eJournals lendemains 34/134-135

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Narr Verlag Tübingen
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2009
34134-135

Le premier homme d’Albert Camus ou le retour au „style“ algérien

2009
Mustapha Trabelsi
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157 Mustapha Trabelsi Le premier homme d’Albert Camus ou le retour au „style“ algérien A la mémoire de Charles Bérenguer La poésie est au commencement et à la fin de l’œuvre de Camus. Elle inspire ses premiers essais […] et demeure ensuite dans le théâtre, dans le roman, quelquefois même dans l’écrit théorique, toile de fond immuable et vivante […]. Elle est „l’éternel retour“ dans la vie de Camus. 1 Œuvre posthume, Le premier homme nous convierait à un retour au lyrisme des premiers écrits. Jacqueline Lévi-Valensi et Agnès Spiquel, dans leur avant-propos du colloque „Camus et le lyrisme“ soutiennent que „Le premier homme, dans son inachèvement même, témoigne de la présence continue et féconde, même si elle s’est voulue parfois contenue et secrète, d’un lyrisme du cœur et de l’esprit, reconnu comme mode de compréhension et d’expression de l’histoire d’un homme et de toute une communauté“. 2 Camus note déjà dans son carnet à spirale dans lequel il consigne ses notes et ses projets de plan: „En somme, je vais parler de ceux que j’aimais. Et de cela seulement. Joie profonde.“ 3 Lors du colloque de Cerisy-la-Salle, en juin 1982, Paul Viallaneix situe le style du Premier homme par rapport à l’œuvre entière et surtout par rapport à La Chute: „Une chute, La Chute, sépare à jamais le lyrisme de l’ironie, le Royaume de l’Exil. Le lyrisme était la langue du Royaume, l’ironie celle de l’Exil“. La Chute marque en effet, avec les nouvelles de L’Exil et le Royaume, un brusque changement de direction dans l’esprit et l’œuvre de Camus; mais Le premier homme ne continue pas dans cette veine cynique et semble au contraire revenir vers l’image du Royaume. Selon Viallaneix, Clamence est le dernier homme; avec Le premier homme, Camus „réapprend peut-être la langue du Royaume“, 4 c’est-à-dire le lyrisme. C’est à cette même écriture que Taleb Ibrahimi, dans sa lettre ouverte, le 26 août 1959, de la prison de Fresnes, rendait hommage: „Si vous n’étiez pas certes notre maître à penser, du moins représentiez-vous notre modèle d’écriture. La beauté de la langue nous émouvait d’autant plus que nous vous considérions comme l’un des nôtres. Nous étions, de surcroît, fiers que ce fils de l’Algérie eût atteint, solitaire, le rocher du succès. Pour la première fois, nous disions-nous, un écrivain algérien non musulman prend conscience que son pays, ce n’est pas seulement la lumière éclatante, la magie des couleurs, le mirage des déserts, le mystère des casbah, la féerie des souks, bref tout ce qui a donné naissance à cette littérature exotique que nous exécrions - mais que l’Algérie, c’est aussi et avant tout une communauté d’hommes 158 capables de sentir, de penser et d’agir.“ 5 Nous nous proposons de qualifier cette écriture qui magnifie le pays et ce „peuple grouillant et fraternel“ 6 de „style algérien“ qui répond en écho aux premiers textes d’Albert Camus. Jean Grenier écrit que „Camus est le poète de l’aurore […] parce que tous les commencements sont beaux pour celui qui aime la vie“. 7 En effet, de Noces au Premier homme, Camus chante la mémoire des origines, les premiers pas de l’homme et du monde: Des millions d’yeux, je le savais, ont contemplé ce paysage et, pour moi, il était comme le premier sourire du ciel („Le Désert“, 67). […] Il avait grandi […] dans la pauvreté, sur un rivage heureux et sous la lumière des premiers matins du monde (Le premier homme, 182). Camus construit son œuvre à partir de l’aurore du monde, à partir du „premier soleil sur le premier matin“. 8 Le premier homme est l’illustration la plus évidente de cette volonté de décrire les commencements, puisque tout le récit gravite autour de l’aube d’une existence, de la naissance aux premières expériences, aux premières sensations algériennes. Ce dernier roman est le roman des premières fois: jusqu’ici, Camus n’avait jamais décrit la naissance d’un enfant, ni même le monde de l’enfance. Le seul petit garçon de son œuvre est le fils du juge Othon, martyr de la peste, physiquement absent mais présent par la réflexion qu’engendre son combat contre le fléau. Le premier homme décrit enfin cet univers, l’enfance, l’aurore de la vie d’un homme, à l’aide d’une écriture ample et large qui dit la communion; ainsi, dès l’incipit du roman, qui met en scène la naissance, le premier regard d’un enfant sur son premier jour, la phrase calque les événements; la nature, les personnages et l’écriture se caractérisent par une certaine lenteur: à l’image des nuages, dont elles reproduisent sur le papier la course dans le ciel, les phrases du premier paragraphe sont à la fois allongées par l’enchâssement des propositions, les parallélismes entre les participes: „gonflés“ […] attendu […] ébranlés […]survolé […] effilochés […] reformés […] (PH, 11), et ralenties par l’emploi du plus-que-parfait „avaient attendu“, et des expressions telles que „lentement“, „une course de milliers de kilomètres“, „pendant des millénaires“ (PH, 11). Le texte et la nature fonctionnent de concert, c’est-à-dire lentement, comme si le temps était suspendu, en attente de la naissance, de l’avènement de Jacques. Le premier homme se présente donc comme un chant de l’aurore, puisqu’il met en scène dans l’œuvre de Camus les premiers balbutiements d’un homme. L’adjectif „premier“ traverse tout le texte: „première fois“ (PH, 18, 160, 253); la tombe d’Henri est „une pierre dans la première rangée“ (PH, 29); les „premières [parades impossibles]“ (PH, 47); „premières allée transversales“ (PH, 51); „premiers champs“ (PH, 103); „premières pentes“ (PH, 104), „premier jour“ (PH, 131); „première obscurité“ (PH, 172); „premier départ vers le lycée“ (PH, 185); les „premières recréations“ (PH, 205); „la première année“ (PH, 232); „la première pluie de septembre“ (PH, 238). 159 Le premier homme décrit les commencements, les premières fois de Jacques, mais aussi l’aube d’une nouvelle vie pour tout un peuple: Affrontés à … dans l’histoire la plus vieille du monde nous sommes les premiers hommes - non pas ceux du déclin comme on le crie dans [un mot illisible] journaux mais ceux d’une aurore indécise et différente“ (note, 321) Ce „nous“ semble représenter le peuple algérien qui, ayant vécu toutes races mêlées jusqu’alors, doit affronter les bouleversements de l’Histoire, les divisions, et aborder une nouvelle ère: le choix de l’indépendance ouvre sur une autre existence, imprécise encore, pleine de doutes et d’interrogations. Camus mêle dans la même écriture l’aube d’un homme nouveau et l’aube d’un peuple nouveau. Avec Le premier homme, Camus choisit à nouveau de chanter le „premier sourire du ciel“, „le soleil du premier matin“, comme il l’a fait dans Noces. Mais si l’aurore n’a guère changé depuis ces premiers essais, le lyrisme est-il toujours le même? La prose de Noces n’est pas spontanée mais freinée et travaillée, à la fois „sensuelle, frémissante et comme désincarnée pourtant à force de maîtrise“. 9 Les phrases sont tendues, „étranglées“, comme le suggère l’épigraphe qui résume pertinemment l’esprit des nouvelles: Le bourreau étrangla le cardinal Carrafa avec un cordon de soi qui se rompit: il fallut y revenir deux fois. Le cardinal regarda le bourreau sans daigner prononcer un mot. Stendhal, La Duchesse de Palliano (Noces, 9) Tout l’art de Camus consiste à privilégier la mesure et à vaincre son tempérament méditerranéen qui le porte vers l’excès, le lyrisme; le vocabulaire choisi pour rédiger la préface à L’Envers et l’Endroit met en place un réseau d’images qui renvoie à la notion de maîtrise: „limites“ (19, 25), „canaliser“, „digues“ (29). Camus cherche à se contraindre, à contenir le flot lyrique, le désordre intérieur, dans une forme rigoureuse. Selon Jean Sarocchi, Camus s’apparente à un poète moral 10 qui tend à la fois à la concision et à l’exubérance. Il ressent en lui une tension entre deux écritures: d’un côté, un style trop près de la réalité, une écriture hachée et saccadée, comme dans L’Etranger; de l’autre, un style trop distant de la réalité, une „écriture blanche“, plus neutre. L’idéal serait d’équilibrer les deux, comme l’indique Camus lors de sa conférence „L’artiste et son temps“, le 14 décembre 1957: L’œuvre la plus haute sera toujours […] celle qui équilibrera le réel et le refus que l’homme oppose à ce réel (Essais, 1090-1091). La création romanesque consiste à utiliser le réel et à ajouter la stylisation pour le transfigurer; les premiers essais de Camus répondent à cette double exigence et Le premier homme poursuit lui aussi dans cette voie. Finalement, Camus ressemble au personnage de Grand dans La Peste. Ce dernier met en scène les trois aspects essentiels du style de Camus: la volonté de coller à la réalité tout en la stylisant: „elle ne collait pas tout à fait encore à la réalité et […] gardait une facilité de ton qui l’apparentait […] à un cliché“ (La Peste, 88); la recherche du mot juste: „[svelte] est plus concret“ (P, 116) dit Grand avant de rem- 160 placer „superbe“ par „grasse“, puis par „reluisante“ et enfin „somptueuse“; le souci du rythme des phrases: „[…] quand ma phrase aura l’allure même de cette promenade au trot, une-deux-trois, une-deux-trois“ (P, 88). Ces aspects, présents dans l’œuvre de Camus, suggèrent une grande maîtrise de l’écriture, une volonté de contenir le lyrisme dans des barrières. Dans Le premier homme, Camus retrouve aussi l’obsession de Grand pour les conjonctions: […] à la rigueur, c’est assez facile de choisir encore mais et et. C’est déjà plus difficile d’opter entre et et puis. La difficulté grandit avec puis et ensuite. Mais, assurément, ce qu’il y a de plus difficile, c’est de savoir s’il faut mettre et ou s’il ne faut pas. (La Peste, 87). La question du choix ne semble plus se poser dans Le premier homme, puisque les conjonctions foisonnent: […] et il disait oui et personne n’en parlait plus, et sa mère ne lui demandait rien, secouant la tête et le regardant de ses yeux doux […] mais toujours silencieuse et un peu détournée […] puis plus rien jusqu’à la fin […] (PH, 208-209) Cette explosion de conjonctions semble échapper à tout contrôle, à toute maîtrise; si Le premier homme rappelle le bonheur d’écrire et les premiers matins de Noces, ce roman est aussi le point de départ d’un nouveau lyrisme, loin de l’exubérance cloisonnée des premiers récits. Dans Le premier homme, Camus relâche son style, perd le contrôle de l’écriture et finalement „se laisse déborder“, selon l’expression de Jean Sarocchi. 11 Le lyrisme réapparaît sous sa forme la plus exubérante; les phrases sont débordantes, désordonnées en raison d’une ponctuation réduite au minimum, elles suivent le rythme d’une respiration haletante: La forêt était pleine de monde, on mangeait les uns sur les autres, on dansait de place en place au son de l’accordéon ou de la guitare, la mer grondait tout près, il ne faisait jamais assez chaud pour se baigner mais toujours assez pour marcher pieds nus dans les premières vagues, pendant que les autres faisaient la sieste et que la lumière qui s’adoucissait imperceptiblement rendait les espaces du ciel encore plus vastes, si vastes que l’enfant sentait des larmes monter en lui en même temps qu’un grand cri de joie et de gratitude envers l’adorable vie (PH, 125). Cette dilatation de l’écriture a pour point de départ et pour catalyseur l’expérience à Saint-Brieuc. Jacques découvre brutalement que son père, là sous la terre, est plus jeune que lui: Soudain une idée le frappa qui l’ébranla dans son corps. Il avait quarante ans. L’homme enterré sous cette dalle, et qui avait été son père, était plus jeune que lui (29). A partir de là, l’ordre logique se disloque: le fils devient en quelque sorte le père du soldat enterré, puisqu’il est le plus âgé: Et le flot de tendresse et de pitié qui d’un coup vint lui emplir le cœur n’était pas le mouvement d’âme qui porte le fils vers le souvenir du père disparu, mais la compassion bouleversée qu’un homme fait ressent devant l’enfant injustement assassiné (30). 161 Les rôles sont inversés, le temps naturel n’existe alors plus, l’ordre disparaît au profit du paradoxal et la phrase déborde: […] quelque chose ici n’était pas dans l’ordre naturel et, à vrai dire, il n’y avait pas d’ordre mais seulement folie et chaos là où le fils était plus âgé que le père. La suite du temps lui-même se fracassait autour de lui immobile, […] et les années cessaient de s’ordonner suivant ce grand fleuve qui coule vers sa fin (30). Pourtant, les énoncés lapidaires ne disparaissent pas complètement: „A vrai dire, il n’avait pas été aidé […]. Il en était sûr […]. L’après-midi s’achevait maintenant“ (31). Mais l’essentiel du mouvement de l’écriture est cette „mise au large“, 12 cette dilatation suggérée par l’ampleur, la longueur de la phrase qui couvre parfois sept lignes (30-31). Camus est conscient du débordement et note son importance dans tout le roman: „Quand, près de la tombe de son père, il sent le temps se disloquer - ce nouvel ordre du temps est celui du livre“ (Annexes, 317). La métaphore que Camus applique aux années concerne aussi les phrases: „Elles [les années] n’étaient que fracas, ressac et remous“ (30); l’écriture progresse en effet comme la mer, elle avance, recule sans cesse grâce au jeu des juxtapositions et accumulations, au gré des vagues de l’âme: „car lui-même croyait vivre, il s’était édifié seul, il connaissait sa force, son énergie, il faisait face et se tenait en mains“ (30). L’écriture camusienne transcrit la communion: les objets décrits et le style qui les décrit procèdent du même lyrisme, les métaphores concernent aussi bien la matière de l’écriture que l’écriture elle-même. D’autre part, le lyrisme exacerbé, qui échappe à toute maîtrise, devient une véritable technique d’exploration de soi: la phrase jaillit en un jet qui vient directement de la conscience, elle n’est pas retravaillée et présente donc la pensée du narrateur dans son état brut. Le style est alors l’occasion de procéder à une véritable introspection; les expressions „il retrouve l’enfance“ (306), „revenir à l’enfance“ (44), „Ils rouvraient en lui des sources fraîches“ (127), fréquentes dans Le premier homme, mettent l’accent sur la volonté de Camus de sonder son être par la recherche des origines. Laisser libre cours au lyrisme permet à l’âme de s’épancher, de se mettre à nu. Le lyrisme n’est donc pas purement „décoratif“, il ne vise pas simplement l’art pour l’art, puisque, dans Le premier homme, il s’accorde avec l’expérience du narrateur et s’incorpore à l’action: il représente l’outil essentiel de la quête des origines parce qu’il fait jaillir les images-clefs et l’enfance de Jacques. Le lyrisme du Premier homme diffère donc du lyrisme des premiers essais parce qu’il échappe à tout contrôle et ne rentre pas dans les formes classiques de l’écriture. D’autre part, Herbert Lottman relève un nouvel élément dans le style de Camus: la répétition des mots, 13 provenant probablement de l’influence de William Faulkner. Le style de l’écrivain américain fascine Camus mais aussi Malraux, qui considère Faulkner comme un „poète tragique“: „Sanctuaire, c’est l’instruction de la tragédie grecque dans le roman policier.“ 14 Camus ajoute: Le style de Faulkner, avec son souffle saccadé, ses phrases interrompues, reprises et prolongées en répétition, ses incidentes, ses parenthèses et ses cascades de subor- 162 données, nous fournit un équivalent moderne et nullement artificiel de la tirade tragique. C’est un style qui halète, du halètement même de la souffrance15 Dans Le premier homme, Camus conserve cette impression de respiration forte et saccadée, de „halètement“ ainsi que le phénomène des répétitions. Deux cas de répétition se présentent dans le texte: tout d’abord des mots-clefs reviennent tout au long du récit. C’est le cas de „premier“, „amour“ et „silence“. Ces mots constituent de véritables points d’ancrage qui enracinent le roman dans l’univers camusien, lui assurent sa place parmi les œuvres précédentes: en effet, „amour“ et „silence“ renvoient aux leitmotive du monde de Camus, traités dans chaque ouvrage; ces mots répétés tout au long du Premier homme, inscrivent ce roman dans la continuité de l’œuvre accomplie. Quant à „premier“, il marque la spécificité du roman par rapport aux autres livres: Camus poursuit son œuvre, dominé par l’„amour“, le „silence“ et la volonté de vivre, mais il traite ces thèmes récurrents différemment à présent; dans Le premier homme, ils sont vus pour la première fois à travers les yeux d’un enfant; pour la première fois, Camus transparaît clairement derrière son personnage; pour la première fois encore, l’écrivain se tourne vers son passé et sa famille. La répétition des mots-clefs ancre donc le dernier roman dans toute l’œuvre, le relie aux autres ouvrages tout en accentuant sa différence. Mais les répétitions peuvent aussi se produire à l’intérieur d’un paragraphe ou même d’une phrase. Les exemples foisonnent et ont des significations différentes. Ces répétitions martèlent le texte, le font rebondir aussi, le font progresser par vagues: Oh! Oui, c’était ainsi, la vie de cet enfant avait été ainsi, la vie avait été ainsi dans l’île pauvre du quartier […] avec son jeune sang grondant, un appétit dévorant de la vie […] un monde inconnu […] cherchant à comprendre, à savoir, à assimiler ce monde qu’il ne connaissait pas, et l’assimilant en effet […] une assurance oui, puisqu’elle assurait […] (255). Les répétitions ont aussi pour fonction de convaincre le narrateur lui-même: „Il voyait son père qu’il n’avait jamais vu, […] il le voyait sur ce quai de Bône“ (174); l’insistance paraît ici suspecte: Jacques ne chercherait-il pas à se persuader de l’existence de son père? La répétition permet également de mettre en valeur la monotonie, la lassitude: [la mère] endurait à longueur de jours et d’années, endurait les coups pour ses enfants, comme elle endurait pour elle-même la dure journée de travail au service des autres […] la vie […] au milieu des reliefs graisseux et du linge sale des autres […] (61), […] derrière les mêmes serviettes de la même armoire [...] (65). L’insistance des mots met parfois l’accent sur la peur et le caractère obsessionnel de la pensée: [sa beauté et cette folie de vivre] et qui lui faisait refuser, refuser que le temps puisse passer, bien qu’elle sût qu’il passât […] ne voulant pas qu’on puisse dire d’elle un jour qu’elle était encore jeune, mais rester jeune au contraire, toujours jeune […] (260). La répétition dans la même phrase éclaire enfin la communion, la similitude entre la mère et l’enfant: 163 […] elle se tenait, inlassablement, pendant que son fils, inlassablement […] (209). […] elle montait légèrement sur son lit et dormait si légèrement […] et Jacques […] se forçait alors à rester éveillé en même temps qu’elle, aussi légèrement [...] Jusqu’à ce que le sommeil le terrasse comme il avait déjà terrassé sa mère. (216). Le retour des mêmes mots poétise et exalte ainsi les sentiments, grâce aux répétitions des sons et à l’impression de rythme qu’elles dégagent. Le lyrisme n’est pas cependant un simple exercice de style qui consiste à jongler avec les mots et la longueur des phrases. Il a une signification profonde et surtout un rôle actif dans la narration: en effet, le lyrisme motive et explicite les rapports que l’homme entretient avec le monde. Derrière le lyrisme se cachent une manière d’être et de vivre ses rapports au monde, une clef qui ouvre la porte donnant sur le monde. Tout commence entre l’homme et le monde par une rencontre: le lyrisme traduit les premiers regards échangés, les premiers gestes ébauchés l’un vers l’autre, les premiers contacts charnels. L’individu entre d’abord en relation avec la terre par le regard: D’immenses eucalyptus, des palmiers royaux, des cocotiers, des caoutchoutiers à l’énorme tronc dont les branches basses s’enracinaient plus loin et formaient ainsi un labyrinthe végétal (PH, 221). Jacques appréhende le monde par ses yeux qui perçoivent les formes de la nature; puis, cette dernière frappe l’odorat de l’homme par le „fouillis odorant de seringas, de jasmins, de clématites, de passiflores, de chèvrefeuilles […]“ (221). Enfin la rencontre charnelle s’accomplit: Se promener dans cette jungle parfumée, y ramper, s’y tapir le nez […] et en ressortir les jambes zébrées et le visage plein d’eau était une ivresse“ (221). Cependant, la mise en relation de l’homme et du monde ne se déroule pas toujours comme ici au cœur de la terre, „au niveau de l’herbe“ (221). Elle peut aussi se produire sur une terrasse, lieu certainement plus adapté à une véritable rencontre; c’est déjà là que Janine s’offre au monde: „un dernier élan la jeta malgré elle sur la terrasse“ („La Femme adultère“, 32). En effet, la terrasse, par son élévation, permet de conserver une distance entre l’homme et le monde, distance qui les aide à se juger, à s’évaluer mutuellement. Contemplé avec le recul nécessaire, le monde devient alors spectacle et Jacques spectateur, comme dans une salle de théâtre: De la terrasse ouverte sur les trois côtés, on dominait le parc et, par-delà le parc, un ravin qui séparait la colline de Kouba d’un des plateaux du Sahel […]. Il fallait grimper sur la terrasse […]. Là, dressé au dessus de ce parc et de ce plateau bouillonnant d’arbres, sous le ciel traversé à toute vitesse par d’énormes nuages. (223-224). L’appréhension du monde se réalise également par le rythme; la rencontre de Jacques avec le vent sur la terrasse se place sous le signe de la rapidité des enchaînements: „Les enfants […] couraient vers les premiers palmiers […] couraient vers la terrasse“ (223); „alors“ (223), „puis“, „d’un seul coup“ (224), accentuent l’impression de promptitude et de coordination entre Jacques, le vent et la palme. 164 Cependant, la rencontre entre l’homme et le monde n’entraîne pas toujours cette adhésion entre Jacques, la palme et le vent. Au contraire, les „noces“ sont souvent tumultueuses, difficiles et imparfaites, car elles s’effectuent entre deux entités différentes. Dans Le Mythe de Sisyphe, Camus explique que le sentiment de l’absurde naît du divorce entre l’homme et le monde; ces deux réalités ne fonctionnent pas sur le même mode: l’homme est un animal rationnel qui a besoin de clarté; or, il ne rencontre dans le monde qu’irrationalité. Cette confrontation engendre une „hostilité“ et un sentiment d’“étrangeté“ (Le Mythe de Sisyphe, 28): le monde est opaque, l’intelligence humaine ne peut pas le comprendre; la rencontre devient alors duel. Dans l’œuvre de Camus, ces amours difficiles s’accomplissent surtout entre l’homme et le soleil: l’astre solaire est étroitement associé à la mort, depuis les premiers écrits jusqu’au dernier roman. Midi est l’heure du „soleil noir“, c’est-à-dire du soleil qui verse dans l’âme des rayons mortels. Dans les plans de La Mort heureuse, Camus écrit: „goût de la mort et du soleil“ ou encore: „Dernier chapitre: descente vers le soleil et la mort“. 16 Dans L’Etranger, le soleil joue un rôle déterminant dans le destin de Meursault: omniprésent dans le texte, il est „responsable“ du meurtre dans la mesure où l’homme perd la raison à cause de lui. Camus transcrit le soleil en termes de feu et de bruit: „fumait dans la chaleur“ (E, 92), „enflammé“ (E, 93), „métal bouillant“ (93), „brûlure“ „94), „toutes ses veines battaient“ (94), „les cymbales du soleil“ (94). Ce soleil se retrouve dans L’Exil et le royaume: Les pierres autour de moi crépitent sourdement […] le soleil […] frappe, frappe comme un marteau sur toute les pierres et c’est la musique, la vaste musique de midi, vibration d’air et de pierres […] („Le Renégat“, 41-44). Le premier homme met en scène à son tour la même thématique du soleil qui aliène, qui rend fou; comme Meursault, un coiffeur sous l’emprise du soleil tue un Arabe (PH, 239): Ah oui, la chaleur était terrible, et souvent elle rendait fou presque tout le monde, plus énervé de jour en jour […] et l’énervement s’accumulait comme la chaleur elle-même“ (239). Finalement Le premier homme nous convie à des noces ambiguës, à une rencontre à la fois indispensable et destructrice; en effet, le soleil est intimement lié à l’homme algérien, sa présence est primordiale pour compenser la misère par la lumière et rendre la terre féconde. Et pourtant, le soleil réduit en poussière l’univers qu’il crée lui-même: […] le soleil, de plus en plus fixe, de plus en plus chaud, avait séché, puis desséché, puis torréfié les murs, broyé les enduits, les pierres et les tuiles en une fine poussière[…]“ (237). Tour à tour aimé et craint, recherché et fui, le soleil oblige l’homme „à raser les murs pour demeurer hors de sa portée“ (238). Il s’apparente à une bête sauvage: „[…] le soleil régnait férocement“ (PH, 237), comme dans Le Malentendu: 165 LA MERE […] On m’a dit que le soleil dévorait tout. MARTHA J’ai lu dans un livre qu’il mangeait jusqu’aux âmes et qu’il faisait des corps resplendissants, mais vidés de l’intérieur (Le Malentendu, II, 163). Le lyrisme, synonyme chez Camus de mise en relation avec la nature, n’accompagne pas seulement le „royaume“. Il peut véhiculer les images infernales d’un duel, d’une agression, puisqu’il calque une nature violente et cruelle. L’écriture met donc en scène dans Le premier homme une rencontre ambiguë entre le monde et l’homme, engendrée par une attraction et une répulsion simultanées: le corps est attiré par la chaleur, le brunissement tandis que l’esprit est aliéné par cette même chaleur et la lumière aveuglante. Le dernier roman diffère sur ce point de L’Etranger: Meursault, notamment à la fin de la première partie, n’est pas attiré par le soleil; au contraire, il cherche à le fuir et part se réfugier vers une source: J’ai fait quelques pas vers la source […]. A cause de cette brûlure [du soleil] que je ne pouvais plus supporter, j’ai fait un mouvement en avant“ (E, 93-94). Pourtant, le soleil le rattrape, ou plutôt ne le lâche jamais: „Je savais que c’était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d’un pas“ (E, 94). La quête de la source et la tentative de libération échouent: Meursault finit par subir, comme la plupart des héros de Camus, le feu meurtrier du soleil. Après l’étape parfois difficile de la rencontre, se produit enfin une véritable harmonie, une fusion entre l’homme et le monde, explicitée toujours par le style lyrique chez Camus. L’harmonie se réalise d’abord par une imitation de la nature par l’homme, qui s’identifie à ce qui l’entoure. Le premier homme poursuit l’expérience amorcée dans Noces, qui consiste à „tenter d’accorder [sa] respiration aux soupirs tumultueux du monde“ („Noces à Tipasa“, 13). La nudité favorise l’harmonie progressive du corps avec le monde: les corps brunissent alors que, parallèlement, „le soleil grandit, le blanc des maisons se fait aveuglant“ („L’Eté à Alger“, 37); „comment alors ne pas s’identifier à ce dialogue de la pierre et de la chair à la mesure du soleil et des saisons? “ („L’Eté à Alger“, 37). Dans Le premier homme, Jacques a la sensation d’être confondu avec le monde, de ne former avec lui qu’une seule entité: [Jacques avec Joseph et Jean] courant de la plage à la mer, séchant sur le sable l’eau salée qui les faisait visqueux, puis lavant dans la mer le sable qui les habillait de gris…“ (PH, 55). Lors de cette baignade, le sable, la mer et la peau nue se mêlent et se confondent dans une même étreinte, dans une harmonie cyclique: l’eau sera toujours séchée sur le sable qui salira la peau qui retournera se laver dans l’eau… Le va-et-vient entre les deux éléments ne cesse jamais et la peau s’identifie à leur aspect et à leur couleur: devenu „visqueux“ et „gris“, Jacques est la mer, Jacques est le sable. 166 Il s’apparente à un caméléon qui prend la couleur de son environnement. Dans Le premier homme, ce sont les figures d’analogie qui soulignent cette possibilité d’identification au monde: […] la part obscure de l’être, ce qui en lui pendant toutes ces années avait remué sourdement comme ces eaux profondes qui sous la terre, du fond des labyrinthes rocheux, n’ont jamais vu la lumière du jour et reflètent cependant une lueur sourde […]. Et ce mouvement aveugle en lui […] feu noir enfoui en lui comme un de ces feux de tourbe éteints à la surface mais dont la combustion reste à l’intérieur (PH, 256). Mais l’harmonie ne semble exister pour Jacques qu’en Algérie: „[…] ce mouvement obscur à travers toutes ces années s’accordait à cet immense pays autour de lui […]“ (PH, 257). Paris est défini comme une „forêt de ciment et de fer qui l’emprisonnait jour et nuit“ (PH, 44), que Jacques rêve de fuir. Et dès qu’il s’évade vers „cette patrie de l’âme où devient sensible la parenté du monde, où les coups du sang rejoignent les pulsations violentes du soleil de deux heures“ („L’Eté à Alger“, 48). Dès qu’il retrouve le chemin de l’Algérie, Jacques redécouvre la merveilleuse harmonie qui accorde sa „jubilation sourde“ à „la clameur sourde est ininterrompue du soleil sur la mer“ (PH, 44). Mais l’homme ne se contente pas de s’identifier au monde, il va encore plus loin: il participe au monde. Jacques poursuit à nouveau l’expérience du héros de Noces, qui a le sentiment de ne plus être humain mais d’appartenir véritablement à la nature: „[Ce paysage] me mettait hors de moi au sens profond du terme“ („Le Désert“, 67). L’homme sort de sa carapace d’os et de chair, et se retrouve projeté dans le monde; désarticulé, il lance ses membres et son moi sur chaque élément du paysage: Bientôt, répandu aux quatre coins du monde, oublieux, oublié de moi-même, je suis ce vent et dans le vent, ces colonnes et cet arc, ces dalles qui sentent chaud et ces montagnes pâles autour de la ville déserte. Et jamais je n’ai senti, si avant, à la fois mon détachement de moi-même et ma présence au monde („Le Vent à Djémila“, 26). Dans Le premier homme, la nature prend possession de l’homme, s’insinue en lui avant qu’il n’explose au monde; Jacques se projette par la voix qui, grâce au vent et à l’élévation de la terrasse où l’enfant se trouve, emplit l’espace: Jacques sentait le vent venu des extrémités du pays descendre le long de la palme et de ses bras pour le remplir d’une force et d’une exultation qui le faisait pousser sans discontinuer de longs cris, jusqu’à ce qu’ […] il abandonne enfin la palme que la tempête emportait d’un seul coup avec ses cris“ (PH, 224). Si Jacques participe au monde, c’est parce que la nature vient le chercher, parce qu’elle joue un rôle actif; „[…] ce qui autrefois le transfigurait, son ciel, ses espaces, sa clameur“ (PH, 244): le monde est à l’origine du changement de l’homme et de son désir de projection. Etienne Barilier souligne à ce propos la différence entre le héros de Noces, ou Jacques Cormery, et Adam: 17 dans la Bible, le premier homme s’approprie les choses et les êtres en les nommant; en revanche, le héros 167 de Noces et Jacques ne possèdent rien mais sont possédés: la nature les habite. Ils font partie d’elle et ne cherchent pas à ce qu’elle fasse partie d’eux. Perméable, Jacques a la sensation d’être détaché de soi, de ne plus vraiment être soi mais plutôt une ramification du monde, comme si ce monde était un arbre dont Jacques représenterait l’une des nombreuses branches. Camus semble être influencé sur ce point par l’œuvre d’avant-guerre de Jean Giono et notamment par Les Vraies richesses: Edmond Charlot a emprunté ce titre pour baptiser sa librairie qui propose au public les premiers écrits de Camus. Camus lui-même utilise cette expression dans Le Mythe de Sisyphe: „Visages tendus, fraternité menacée, amitié si forte et si pudique des hommes entre eux, ce sont les vraies richesses puisqu’elles sont périssables“ (120). Mais ce sont surtout leurs conceptions des rapports entre l’homme et le monde qui rapprochent Camus et Giono: tous deux parlent de la fusion, du „mélange de l’homme et du monde“: 18 Je suis mélangé d’arbres, de bêtes et d’éléments; et les arbres, les bêtes et les éléments qui m’entourent sont faits de moi-même autant que d’eux-mêmes […]. Les orages, le vent, la pluie, les ciels parcourus de nuages éblouissants, je n’en jouis plus comme un homme, mais je suis l’orage, le vent, la pluie, le ciel, et je jouis du monde avec leur sensualité monstrueuse.19 Dans Le premier homme, les métaphores décrivent cette osmose, ce „mélange“, dirait Giono, de l’homme et du monde: les „désirs“, les „angoisses“ et les „nostalgies“ de Jacques se confondent avec les „ondulations épaisses et insensibles“, les „grossiers remous végétaux“, les mouvements de „la tourbe des marais“ (PH, 256- 257). Le cœur de Jacques et le cœur du monde ne se contentent pas de battre à l’unisson: ils fusionnent pour ne faire qu’un. Le retour aux sources du Premier homme n’est pas seulement de revenir sur un individu, ses racines, c’est-à-dire sa famille et son enfance en Algérie, mais c’est surtout un retour aux sources de l’écriture: Camus laisse de côté l’ironie de La Chute et la tentation de se séparer du monde et d’autrui, pour rejoindre le lyrisme et l’unisson de Noces. Le style revient à ses sources, c’est-à-dire au lyrisme des premiers écrits, à la description vivante des paysages, à la communion entre le monde et l’homme. Mais cette démarche régressive vers les écrits antérieurs s’accompagne aussi d’une progression vers une nouvelle écriture: la mémoire, le désir de se libérer et de se retrouver renversent les digues et les barrières que Camus dressait pour contrôler son style dans les premiers écrits. Les mots se répètent, les phrases semblent ne plus vouloir s’achever, l’écriture déferle spontanément. Le premier homme semble atteindre enfin l’objectif dont Camus rêvait dans la préface à L’Envers et l’Endroit: Oui, rien n’empêche de rêver, à l’heure même de l’exil, puisque du moins je sais cela, de science certaine, qu’une œuvre d’homme n’est rien d’autre que ce long cheminement pour retrouver par les détours de l’art les deux ou trois images simples et grandes sur lesquelles le cœur, une première fois, s’est ouvert.20 168 Après le long cheminement qui l’a conduit de Noces à L’Exil et le Royaume, par les détours de l’art, Camus retrouve enfin dans Le premier homme ces images primordiales: la mère, l’Algérie, le soleil et la misère. Ce dernier texte aurait pu ainsi être le premier écrit de Camus puisqu’il délimite le point de départ de toute une œuvre. 1 Robert de Luppe, Albert Camus, Paris, Editions du Temps Présent, 1951, 113. 2 Camus et le lyrisme, Paris, Sedes, 1997, 7. 3 Ibid., 312. 4 Œuvre fermée, œuvre ouverte? Actes du colloque du Centre Culturel international de Cerisy-la-Salle, juin1982, Paris, Gallimard, Cahiers Albert Camus n°5 , 1985, 200. 5 Ahmed Taleb, Lettres de prison, 1957-1961, Alger, SNED, 1966, Lettre ouverte à Albert Camus, 67-83. 6 Louis Bénesti, „On choisit pas sa mère“, in: Algérie Littérature Action, n° 67-68, janvierfévrier 2003. 7 Jean Grenier, Albert Camus, souvenirs, Paris, Gallimard, 1968, 92. 8 Charles Péguy, „Eve“, in: Œuvres poétiques complètes, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1954, 571. 9 Roger Quilliot, La Mer et les Prisons, Paris, Gallimard, 1956, 45. 10 Jean Sarocchi, Camus, Paris, Presses Universitaires de France (Collection „Philosophes“), 1968, 34. 11 Jean Sarocchi, Le Dernier Camus ou ‘Le premier homme’, Paris, Editions Nizet, 1975, 164. 12 Ibid., 208. 13 Herbert Lottman, Albert Camus, Paris, Editions du Seuil (Collection „Points“), 1978, 669. 14 André Malraux, „préface au Sanctuaire de William Faulkner“, Paris, Gallimard (Collection „Folio“), 1949, 11. 15 Cité par Olivier Todd dans Albert Camus, une vie, Paris, Gallimard (Collection „Biographie NRF“), 1996, 662. 16 Cité par Jean Sarocchi dans son introduction aux „Cahiers Albert Camus“ 1, 12. 17 Etienne Barilier, Albert Camus, philosophie et littérature, Paris, Editions l’Age d’Homme, 1977, 87. 18 Jean Giono, Les Vraies richesses, Paris, édition Bernard Grasset, 1937, préface, 11. 19 Ibid., 16. 20 Albert Camus, préface à L’Envers et l’Endroit, in: Essais, Pléiade, 13. Resümee: Mustapha Trabelsi, Der erste Mensch von Albert Camus oder die Rückkehr zum algerischen „Stil“ analysiert im Ersten Menschen den „algerischen Stil“ von Camus. Als posthumes Werk lädt uns dieser Text zur Rückkehr zur Lyrik der ersten Schriften ein. Die Rückkehr zu den Quellen des Ersten Menschen beinhaltet nicht nur die Rückkehr zu einem Individuum, seinen Quellen, d.h. seiner Familie und seiner Kindheit in Algerien, sondern ist insbesondere eine Rückkehr zu den Quellen des Schreibens. Der Lyrismus des Ersten Menschen unterscheidet sich jedoch vom Lyrismus seiner ersten Essais, weil er sich jeglicher Kontrolle entzieht und nicht in die klassischen Formen des Schreibens passt. Er zeigt, dass Camus auf dem Umweg über die Kunst die Ursprungsbilder wiederfindet, die sein ganzes Werk durchziehen: die Mutter, Algerien, die Sonne und das Elend. Dieser letzte Text von Camus hätte paradoxerweise auch sein erster sein können, denn er markiert den Ausgangspunkt seines ganzen Werks.