eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 38/75

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2011
3875

Emmanuel Minel: Pierre Corneille, le Héros et le Roi. Stratégies d’héroϊsation dans le théâtre cornélien. Paris: Eurédit, 2010. 602 p.

2011
François Lasserre
PFSCL XXXVIII, 75 (2011) l’opus de Charles Mazouer qui réconcilie la sécheresse de l’histoire littéraire et la lumière d’un théâtre toujours extraordinairement vivant. Hélène Baby Emmanuel Minel : Pierre Corneille, le Héros et le Roi. Stratégies d’héroïsation dans le théâtre cornélien. Paris: Eurédit, 2010. 602 p. Le connaisseur souhaiterait tenir dans le creux d’une explication définitive, toute l’image de l’auteur, objet de son admiration poétique. L’érudition n’approuve pas ce rêve. Scrupuleusement érudit, le livre d’Emmanuel Minel tente néanmoins la gageure (sous l’angle des sentiments politiques) de « découvrir » Pierre Corneille. L’arme douteuse de la subjectivité intellectuelle est écartée, grâce à la structure du système proposé. C’est bien l’action dramatique qui prime, mais en outre, allant jusqu’à radicaliser cette précaution, au lieu de travailler la seule notion de « héros », l’auteur met en regard deux rôles antithétiques, aucun des deux ne pouvant fonctionner sans la sanction de son complémentaire. Chacune des deux positions, par ailleurs, a sa garantie d’historicité, réinterprétation de l’esprit chevaleresque, attestée en son temps, pour le héros, et conscience tutélaire du monarque régnant, pour le roi. Mais dans quel sens prendra-t-on les mots de « système politique » appliqués à un dramaturge ? Non pas à la manière du philosophe, ni non plus en ce sens que « telle pièce présenterait à tel personnage [actuel] un reflet » de ses actions. Mais un « système de places », toujours présent, « repris de la doxa monarchiste chrétienne », système indicatif, dans lequel l’intrigue joue à « faire sortir chaque acteur de son rôle assigné dans l’ordre politique, et à l’y faire rentrer au terme d’un parcours où chacun dit ce qu’il est ». On trouvera, pages 261 à 269, l’exposé de ce fil conducteur. Sous l’apparence rigide, le cadre se prête, au contraire, à une grande variété, à une perception fine des évolutions, et nous mène finalement, bien au-delà d’une amertume philosophique, au rêve difficile mais concret d’une politique qui serait digne de notre héritage spirituel. L’ouvrage se divise en deux parties de chacune deux chapitres : l’Univers Dramatique (1, la Séduction cornélienne, 2, le Mariage cornélien), et l’Univers Politique (1, le Théâtre du Héros et du Roi, 2, Reconnaissance d’un Roi). La table des matières foisonne de subdivisions, sous-titres, repères. Le texte occupe 450 p., plus 150 de notes, bibliographie, index, annexes (signa- Comptes rendus lons annexe II, liste des pièces de Hardy, types de dénouements, tragiques, et « à tombeau » - Th. Corneille entre autres). Pourquoi la Séduction ? Le choix de cet angle d’attaque inattendu n’est pas arbitraire. Il différencie le nouvel âge théâtral, tragi-comique d’abord, puis tragique, par rapport au forcènement qui s’imposait au héros des tragédies humanistes, aussi bien que par rapport à la simplicité pastorale. L’amour chez le héros ne va pas sans conquête ; le pouvoir ne s’affranchit de la tentation tyrannique qu’en séduisant (« le souverain se donne à regarder, à comprendre et à admirer »). La notion de séduction exprime donc avec exactitude un tournant de l’histoire politique, reflété dans celle du théâtre. Référence bien choisie, puisqu’elle permettra d’englober au fil de l’étude maint aspect de l’essor dramaturgique, mainte digression érudite capable de situer les options comparées du dramaturge d’une part, et d’autre part, de ses prédécesseurs, émules, critiques, successeurs même. Citons sans ordre (déplorant l’impératif de concision) : qu’est-ce qu’un dénouement heureux ; distinction entre héroïsme et monstruosité ; impasse sur la revendication méritocratique (telle que chez Mairet ou Du Ryer, respectivement Massinisse ou Alcionée) ; démêlés du dramaturge, au long de sa carrière, avec les modes galantes ; malentendu concernant la morale (Nicole ne prenant en considération que l’imitabilité des personnages, cependant que Corneille en appelle au sens global de l’action, que percevra la conscience du spectateur) ; notion de l’achèvement d’une fiction (d’Aubignac s’arrêtant à la fascination émotionnelle, cependant que Corneille ouvre les perspectives) ; etc. Notons que les comédies sont prises en compte, fournissant des analyses de séduction, et d’autant plus aisément que le « comique » cornélien mêle « cœur pur » et jeu social. Emmanuel Minel a, par ailleurs, scruté les sources historiques du poète avec une attention perçante, et en tire, non sans prudence, de précieuses informations. Les pages initiales concernent au premier chef la présence coordonnée, chez l’amoureux, de l’amour et de l’ambition, pour former la générosité. Celle-ci « n’est pas tant à définir comme un compromis, que comme un choix de l’amour et de l’ambition légitimes (tous deux également civilisés) contre le désir amoureux et le désir de pouvoir, caractéristiques de la tyrannie » (p. 49). Deux séries d’exemples montrent comment le « pouvoir sans désir de séduction » et la « séduction sans désir de pouvoir » sont respectivement tyrannie, et libertinage. L’orientation donnée par Corneille au caractère héroïque métamorphose dynamiquement la notion de dramaturgie. Le Héros, serviteur hors-norme (« coupable »), que récompensera l’acquiescement royal à son bonheur amoureux, le Roi, qui s’authentifie dans le renoncement au bonheur privé, et le Prince, pouvant parvenir à un tel bonheur, mais seulement selon une logique politique, sont les « rôles » du système. PFSCL XXXVIII, 75 (2011) 50 Le Mariage Cornélien, selon Emmanuel Minel, n’est jamais envisagé sous l’aspect sensuel que cultive la pastorale, jamais sublimé par le platonisme ou les subtilités précieuses, mais il est presque toujours différé, ou empêché (indéfiniment, même), et parfois conclu dans l’amertume. Au reste, le mariage intéresse l’ambition (l’établissement, dans les comédies), plus qu’il ne comble une aspiration sentimentale. Le motif intimement cornélien de ces réticences reste à discuter. Il me paraît douteux que l’éviction des « tendresses de l’amour content » (préface d’Attila), relève de la discipline religieuse. Doit-on parler d’une « fuite » du héros devant l’amour, ou bien l’inachèvement ne tient-il pas plutôt (Emmanuel Minel suggère cette 2 ème explication), au caractère épique du héros-sans-repos ? Et comment ne pas goûter la nostalgie amoureuse d’Othon perdant Plautine, du jeune Pompée repoussant encore Aristie, avant de la retrouver par hasard ? Retenons que la question est posée, avec une grande maîtrise dans l’analyse, qui éclaire d’une manière toute nouvelle notre connaissance de l’amour cornélien, si traditionnellement maltraité. Ce même chapitre débouche sur les problématiques radicales (La Place Royale, L’Illusion) qui présageaient le passage à la tragédie. Au début de la 2 ème partie la primauté de l’insertion politique du héros, par différenciation d’avec la complaisance et le respect absolus qui restaient de règle chez le galant, est soigneusement établie. La galanterie parfois imputée aux héros de la seconde carrière reste chez eux superficielle. L’esprit politique des héroïnes n’est pas difficile à montrer. Un retour attentif sur les exemples comparés du Cid et d’Horace décrit comment le rôle du Héros s’est déployé. Le progrès, d’une pièce à l’autre, est considérable. J’avoue être impressionné par l’adresse d’Emmanuel Minel à rendre compte de l’extrême tension dans laquelle s’impose une parenté étroite entre Rodrigue et Horace, justiciables, tous deux d’un pardon gratuit du roi, mais avec quelle disproportion de l’un à l’autre : coupables très inégalement, et par ailleurs, l’un amoureux, l’autre dispensé de séduire, puisqu’il est marié. Si l’on se souvient que le sujet d’Horace a des chances de s’être imposé à Corneille par devoir, contre un Cid né dans les élans de la tragi-comédie, on appréciera, au terme des élucidations méticuleuses de Minel, le coup de génie par lequel le dramaturge s’assimila si profondément et si brillamment la problématique d’Horace. La progression de la physionomie royale, le discours normatif de cette fonction, l’acheminement difficile vers le célibat souverain (incluant les délicieuses finesses d’Agésilas), complètent le chapitre. Un rappel d’Auguste se sacrifiant à l’intérêt public, résume le fil conducteur proposé dans l’ouvrage. La 2 ème partie, chapitre 2, après une distinction entre le caractère (qui est donné) et le statut (qui se construit), analyse les émergences du statut royal, Comptes rendus 50 exigence ardue, ou au contraire leur apostasie, à la lumière de Rodogune, Héraclius (distinction du Roi et du Héros), Don Sanche, Œdipe (confusion des deux), Cléopâtre, Pertharite, Massinisse, Pacorus (régression héroïque du Roi), Grimoald, Othon, Agésilas (avatars d’une promotion royale). Le théâtre politique trouve son accomplissement ultime dans un théâtre d’histoire au sens plénier, prospectif. Signalons très succinctement trois points qui contribuent à la séduction des analyses d’Emmanuel Minel. Il commente avec une subtilité attentive les pièces dont la réputation a été chahutée. Théodore, d’abord. Approfondir comment le sujet scabreux faussa la conduite de la pièce. Au 4 ème acte, l’action frise le comique… Plus intéressant, le cas de Pertharite, pièce irréprochable au fond, si ce n’est pour son authentique sincérité amoureuse. Deuxième point, une heureuse polarisation du commentateur sur Othon, sur Suréna, nous convaincant de voir dans la seconde de ces pièces une stigmatisation des pernicieuses monarchies non-chrétiennes, plus subtile que dans Attila, et aussi une contestation du romanesque royal des flatteurs de Louis XIV. Toujours plus combattif est Corneille. Troisième point... une abondance de rapprochements aussi suggestifs qu’inattendus surgissant d’analyses raffinées. La synthèse ample et subtile contenue dans ce livre est à aborder par étapes, le fil principal fléchissant au besoin pour l’accueil des précieux encarts historiques. La typographie des sous-titres est trop floue pour une lecture fluide. Inconvénients légers, au demeurant. Corneille annonçait à l’abbé de Pure ses trois Discours, après lesquels, disait-il, « il n’y a plus guère de question d’importance à remuer, ce qui reste n’est que la broderie qu’y peut ajouter la rhétorique, la morale et la politique ». Options intimes. Discrètement, Minel affronte (morale, politique) ce programme laissé en suspens par le poète, et sa réponse nuancée, mais sans timidité, éveille les multiples échos d’une conscience politique méditative, qu’on ne pourra plus réduire à des images simplificatrices, d’héroïsme insatisfait, ou de placide acquiescement. François Lasserre Barbara R. Woshinsky : Imagining Women’s Conventual Spaces in France, 1600-1800: The Cloister Disclosed. Farnham, England; Burlington, Vermont: Ashgate, 2010. 344 p. This book has a much wider purview than its title suggests, and readers well beyond scholars interested in convent studies will find it valuable. Porno-