de l’existence d’une 33 Dans Le combat de deux autheurs, sur le sujet de leurs pièces du temps, en vers burlesques, Paris, 1649, 8 p., [M0_708], cote Tokyo : C_2_36. Du fait de son intérêt, nous proposons cette pièce en lecture intégrale en image dans le document en ligne : http: / / mazarinades.org/ 2018/ 02/ duel-dans-les-mazarinades/ . Par ailleurs, le TLF en ligne atteste le mot « bretteur » en 1653 alors que nous en avons ici une occurrence datant de 1649. 34 Il semblerait que cette expression n’ait pas existé avant la Fronde. Le « gant » comme symbole de défi est bien attesté dans Takeshi Matsumura, Dictionnaire du français médiéval, Paris, Les Belles Lettres, 2015, p. 1669, mais absent de la première édition du Dictionnaire de l’Académie française (1694) avant de reparaître dans la 4 e édition (1762) avec l’expression « jeter le gant » et, selon la 6 e édition (1832-35), « par allusion à la coutume des anciens chevaliers » - voir ces notices dans le site Dictionnaires d’autrefois : http: / / portail.atilf.fr/ dictionnaires/ onelook.htm (consulté le 25 mai 2018). Le duel dans les Mazarinades 357 « société de la vie civile » dans laquelle la noblesse doit elle aussi entrer qui nous paraît importante, et symptomatique de la transformation en cours au XVII e siècle et tout particulièrement au temps de la Fronde. Transformation dont les Mazarinades témoignent ou que les Mazarinades accélèrent ? La question reste ouverte. Nous pouvons en effet voir dans la Fronde, ou pendant la Fronde, une dynamique complexe faite de multiples luttes entre des partis princiers, financiers, religieux, robins et bourgeois qui s’opposent puis s’allient, ou l’inverse, et qui s’expriment tantôt par l’exercice du pouvoir, tantôt par la propagande, ou par l’action militaire, la diplomatie, voire par l’agitation séditieuse. Tout est toujours mené au nom du roi et du peuple. Mais, dans une Europe où les appétits sont aiguisés par les richesses ultramarines, la légitimité d’un roi mineur est facilement contestable, tout comme est contestable dans le royaume la légitimité d’une régente hispanoautrichienne flanquée d’un ministre italien - même si, in fine, ce sont eux pourtant qui maintiendront l’unité du royaume face à de grandes familles aux troubles ambitions nationales. À ces éléments que l’on pourrait dire politiques, s’ajoutent des difficultés économiques, résultant notamment des guerres et des orientations de la fiscalité depuis Richelieu. Dans cette complexité sociale (de préférence à chaos bien que tous ces phénomènes s’amalgament et s’entraînent les uns les autres de manière aléatoire 35 ), les historiens ont su (ou cru) percevoir depuis longtemps des axes, quelques grandes oppositions parfois révélées par de célèbres duels politiques entre les chefs de partis. Sur ce champ clos de la Fronde, l’ultime peut-être sur lequel les valeurs chevaleresques ont encore cours sans qu’il s’agisse d’une reconstitution 36 , se déroule ainsi une succession ou une superposition de duels qui ne se résument pas seulement au duel caricatural entre le frondeur et le mazarin ni au duel socio-économique entre les officiers royaux et la noblesse d’épée. Certains de ces duels sont de véritables guerres de plumes, c’est-à-dire des duels publics par libelles interposés entre des chefs de partis disposant d’une 35 Aléatoire : ce que les historiens établissent a posteriori passe parfois, téléologiquement sous la plume de certains commentateurs historiques, pour une forme de prédictibilité des événements alors qu’il n’y avait, au mieux, que des probabilités. La maîtrise des événements, ce qui semble être globalement le cas de Mazarin à l’issue de la Fronde (et ce, sans employer les moyens coercitifs d’un Richelieu), passe aussi par une bonne gestion des échecs. Voir Caroline Le Mao, « L’échec, le temps et l’histoire : réflexions autour de la Fronde parlementaire à Bordeaux », Histoire, Économie et Société, 3, (2006), p. 311-334. 36 Comme ce sera le cas au XIX e et au XX e siècle pour des duels où le travestissement chevaleresque, d’inspiration romantique ou parodique, souligne l’intempestivité. Patrick Rebollar 358 équipe éditoriale, avec l'esprit du duel, les codes du duel, mais sans ôter la vie en combat singulier. N’y voyons pas un duel au rabais : il y a de vrais morts et de vrais blessés lors d’escarmouches urbaines et de batailles militaires, des carrières politiques vraiment brisées ou déviées 37 . Par exemple, début 1649 et pendant deux mois entiers, ce que les journalistes d’aujourd’hui nommeraient un bras de fer : après la fuite de la famille royale durant la nuit du 5 au 6 janvier 1649 jusqu’à la Paix de Ruel, le 11 mars 1649, soit pendant deux mois environ, on assiste à un duel géant entre, d’un côté, Paris, avec le Parlement, les Chambres, et la parution de centaines de Mazarinades (qui ne portent pas encore ce nom) contre l’enlèvement du roi par Mazarin, et de l’autre côté, le trop jeune Louis XIV et sa mère, Mazarin et la Cour à St-Germain-en-Laye, imprimant aussi quelques dizaines de libelles de contre-fronde pour les distribuer principalement à Paris 38 . Autre « polémique » (c’est le mot qu’emploie Célestin Moreau), moins célèbre mais mieux connue depuis sa reconstitution par Hubert Carrier 39 , reprise et augmentée dans le tableau synoptique qui suit. En complément de cette lecture, il serait utile de consulter la partie correspondante de la liste chronologique des Mazarinades proposée par Célestin Moreau à la fin du troisième tome de sa Bibliographie des Mazarinades, reproduite dans le Projet Mazarinades avec des liens vers les notices des pièces présentes dans le corpus en ligne 40 . Les deux colonnes centrales du tableau synoptique permettent de visualiser l’alternance des publications (dans les cadres grisés), qui sont comme les péripéties du duel entre Paul de Gondi, pas encore cardinal de 37 Les ambitions rognées par le mauvais tour qu’ont parfois pris, pour certains, des luttes qu’il est possible d’assimiler à des duels ont peut-être bénéficié à l’histoire de la France : nul ne sait ce qu’il serait advenu avec un prince de Condé devenu roi ou avec un Gondi premier ministre. 38 Les exemples de souverain ou de gouvernement quittant les dangers de Paris ne manquent pas. Notons également cette considération attribuée au jeune coadjuteur de l’archevêché de Paris, nouvellement évêque in partibus de Corinthe, juste après un malentendu avec Mazarin (déjà) et leur réconciliation dans un dîner en tête à tête en 1645 (dans des mémoires qui seront rédigés bien des années plus tard) : « Mais j’étais trop bien à Paris pour être longtemps bien à la cour. » Jean-François Paul de Gondi, cardinal de Retz, Mémoires, éd. Michel Pernot, Paris, Gallimard, 2003, p. 119. 39 Hubert Carrier. « Un désaveu suspect de Retz : l’Avis désintéressé sur la conduite de Monseigneur le Coadjuteur », XVII e Siècle, 124, (1979), p. 253-263. 40 Voir directement la reproduction numérique de la p. 343 à l’adresse : http: / / mazarinades.org/ 2015/ 04/ liste-chronologique-des-mazarinades-parcelestin-moreau/ . Le duel dans les Mazarinades 359 Retz, mais qui se voyait bien prendre la place de Mazarin, et le prince de Condé, prisonnier puis libéré triomphant, puis chef de Fronde rapidement déprécié. Les informations sont compilées à partir de diverses sources, dont les métadonnées du Projet Mazarinades, en réglant la granularité de l’information afin de n’en avoir ni trop ni trop peu. L’analogie avec le duel, d’ailleurs sous-entendue par Carrier dans l’expression « relever le défi » (voir tableau annexe 4), nous paraît ainsi acceptable. Pour conclure, revenons encore une fois aux textes du corpus. Chemin faisant et par sérendipité, nous avons été amené à théâtraliser le duel dans l’espace de ce corpus de Mazarinades et de son lexique même. Quand le vrai duel est interdit par la religion et par la société civile, nous le voyons qui migre analogiquement dans l’écriture et qui contamine le corps social en allant au plus efficace : la plume facile, le libelle vengeur (hypallages courantes). La main qui versait le sang par l’épée trempe maintenant la plume dans l’encrier ; un « ceci tuera cela » qui n’oppose pas comme chez Hugo la littérature à l’architecture, mais bien la codification d’un duel d’écritures à celle d’un combat de lames. Car en effet, en cherchant parmi les 486 occurrences du mot « plume(s) » dans le corpus des Mazarinades 41 , cette opposition avec l’épée se rencontre à maintes reprises - et leur duel tourne à l’avantage (quantitatif et performatif) de la plume. Voici un florilège de ces expressions : • « Gladiateurs de plume » (1649, M0_669, une polémique, cf. notice de Moreau) • « quittant la plume pour la brette » (Le combat de deux autheurs..., 1649, M0_708, avec affront de « cayer », défi, rencontre, chartreux et renoncement…) • « vostre espée n’esgale pas vostre plume » (1649, M0_673, censure de libelles…) • « quoy qu’il ne soit armé que de papier et de plume » (1649, M0_790) • Faut-il « Ioindre ainsi la plume à l’espée » ? (1649, M0_2470, attribué à Cyrano de Bergerac) • « manier l’espée auec la plume » (1649, M0_1607) 41 Cette recherche peut s’effectuer comme les précédentes dans la page http: / / mazarinades.org/ recherche/ avec la requête de la forme « plum.* » (la requête « EpE.*|espEe|espEes » permet d’accéder aux 812 occurrences des différentes formes du mot épée, beaucoup étant banales ou peu pertinentes dans le cadre de notre recherche). La recherche de co-occurrences de ces deux éléments, à une distance maximale de 20 mots, propose 8 occurrences. Patrick Rebollar 360 • Convertir « les traits de plume en autant de coups d’espées » (1649, M0_1536) • J’ai « posé bas le harnois & l’espée pour prendre la plume » (1649, M0_87) • « ta plume fait pis que ton glaiue autrefois » (1649, M0_61) • « Les plumes enuioient au fer, / Le mestier de faire la guerre » (1649, M0_1434) • « Des plumes - occupées à battre autant, ou plus qu’espées » (1649 ? , M0_2529) • « les plumes des escriuains percent les cuirasses des gens-d’armes » (1649, M0_2471) • « les plumes des Historiens perçoient les cuirasses des Guerriers » (1652, M0_60) • « met l’espée au dessous de la plume » (1649 ? , M0_2689) Quelques belles hypallages peuvent aussi se rencontrer : « plumes sanguinaires » (1651, M0_2573), « plumes coupables » (1652, M0_2574), « plumes criminelles » (1650, M0_103), « plume indiscrète » (1649, M0_3573), « plumes venales & ingrates » ([s. d.], M4_85), « plumes souueraines » (1649, M0_3489). Par la liberté de ses publications imprimées, aperçue ici par la petite fenêtre de ces quelques occurrences lexicales, la Fronde témoigne ainsi d’une transformation irréversible de la société : des procédures de plus en plus codifiées, des réglementations fixées par les autorités - même combattues par d’autres écrits - prennent la place des décisions individuelles, autrefois seigneuriales ou souveraines, qui n’étaient prises prétendument que devant Dieu. Depuis la création des Parlements déjà, les conflits opposent des légitimités établies ou défendues par des autorités juridiques ; la Fronde parlementaire de 1648-1649 signale que, même temporairement, une assemblée peut (s’autoriser à) exercer le pouvoir en outrepassant les formes admises de l’enregistrement des édits et de l’humble remontrance. Louis XIV cassera ces velléités démocratiques ; elles reviendront pour destituer Louis XVI. La plume et l’épée continueront leur duel, de même que l’encre et le sang ne cesseront d’être versés. Cependant le théâtre du duel (d’orgueil ? ), de la polémique (de préséance ? ), de la dispute (d’honneur ? ) se tiendra dès lors infiniment plus souvent sur la scène de l’écriture que sur le champ clos. Le duel dans les Mazarinades 361 Bibliographie Sources Conrart, Valentin. « Mémoires », dans Mémoires pour servir à l’histoire de France t. IV, éd. Joseph-François Michaud et Jean-Joseph François Poujoulat. Paris, Éditeur du commentaire analytique du code civil, 1838. Cyprien de la Nativité de la Vierge. La destruction du duel par le jugement de messeigneurs les Mareschaux de France, sur la protestation de plusieurs Gentilshommes de Marque. Paris, J. Roger, 1651. Descartes, René. Les passions de l’âme. Paris, H. Legras, 1649. Flaubert, Gustave. Dictionnaire des idées reçues. Paris, L. Conard, 1913. La Fontaine, Jean de. Fables. Paris, C. Barbin, 1668. 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Le Mao, Caroline. « L’échec, le temps et l’histoire : réflexions autour de la Fronde parlementaire à Bordeaux », Histoire, Économie et Société, 3, (2006), p. 311-334. Matsumura, Takeshi. Dictionnaire du français médiéval. Paris, Les Belles Lettres, 2015. Moreau, Célestin. Bibliographie des Mazarinades. Paris, J. Renouard, 1850-1851. Perrier-Chartrand, Julien. Le théâtre du sang. Imaginaire héroïque et dramatique dans les traités sur le duel (XVI e -XVII e siècle). Paris, Honoré Champion, 2018. Patrick Rebollar 362 Annexe 1 La collection des Mazarinades, formée de 5 sous-collections, Université de Tokyo, Japon Le duel dans les Mazarinades 363 Annexe 2 Page de titre du 9 e volume de la sous-collection B des Mazarinades conservées à Tokyo Patrick Rebollar 364 Annexe 3 Le duel dans les Mazarinades 365 Annexe 4.1 Patrick Rebollar 366 Annexe 4.2