eJournals lendemains 34/134-135

lendemains
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2941-0843
Narr Verlag Tübingen
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2009
34134-135

L’Algérie, du gris et de l’obscur

2009
Allan Diet
ldm34134-1350134
134 L’Algérie au carrefour des mots Allan Diet L’Algérie, du gris et de l’obscur: Albert Camus à l’âge de La Maison mauresque La petite pièce de monnaie que j’emporte d’ici a une face visible, beau visage de femme qui me répète tout ce que j’ai appris dans cette journée, et une face rongée que je sens sous mes doigts pendant le retour. Albert Camus, L’Eté 1 C’est là. Rien n’a basculé, aucun changement ne s’est fait sentir, c’est simplement là, présent, évident, pas une impression, mais une certitude, qui vient de loin, qui a toujours été là, latente, mais qui maintenant est l’unique réalité, la seule que l’on semble avoir connue, de tout temps, comme si aucune autre vérité n’avait plus de valeur. C’est cela, un de ces moments, peut-être une journée, au moins quelques heures, où, nul ne sait pourquoi, nul ne sait comment, tout semble s’organiser et exister pleinement, tout, chaque brin d’herbe, chaque souffle de vent, chaque grain de poussière en suspension dans la lumière qui perce, qui fige, et tout semble faire sens alors, avoir son propre sens, juste, autonome, exact, parfait, à sa juste place, un moment où respire une lucidité sans ombre, où tout est clair, de soi et du monde alentour, qui existe comme il n’avait jamais existé. C’est là, tout est là, à portée de main et de conscience, une lucidité devenue sur-réceptivité à tout ce qui entoure, et plus rien n’a de secret, et tout est traversé d’une lumière claire, une telle lucidité qu’elle n’ignore pas non plus qu’elle n’est qu’illusion, qu’elle se sait éphémère. Mais pendant cela, ce temps-là, tout sera facile, car l’être est passé définitivement - d’un définitif qui se sait semblance - du côté des fantômes, où rien ne gêne, où chaque geste est libre et libéré, défait du poids terrestre, où chaque parole résonne d’un juste son, étouffée, bientôt éteinte, connaissant sa destinée qui est de disparaître à l’instant même où elle naît, un être enfin à sa place, c’est-àdire, ainsi que toute chose, simplement inscrit dans la lumière du monde. Il est curieux que cet état, rare, dont la rareté fait le prix et l’événement, arrive souvent dans le moment d’une intense fatigue, ou d’une maladie, tel le prince Mychkine avant une crise d’épilepsie, qui sent venir „dans la tristesse, dans la nuit spirituelle et l’oppression“, depuis elles, ce moment du „degré ultime, de l’harmonie, de la beauté“ qui donne „un sentiment de plénitude invraisemblable, insoupçonné, un sentiment de mesure, d’apaisement, celui de se fondre, en prière extatique, dans la synthèse supérieure de la vie“, où tout s’illumine „d’une lumière extraordinaire“, l’éclair d’„un pur accroissement extraordinaire de la conscience de soi […], d’une conscience de soi et, en même temps, d’une impression de soi parfaitement 135 concrète“. 2 Sans doute faut-il alors la faiblesse et la faillite du corps pour libérer l’esprit, car sans doute faut-il que la lumière naisse de l’opacité. Mais il existe un âge obscur et sombre où ces moments, marqués déjà du sceau de l’exception, sont impossibles, car le corps et l’esprit sont trop menés alors par le désir et l’urgence, par la vitesse et l’instabilité à être, un âge intermédiaire entre l’enfance, éclairée par la magie du connaître dans l’évidence, et l’âge adulte, qui sait par le miracle de ces éclats d’une conscience accrue retrouver ces moments de pure magie de soi à soi et de soi dans le monde. A cet âge où la clarté à sentir et à être est perdue et non encore revenue, existence et conscience sont vouées à l’ombre; la passion qu’un jeune homme peut ainsi concevoir pour l’art est sans doute liée à ce qu’il pressent justement que l’œuvre accomplie est un moment privilégié où tout, son monde et le monde, s’organise en pure magie, en équilibre délicat, en limpidité épurée, en présence flottante d’une perfection possible. Alors le jeune homme aime de tout son cœur, de tout son corps, de toute son attention tendue et avide, l’art, un art, et veut lui aussi toucher cela et l’éprouver, ce fantôme d’harmonie, cette lumière apaisante. Mais toute tentative sera vaine, nécessairement, car il ne sait pas encore à quel point la sensibilité qui crée est un travail et une formation, un parcours, un chemin de vie né de beaucoup de pas, il ignore que l’acte de foi ne suffit pas, pas plus que l’envie et le manque, et le jeune homme qui crée livre alors en s’essayant à l’œuvre son obscurité en toute naïveté, en trahit l’image, en creux, à contre-jour. Pour comprendre, vraiment comprendre, l’obscurité fiévreuse de cet âge, il faudrait pouvoir en garder, et en donner, une image une et définitive, nette, pour la dire pleinement. Mais il n’y a pas d’image, une image, pour dire cet âge, seuls des fragments précipités, quelques bribes, si la mémoire veut, si la mémoire peut, et pour les plus chanceux, quelques sensations éparses que la peau n’oublie pas, mais cette jeunesse passée ne sait condenser l’impression laissée en une image. Il faut d’abord se rappeler des faits, un contexte et alors oui, et alors si, quelques souvenirs, vagues, remontent, à fleur de conscience; mais finalement ne reste, à quel âge que ce soit, que du flou, des impressions d’événements, de soirées, d’une journée, de rencontres, des moments qui ont laissé une faible trace dans un cœur fatigué de temps perdu, et les vingt ans sont à jamais dilués dans le flot des années qui passent, elles qui ne savent faire que cela. Des vingt ans, Louis Guilloux a pourtant livré avec „Vingt ans ma belle âge“ 3 une image, l’image de la misère, de journées passées en vain à battre le pavé à la recherche d’un travail, ou de quoi vivre un jour de plus, l’image d’un jeune homme livré à l’obscurité d’un quotidien de survie, qui s’endort, épuisé, n’entendant même plus l’accordéon du bal musette sous ses fenêtres, une image de soupente et de paillasse, d’un jour à se faire jeter d’un café pour ne plus pouvoir payer, d’un voisin bossu mué violoniste virtuose le soir tombant, pour enchanter la nuit de cet immeuble des démunis et des défaits, et cet homme mourant en plein hiver, de froid, de solitude et de misère, comme la jeunesse n’est aussi ici qu’une misère parisienne. Des vingt ans, Paul Nizan a laissé avec Aden Arabie 4 l’image d’une révolte intacte, 136 totale, ardente, contre une éducation, une classe sociale, une époque, un monde, et arrivé à Aden, à l’ombre du volcan, en une ville de cendres brûlée de chaleur et de désespoir humain, l’image d’une rage envers la bêtise et la misère exploitée des colonies, contre une existence vécue sur le seul mode du désœuvrement, et la jeunesse face à l’impossibilité de l’ailleurs n’est qu’insatisfaction. Des vingt ans, Alizé Meurisse donne aujourd’hui par son Pâle Sang bleu 5 l’image d’existences vouées aux blessures et aux douleurs, malgré la ferveur, dans la ferveur, par la ferveur, devenue fatalité et moteur de destruction, accélérateur pour mieux et vite consumer, une image d’êtres anéantis, fracassés, des éclats de vie coupants comme verre brisé, une parole urgente en poésie, une saison en l’enfer de notre époque, notre jeunesse, car la jeunesse a toujours été et est toujours blessée d’inquiétude. Des vingt ans, Albert Camus n’a pu offrir comme son ami Louis Guilloux l’image que construisent l’homme et l’œuvre arrivés à maturité, 6 se retournant sur sa jeunesse pour tenter de transformer l’expérience en reflet sensible d’une œuvre aboutie. Camus est mort trop tôt, n’achevant pas Le premier homme, le manuscrit approchant seulement par quelques mots de cet âge qui sort de l’enfance, et ces quelques mots laissant juste présager qu’il aurait eu beaucoup à dire alors sur ce moment fondamental d’une vie, que l’image qui en serait ressortie aurait été d’une vibrante et fiévreuse beauté, l’image d’une jeunesse issue de l’Alger de la misère, qui s’acheminant sur un chemin qui le détourne des origines rencontre l’insatisfaction de l’exil, exil des siens et exil intérieur, l’image d’une inquiétude, d’un être blessé, fêlé, coupé en deux, qui ne peut que contempler le monstre qui sort de la plaie béante, comme une nécessité, le salut et la damnation mêlés. Des vingt ans d’Albert Camus, une image pourtant s’élève, depuis les textes qu’il écrit à cet âge, l’image d’un jeune homme qui se cherche déjà en écrivant, en écrivain. En 1933, Camus a bientôt vingt ans, il écrit La Maison mauresque, 7 un des premiers textes qu’il considère comme important, littérairement, un texte qu’il donne donc à lire à son maître Jean Grenier. 8 Il est à un âge dans l’écriture où l’urgence est la loi, où dans chaque texte il faut tout dire, tellement on ne sait pas si on pourra dire ensuite, si on pourra dire encore, si on en aura à nouveau la force et l’envie. Le texte est ambitieux alors, et ce qu’il cherche à dire si pleinement, si totalement, est une sensibilité et un pays, l’Algérie, une sensibilité liée à ce pays, un rapport à la vie, et sans doute le texte dit bien, pour une part en le voulant, pour l’autre sans le vouloir, la complexité de ses vingt ans algériens, la difficulté à écrire cela. Une idée La Maison mauresque s’écrit sur le fil d’une idée et d’une envie, une idée appelée plus tard à changer de nature et se transformer en corps intime de l’œuvre, tant origine qu’impulsion ou éclat de chaque moment, mais ici la chair n’a pas encore revêtu le squelette, l’idée est nue. Camus livre dans le dénuement d’une intention un écrit consacré à ce qui sera une des principales sources des livres à venir, son pays natal. Le procédé est alors de partir du plan idéal d’une maison du pays pour 137 dire le pays lui-même, et comment le jeune auteur y sent et ressent la vie. Camus s’investit alors particulièrement dans son texte et y investit les espoirs d’un jeune homme qui voudrait écrire. 9 Le texte l’affirme réflexivement dès son incipit, il fonctionne sur des „correspondances“ d’inspiration baudelairienne, et principalement une correspondance entre le lieu décrit et une ambiance morale et sensible plus générale, qui dit une émotion et une perception. Le lieu n’est qu’une caisse de résonance pour la voix et l’être de celui qui construit cette architecture de mots, et pour faire vibrer l’écho de ceux qui pourraient habiter cette maison mauresque, ceux qui habitent cette région du monde, aussi bien l’Algérie 10 qu’une zone géographique plus large, puisque cette maison est dite „mauresque“, s’ouvrant à une architecture et une culture vastes, qui touchent aussi les origines espagnoles de Camus. La volonté de correspondance installe le texte dans une écriture allégorique au sens de Pierre Fontanier, une écriture de la parabole où la description du lieu se double de la représentation d’un contact au monde particulier lié à ce point du monde. Très vite alors, le texte ne s’attache pas tant à suivre le plan d’une maison mais fixe des instants de vie manifestant un certain rapport aux choses amené par le pays lui-même. L’idée, l’intention, le but sont là, affichés, bien présents, trop sans doute, et l’écriture prend une tournure démonstrative. Paul Viallaneix qui le premier publie ce texte le remarque: „La persistance des tournures logiques, le retour intempestif des épithètes, l’emploi des procédés de l’éloquence étouffent le chant qui se cherche.“ 11 Pourtant le jeune Camus cherche la mesure déjà, 12 il la cherche mais n’en a pas encore trouvé le secret. Il est à l’époque où il découvre à peine Les Iles de Jean Grenier, bientôt l’œuvre du maître fera son chemin, en lui, dans son apprentissage de l’écriture, et il saura alors que le lyrisme et l’émotion peuvent se dire aussi dans la simplicité, la retenue et la clarté. En 1959, il revient sur l’importance de ce livre: J’avais vingt ans lorsqu’à Alger je lus ce livre pour la première fois. L’ébranlement que j’en reçus, l’influence qu’il exerça sur moi, et sur beaucoup de mes amis, je ne peux mieux les comparer qu’au choc provoqué sur toute une génération par Les Nourritures terrestres. Mais la révélation que nous apportait Les Iles était d’un autre ordre. Elle nous convenait, tandis que l’exaltation gidienne nous laissait à la fois admiratifs et perplexes.13 Une exaltation qui entraîne la perplexité: le constat pourrait être le même concernant La Maison mauresque - ou aggravé car l’exaltation n’y sonne pas toujours juste -, et l’influence gidienne justement en est très directement responsable. Plus que Les Nourritures terrestres, c’est la présence des petits Traités de Gide qui se ressent dans La Maison, textes qui ont définitivement scellé la rencontre de Camus avec l’écriture gidienne. 14 La plupart des Traités et La Maison mauresque partagent le choix essentiel d’une écriture de la parabole; le „je“, poétique, ouvert, venu du voyant rimbaldien et de la parole de Zarathoustra, est celui, l’ironie gidienne en moins, de La Tentative amoureuse, d’El Hadj ou du Retour de l’enfant prodigue; 15 La Maison mauresque est habité d’un lyrisme gidien empruntant aux Traités, aux Nourritures terrestres et aux Cahiers d’André Walter, lyrisme dont les accents se 138 feront sentir chez Camus jusque dans Noces. Le détail même des mots choisis et des sentiments invoqués: l’orgueil, la vanité, la lassitude de toute chose qui amène à rechercher l’oubli, l’évasion dans une pure construction de l’esprit, renvoient encore à la sphère sensible et à l’univers mental de Gide, en particulier Le Traité du Narcisse, La Tentative amoureuse, El Hadj mais encore Les Cahiers d’André Walter, Le Voyage d’Urien ou pourquoi pas Isabelle, et la teinte chrétienne du texte de Camus, selon un mode et un ton qui lui sont étrangers - ce n’est pas le Christ de Dostoïevski et son questionnement qu’il fera siens -, se nourrit aussi de la parole et des inquiétudes propres à Gide. A l’époque où il rédige La Maison mauresque, Camus note au sujet de Gide: „Nourritures terrestres: cette apologie de la sensation… n’est jamais qu’une intellectualisation des sens. Rien de plus intellectuel que Les Nourritures terrestres.“, 16 or l’écueil pointé ici est plus certain pour le texte en cours du futur écrivain. La Maison mauresque est le texte d’un jeune homme qui n’a pas encore trouvé sa voix, qui ne s’est pas libéré des influences, et en premier lieu celle de Gide. En reprenant le ton, les obsessions de Gide, et surtout cette forme du récit en parabole, Camus cherche à entrer dans des habits qui ne sont pas - et dont plus tard il saura qu’ils ne seront jamais - les siens, adopte un masque qui empêche pour lui la vie de s’exprimer. Ce masque-là est toujours masque de comédie avec Gide, qui en use pour déformer sa voix et la faire mieux résonner d’ironie et de distance, qui en cachant ses traits démultiplie le sens de ses expressions, jouant notamment d’un système d’encadrement qui mêle et trouble les limites entre la sphère de l’intime, un semblant de sincérité, et le propos le plus général et ouvert possible, tout à la fois sérieux et saugrenu, se répercutant en directions diverses. Le jeune Camus ignore cet art et cette dextérité, l’élégance de l’assurance, et le choix de la parabole ne fait ici que montrer ce que le masque devrait cacher, rend l’idée à sa nudité, et l’intellectualisation alors s’oppose à répercuter la vibration des sens, la vérité d’une vie, la rumeur de sa terre. Le style n’a pas encore trouvé le dépouillement qui fait que le lieu est là, évident et naturel, un décor de vie. Christiane Chaulet Achour 17 le remarque: aucun lieu précis d’Alger n’est réellement décrit dans L’Etranger; pourtant les riens, les détails évoqués, effleurés, pour rendre, non le lieu lui-même, mais l’impression, la perception et l’expérience du lieu, font que ce lieu, même inconnu du lecteur, saura lui parler et exister, faisant qu’un lecteur jamais venu à Alger s’en créera son image, un reflet pas très éloigné d’une réalité. Avec La Maison mauresque, le lieu n’est qu’une idée et se veut tel, du bois dont on fait les règles et pas une branche dont les nœuds et les sinuosités se vouent au feuillage et à la floraison: le refus de la description de L’Etranger, ou tout au moins sa rigoureuse limitation, dit mieux une réalité qui s’impose alors seule, d’elle-même, vivant simplement sous nos yeux, que ce long développement descriptif de La Maison qui aboutit à un bel objet creux, une coquille vide qui n’est là que pour faire sens, manquant l’aventure du sens pour l’œuvre d’art qui n’est qu’ambiguïté, aspérité, un don de trouble qui accepte la perte comme un gain. 139 Une émotion La Maison mauresque part pourtant d’une émotion vraie et sans aucun doute ressentie, veut chanter l’éblouissement, celui d’une terre, un éblouissement que Camus ne cessera de dire dans la suite de l’œuvre. Le texte s’inspire de lieux aimés, la maison mauresque du jardin d’Essai, 18 ou le cimetière évoqué qui rappelle le cimetière des Princesses où Camus aimait se rendre alors, 19 dépasse en même temps le référent, la maison pouvant par exemple tout aussi bien correspondre à une demeure de la Casbah, et déploie ainsi un sentiment général qui tente de rendre la vibration du pays. La Maison libère alors un éclatement de couleurs, ouvre sa terrasse au bleu du ciel et au blanc des mouettes, de ce blanc toujours mêlé de bleu qui fait Alger, côtoie le vert des oliviers et l’or des boutiques, rappelle le bleu, le rose et le jaune des étoffes, et déjà et toujours la mer et son infini, et déjà et toujours le soleil qui rend plus vive la réalité de toute couleur, plus vive la présence de toute sensation. Le texte ne cesse de dire cela alors, le pays dans ses nuances de teintes et de lumière, le soleil et sa „vertu purificatrice“, 20 comment la maison vit en harmonie avec cette lumière, comment les habitants vivent dans et de la lumière du pays. Ce sentiment ne quittera plus l’œuvre de Camus et se dit déjà ailleurs, à la même époque, avec les mêmes mots et les mêmes tons, 21 la même émotion, dans l’intuition d’avoir trouvé, d’avoir touché la possibilité d’une vérité à dire. Il y a déjà l’obsession du soleil, et sa chaleur comme seuls éléments clairement positifs du texte, jusque dans l’unique épigraphe 22 qui s’invite au début de l’avant-dernière partie, un appel au soleil que Camus réussit même à trouver chez Ibsen. Quand à l’approche de la fin, le texte nomme enfin l’Algérie et ses lieux, il peint à nouveau son soleil, son ciel, sa mer, sachant déjà que ce soleil, ce ciel, cette mer sont uniques ici, à cet endroit du monde où Camus est, où sa sensibilité restera à jamais attachée. Plus tard, dans Noces, Camus écrit: „Je décris et je dis: „Voici qui est rouge, qui est bleu, qui est vert. Ceci est la mer, la montagne, les fleurs.“„ 23 Il souligne ici réflexivement une manière déjà à l’œuvre dans son texte de jeunesse, où il s’agit de dire la couleur comme étant élément de la nature, où la couleur est émanation du monde, dans une perception qui n’est pas sans annoncer celle de Claude Simon: dire le monde comme taches de couleur saisies, écrire un tableau où le figuratif n’existe qu’en décomposition, pour transposer la vivacité de la sensation, la sidération qui ne capte pas tout, mais voit dans le flou de la rapidité. Tout est lumière alors, et variations de lumière. Le soir tombant dans La Maison mauresque, l’obscurité l’emportant, le narrateur se remémore les tissus des marchands, dans un soudain jaillissement de couleur, mais qui se fait par la pensée non par la vue: dans le noir, on se souvient, on se soutient de l’éclat des couleurs, dans la vivacité cruelle de la lumière, on s’apaise de l’espoir du soir et de l’ombre. La lumière n’ira pas sans l’ombre. 140 Une couleur Car le premier mot de ce texte, et comme seuil possible d’une œuvre à venir, est „inquiétude“. Dans cet éblouissement de vie, d’éclats, de tons et de nuances, s’inscrit une couleur qui n’en est pas vraiment une, ombre sur la lumière, ou clarté perdue dans la noirceur, une hésitation. Dès ce début, il est dit qu’en cette demeure sensible, „se succèdent des pénombres bleues et des cours ensoleillées. Une même question se pose dans l’ombre et la lumière.“ 24 Ombre et lumière se lient donc déjà dans une interrogation fondamentale, si propre à Camus et à son œuvre que Roger Grenier s’en emparera pour le titre de son livre, trouvent une origine, dans cette architecture mentale inspirée de tant de lieux rencontrés et parcourus, se prolongent en „pénombres bleues“, d’une ombre traversée de lumière et du bleu du ciel et de la mer d’Alger. Ombre et lumière résonnent d’une „même question“ que ne résoudra ni même formulera le texte, mais dont il accompagne l’écho et l’irrésolu, une question qui pourrait être la question sans réponse qui creuse le vide d’une existence entière, une question qui pourrait être celle formulée aux dernières pages du Premier homme: „Mais était-ce là tout, ces gestes, ces jeux, cette audace, cette fougue, la famille, la lampe à pétrole et l’escalier noir, les palmes dans le vent, la naissance et le baptême dans la mer, et pour finir ces étés obscurs et laborieux? “ 25 Puisque cette maison est paysage mental, elle contient et sent déjà „la part obscure de l’être“ 26 qui est le revers de la lumière tout autant que l’autre source de la ferveur, une insatisfaction qui à l’âge d’homme donne les fruits de l’intransigeance et de l’exigence pour soi, une insatisfaction qui est ici autant et en même temps l’insatisfaction de la jeunesse que celle de la misère originelle, comme le cristallise aussi „Vingt ans ma belle âge“ de Louis Guilloux. Camus et Guilloux étaient aussi liés par cette origine sociale, par cette insatisfaction fondamentale, Guilloux l’écrivant ainsi: „La vérité de cette vie […], ce n’est pas qu’on meurt: c’est qu’on meurt volé.“, 27 et volé par l’espoir, le confort, la facilité, l’oubli, ce contre quoi Camus est resté toujours tendu, tel qu’il l’est déjà à cet âge des premiers écrits, premier homme intact dans cet acte d’écrire pour lutter avec la vie. Car de l’ombre et la lumière mêlées naît cette couleur, cette hésitation, le gris. Le gris du drame et de la pauvreté, qui cache sous une teinte d’indifférence l’„orgueil de la souffrance et de la contrainte“. 28 Dans ce texte aux couleurs éclatantes de l’idéal, il est essentiel que le gris de la réalité surgisse et assombrisse la lumière dominante: Toutes les maisons ont leur drame. Que j’aime, il en est deux. Il y a la maison arabe. Elle cache sous d’ironiques couleurs l’importance d’une évasion vers l’idéal et l’infini. Il y a aussi la maison grise qui masque le drame capital de la médiocrité. Je les aime toutes deux par ce qu’elles cherchent sous un aspect indifférent. Secrètes, jalouses, elles ne veulent pas laisser voir le ridicule d’un appel qui se tord vers l’infini. Elles veulent bien qu’on les croie gaies ou indifférentes. Elles ne veulent pas qu’on sache. Je les comprends si bien.29 141 Ce gris est donc neutralité, délicatesse, rejoint l’éclat des couleurs en tant que masque, pudeur, sens aigu de la dignité: 30 ce qui survient avec la maison grise est l’apparition d’un quartier populaire moderne, 31 comme celui de Belcourt où grandit Camus, maison sœur en pauvreté de la colorée maison arabe, toutes deux partageant une même tension. Le narrateur peut alors aimer cet effort commun, effort de lumière et de vie dans et malgré le dénuement, orgueil de celui qui lutte, à qui rien n’est donné, et le texte touche enfin l’accent de la vérité. „A se pencher aussi sur la souffrance, la laideur et la misère, on peut conserver en soi l’horreur de toute bassesse et la pitié qui craignait de se montrer.“ 32 Camus adulte se souvient de son sentiment lisant Les Iles à l’époque où il travaille La Maison mauresque: „Il me semblait que j’entrais dans une terre nouvelle, que m’était ouvert enfin un de ces jardins clôturés de hauts murs que je longeais souvent, sur les hauteurs de ma ville, dont je ne saisissais qu’un parfum de chèvrefeuille invisible, et dont ma pauvreté rêvait.“ 33 Tout est cohérent: Camus retrouve pour décrire le sentiment d’alors un trait de vécu qui est aussi un épisode de La Tentative amoureuse de Gide, et cette construction idéale de La Maison mauresque est ce songe d’un enfant pauvre qui transforme les maisons simples de la pauvreté en rêve de splendeur à l’égal de ce que cache les hauts murs de la richesse, dans le gris et les couleurs un parfait lieu de vie mêlée de lumières et d’ombre. Ce gris-là, cette ombre portée en soi qui accompagne chaque pas, est un élément essentiel qui fait que Camus est d’une certaine Algérie, celle qui connaît et goûte la vivacité des couleurs comme la valeur et le prix du dépouillement, et le balancement de l’éclat à l’obscur, présent dès ce texte de jeunesse, est une constante de son œuvre. Il faut savoir l’éblouissement et l’ombre, connaître l’impératif à les dire et les transmettre, pour les reconnaître chez Jehan Rictus, le peindre à ces - et ses - couleurs quand on n’a que dix-huit ans, 34 il faut éprouver l’importance et la vérité du balancement pour donner à lire en 1939, à quelques semaines d’intervalle, la lumière de Noces et la „Misère de la Kabylie“. La nécessité à dire l’une et l’autre face d’une même pièce ne quittera jamais Camus, qui en cette même année 1939 commence à travailler les textes qui constitueront L’Eté publié en 1954, et en mai 1945 publie dans Combat une série d’articles décrivant la crise, la famine, la misère qui touchent l’Algérie. Et même si tous ces textes sont dominés ou par la lumière ou par l’obscurité, le balancement se dessine encore en chacun d’eux, Noces préservant sa part d’ombre, 35 „Misère de la Kabylie“ laissant surgir l’insoutenable de la beauté. 36 Ce que Camus écrit en 1958 de son premier livre publié, ce qu’il décèle alors comme fracture originelle, et la fidélité qui lui est due, vaut aussi pour La Maison mauresque: „Pour moi, je sais que ma source est dans L’Envers et l’Endroit, dans ce monde de pauvreté et de lumière où j’ai longtemps vécu et dont le souvenir me préserve encore des deux dangers contraires qui menacent tout artiste, le ressentiment et la satisfaction.“ 37 Le balancement est un ressenti et une nécessité, une lucidité, non pas tant ce qui donne du prix aux choses, mais ce qui leur donne leur véritable, leur juste prix. 142 Le balancement entre la lumière et ce qui l’obscurcit constitue pour l’être et pour l’écriture la marque d’une nuance, un effort de mesure qui n’est pas encore maîtrisé par le jeune Camus mais le sera bientôt, une tentative pour borner le déferlement, le flot de beauté et d’éblouissement, par le souvenir et la conscience que le gris subsiste. A l’époque de La Maison mauresque, les deux moments extrêmes de l’oscillation sont encore traités sur le mode de la distinction, ensuite, ils formeront un tout, ne pouvant exister que l’un avec l’autre, l’un par l’autre, en un même mouvement. Bientôt, le sentiment du gris hérité de son expérience, de sa vie en Algérie, permettra dans le style de trouver une limite au lyrisme gidien. Une écriture Ecrire, c’est mettre en ordre ses obsessions. Jean Grenier, Albert Camus (Souvenirs) 38 L’image de jeunesse qui s’élève de La Maison mauresque affirme en effet, par le contraste et la différence, ce qu’est devenue ensuite l’écriture de Camus, les choix qui ont dû être faits, la sensibilité qui s’est trouvée. Le texte parle ainsi d’„opposition“, 39 et met de fait en jeu des éléments dits et ressentis comme contradictoires, comme l’auteur le relève d’ailleurs lui-même à cette époque: „J’accorde trop de prix à mes contradictions.“ 40 Il y a là la réaction d’un jeune homme qui s’étonne et n’admet pas encore tout à fait la complexité d’un être, n’acceptant pas ce qu’il est, et la part obscure avec. Cherchant la justesse dans l’évocation, le jeune Camus juxtapose et dispose ce qui lui semble alors des opposés; plus tard, cette réserve disparaît dans l’œuvre, et la diversité est liée en discrètes nuances, explorant toujours plus loin le secret de l’être dans cette zone d’intersection où basculent les contraires et s’unissent en vérité essentielle. Les „correspondances“ qui guident le texte sont dites „plus générales et plus humaines“: 41 le souci de l’homme est déjà réel, mais le rendu n’est certes pas encore si proche des hommes, et beaucoup moins sans doute que tous les écrits qui suivront, car la complexité est affaiblie par cette conscience qui manifeste les oppositions, et l’ouverture de la parabole et de l’abstraction gêne un rendu vivant et à vif de l’humain, au plus près du ressenti. Le texte est marqué par une distance: il parle du pays, de l’Algérie, il ne parle pas depuis, en étant de l’Algérie; l’écriture n’a pas encore trouvé ce point d’énonciation qui sera sien par la suite: être, avec l’Algérie. Etre: pleinement, prendre, avoir conscience et jouir d’être, exister. Avec l’Algérie: en soi, pour soi, pour source et origine, pour façon de ressentir qui accompagne chaque pas, pour horizon intérieur et vérité personnelle. Dans La Maison mauresque, l’écriture a beau parler du soleil, elle n’est pas encore solaire, telle qu’elle le deviendra, habitée par ce soleil, le portant avec elle. La situation de départ du texte, d’un narrateur relatant les impressions d’une „première visite d’une maison mauresque“, 42 trahit une vision qui reste tout le long extérieure, d’une extériorité qui touche aussi sans doute à la jeunesse de 143 l’écrivain. Il se retrouve ici l’image laissée par Aden Arabie de Paul Nizan, une jeunesse tout en refus et en rejet, d’un qui n’adhère pas, se veut étranger autant au monde dont il vient qu’à celui qu’il découvre, obstinément, d’une obstination qui se voudrait force mais n’est, si visiblement, que manque d’assurance. La Maison mauresque est vierge de cette violence, en deçà même de toute méfiance, mais les textes de Camus et de Nizan se rejoignent en un retranchement commun, celui de jeunes hommes qui n’ont pas encore trouvé leur place dans l’écriture, non plus que dans le monde. Alors La Maison mauresque décrit et met en scène une sensibilité, mais ne s’en imprègne pas; 43 l’œuvre des années à venir au contraire la fait sentir, la fait naître du texte, diffuse mais présente, voile léger, matière diluée en transparence. Camus a déjà compris l’importance de cette trace, mais il lui faut encore se défaire des oripeaux d’un discours à tenir, d’un texte pensé sur le mode de l’idée idéelle, pour plus tard laisser s’exprimer comme il le fera une écriture charnelle, le monde n’existant là que par l’expérience perçue, les échos ressentis, les vibrations éveillées dans le corps qui voit, entend, sent, pense, écrit. Pourtant déjà, beaucoup est là, avec l’envie de dire qui attend de se maîtriser, et parfois, le temps d’une phrase ou deux, le futur Camus vous saisit au seuil de son devenir, comme lorsqu’il se laisse aller à décrire la tombée du soir comme un précieux moment d’apaisement, 44 annonçant déjà un motif qui parcourra l’œuvre dans son ensemble. 45 Pour toucher juste, il faudra à Camus laisser parler ce qui est sien, ce qui vient de lui, faire résonner sa langue et son rythme, se délester des attributs gidiens, de ses motifs et de ses mots, trop présents, envahissants, 46 altérant une vérité qui demande pourtant à s’exprimer. Le rapport défaillant à la sensibilité dans La Maison mauresque, consistant à la mettre en scène, révèle encore l’influence: chez Gide en effet, le sentiment surgit dans un élan autant de vie que de monstration, qui tient d’une illusion et porte l’ironie. Ce qui sera propre à Camus est à l’inverse d’altérer l’extériorité, l’absorber: tout devient le spectre sensible d’une intériorité, projetée sur le monde - et non dans le monde, comme pour Gide -, le monde agissant alors en retour sur l’être, d’une action possible par une disposition de l’être à le laisser agir et à le laisser agir d’une certaine façon, insensible, mais profonde et réelle. Parce que l’écriture est sous influence, puisqu’elle traite son sujet de l’extérieur, La Maison mauresque aboutit à un texte occidental, français, de Camus, qui fait mieux ressentir en quoi l’écriture qui sera ensuite la sienne est aussi proprement algérienne, par un style qui incorpore pleinement une sensation particulière - et une attention particulière à la sensation - au quotidien, dans le détail des mots et des perceptions, des détails épars, diffus, anodins, pris dans le naturel de la phrase, et non une volonté d’accumuler des détails signifiants comme dans ce texte de jeunesse, dans une tentative paralysée dans son effet par le choix de la parabole. Dans ces Notes datant de la même époque, Camus écrit: „Gide a trop cherché à s’éloigner de Gide. C’est l’aspect de Gide que j’ai immédiatement compris. Mais n’est-ce pas parce que je cherche à m’éloigner de moi? “ 47 Une des faiblesses du 144 texte se situe bien là: en se rapprochant par la suite de lui-même, en se trouvant, il trouve une vérité, qui est aussi une forme, une forme nue, défaite des facilités lyriques, des artifices gidiens, et il cherchera alors toujours plus à cerner cette vérité qui est sienne, l’ultime œuvre voulant saisir au plus proche la vérité de son être. Il fallait cela. Il fallait cette origine dans l’écriture, il fallait la faiblesse mêlée à la capacité, il fallait partir de là pour se tracer un chemin, se construire un possible. Il fallait la jeunesse et les vingt ans, où, comme dans Pâle Sang bleu d’Alizé Meurisse, on doit jeter les mots, se battre avec, s’y heurter et s’y blesser, pour garder ensuite mémoire et cicatrices. Il faut encore que la lumière naisse de l’obscurité. Camus a dû être ce jeune homme plein d’envies non maîtrisées, pour apprendre ensuite la mesure, a dû connaître la défaillance pour s’élever au-dessus, bien audessus. Cela est son origine, comme il fallait aussi la pauvreté et la maladie, comme il fallait le soleil et les bains de mer, comme il fallait l’Algérie comme paysage intérieur pour que Camus devienne Camus. Bientôt, le jeune homme se fera l’homme jeune d’une jeune littérature, bientôt, il triomphera de la zone d’opacité. Bientôt, l’art deviendra ce moment rare et privilégié où tout s’organise dans une lucidité et une lumière exceptionnelles, hors du commun, où tout résonne d’une juste vibration, où tout est dit définitivement et parfaitement. Bientôt, L’Etranger existera en pleine limpidité et entière clarté, et Camus s’inscrira dans cette lumière. Camus aura trouvé sa place, dans le monde et dans les mots. 1 Albert Camus, Essais, édition établie par Roger Quilliot et Louis Faucon, Paris, Gallimard, coll. „Bibliothèque de la Pléiade“, 1965, 875. 2 Fédor Dostoïevski, L’Idiot, traduction d’André Markowicz, Arles, Actes Sud, coll. „Babel“, 1993, vol. 1, 374-376. 3 Louis Guilloux, „Vingt ans ma belle âge“, Vingt ans ma belle âge, Paris, Gallimard, 1999, 13-31. 4 Paul Nizan, Aden Arabie, Paris, La Découverte, coll. „Poche“, 2002. 5 Alizé Meurisse, Pâle Sang bleu, Paris, Allia, 2007. 6 La nouvelle „Vingt ans ma belle âge“ paraît pour la première fois en décembre 1935 (in Vendredi, n° 5, 6 décembre 1935, 9), Guilloux a alors trente-six ans et publie depuis quinze ans, Le Sang noir est sorti il y a presque deux mois. 7 La Maison mauresque, in: A. Camus, Œuvres complètes. I. 1931-1944, édition dirigée par Jacqueline Lévi-Valensi, Paris, Gallimard, coll. „Bibliothèque de la Pléiade“, 2006, 967-975. 8 Jacqueline Lévi-Valensi voit dans ce texte „l’acte de naissance de l’œuvre de Camus“, J. Lévi-Valensi, Albert Camus ou La naissance d’un romancier (1930-1942), Paris, Gallimard, coll. „Les Cahiers de la nrf“, 2006, 116. 9 A la même époque, en avril 1933, il commente ainsi son travail en cours d’élaboration: „Je m’étonne à cette heure d’accorder plus d’importance qu’elle n’en mérite (je m’en rends bien compte) à ma Maison mauresque. Sans doute pour ce travail qu’elle m’a coûté, lorsque je songe à son peu de volume.“ Notes de lecture, in: Œuvres complètes. I. 1931-1944, op. cit., 956. 10 L’Algérie ainsi que la Kabylie et Cherchell sont nommés dans l’avant-dernière partie du texte. 11 Paul Viallaneix, Le Premier Camus suivi de Ecrits de jeunesse d’Albert Camus, Paris, Gallimard, coll. „Cahiers Albert Camus“, 1973, 73. 145 12 „Terminé ma Maison mauresque. Sans doute vaut-elle mieux que ce que j’ai déjà montré à G. Je me suis efforcé de n’y rien laisser paraître de mes souffrances présentes. Mais j’ai laissé éclater un peu de cette souffrance dans les dernières lignes. Cela doit être ainsi. Je ne me cache pourtant pas que la partie où j’ai essayé de cacher mon besoin de pleurer est la meilleure.“ Notes de lecture, op. cit., 955. 13 A. Camus, „Préface“, in: Jean Grenier, Les Iles, Paris, Gallimard, coll. „L’Imaginaire“, 1977, 9. 14 „Un matin, je tombai enfin sur les Traités de Gide. Deux jours après, je savais par cœur des passages entiers de la Tentative amoureuse. Quant au Retour de l’enfant prodigue, il était devenu le livre dont je ne parlais pas: la perfection ferme la bouche.“ A. Camus, „Rencontres avec Gide“, Essais, op. cit., 1118. 15 Camus adaptera Le Retour de l’enfant prodigue quelques années plus tard pour le Théâtre de l’Equipe. 16 Notes de lecture, op. cit., 959. 17 Christiane Chaulet Achour, Albert Camus et l’Algérie. Fraternités et Tensions, Alger, Barzakh, coll. „Parlons-en! “, 2004, 65-68. 18 V. Paul Viallaneix, Le Premier Camus, op. cit., 70-71. 19 Olivier Todd, Albert Camus. Une vie, Paris, Gallimard, coll. „Folio“, 1999, 77. 20 La Maison mauresque, op. cit., 971. 21 Et en reprenant aussi le principe de correspondances s’exprimant par l’architecture, v. L’Art dans la communion, in: A. Camus, Œuvres complètes. I. 1931-1944, op. cit., 961. 22 „Osvald, d’une voix étrange: ‘- Mère, donne-moi le soleil.’ / Ibsen, Les Revenants.“, La Maison mauresque, op. cit., 973. 23 Œuvres complètes. I. 1931-1944, op. cit., 107. 24 La Maison mauresque, op. cit., 967. 25 A. Camus, Le premier homme, Paris, Gallimard, coll. „Cahiers Albert Camus“, 1994, 256. 26 Ibid. 27 Louis Guilloux, Le Sang noir, Paris, Gallimard, coll. „Folio“, 1980, 242. 28 La Maison mauresque, op. cit., 972. 29 Ibid. 30 Le sentiment de Camus reste inchangé vingt-cinq ans après: „Le plus grand des luxes n’a jamais cessé de coïncider pour moi avec un certain dénuement. J’aime la maison nue des Arabes ou des Espagnols.“ Préface de 1958 à L’Envers et l’Endroit, Œuvres complètes. I. 1931-1944, op. cit., 33. 31 Pour une étude du motif du „quartier pauvre“ dans les textes de Camus de la même période, on lira: Agnès Spiquel, „Le jeune Camus et ‘le quartier pauvre’“, in: Afifa Bererhi (dir.), Camus et les Lettres Algériennes. L’espace de l’inter discours, Alger, Université d’Alger, 2007, vol. 1, 27-34. 32 La Maison mauresque, op. cit., 974. 33 Préface aux Iles, op. cit., 13. 34 Camus publie en 1932 dans Sud, revue étudiante, „Le Poète de la misère. Jehan Rictus“ où il évoque par exemple l’œuvre en ces termes: „Ce qui séduit surtout dans le livre c’est le contraste entre la vie boueuse et sale du Pauvre et l’azur naïf de son âme.“ Œuvres complètes. I. 1931-1944, op. cit., 522. 35 Par exemple, dans „Noces à Tipasa“: „Tout à l’heure, avec la première étoile, la nuit tombera sur la scène du monde. Les dieux éclatants du jour retourneront à leur mort quotidienne. Mais d’autres dieux viendront. Et pour être plus sombres, leurs faces ravagées seront nées cependant dans le cœur de la terre.“ Œuvres complètes. I. 1931-1944, ibid., 110. 146 36 „Je savais aussi qu’il y aurait eu de la douceur à s’abandonner à ce soir si surprenant et si grandiose, mais que cette misère dont les feux rougeoyaient en face de nous mettait comme un interdit sur la beauté du monde.“ Essais, op. cit., 909. 37 Œuvres complètes. I. 1931-1944, op. cit., 32. V. aussi „Retour à Tipasa“ en 1953 dans L’Eté: „Oui, il y a la beauté et il y a les humiliés. Quelles que soient les difficultés de l’entreprise, je voudrais n’être jamais infidèle, ni à l’une ni aux autres.“ Essais, op. cit., 875. 38 Paris, Gallimard, 1968, 19. 39 La Maison mauresque, op. cit., 968 et quelques lignes après: „L’inquiétude devant, encore, le conflit de deux éléments.“ 40 Notes de lecture, op. cit., 955. 41 La Maison mauresque, op. cit., 967. 42 Ibid. 43 Camus est alors „trop défiant“ envers elle, selon Jacqueline Lévi-Valensi, Albert Camus ou La naissance d’un romancier (1930-1942), op. cit., 97. 44 La Maison mauresque, op. cit., 968. 45 Je me permets ici de renvoyer à un de mes articles, qui relève l’existence de ce motif dans l’ensemble des romans et nouvelles de Camus: „Le moment privilégié de la contemplation, où tous les détails de cet autre qu’est le monde éveillent la perception pour l’harmoniser, est le crépuscule, l’heure rassérénante de la tombée du soir. C’est le moment d’un rapport unique et enfin apaisé au monde, même si cette heure n’est pas toujours heureuse et positive.“ Allan Diet, „Une goutte de sueur, à défaut de larmes. Le détail dans les romans et nouvelles d’Albert Camus“ in: L’Esprit créateur, vol. XLIV, n° 4, winter 2004, 62. 46 Il suffit de lire les prologues de La Maison mauresque et de La Tentative amoureuse pour saisir combien les deux paroles sont proches. 47 Notes de lecture, op. cit., 958. Resümee: Allan Diet, Algerien, Graues und Dunkles: Albert Camus zur Zeit der Maison mauresque. Es gibt ein Alter vor dem Erwachsenwerden, in der die Unruhe zu sein und zu werden aus der Harmonie der Welt ausschließt, die in der Kunst wiedergefunden werden kann. Camus kannte dieses Alter und hat sich in eine Kunst gestürzt, das Schreiben. Er hat einen Text, La Maison mauresque, geschrieben, der von einer algerischen Jugend erzählt: einen jungen Text, der sich seiner Fähigkeiten nicht bewusst war und in diesem Fall noch zu sehr unter dem Einfluss von Gide stand. Einen Text, der einem algerischen Verlangen entstammt, dessen Ambition es ist, die sensiblen Echos einer Stadt und darüber hinaus eines Landes widerzuspiegeln. Der Text gibt so die Düsterkeit der Jugend und die Düsterkeit einer eigenartigen Sensibilität wider, ausgelöst von Algerien, dem Licht und den Schattenseiten, jedoch auch das Grau von Algier umfassend; das Grau der Unzufriedenheit des Seins und des Zartgefühls, einer Spur von Würde, das Grau der Armut, der Herkunft, verschwommene Farben, wo die Schrift ihren Ursprung findet wie die Sonne, die hoch und stolz am Firmament steht. So beweist La Maison mauresque mit ihren Abwesenheiten, auf welche Art und Weise die Schreibweise schließlich im eigentlichen Sinne algerisch wird, und damit typisch für Camus.