eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 38/75

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2011
3875

Le carrousels: configurer l’espace social de la noblesse

2011
Marine Roussillon
PFSCL XXXVIII, 75 (2011) Les carrousels : configurer l’espace social de la noblesse M ARINE R OUSSILLON (Université d’Oxford, Worcester College) Carrousel. Feste magnifique que font des Princes ou Seigneurs pour quelque resjouïssance publique, comme aux mariages, aux entrées des Rois, etc. Elle consiste en une cavalcade de plusieurs Seigneurs superbement vestus, et équippez à la maniere des anciens Chevaliers, qui sont divisez en quadrilles. Ils se rendent à quelque place publique, où ils font des courses de bague, des joustes, tournois, et autres exercices de Noblesse. On y adjouste quelquefois des chariots de triomphe, des machines, des danses de chevaux, etc. et c’est de là que ces festes ont pris leur nom. 1 L’article consacré au carrousel par le dictionnaire de Furetière le définit d’abord comme une fête, une « réjouissance publique ». Comme l’entrée royale, le carrousel utilise l’espace public pour mieux configurer l’espace social. Le dictionnaire mentionne successivement plusieurs acteurs du carrousel : les princes et la noblesse. Plus loin dans l’article, les exemples font aussi intervenir les écrivains et les théoriciens : « Le Pere François Menestrier Jésuite a écrit des carrousels ». Le carrousel est donc à la fois une représentation du pouvoir, un exercice propre à la noblesse et un objet d’écriture 2 . 1 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, La Haye, Rotterdam, Leers, 1690, article « carrousel ». 2 Sur le père Ménestrier et la réflexion des écrivains jésuites sur la représentation du pouvoir, voir Stéphane van Damme, Le temple de la sagesse. Savoirs, écriture et sociabilité urbaine (Lyon, XVII e -XVIII e siècles), Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2005. J’ai consacré un article au traitement des carrousels dans le Traité des tournois du père Ménestrier : « La théâtralité des Marine Roussillon 378 L’événement du carrousel 3 transforme la « place publique » en lieu de représentation du pouvoir 4 . Il produit cette transformation à la fois dans des actions d’ordre militaire (courses de chevaux, joutes) et dans des actions d’écriture (récits et théories). Il crée ainsi un espace, éphémère comme lorsque les rues de la ville se transforment un moment en lice pour les chevaliers, ou plus durable lorsqu’une place ou un palais sont créés pour accueillir les fêtes, et associe différents acteurs sociaux dans la représentation du pouvoir. L’organisation et l’écriture de carrousels produisent des valeurs, les mettent en circulation et contribuent à configurer l’espace social. Elles participent tout particulièrement d’un débat sur la place de la noblesse dans la société 5 . J’étudierai ici la manière dont les récits de carrousels interviennent dans ce débat à partir de trois cas singuliers : le récit d’une course de bague de la fin des années 1640 inséré dans un traité d’héraldique, les nombreuses relations officielles des grands carrousels royaux des années 1660 et le programme d’une comédie d’agrément mettant en scène un carrousel jouée par les comédiens du roi en 1676. 4 mars 1648 : le retour de la course de bague à la cour « Le 4, plusieurs seigneurs firent voir leur adresse à courir la bague devant Leurs Majestez et toute la Cour au Palais Cardinal » 6 . La Gazette évoque d’une simple phrase les courses de bagues du 4 mars 1648. Il n’est pas question ici de « réjouissances publiques » et à peine d’« exercices de Noblesse » : les participants ne sont même pas nommés. Si la course de bague et son écriture participent de la représentation du pouvoir, ce n’est que marginalement. Le public de la course est restreint et aucune relation n’en est publiée. Quant à la phrase de la Gazette, elle s’inscrit dans une énumération de divertissements royaux visant à publier la bonne santé du jeune Louis XIV quelques mois après une grave maladie. carrousels dans le Traité des tournois de Claude-François Ménestrier », dans Sabine Chaouche, dir., Le Théâtral de la France de l’Ancien Régime : de la présentation de soi à la représentation scénique, Paris, Champion, 2010, pp. 185-201. 3 Sur l’histoire des carrousels, voir Stéphane Castelluccio, Les carrousels en France du XVI e au XVIII e siècle, Paris, L’Insulaire, 2002. 4 Sur la représentation du pouvoir sous Louis XIV, voir Louis Marin, Le Portrait du roi, Paris, Éditions de Minuit, 1981. 5 Sur ce débat et l’évolution des valeurs qui fondent la noblesse, voir Ellery Shalk, From Valor to Pedigree. Ideas of Nobility in France in the Sixteenth and Seventeenth Centuries, Princeton, Princeton University Press, 1989. 6 Gazette, 36, 7 mars 1648. Les carrousels : configurer l’espace social de la noblesse 379 Le seul véritable récit de la course publié à l’époque est inséré dans un traité des tournois, le Vrai Théâtre d’honneur et de chevalerie de Marc Vulson de la Colombière 7 . L’auteur est un spécialiste d’héraldique occupant à la cour les charges de « conseiller, maître d’hôtel du roi et gentilhomme de sa maison » 8 . Le traité s’adresse au pouvoir 9 pour promouvoir un projet politique de restauration de la noblesse comme élite guerrière à travers le rétablissement des tournois et des combats judiciaires. L’ensemble du texte construit la vision d’une noblesse en crise, oisive et décadente, pour mieux présenter un projet réactionnaire qui rendrait à cette noblesse la vertu guerrière et le rôle social qui auraient été les siens dans le passé. C’est dans ce cadre que Vulson prend la course du 4 mars comme objet d’écriture. Le récit est situé dans la « Préface servant d’Avertissement à la noblesse de France » qui ouvre le deuxième volume. Si la Noblesse apprehende de demeurer trop long temps en repos dans le long loisir de la paix, […] qu’elle imite la gentillesse de nostre jeune Roi, qui n’eust pas plustost jetté les yeux sur ce Livre, lors que j’eus l’honneur de le présenter à sa Majesté, et veû les belles matières qu’il contenoit, que tout incontinent son courage s’alluma d’un désir plein d’ardeur de les mettre en pratique ; car il commanda qu’on dressast une lice et une carrière proche du jardin du Palais Cardinal au-dessous du Balcon, où quelques jours apres, plusieurs Princes et Seigneurs de la cour des plus braves, s’exercerent à courir la bague en présence de sa Majesté, de la Reine Regente, des princesses et principales Dames de France. Que la Noblesse, dis-je, fasse comme le brave Comte de Saint Aignan, qui tout incontinent entreprit et soustint très-genereusement un combat à la barrière, sous le nom d’Arimant avec quelques autres Gentils-hommes, contre Monsieur le Marquis d’Arquyan, qui se fit nommer Alcandre, en qualité de chef des Assaillans ; me réservant d’en donner au public les particularitez tout au long, avec leurs Cartels, leurs Devises, leurs Vers, et la description de leurs entrées, de leurs belles armes, de leurs superbes habits, de leurs équipages, et de leurs combats seul à seul et en foule, lors qu’ils auront encore un coup paru en ce glorieux estat devant leurs Majestez, qui ont tesmoigné avec passion, l’envie qu’ils ont de voir faire ces beaux combats à la Pique et à l’Espée. 10 7 Marc Vulson de la Colombière, Le Vrai Théâtre d’honneur et de chevalerie ou le Miroir héroïque de la noblesse, Paris, A. Courbé, 1648. 8 Comme l’indiquent les pages de titre des deux volumes de l’ouvrage. 9 Les deux volumes sont dédiés à Mazarin et au Maréchal de la Meilleraye, qui vient d’être nommé surintendant des finances. 10 Marc Vulson de la Colombière, op. cit., t. II, « Preface servant d’Advertissement à la Noblesse de France », n.p. Marine Roussillon 380 Vulson évoque en fait deux courses : la course de bague du 4 mars organisée par le roi et un combat à la barrière organisé par le Comte de Saint-Aignan et le Marquis d’Arquian. Ce choix lui permet d’amplifier son récit et d’insister sur la dimension scénarisée des courses, les rapprochant ainsi des tournois anciens qu’il a décrits dans son premier volume. Le récit est articulé autour d’une série d’actions aussitôt imitées : les tournois racontés par le livre sont imités par le roi, puis par la cour et enfin représentés dans un récit qui les offre à l’imitation de l’ensemble de la noblesse. Le récit construit ainsi la valeur des courses en leur donnant le statut de pratiques exemplaires. Le livre est placé à l’origine de la chaine des imitations et par conséquent à la source de la valorisation des carrousels. Le roi, découvrant les récits de tournois du premier volume du Vrai Théâtre d’honneur et de chevalerie, souhaite « les mettre en pratique ». La course du 4 mars est donc interprétée comme la réalisation du projet de rétablissement des tournois porté par le premier volume, le résultat de la représentation efficace proposée par le livre. La fin du récit promet une seconde intervention de l’écrit (la production d’une relation des courses) qui mettrait son efficacité au service de la représentation du pouvoir. À travers le récit de la course, Vulson se positionne en acteur possible de la représentation du pouvoir et met ses compétences d’homme de lettres - et de spécialiste des récits de tournois - au service du roi ou des nobles de la cour. Quelques lignes plus loin, il fait explicitement appel à « la générosité des puissances supresmes » 11 , c’est-à-dire au mécénat du roi ou des courtisans. Cette promotion d’une écriture efficace et utile au pouvoir politique va de pair avec la production d’une interprétation politique des courses. Cellesci sont présentées comme des actes d’institution : la pratique du carrousel est érigée en valeur par l’intervention du pouvoir royal et par le processus d’imitation qui la suit. Elles rétablissent la noblesse dans son rôle d’élite guerrière et résolvent ainsi la crise mise en scène dans l’avertissement du premier volume. Le roi, en organisant le carrousel, témoigne de la valeur qu’il accorde à la vertu guerrière et encourage les nobles à manifester une telle vertu. Le rapprochement des deux courses prend ici tout son sens : il permet de donner à voir les effets immédiats de l’action instituante du roi sur la noblesse. Cependant, cette action ne crée pas la valeur des carrousels. L’ordre des actions dans le récit fonde la valeur des carrousels et par conséquent la valeur attachée à la vertu guerrière de la noblesse dans la longue histoire représentée par le livre. Elles viennent d’un passé que le roi se contente de réactualiser. 11 Ibid. Les carrousels : configurer l’espace social de la noblesse 381 Le récit juxtapose deux modèles d’organisation sociale. Le premier est un modèle spatial dans lequel le roi occupe une position centrale, entouré des nobles de la cour (qui l’imitent une première fois), puis d’un ensemble plus vaste que Vulson désigne comme « la noblesse », destinataire du récit et susceptible de produire une nouvelle imitation. Dans ce modèle, l’écrivain occupe une position intermédiaire, entre la cour et la noblesse ou le public. Le second modèle, fondé sur le temps et l’ancienneté, assujettit au contraire le roi à des valeurs produites dans le passé et en dehors de lui et fonde l’identité de la noblesse sur la longue durée de ces valeurs dont le roi n’est que l’instrument dans le présent. L’écrivain y assure la transmission des valeurs du passé dans le présent par l’efficacité de son récit. Le récit de Vulson met donc en tension deux interprétations de la pratique des carrousels, et à travers elle de l’organisation sociale. La première définit le carrousel comme une pratique noble, inscrite dans une longue histoire. Elle a pour conséquence d’affirmer une identité de la noblesse indépendante des actions et des jugements du pouvoir royal. L’action royale n’est qu’une reconnaissance des valeurs de la noblesse, que la course de bague réalise dans le présent. Une deuxième interprétation assigne le carrousel non plus à la noblesse, mais à l’espace social de la cour, défini comme entourage du roi. La noblesse n’a plus alors d’identité propre : elle tient ses valeurs de l’action royale et elle est divisée par la distinction entre la cour et le « public ». Cette dernière interprétation des carrousels est utilisée dans le récit pour promouvoir le rôle de l’écrivain dans la mise en circulation des valeurs de la cour vers le reste de la société. Les carrousels du roi, de Paris à Versailles : 1662 et 1664 Le modèle d’institution et de diffusion de la pratique du carrousel construit par Vulson n’a pas eu de traduction réelle : les courses de 1648 sont restées des évènements relativement confidentiels et n’ont pas eu de suite. Ce n’est qu’au début du règne personnel de Louis XIV qu’on assiste à une promotion de la pratique du carrousel avec l’organisation du « Grand carrousel du roi » en 1662 et des Plaisirs de l’île enchantée en 1664 12 . Ce moment de forte 12 Sur ces carrousels, voir Jean-Marie Apostolidès, Le roi-machine. Spectacle et politique au temps de Louis XIV, Paris : Éditions de Minuit, 1981 ; Peter Burke, The Fabrication of Louis XIV, Yale University Press, 1992. Sur la fête de 1664, on pourra aussi consulter Sabine Du Crest, Des Fêtes à Versailles, Paris, Aux amateurs de livres, 1990 ; Florence Sorkine, Propagande et mécénat royal : les fêtes louisquatorziennes à Versailles et leurs représentations. 1661-1682, Thèse de doctorat : littérature française : Université Paris 3-Sorbonne nouvelle, 1993. Marine Roussillon 382 institutionnalisation est cependant de courte durée : le roi court encore dans une course de moindre importance en 1667, puis les carrousels disparaissent des divertissements royaux. Un retour du carrousel s’amorce dans les années 1680 autour du Grand Dauphin, mais avec un succès mitigé et une publicité plus réduite. L’institution des carrousels dans les années 1660 en fait des instruments non seulement du divertissement royal, mais aussi de la politique de la gloire qui se met en place autour de Louis XIV 13 : ils s’inscrivent donc pleinement dans l’espace social de la cour qui leur confère toute leur valeur. Comment cette double appropriation des carrousels, par la cour et par la politique de la gloire, configure-t-elle les valeurs de la noblesse et sa place dans la société ? Le « grand carrousel du Roi » de 1662 voit cinq quadrilles, menées par les grands du royaume (Louis XIV, son frère, Condé, le duc d’Enghien et le duc de Guise) s’affronter en courses de têtes ou de bagues durant trois jours. Dès les semaines qui précèdent les courses, tout est mis en œuvre pour donner la plus grande publicité possible à l’événement : de nombreux imprimés sont publiés 14 , l’entraînement des participants a lieu en public et les cortèges défilent longuement dans les rues de la ville. Après le carrousel, une relation officielle est élaborée sous la tutelle de la Petite Académie 15 . Deux ans plus tard, la fête des Plaisirs de l’île enchantée commence par un carrousel. Celui-ci ne dure qu’une journée et les participants ne sont pas regroupés en quadrilles : chacun représente un chevalier inspiré du Roland furieux de l’Arioste. Une fois encore, l’événement bénéficie d’une importante publicité. Un livret imprimé est distribué aux spectateurs, contenant les noms et les devises des participants ainsi que quelques vers sur chacun 13 L’expression est empruntée à Peter Burke, qui évoque le système mis en place au début des années 1660 comme un « ministère de la gloire » (Burke, The fabrication of Louis XIV, p. 59). Sur les modalités de cette politique, voir Georges Couton, « Effort publicitaire et organisation de la recherche : les gratifications aux gens de lettres sous Louis XIV », dans Le XVII e siècle et la recherche. Actes du 6 e colloque de Marseille, Marseille, Centre méridional de rencontres sur le XVII e siècle, 1976, pp. 41-55. 14 Par exemple Le Grand Carrouzel du Roy, ou la course de bague ordonnée par sa majesté, avec les noms de tous les princes et Seigneurs qui la doivent courir, et qui s’y exercent tous les jours… et l’ordre de la Marche qu’ils ont tenu à la revue générale le 3 May 1662, Paris, Cardin Besoigne, 1662 et L’ordre de la marche des cinq quadrilles du carrousel du roi,… ensemble la route pour les trois jours du carrousel, et par quelles rues passeront les quadrilles, Paris, Cardin Besongne, 1662. 15 Courses de testes et de bague faites par le Roy et par les princes et seigneurs de sa cour en l’année M.DC.LXII, Paris, Imprimerie Royale, 1670. Les carrousels : configurer l’espace social de la noblesse 383 d’entre eux 16 . Puis plusieurs relations des fêtes sont mises en circulation 17 , ainsi qu’une série de gravures 18 . Les carrousels des années 1660 sont donc constitués en événement par l’écriture et l’image. Plus que les courses, ce sont les imprimés dont elles sont entourées qui produisent et diffusent des valeurs. Le carrousel de 1662 a lieu au cœur de Paris. La relation des courses insiste sur la transformation du lieu opéré par le carrousel et en fait un signe du pouvoir royal. Le Roy […] n’eut pas plutôt projeté le dessein d’un Tournoy qu’en mesme temps on prepara toutes choses sur ce sujet. Jamais on ne vid la plus surprenante et la plus prompte metamorphose. Un Jardin qui depuis tant d’années se miroit dans la beauté d’un parterre, et qui servoit d’ornement à ce que l’on appeloit autrefois le Pavillon, ou le Dome de Mademoiselle, vis à vis le Jardin des Tuileries, devint en huit jours une vaste et magnifique carriere ou place carrée, environnée de superbes echaffaux, et de longues et fortes barrieres. 19 Le carrousel transforme la ville en signe du pouvoir. Le carrousel de 1664 n’a pas lieu à Paris, mais à Versailles. Cependant, le lieu versaillais est traité par les relations des courses exactement comme le lieu parisien : il est le résultat d’une transformation presque magique de l’espace par la volonté du roi, un signe de son pouvoir. Les bâtiments y ont été dressés « presque en un instant », les ronds d’eau et les théâtres ornés « en peu de jours » 20 et 16 Les Plaisirs de l’isle enchantée, course de bague faite par le Roy, à Versailles, le 6 may 1664, Paris, Ballard, 1664. 17 Les Plaisirs de l’isle enchantée. Course de bague,… Et autres Festes galantes et magnifiques ; faites par le Roy à Versailles, le 7. May 1664. Et continuées plusieurs autres Jours. Paris, Ballard, 1664 ; Les Particularités des divertissements pris à Versailles par leurs Majestés, La Gazette, n°60, 21 mai 1664 ; Jacques Carpentier de Marigny, Relation des divertissemens que le Roy a donnés aux Reines dans le parc de Versaille. Ecrite a un gentil-homme qui est presentement hors de France, Paris, C. de Sercy, 1664. 18 Israël Silvestre, dessinateur et graveur du roi depuis 1663, consacre neuf gravures aux Plaisirs de l’île enchantée. Quatre de ces gravures représentent les courses de la première journée où y font allusion. 19 Relation des magnificences du grand carrousel du roi Louis XIV (2-5 juin), avec les noms des princes et seigneurs qui doivent courir la bague, les têtes... les nations qu’ils représentent, leurs couleurs, devises, habits, équipages, et autres particularités remarquables ; ensemble l’ordre des marches pendant les trois jours, Paris, J.-B. Loyson, 1662, n.p. 20 Les Plaisirs de l’isle enchantée. Course de bague,… Et autres Festes galantes et magnifiques ; faites par le Roy à Versailles, le 7. May 1664. Et continuées plusieurs autres Jours, éd. cit., pp. 4 et 5. Marine Roussillon 384 l’ensemble du lieu est comparé au palais enchanté de la magicienne Alcine. La relation des fêtes insiste sur l’apport de la ville dans l’organisation des fêtes, mentionnant dès les premières lignes « une infinité de gens nécessaires à la danse et à la comédie, et d’artisans de toutes sortes venus de Paris » 21 . Il n’y a pas d’opposition entre Paris et Versailles, mais bien deux avatars d’un même lieu : celui du pouvoir. Dans ce lieu, le carrousel rend visible la place occupée par la noblesse. Les courses constituent autant de défilés où de nobles courtisans donnent à voir leur habileté à cheval et leur agilité à manier la lance. Elles sont l’occasion de revendiquer une position sociale (en rendant visible une participation au pouvoir) et une compétence guerrière. Les récits des carrousels de 1662 et de 1664 produisent des interprétations sensiblement différentes des relations entre l’une et l’autre, et par conséquent des valeurs qui fondent la noblesse. La relation du carrousel de 1662 s’ouvre sur une définition du carrousel comme exercice guerrier qui fait de la vertu militaire la valeur fondatrice de la noblesse : Les Carousels n’ont esté inventez que pour exercer la Noblesse Françoise, qui ne peut estre oisive quant elle goûte le fruit d’une profonde paix, apres qu’elle a long-temps cueilli des lauriers dans les champs glorieux de la guerre. 22 Les relations du carrousel de 1664 font à peine allusion à cette fonction d’entraînement militaire de l’exercice et l’interprètent comme une célébration de la paix apportée au royaume par le traité des Pyrénées. La paix se substitue à l’exploit militaire comme source de la gloire et le roi se substitue à la noblesse comme acteur principal de cette gloire. Dans ce mouvement, les nobles participant au carrousel deviennent de simples acteurs du portrait du roi : les courses ne participent plus tant d’une présentation de soi que d’une représentation 23 . Les gravures réalisées par Silvestre pour diffuser l’image des Plaisirs de l’île enchantée ne laissent aucune place à la représentation des courtisans : les devises y sont anonymées et la seule figure reconnaissable est celle du roi 24 . 21 Id., p. 3. 22 Relation des magnificences du grand carrousel du roi Louis XIV…, éd. cit., n.p. 23 Sur ces notions, voir Erving Goffman, La Présentation de soi, Paris, Éditions de Minuit, 1973. 24 Sur ces images, voir A. Marie, « Les fêtes des Plaisirs de l’isle enchantée, Versailles, 1664 », in Bulletin de la société de l’histoire de l’art français, 1941-44, Paris, Armand Colin, 1947, p. 118 sqq et mon article « La visibilité du pouvoir dans Les Plaisirs de l’île enchantée : spectacle, textes, images », dans Kirsten Dickhaut, Markus Castor et Jörn Steigerwald (dir.), Pouvoir - Passion - Représentation : Les stratégies intermé- Les carrousels : configurer l’espace social de la noblesse 385 Dans les deux carrousels, les devises arborées par les participants donnent à voir une noblesse soumise à son roi. Les figures de cette soumission varient : en 1662, les devises utilisent l’image solaire pour affirmer la dépendance étroite qui lie les participants au roi 25 ; en 1664, elles privilégient l’image amoureuse, décrivant les participants à la fois comme de braves guerriers et comme des amants soumis 26 . Quoiqu’il en soit, les devises font du jugement du roi l’origine de toute valeur et les participants se définissent ainsi comme des membres de la cour autant sinon plus que comme des nobles guerriers. Cette promotion du jugement du roi va de pair avec l’effacement de l’histoire comme source de valeur. Le carrousel de 1662 « efface tout ce que les siecles passez ont admiré, et que les Historiens veulent encore que l’on admire » 27 . Si le récit de Vulson proposait deux interprétations des valeurs de la noblesse, les relations des carrousels des années 1660 privilégient clairement le modèle de la cour : c’est le jugement du roi, et pas le passé, qui fonde la valeur. Cette prise de position va de pair avec la promotion d’une cour nouvelle, formée essentiellement de ralliés et de parvenus qui doivent leur pouvoir au roi plus qu’à leur naissance. Les comtes de Saint-Aignan, de Coislin, de Noailles et de Grammont, qui participent aux deux carrousels, sont tous faits ducs et pairs du royaume à la fin de l’année 1663 en récompense de leurs services et particulièrement de leur fidélité pendant la Fronde. L’institution des carrousels dans les années 1660 et leur intégration dans la politique de la gloire peuvent donc être comprises à la lumière de la restructuration de la classe dominante. L’accès au pouvoir d’une cour nouvelle, composée de ralliés et de parvenus, s’accompagne d’une redéfinition des valeurs qui fondent la noblesse au profit du jugement du roi. Dans ce processus, les carrousels et leurs mises en récits jouent le rôle d’opérateurs d’adhésion : ils manipulent des valeurs diverses (valeurs guerrières ou valeurs galantes par exemple) pour susciter l’adhésion à la restructuration de la classe dominante. diales des arts en France à l’âge classique, Presses Universitaires Blaise Pascal, à paraître. 25 Pour une analyse précise de ces devises, voir N. Ferrier-Caverivière, L’Image de Louis XIV dans la littérature française de 1660 à 1715, Paris, PUF, 1981, p. 75, ou J.- M. Apostolidès, Le roi-machine, éd. cit., p. 42. 26 J’ai consacré un article aux enjeux politiques des discours amoureux dans Les Plaisirs de l’île enchantée : « Amour chevaleresque, amour galant et discours politique de l’amour dans Les Plaisirs de l’île enchantée (1664) », Littératures classiques, 69 (2009), pp. 65-78. 27 Ibid. Marine Roussillon 386 Le carrousel à la campagne et sur la scène : Le Triomphe des Dames de Thomas Corneille (1676) Les fêtes organisées à Versailles après les Plaisirs de l’île enchantée, en 1668 et en 1674, ne comportent aucun carrousel. À partir de 1674 l’instrument central du divertissement royal comme de la politique de la gloire n’est plus la fête mais la tragédie lyrique 28 . En 1676, pourtant, Thomas Corneille et Donneau de Visée portent un carrousel sur la scène de l’hôtel Guénégaud avec une comédie ornée de divertissements intitulée Le Triomphe des Dames 29 . Le texte de la pièce n’a jamais été imprimé, sans doute en raison de son peu de succès, mais nous disposons du programme distribué aux spectateurs. L’intrigue de la comédie est simple : un baron doit marier ses trois nièces avec leurs amants. Dans le temps qui précède le mariage, les intrigues amoureuses servent de prétexte à l’irruption de nombreux divertissements : des noces villageoises, une mascarade et, au dernier acte, un carrousel. La pièce produit ainsi une nouvelle interprétation du carrousel : elle en fait un divertissement privé, organisé par un noble à la campagne ; dans le même temps, elle le porte sur la scène d’un théâtre de la ville comme spectacle dissocié de toute représentation du pouvoir. Le programme de la pièce accorde une grande importance au carrousel et le mentionne dès les premières pages, alors qu’il n’intervient qu’à la fin du spectacle. Je ne doute point qu’on ne soit surpris d’abord du titre que porte cette Comédie ; on n’en connoistra la raison, qu’en voyant dans le cinquième acte le Combat à la Barriere qui s’y fait à l’avantage des Dames. Si je le fais faire dans une salle du Chasteau du baron, ce n’est que sur l’exemple de plusieurs Carrouzels qui ont été faits autrefois de cette manière. Il ne faut que lire ce qu’en écrit le Pere Menestrier, dans son Traite des Tournois. 30 Le programme justifie ensuite les choix de la représentation en citant le Traité des tournois de Ménestrier 31 . La convocation de ce texte théorique contribue à la construction d’une poétique du carrousel : celui-ci est interprété non plus comme une pratique guerrière, mais comme un spectacle 28 Sur cette évolution, voir Alain Viala, La France galante, Paris, PUF, 2008, pp. 309- 310. 29 Cette pièce m’a été signalée par Agnès Vève, qui consacre sa thèse à l’étude des pièces d’agrément jouées à la Comédie Française. 30 Thomas Corneille, Le Triomphe des Dames, comédie meslée d’ornements avec l’explication du combat à la barrière et de toutes les devises représentée par la trouppe du roy, établie au fauxbourg S. Germain, Paris, J. Ribou, 1676, n.p. 31 Claude-François Ménestrier, Traités des Tournois, joustes, carrousels et autres spectacles publics, Lyon, Jacques Muguet, 1669. Les carrousels : configurer l’espace social de la noblesse 387 réglé. Cette définition du carrousel comme spectacle va de pair avec la promotion d’une éthique galante. Les valeurs guerrières sont absentes du récit des courses proposé par le programme. Le carrousel ne publie pas la bravoure ou les compétences militaires des participants, mais leur désir de plaire à leurs maîtresses. De la même manière, il joue dans le spectacle le rôle d’un divertissement, et recherche avant tout le plaisir des spectateurs. L’argumentation développée par le programme pour justifier le caractère peu régulier des devises est révélatrice de ces choix éthiques et esthétiques. À l’égard des devises qui sont toutes à la gloire du beau sexe, je ne les pretens point donner pour régulières, et je me suis servi pour m’en dispenser du raisonnement du P. Menestrier, dont voici les paroles. La pluspart de ces devises ne paroistront gueres justes à ceux qui voudront les mesurer aux Regles sévères des Devises Academiques que tant de Maistres ont données ; mais il faut à mon sens distinguer entre ces devises ingénieuses qui se font avec art et méthode par des Professeurs et des Sçavans, ces devises cavalières qui se font par des gens d’épée, lesquels se contentent souvent d’exprimer leurs pensées et leurs desseins d’un air libre et dégagé, sans s’assujettir à tant de regles que les Speculatifs et les Distillateurs de Quintessences ont establies quelquefois sur leurs pures rêveries avec plus de couleur que de raison. 32 Le traité de Ménestrier revendique pour les devises une esthétique noble, « cavalière », propre aux « gens d’épée ». Le programme identifie cette esthétique à une esthétique galante, « à la gloire du beau sexe ». Il confond valeurs nobles et valeurs galantes et occulte la dimension militaire de l’éthique noble au profit d’une valorisation du sentiment amoureux et du désir de plaire. La suite du programme renforce encore cette interprétation du carrousel. Plus que la vertu militaire, c’est la soumission au jugement des dames qui est valorisée : ce sont elles qui distribuent les prix du carrousel, indépendamment des résultats obtenus par chacun dans les courses. La pièce prolonge ainsi l’interprétation du carrousel construite dans les années 1660 et plus particulièrement dans les Plaisirs de l’île enchantée : le carrousel est traité comme un spectacle et valorise l’éclat et la soumission aux dames. Dans le même temps, il dissocie cette interprétation de toute représentation du pouvoir : l’éclat des participants ne représente pas l’éclat du roi, pas plus que la soumission aux dames ne figure la soumission au pouvoir royal. De ce point de vue, le double lieu du carrousel - la scène de l’Hôtel Guénégaud où jouent les comédiens français du roi et le château du baron - pourrait être interprété comme un avatar d’un lieu original et modèle : la cour, dont la pratique du carrousel tirerait son sens et sa valeur. Le baron imiterait dans sa campagne les divertissements du roi tout comme la scène 32 T. Corneille, op. cit., n.p. Marine Roussillon 388 du théâtre institutionnel en reproduirait le spectacle et en diffuserait les valeurs auprès du public de la ville. La représentation d’un carrousel dans Le Triomphe des Dames donnerait à voir la dissémination des valeurs de la cour vers la ville et la campagne. Cependant, le goût du baron pour les carrousels n’est jamais mis en relation avec une pratique de cour. Au contraire, l’introduction fait du personnage un excentrique, « un homme entesté des Spectacles de l’Antiquité » 33 . L’organisation d’un carrousel par le baron est présentée comme la reconstitution d’un spectacle du passé. La pratique du carrousel apparaît alors comme singulière : elle relève du goût particulier du baron, elle est isolée dans l’espace et dans le temps, et n’en est que plus exceptionnelle sur la scène du théâtre. Ce qui est donné à voir n’est pas la diffusion des valeurs et des pratiques de la cour vers la ville et l’ensemble du pays, mais l’investissement des valeurs de la cour dans des pratiques spectaculaires singulières par un noble excentrique et par un théâtre cherchant à surprendre son public. Ce choix de la singularité et de la nouveauté, plus que de l’imitation de la cour, est une constante des comédies de Thomas Corneille et Donneau de Visée au début des années 1670. Dans le prologue de l’Inconnu 34 , pièce ornée de divertissements donnée à la troupe de l’Hôtel Guénégaud immédiatement avant Le Triomphe des Dames, Thalie, la muse de la comédie, exprime un besoin d’innover et de se distinguer : Je promettrois encor des Divertissements Dont on aimeroit le Spectacle, Si pour faire crier miracle J’en pouvois à mon choix régler les ornemens. Quand Sémélé, Circé, la Toison, Andromède, Sur la Scene à l’envi se sont fait admirer, Par la Machine à qui tout cède, Chacun avec plaisir se laissoit attirer. Mais que pensera-t-on, si toujours je m’obstine À faire voir Machine sur Machine ? 35 Ce prologue inscrit l’innovation dramaturgique dans le cadre de la concurrence entre les différents théâtres institutionnels. Thalie ne peut pas « à son choix régler les ornements » des divertissements qu’elle propose parce que 33 Ibid. 34 Sur ce texte, voir Jeanne-Marie Hostiou, « Grand changement d’un temps à l’autre y a : L’Inconnu et ses deux prologues », Revue d’Histoire du Théâtre, Les Théâtres institutionnels (1660-1848) : Querelles, enjeux de pouvoir et production de valeurs, à paraître en 2012. 35 Thomas Corneille, L’Inconnu, comédie meslée d’ornemens et de musique, Paris, J. Ribou, 1675, « Prologue ». Les carrousels : configurer l’espace social de la noblesse 389 l’Académie Royale de Musique a obtenu que l’usage des musiciens et des danseurs sur les autres scènes soit limité. Dans l’introduction du Triomphe des Dames, l’auteur se plaint aussi de n’avoir pas pu inclure de musique dans son carrousel : « Je sçay qu’on y faisoit entrer la musique, et souhaiterais fort ne pas avoir este obligé de pecher contre cette Regle » 36 . Le carrousel est alors un moyen de pallier l’absence d’autres ornements. Il se substitue à la musique et aux ballets comme élément spectaculaire. Ce contexte explique en partie l’effacement des origines curiales du carrousel. Présenter le carrousel comme un divertissement de cour serait en effet un aveu d’échec face à l’opéra : dans les années 1670, la cour ne pratique plus de carrousels et fait ses délices de la musique, des ballets et des opéras. Il est donc impossible pour le théâtre de reproduire les pratiques de la cour : pour attirer le public, il doit au contraire s’en distinguer. Le choix de porter le carrousel sur la scène ne s’inscrit pas dans un processus d’imitation et de diffusion des pratiques curiales à la ville. Le contexte déterminant ici est celui de la concurrence entre des institutions, des genres et des auteurs : ce contexte propre au champ littéraire produit des phénomènes de distinction qui éloignent la pratique théâtrale du divertissement curial. Dans ce processus, le carrousel devient un spectacle coupé de la représentation du pouvoir et de la configuration des relations entre le roi et la noblesse. * Le terme de carrousel ne recouvre donc pas une pratique uniforme que l’on pourrait assigner à un groupe ou à un espace social (la noblesse ou la cour). À la fois exercices militaires, spectacles publics et objets d’écriture, les carrousels figurent et interprètent l’ordre social. Pratiques culturelles que nous ne pouvons le plus souvent saisir qu’à travers des récits ou des images, ils doivent faire l’objet d’un double travail d’interprétation et de contextualisation. Un tel travail met au jour la diversité des actions, des significations et des valeurs qui peuvent être investies dans l’organisation ou l’écriture de ces courses. Le récit de la course de bague du 4 mars 1648, produit en dehors de toute institution et publié dans la préface d’un traité des tournois, est une tentative isolée d’utiliser l’écriture du carrousel pour configurer les relations entre le roi, la noblesse et l’écrivain. Le deuxième ensemble de courses, d’images et de récits étudiés ici relève au contraire d’une production fortement institutionnalisée et massivement diffusée. Le carrousel y devient l’un 36 T. Corneille, Le Triomphe des Dames, comédie meslée d’ornements avec l’explication du combat à la barrière et de toutes les devises représentée par la trouppe du roy, établie au fauxbourg S. Germain, éd. cit., n.p. Marine Roussillon 390 des instruments de la représentation du pouvoir et sert plus particulièrement la promotion d’une cour nouvelle qui tient son pouvoir de la reconnaissance royale plus que de la naissance. Enfin, le carrousel du Triomphe des Dames est lui aussi un spectacle institutionnel, mais n’est pas pour autant impliqué dans la représentation du pouvoir. Il ne participe pas d’un débat sur les valeurs de la noblesse, mais s’inscrit dans un conflit entre les scènes parisiennes. Dans ce cadre, il est investit par une esthétique galante fondée sur le plaisir et la surprise. La comparaison de ces trois objets met en lumière la dimension historique des configurations sociales, et plus particulièrement de la cour. Entre 1648 et 1676, les lieux de la cour évoluent. La cour de 1648 est mobile et peut occuper des lieux divers. Dans les années 1660 encore, la cour et la ville se mêlent et se confondent : la cour est dans la ville quand les courtisans défilent dans les rues de Paris pour le carrousel de 1662, et la ville est dans la cour lorsque les artisans parisiens investissent Versailles pour Les Plaisirs de l’île enchantée. En 1676, plusieurs espaces institués sont pris dans des relations de distinction et de rivalité : la cour et la ville, mais aussi l’Hôtel Guénégaud et l’Académie Royale de musique. La « cour » apparaît donc comme une construction symbolique prise dans une histoire : elle ne recouvre ni les mêmes lieux, ni les mêmes espaces sociaux, ni les mêmes valeurs tout au long du règne de Louis XIV. Les objets étudiés ici ont plus particulièrement mis en valeur le rôle des relations entre le pouvoir royal, la noblesse et les écrivains dans le dispositif curial. Ces relations sont marquées par des mouvements successifs ou simultanés d’intégration, d’institution et de distinction. Vulson met ses compétences d’écrivain au service du pouvoir en vain. Par contre, les années 1660 voient l’intégration des écrivains à la politique de la gloire et l’institution du carrousel comme divertissement royal. Dans le même temps, une fraction de la noblesse est intégrée à la représentation du pouvoir et instituée comme cour. En retour, elle s’approprie les valeurs nouvelles de la galanterie et délaisse dans une certaine mesure les valeurs plus anciennes de la vertu guerrière ou du lignage. Avec Le Triomphe des dames, c’est cette fois-ci la distinction qui domine, non seulement entre les différentes institutions de la politique de la gloire, mais aussi dans une certaine mesure entre l’une de ces institutions et la cour. La circulation des pratiques et des valeurs observée dans ces trois cas ne peut pas être décrite en termes de propagande ou d’imitation : plutôt que la diffusion des valeurs de ce qui serait la cour vers ce qui serait la ville (ou l’inverse), ils donnent à voir la construction de configurations complexes par des phénomènes d’appropriations.