eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 38/75

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2011
3875

La maison en crise et les avatars du pouvoir domestique: une constellation de la ’comédie érudite’ italienne et ses échos chez Molière (Le Tartuffe)

2011
Rudolf Behrens
PFSCL XXXVIII, 75 (2011) La maison en crise et les avatars du pouvoir domestique : une constellation de la ‘comédie érudite’ italienne et ses échos chez Molière (Le Tartuffe) R UDOLF B EHRENS (Ruhr-Universität Bochum) 1. Ce qui nous intéresse dans les observations qui suivent, c’est le rapport qui lie la comédie du classicisme franҫais à un certain aspect de l’héritage morphologique provenant de la comédie italienne du seizième siècle, la ‘commedia erudita’. Il s’agit d’un aspect qui - selon nos hypothèses - touche une caractéristique fondamentale de la comédie moderne telle qu’elle se forme durant la diffusion du modèle italien en Europe. En quoi consiste cette caractéristique, et qu’est-ce qui attire ici notre attention ? La forme matrice italienne, c’est-à-dire l’amalgame de sujets familiers à Boccace, à Plaute et à Térence 1 mis en scène sous les conditions d’une représentation 1 Parmi les grandes études sur le genre, sa morphologie et ses sources, nous signalons seulement les plus importantes : Douglas Radcliff-Umstead, The Birth of Modern Comedy in Renaissance Italy, Chicago/ London, University of Chicago Press, 1969 ; Marvin T. Herrick, Italian Comedy in the Renaissance, Freeport, Books for Libraries Press, 1970 ; Marzia Pieri, La nascita del teatro moderno in Italia tra XV e XVI secolo, Torino, Bollati Boringhieri, 1989 ; Mario Baratto, La commedia del Cinquecento (aspetti e problemi), seconda edizione, Vicenza, Neri Pozza, 1977 ; Nino Borsellino, Rozzi e intronati. Esperienze e forme di teatro dal ‘Decameron’ al ‘Candelaio’, Roma, Bulzoni, 1974 ; Angela Guidotti, Il modello e la trasgressione. Commedie del primo ‘500, Roma, Bulzoni, 1983 ; Guido Davico Bonino, La commedia italiana del Cinquecento e altre note su letteratura e teatro, Torino, Tirrenia Stampatori, 1989 ; Giorgio Padoan, L’avventura della commedia rinascimentale, Padova, Piccin Nuova Libraria, 1996. Rudolf Behrens 42 fortement visuelle de la ‘città rinascimentale’, 2 a pour centre d’action la maison, la ‘casa’ dans le sens d’une maison ou d’un palais de ville. Loin de servir uniquement de lieu d’action scénique, cette maison comme foyer familial et structure visible des hiérarchies sociales soit internes soit externes s’érige devant le public en tant que lieu d’un pouvoir. 3 Qu’il s’agisse du pouvoir d’un pater familias (d’un marchand, d’un médecin, d’un avocat), celui d’une veuve ou d’un autre ‘lieu-tenant’, le pouvoir de la maison, miroir et synecdoque de la ville, 4 se donne ici pour une institution métonymique de tout pouvoir politique en général. 5 Mais, et cela est le point crucial, par l’action de la comédie ce pouvoir se trouve toujours mis en cause. On pourrait même dire que dans beaucoup de cas la comédie développe une infinité de variantes avec lesquelles un personnage exclu 2 Pour le rapport entre comédie et ville (ou la cour) sont à consulter : Luigi Allegri, Teatro, spazio, società, Venezia, Rebellato Editore, 1982 ; Elvira Garbero Zorzi, « La scena di corte », Le corti italiane del Rinascimento, dir. Sergio Bertelli, Franco Cardini et Elvira Garbero Zorzi, Milano, Mondadori, 1985, pp. 127-187 ; Andrea Gareffi, La scrittura e la festa. Teatro, festa e letteratura nella Firenze del Rinascimento, Bologna, Il Mulino, 1991 ; Les écrivains et le pouvoir en Italie à l’époque de la Renaissance, dir. André Rochon, Paris, Université de la Sorbonne nouvelle, 1974 ; Alois M. Nagler, Theatre Festivals of the Medici, 1539-1637, New York, Da Capo Press, 1976 ; Carmela Pesca-Cupolo, The City in Italian Renaissance Comedy (La città nella commedia italiana del rinascimento), Diss. University of Connecticut, Ann Arbor, 1996 ; Franco Ruffini, Commedia e festa nel Rinascimento. La ‘Calandria’ alla corte di Urbino, Bologna, Il Mulino, 1986 ; Ludovico Zorzi, Il teatro e la città. Saggi sulla scena italiana, Torino, Einaudi, 1977. 3 Voir Esther Schomacher, « Haus-Ordnung. Der häusliche Raum in der Ökonomik und in der Komödie des 16. Jahrhunderts », Renaissancetheater : Italien und die europäische Rezeption. Teatro del Rinascimento: Italia e la ricezione europea, dir. Rolf Lohse Tübingen, Narr, 2007 [=Horizonte 10, 2007], pp. 165-192. 4 Il faut bien remarquer que dans la comédie érudite le lieu d’action, l’espace urbain devant et/ ou une maison bourgeoise, se réfère toujours au concept d’une ‘ville idéale’ dont les valeurs éthiques sont subverties par l’action des héros comiques. Quant au concept de la ville idéale nous signalons seulement : Lauro Martines, Power and Imagination. City-States in Renaissance Italy, New York, Alfred A. Knopf, 1979 ; Franco Ruffini, Teatri prima del teatro. Visioni dell’edificio e della scena tra Umanesimo e Rinascimento, Roma, Bulzoni, 1983 ; Gabriele Morolli, « Nel cuore del palazzo. La città ideale », Piero e Urbino. Piero e le corti rinascimentali, dir. Paolo Dal Pogetto, Venezia, Marsilio, 1992, pp. 215-230 ; Sabine Rahmsdorf, Stadt und Architektur in der literarischen Utopie der frühen Neuzeit, Heidelberg, Winter, 1999. 5 Pour le rapport entre espace théatral de la comédie, la maison comme lieu d’action et la ville vue comme ‘città ideale’ voir Giulio Ferroni, Il testo e la scena. Saggi sul teatro del Cinquecento, Roma, Bulzoni, 1980. La maison en crise et les avatars du pouvoir domestique 42 utilise toute sorte de subterfuges pour introduire dans la maison ou sa propre personne (par ex. comme prétendant refusé), ou une information ou un objet de valeur délicate, tous les trois étant aptes à déstabiliser l’économie morale ou matérielle au profit d’un égoisme potentiellement a-social. Paradoxalement, et ce serait un cas limite, ce personnage exclu peut bien être le propriétaire de la maison lui-même. 6 Dans ce cas, il se fait pour ainsi dire externe, il s’aliène de ses droits et à son insu offre son aide à d’autres personnages dans leur tentative de s’emparer du foyer et des valeurs qu’il héberge. De faҫon directe ou indirecte le pouvoir de la maison est donc toujours contesté - à tort ou à raison, cela reste à être jugé au cas par cas. Et le comique, cela soit dit en passant, résulte le plus souvent du contraste frappant entre la rigidité morale, économique et politique de l’espace à défendre et les tentatives d’un minage dû à l’infiltration plus ou moins capable de susciter des sympathies ou des antipathies de la part du spectateur. Or, dans la comédie italienne la maison ne se présente jamais que par l’émergence d’une crise d’autorité. Emblème et microcosme de la ville, qui s’entend elle-même comme pétrification d’une structure sociale protégée par le pouvoir politique et le commerce des marchandises ou de l’argent, la maison fournit le cadre et la structure spatiale dans lesquels les problèmes d’une autorité vacillante s’aggravent dans la mesure où le personnage externe - un prétendant, un parasite ou un tricheur - met à l’épreuve le système du pouvoir qui est à l’origine de toute structure civique. Par ses démarches, l’intrus ‘utilise’ donc la maison en perturbant et en transformant ses potences sémantiques. Nous y reviendrons. Si donc cette double structure de pouvoir et de contestation, de l’architecture et d’un ‘art de faire’ (au sens de de Certeau) 7 régit grosso modo l’action spatiale de la comédie italienne, il faut se poser la question de savoir dans quelle mesure la comédie du classicisme franҫais, héritière de grand nombre de paramètres poétologiques du seizième siècle italien, s’inscrit dans cette filiation et la transforme. Evidemment, les données sociales auxquelles se réfère la comédie de Molière ne sont plus les mêmes que celles que visaient les comédies d’un Arioste, d’un Machiavel, d’un Ruzante ou d’un De la Porta. Mais la recherche récente a pu constater que la tradition 6 Comme p. ex. dans la plus fameuse comédie italienne du seizième siècle, La Mandragola de Machiavel. 7 Michel de Certeau, L’invention du quotidien. Arts de faire, Paris, Gallimard, 1980. Rudolf Behrens 4 italienne de la comédie érudite était bien présente en France avant et après 1600. 8 Il est pourtant évident que les relations entre action comique et sémantique des lieux se déplacent au cours de cette ‘translation’ culturelle et historique. L’hôtel, lieu d’action de nombreuses comédies de l’âge classique, ne connaît ni la structure architecturale ni le système des valeurs politiques qui lient la ‘casa rinascimentale’ de Ferrare, de Florence, de Naples ou de Venise à l’ordre politique d’une société urbaine qui se double dans les représentations théâtrales en stabilisant ainsi sa propre image utopique par une sorte de mise en crise artificielle, miniaturisée dans le cadre d’une maison bourgeoise. Les lieux d’action de la comédie franҫaise, on le sait, sont bien des maisons, le plus souvent des hôtels de la basse aristocratie ou de la bourgeoisie parisienne, toutes les deux réunies dans l’imaginaire de l’honnête homme. 9 Leur rapport avec le pouvoir est plus souple, plus discret, moins visible et fortement soumis aux règles de la politesse et de la bienséance, règles qui transforment le pouvoir des forces sociales dans un réseau d’options des personnages à agir et réagir. En un mot, la ‘maison comique’ à la franҫaise ne cesse d’être un lieu de lutte pour la souveraineté relative du particulier. Mais ce lieu semble disséminer ses propres signes du pouvoir dans des stratégies verbales et symboliques. Il est pour ainsi dire ‘poreux’ dès le début. Son caractère socialement diaphane le pose dans une situation instable, vacillante même par rapport au pouvoir de l’état. Son indépendance vis-à-vis de la sphère du public est plus relative. Il est croisé par des allées et venues de personnages qui - par leur présence et plus encore par 8 Cela vaut justement pour l’influence de la ‘commedia erudita’ qui nous intéresse ici. Voir, sur ce point, Patrizia de Capitani, Du spectaculaire à l'intime : Un Siècle de commedia erudita en Italie et en France (début du XVI e siècle-milieu du XVII e siècle), Paris, Honoré Champion, 2005. L’influence de la commedia dell’arte par contre est bien connue depuis les travaux de Gustave Attinger (L’esprit de la commedia dell’arte dans le théâtre français, Neuchâtel, La Baconnière, 1950), Roger Guichemerre (La comédie avant Molière, Paris, Armand Colin, 1972), Philip A. Wadsworth (Molière and the Italian Theatrical Tradition, Columbia, French Literature Publ. Co., 1977), Marco Baschera (Théâtralité dans l’œuvre de Molière, Tübingen, Narr, 1998) et Claude Bourqui (La Commedia dell’arte : introduction au théâtre professionnel italien entre le XVI e et le XVIII e siècle, Paris, SEDES, 1999). 9 Voir sur ce point Roger Duchêne, « De la chambre au salon. Réalités et représentations », Vie des salons et activités littéraires, de Marguerite de Valois à Mme de Staël. Actes du colloque international de Nancy (6-8 octobre 1999), dir. Roger Marchal, Nancy, Presses universitaires, 2001, pp. 21-28. La maison en crise et les avatars du pouvoir domestique 4 leur langage - transforme la maison en un lieu de transition permanente. 10 Paradoxalement cette transition la rend vulnérable parce que la maison se situe sous le toit virtuel d’une sphère publique protégée et régie par le grand discours du pouvoir absolu qui garantit la sûreté de l’espace privé tout en réduisant ses possibilités de sauvegarde autonome. 11 2. Afin de voir plus clair dans les détails, nous proposons une lecture de quelques scènes du premier acte du Tartuffe. Pour simplifier les choses, on peut laisser de côté les problèmes d’interprétation qui résultent de la construction à deux étages de cette pièce. La divergence entre la première version en trois actes, représentée pendant la ‘Fête de l’île’ de 1664, qui aurait dû confondre Orgon dans l’impuissance à rétablir l’ordre patriarcal, et la version finale de 1669 qui a recours au deus ex machina d’une ‘seconde’ intrusion dans la maison, complémentaire à celle de Tartuffe, mais salutaire, celle du pouvoir royal, cette divergence donc est sans grande importance pour notre lecture. 12 Nous prétendons aussi que cette comédie est moins une comédie sur les dangers d’une fausse dévotion, 13 moins encore le drame manqué d’un bourgeois érotiquement séduit par une latente homosexualité incorporée dans le faux dévot. 14 De même toute interprétation mettant 10 Pour L’Ecole des femmes nous pouvons signaler une analyse courte mais précise qui développe l’importance des aspects spatiaux pour l’action qui se situe entre la sphère publique et les deux maisons d’Arnolphe : Deborah Steinberger, « Molière and the Domestication of French Comedy : Public and Private Space in L’Ecole des femmes », Cahiers du Dix-Septième, VI, 2 (1992), pp. 131-139. 11 Malheureusement dans la recherche sur Molière une analyse intégrale et pertinente de cet aspect fait encore défaut. Intéressant et très important dans ce contexte est pourtant un travail récent de Claude Bourqui (« Le drame bourgeois au XVII e siècle : premières occurrences italiennes, première expérience française », Le Drame du XVI e siècle à nos jours, dir. Philippe Baron, Dijon, Presses universitaires, 2004, pp. 29-42) qui va justement dans le sens de notre recherche. 12 Nous renvoyons, à ce sujet, à Robert Mc Bride, Molière et son premier Tartuffe. Genèse et évolution d’une pièce à scandale, Durham, University Press, 2005. Voir également la ‘notice’ sur Le Tartuffe de Georges Forestier et Claude Bourqui dans leur édition récente des Œuvres complètes de Molière dans la Bibliothèque de la Pléiade (Paris, Gallimard, 2010, pp. 1354-1389). 13 Gérard Ferreyrolles, Le « Tartuffe » de Molière, Paris, PUF, 1987. 14 Pour la discussion (polémique) de cette hypothèse due à des lectures dans la perspective d’une psychocritique de Charles Mauron, nous renvoyons à René Pommier, Etudes sur « Le Tartuffe », Paris, SEDES, 2005. Rudolf Behrens 43 l’accent sur la ‘faute originelle’ d’Orgon, faute dont la révélation par le crime de Tartuffe permet paradoxalement un pardon de la part du roi, ne se trouve pas au centre de nos considérations. L’hypothèse que nous suivrons est d’ordre plus formel. Elle suppose que le nœud conflictuel de la comédie est formé par une double opposition thématique dont les éléments se croisent, celle de l’intérieur et de l’extérieur d’une part et celle d’un voir et dire et d’un ne-pas-voir et de ne-pas-dire les choses d’autre part. Rappelons brièvement que le champ sémantique de la vision - le voir et le ne-pas-voir une chose - est bien dominant dans la comédie dont la scène centrale est un « faire voir », comme le dit Elmire lorsqu’elle cache Orgon sous la table. Ce qui rend cette double opposition brisante est justement le fait qu’elle ne se situe pas seulement au niveau de l’action. Elle se retrouve plutôt à l’intérieur du langage dont se servent les protagonistes, et là, dans la signification de leur discours, elle mine les paramètres de l’ordre sémantique de cette maison qui, dès la présence du directeur de conscience à l’intérieur du foyer, vacille et risque d’éclater. Ce n’est donc pas seulement la tricherie linguistique du faux dévot qui frappe aux yeux ; à cette décomposition du sens de la parole, décomposition que Tartuffe utilise de façon systématique, correspond une dégradation, même un empoisonnement du langage des autres personnages. Mis à part la servante Dorine, ils se perdent dans les significations flottantes de leurs paroles, dans des séries d’ironies involontaires, des bavardages, des polémiques, des formules mal à propos et des discours honteux. 15 Les répliques qui ouvrent la première scène sont bien connues, 16 elles valent quand même une relecture sous les auspices indiqués: « Allons, Filipote, allons, que d’eux je me délivre » sont les mots avec lesquels Mme Pernelle s’introduit en provoquant une dispute amère entre ses jeunes parents. 17 L’ironie de cette ouverture, qui joue sur un contre-sens, est flagrante. Pernelle, mère d’Orgon et centre caché d’un réseau de pouvoirs encore invisibles, veut « aller » pour se « délivrer d’eux» (c’est-à-dire : de ses parents hostiles à l’hôte de la maison), tandis qu’en réalité, dans les yeux des jeunes, il est ‘venu’ quelqu'un ici pour les ‘oppresser’ et qui - lui - serait bien un sujet à s’en délivrer. Une cascade de boutades fait suite à cette 15 Il nous semble que Molière est très sensible à la problématique du discours de tous les jours et ses avatars rhétoriques tels qu’ils ont été étudiés, à l’époque, dans La Logique de Port-Royal d’Arnauld et de Nicole parue en 1664. 16 Nous signalons, sur cet aspect, l’analyse pertinente de Jean Pommier (voir note 13), pp. 19-76. 17 Nous citerons le texte d’après l’édition récente dans la Bibliothèque de la Pléiade (voir note [12], mises en italiques par nous-mêmes). La maison en crise et les avatars du pouvoir domestique 43 entrée, « marchez » « suivre[z] », « laissez », « venez », « sortez » en sont les formes verbales ce qui est d’autant plus signifiant que par cette ouverture de comédie la Pernelle, tout en prétendant vouloir ‘sortir’ du foyer familial, entre en scène et établit dans son harangue et des répliques une frontière délicate entre le dedans et le dehors. Par leur seule valeur d’un mouvement spatial, ces expressions indiquent déjà la direction de la problématique qui sera au cœur de la dispute. Sa pierre d’échoppe est « ce ménage-ci » ou plutôt, sa ‘vision’ divergente : C’est que je ne puis voir tout ce ménage-ci, Et que de me complaire on ne prend nul souci. Oui, je sors de chez vous fort mal édifiée : Dans toutes mes leҫons j’y suis contrariée, On n’y respecte rien, chacun y parle haut, Et c’est tout justement la cour du Roi Pétaut. (vv. 7-12) Il n’est pas sans intérêt de voir que Molière fait parler les habitants du lieu domestique dont l’état est sur fond de disputes, dans des formes indirectes. L’état moral de la maison ne peut pas être nommé de façon directe, tout comme la maison d’Orgon elle-même en tant qu’organisme d’un oikos censé être sain et salutaire, est dépourvue d’un bon gouvernement. Ce lieu, contaminé par quelqu’un que le spectateur dans le premier acte ne connaît pas encore, ne peut pas, la Pernelle le dit de nouveau sous une forme pleine d’ironie involontaire, être inséré dans un discours raisonnable dans lequel tout serait bien visible, repérable, les choses surtout, qui - dans la conception classique d’une langue-tableau du monde - devraient se révéler à travers leurs mots : 18 « Je ne puis voir […] ». Ce lieu-là, la maison en question, est opaque (la Pernelle le dit, sans le savoir, littéralement tandis qu’elle entend son ‘ne point voir’ dans un sens métaphoriquement contraire qui veut dire : ‘je le vois très bien’, ce qui évidemment n’est pas le cas). Ce lieu, dont parle la Pernelle, ne peut être indiqué que de façon déictique (« ce ménage-ci ») et il a besoin, pour être précisé, d’un détour rhétorique, d’une métaphore populaire et discriminatoire qui - double ironie - dénonce le foyer intime abandonné d’être « la cour » d’un mendiant proverbial. En d’autres termes, l’état de cette maison n’est pas vraiment nommable. C’est pourquoi les adversaires de Tartuffe et ses sympathisants parlent également de la maison en utilisant de manière obsessive l’adverbe 18 Le discours pratiqué dans la maison d’Orgon est contaminé dans le sens qu’il ne suit pas une stricte logique de la représentation comme elle a été élaborée dans la Logique d’Arnauld et de Nicole, reprise par Foucault, dans Les mots et les choses, en tant que nœud et archétype d’une discursivité classique basée sur les relations sémantiques absolument transparentes et référentielles. Rudolf Behrens 43 « céans », adverbe qui revient douze fois dans toute la comédie. C’est là un fait remarquable étant donné que - excepté quelques mentions du mot dans L’école des femmes, une comédie sur laquelle nous reviendrons brièvement - cet adverbe apparaît rarement dans les autres comédies de Molière. Mais qu’est-ce que cette formule elliptique peut indiquer ? Qu’est-ce qu’elle découvre en cachant la chose, pour reprendre les termes de la rhétorique de l’époque ? C’est la peur de nommer les choses par leurs mots, c’est la honte de ne plus voir la maison intégrée dans un discours partagé par tout le monde et régi par le bon sens. Quand le fils Damis se plaint qu’il ne souffrira plus « qu’un cagot de critique / Vienne usurper céans un pouvoir tyrannique » (vv. 44,45), et lorsque Dorine dans ses répliques osées de servante récalcitrante fait écho en se lamentant « [d]e voir qu’un inconnu céans s’impatronise » (v. 61), tous les deux ne démontrent leur impuissance réelle par rapport à l’intrus qu’en utilisant une éloquence d’indignation qui se réduit à un constat résigné. Mais c’est là un complément de la gêne que le détenteur nominal du pouvoir, Orgon, exprime lui-même à la fin de l’acte IV, lorsqu’avec une formule ridicule il bombe la poitrine envers Tartuffe dévoilé en utilisant un pluralis majestatis qui - tout en disant ironiquement la vérité littéralement - veut imposer la sortie à Tartuffe par une élégante tournure : « Allons, point de bruit, je vous prie. / Dénichons de céans, et sans cérémonie » (vv. 1552sq.). Le verbe ‘sortir’, c’est-à dire l’antonyme de ‘l’entrée’ du dévot mise en dispute pendant les quatre actes, devient ensuite un mot-clef, et cela d’autant plus que Tartuffe renverse pour ainsi dire maintenant la direction de la sortie en question. Après l’exhortation d’Orgon « Il faut, tout sur le champ, sortir de la maison » Tartuffe rétorque : « C’est à vous de sortir. Vous qui parlez en maître » (vv. 1556sq.) et dénonce ainsi le statut d’un discours de pouvoir qui est déjà radicalement miné. 3. Dans deux passages du premier acte nous voulons démontrer dans quelle mesure la thématique de l’usurpation d’un espace de pouvoir, c’est-à-dire le jeu de l’exclusion et de l’inclusion figé dans le scandale du ‘céans’, est ici liée à un autre sujet, celui du discours qui a pour objet ce ‘céans’ et qui luimême est sujet à la dispute. Toujours dans la première scène, lorsque Dorine pose la question de savoir pourquoi depuis un certain temps « aucun hante céans », c’est-à dire pourquoi personne du monde ne veut plus faire de visites et entrer dans l’intérieur du foyer, la Pernelle, Cléante et Dorine entament un débat vif sur le commerce des gens et le pouvoir du discours d’autrui : La maison en crise et les avatars du pouvoir domestique 43 MADAME PERNELLE : Taisez-vous, et songez aux choses que vous dites. Ce n’est pas lui tout seul qui blâme ces visites. Tout ce tracas qui suit les gens que vous hantez, Ces carrosses sans cesse à la porte plantés, Et de tant de laquais le bruyant assemblage Font un éclat fâcheux dans tout le voisinage. Je veux croire qu’au fond il ne se passe rien ; Mais enfin on en parle, et cela n’est pas bien. CLÉANTE : Hé ! voulez-vous, Madame, empêcher qu’on ne cause ? Ce seroit dans la vie une fâcheuse chose, Si pour les sots discours où l’on peut être mis, Il falloit renoncer à ses meilleurs amis. Et quand même on pourrait se résoudre à le faire, Croiriez-vous obliger tout le monde à se taire ? Contre la médisance il n’est point de rempart. A tous les sots caquets n’ayons donc nul égard ; Éfforҫons-nous de vivre avec toute innocence, Et laissons aux causeurs une pleine licence. DORINE : Daphné, notre voisine, et son petit époux Ne seroient-ils point ceux qui parlent mal de nous ? Ceux de qui la conduite offre le plus à rire Sont toujours sur autrui les premiers à médire ; Ils ne manquent jamais de saisir promptement L’apparente lueur du moindre attachement, D’en semer la nouvelle avec beaucoup de joie, Et d’y donner le tour qu’ils veulent qu’on y croie : Des actions d’autrui, teintes de leurs couleurs, Ils pensent dans le monde autoriser les leurs, Et sous le faux espoir de quelque ressemblance, Aux intrigues qu’ils ont donné de l’innocence, Ou faire ailleurs tomber quelques traits partagés De ce blâme public dont ils sont trop chargés. MADAME PERNELLE : Tous ces raisonnements ne font rien à l’affaire. On sait qu’Orante mène une vie exemplaire : Tous ses soins vont au Ciel ; et j’ai su par ses gens Qu’elle condamne fort le train qui vient céans. (vv. 85-120) Il est significatif que le sujet de la querelle, la présence du faux dévot dans la maison abandonnée par son ‘souverain’, se dirige ici vers une dispute supplémentaire. Elle a pour sujet le trafic des gens et le dynamisme du discours, celui des protagonistes eux-mêmes, mais surtout celui ‘du monde’ : Avec la sommation « […] songez aux choses que vous dites », formule pleine de retentissements ironiques involontaires, la Pernelle ouvre le débat dont la gestion risque ensuite de lui échapper. Mais à la fin, son autorité semble Rudolf Behrens 43 se stabiliser dans l’assertion catégorique que les ‘bruits’ qui courent au dehors trouvent dans la voix de la dévote Orante une vérification définitive grâce à sa condamnation de ce qui se passe « céans ». Le discours dans sa forme des racontars est ici, nous semble-t-il, doublement sujet à dispute. Les jeunes membres de la famille, selon la Pernelle, ne font pas coїncider ‘la chose’ et ‘les mots’. Ils sont accusés - à tort, devons-nous dire - d’abuser du fait que le discours connaît - comme la maison - un dehors et un intérieur, une vérité intrinsèque et une apparence apte à faire impression dans le monde. C’est là le premier aspect qui lie le discours à la maison et lui confère son caractère controversable. Le deuxième est pourtant également important. Les jeunes parents le mettent en cause lorsqu’ils reprennent l’argument du trafic des gens du monde qui - selon la Pernelle - serait la véritable ruine morale de la maison. Cette impression de désordre, disent-ils, est aussi vaine et fausse comme le désordre produit par les paroles d’un discours de bavardage. Les exemples montrent, il est vrai, que le discours du bavardage passe et se répand dans l’espace social sans le moindre contrôle de la part de ses objets. Selon les goûts et selon les intérêts des gens qui parlent, il met des images de l’intérieur d’un lieu de ‘céans’ en circulation. Le discours entre dans les maisons, il renverse la vérité et rentre dans d’autres maisons en établissant un circuit d’opinions « teintes de […] couleur » avec l’effet de dénigrer les actions d’autrui et « d’autoriser » par ces feintes les actions des auteurs du discours-bavardage. Mais le pouvoir réel de ce discours, disent les jeunes, joue sur l’imaginaire, il est donc à juger selon les critères du vrai et du faux. Cette dispute, et c’est cela son caractère à la fois comique et amer, n’est pas celle entre des détenteurs d’une vérité et une vieille sotte. Les deux parties ont raison, au moins partiellement. Mais le spectateur peut bien reconnaître que cette dispute est ‘fausse’. Elle n’est qu’un jeu de mots symptomatique, la suite d’une sorte de mécanique de refoulement, qui cache une problématique plus profonde et élémentaire du message de cette comédie. Aucun doute est donc possible sur une parenté structurale qui nous semble former le centre de cette comédie : ‘Maison’ et ‘discours’ en tant que concepts basés sur le clivage de l’intérieur et de l’extérieur sont à la fois mis en parallèle et ils s’entrecroisent. La maison - ou disons plutôt : l’espace du ‘céans’ - veut contrôler et diriger les discours, dedans et au dehors, cela est son pouvoir à lui. Mais les discours pénètrent cet espace ‘céans’, ils le traversent et le relient au ‘monde’ qui peut bien abuser de ce pouvoir du discours. En cela le discours fonctionne comme le commerce des gens qui entrent et sortent, « plantent » leur carrosses au dehors et font à l’intérieur des choses dont la Pernelle espère que ce ne soit « rien ». La maison en crise et les avatars du pouvoir domestique 43 Après l’entrée en scène d’Orgon, une lutte plus acerbe se produit dans le dialogue entre lui et Cléante, son beau-frère. Ce dialogue déplace de nouveau le sujet de Tartuffe usurpateur de la maison. Mais il garde la métaphorique spatiale, même si, vu superficiellement, il traite d’un problème de distinction sémantique. Cléante tente de convaincre Orgon de la différence entre la vraie et la fausse dévotion. Mais le discours des deux nous raconte également une autre histoire, celle d’une lutte pour et contre la clôture ou l’ouverture d’un espace : CLÉANTE : […] Les hommes la plupart sont étrangement faits ! Dans la juste nature on ne les voit jamais ; La raison a pour eux des bornes trop petites ; En chaque caractère ils passent les limites ; Et la plus noble chose, ils la gâtent souvent Pour la voir outrer et pousser trop avant. Que cela vous soit dit en passant, mon beau-frère. ORGON : Oui, vous êtes sans doute un docteur qu’on révère ; Tout le savoir du monde est chez vous retiré ; Vous êtes le seul sage et le seul éclairé […] CLÉANTE : Je ne suis point, mon frère, un docteur révéré, Et le savoir chez moi n’est pas tout retiré. Mais, en un mot, je sais, pour toute ma science, Du faux avec le vrai faire la différence. […] Aussi ne vois-je rien qui soit plus odieux Que le dehors plâtré d’un zèle spécieux, Que ces francs charlatans, que ces dévots en place […]. (vv. 399-361) Le sujet de cette discussion est toujours Tartuffe ou la fausse dévotion sournoisement entrée dans la maison. Mais de nouveau le sujet est déplacé. En vérité on parle d’une figure métaphorique de cette intrusion en parlant de ‘l’extension’ juste ou injuste du discours et de la raison. Ou est-ce-que la maison traversée par un pouvoir externe serait inversement une figure rhétorique, une forme métonymique du discours raisonnable à la dérive ? Ces deux lectures nous semblent bien possibles. De toute faҫon, Cléante dit du discours de la raison qu’il peut se limiter dans ses bornes naturelles ou qu’il peut passer ‘outre’, ne pas respecter l’espace formé par l’ordre des choses. Dans ce cas, il franchit invisiblement des limites. Certainement, Cléante lui-même semble se ranger du côté juste par ses mots pleins de bon sens. Mais sa rhétorique spatiale avec laquelle il explique patiemment les droits et les fautes de la raison provoque chez Orgon une réponse satirique qui n’est pas privée d’esprit. Il se peut, dit-il, que la raison de Cléante se soit « retirée » dans un espace un peu étroit, ce qui ironiquement n’est pas Rudolf Behrens 43 absolument faux, vu que Cléante et toute la famille viennent très tard avec leurs protestations. Le comique consiste ici dans le fait que ni l’un ni l’autre voient que les deux sujets de la discussion, l’intrusion du faux dévot et le minage du discours par de faux concepts, convergent ‘vraiment’ vers un point commun : tous les deux sont basés sur un dépassement des limites et une intrusion du malsain dans l’abri de famille. La maison d’Orgon croule moralement parce que son pouvoir, devenu impotent, n’a pas vu les dangers provenant d’un dépassement physique des limites du foyer familial. Le caractère diaphane du foyer, son empêtrement dans les réseaux sociaux qui traversent la ville par des déambulations des gens intéressés, est devenue une trappe. Mais la même transgression a contaminé le discours. Lui aussi a échappé à la surveillance, même à celle d’un auto-contrôle. Discours et maison sont ainsi de nouveau mis en parallèle, mais le discours est doublement compromis : il a contribué à l’escamotage de l’érosion de la maison, et il ne sert plus d’instrument pour rectifier les erreurs. Ce n’est pas la moindre des raisons pour lesquelles le conflit à la fin, même après les preuves flagrantes de la turpitude de Tartuffe, n’est plus à résoudre logiquement et que sa solution revendique le pouvoir absolu du roi. On pourrait ajouter quelques observations sur une autre comédie qui, elle aussi, semble directement influencée par la problématique ‘casanière’ de la ‘commedia erudita’ de la Renaissance, l’Ecole des femmes donc. Il est évident que dans cette pièce l’action soit basée sur un jeu du ‘dedans’ et du ‘dehors’, 19 qui semble permettre à Arnolphe de réussir avec sa stratégie d’éduquer Agnès en créant dans la ville, plusieurs fois apostrophée comme un espace particulier et distingué, 20 une sorte d’espace de deuxième degré constitué par le prolongement de sa propre maison dans une sorte de dédoublement dans « cette autre maison » (v. 146) où il cache Agnès tout en feignant une normalité civique. Dans cette comédie nous sommes confrontés d’une part à un va-et-vient compliqué de divers personnages entre les deux maisons, dont l’une reste dans la sphère de l’anonymat déguisé et indiqué à la fois par la transformation nominale burlesque d’Arnolphe dans ‘Monsieur de la Souche’ (‘source’, ‘bouche’ etc., comme on l’entend par méprise). D’autre part ce jeu théâtral interne d’Arnolphe 21 , jeu qui se sert des usances 19 C’est là la formule qui sert de titre au chapitre 2, dédié à L’Ecole des femmes, d’une étude importante sur la spatialité intrinsèque de l’œuvre de Molière et de ses implications sur le niveau d’une mise en scène : Max Vernet, Molière, côté jardin, côté cour, Paris, Nizet, 1991 (pp. 65-89). 20 Voir p. ex. la question posée par Arnolphe à Horace : « Hé bien ! Comment encore trouvez-vous cette ville ? » (v. 288). 21 Voir, sur ce point, l’analyse de Marco Baschera (voir note 8). La maison en crise et les avatars du pouvoir domestique 43 et des coutumes dans les espaces urbains et les espaces privés dans la maison particulière, se dédouble dans la série des discours échangés qui, eux, se fondent sur diverses techniques de régir ou de subvertir l’espace de pouvoir dans lequel Arnolphe veut garder sa tutelle. 22 4. Nous allons terminer nos remarques par un résumé provisoire. Le sujet de bon nombre de comédies de la Renaissance italienne, le combat comique entre d’une part les détenteurs du pouvoir familial incorporé dans la maison et d’autre part les intrus poussés dans leurs attaques par des désirs charnels ou autres, est bien connu, nous l’avons dit au début. Mais cette thématique est liée à deux conditions qui confèrent à la ‘casa rinascimentale’ une qualité particulière : Elle est une sorte de mise en abyme de l’ordre social de la ville. Physiquement et sémiotiquement, elle ‘appartient’ aux structures urbaines dont elle est censée représenter visiblement une synecdoque. En tant qu’espace métonymique et miniaturisé, la maison n’est donc pas seulement l’espace où le conflit ‘a lieu’. C’est plutôt un espace qui sur la scène revendique les mouvements physiques des protagonistes. Ils observent la maison, se livrent à des jeux de cache-cache, y entrent ou en sortent de manière acrobatique, utilisent des escaliers, des caves, des antichambres, des rues, des places ou des endroits hors scène, pour arriver au but ou pour défendre leur position d’un pouvoir contesté. Pensons par exemple aux ruses extravagantes, imaginées ou réalisées, des héros comiques d’un Arioste qui recourent à des stratégies d’assaut en abusant de l’espace urbain de Ferrare comme d’un réseau de trappes et de cachettes. Nous pouvons de même évoquer les stratagèmes ambulatoires qui dans la Mandragola de Machiavel font de la maison du docteur Nicia une forteresse si imprenable que les dehors de la ville de Florence, une église, des rues et la piazza du marché, doivent être transformés en une sorte de théâtre, véritable inversion de la maison, qui sert à détourner l’attention du détenteur du pouvoir. On pourrait ajouter ici bon nombre d’exemples. Dans tous ces cas, le pouvoir ou l’impuissance s’articulent dans des présences physiques, dans des structures visibles et dans des itinéraires pratiqués. Dans le cas de la comédie de Molière, l’exemple du Tartuffe le montre, le statut du pouvoir et le type de ses défenses et de ses contestations se sont sensiblement déplacés. Les dimensions spatiales qui délimitaient l’organisme social de la maison ‘comique’, ne sont plus les mêmes et elles n’ont plus les 22 Nous renvoyons ici de nouveau à l’article de Deborah Steinberger (voir note 10). Rudolf Behrens 4 mêmes implications sémantiques. Ces dimensions sont réduites à des archétypes qui, dans leurs fonctions de servir de zones diaphanes entre un intérieur et un extérieur, ne nient pas leur origine italienne. Mais la relation entre maison et pouvoir contesté ou soutenu est devenue plus abstraite. La maison elle-même s’est pour ainsi dire ouverte. Elle se montre maintenant perforée de passages transversaux qui en font une zone intermédiaire de mouvements et de discours oscillant entre la sphère publique et le foyer familial, entre ce qu’on appelle ‘la raison’ et ‘l’aberration’ ridicule, entre un pouvoir usurpé et la faiblesse des contestataires. Dans cette situation instable, nous l’avons vu, le discours - le ‘commerce par mots’ - est devenu une sorte de double de la maison. C’est à travers des mots échangés, mal placés et comiquement obliques que le discours devient le miroir de la maison en crise. Le lieu du combat tend donc à s’évader vers la sphère du symbolique. La comédie du classicisme franҫais, pouvons-nous conclure, transforme ainsi ses propres racines morphologiques et met le pouvoir dans une lueur moins frappante, moins directe, plus discrète, mais - finalement - plus dangereuse. 23 23 Ce m’est un grand plaisir que de remercier ici vivement Nathalie Piquet d’avoir revu mon texte.