eJournals lendemains 34/134-135

lendemains
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/
2009
34134-135

L’Interculturel chez Albert Camus: un dialogue de sourds?

2009
Ieme van der Poel
ldm34134-1350109
109 Ieme van der Poel L’Interculturel chez Albert Camus: un dialogue de sourds? La théorie postcoloniale, à quelques exceptions près - je pense notamment aux travaux de Jean-Marc Moura et de Jacqueline Bardolph - n’a jamais vraiment ‘pris’ en France. 1 Tandis que les études francophones et même les cultural studies sont souvent citées comme le moyen de raviver les études françaises au dehors de la France, le bilan de la théorie littéraire ou plutôt les théories littéraires qui s’y rapportent, reste à faire. Tout ce qu’on peut constater pour le moment, c’est qu’ici comme ailleurs, une approche extrinsèque de la littérature semble l’emporter. 2 Du côté français, il est parfois même question d’un refus tranché de la théorie postcoloniale telle qu’elle s’est développée dans le monde universitaire anglosaxon depuis la fin des années 70. 3 La datation n’est pas ici sans importance. Car elle montre que les études postcoloniales sont nées au moment même où en France la théorie littéraire teintée de marxisme et de formalisme, commence à régresser. De plus, rappelons que les pionniers anglophones de la théorie postcoloniale se sont largement inspirés de ce même courant d’idées, bientôt connu sous le nom de French Theory, et dans lequel le politique et le culturel étaient étroitement mêlés. En témoignent Edward Said, tributaire de Foucault et de Barthes; Homi Bhabha subissant l’ascendant de Fanon; Gayatri Chakravorty Spivak, lectrice assidue de Lacan et de la critique (anti-)féministe française. 4 Même si Spivak réfute dès le début ses modèles français, et notamment Julia Kristeva, pour leur caractère eurocentriste, il faut reconnaître qu’elle leur doit quand-même beaucoup. 5 C’est dans ce contexte que doit être considérée la résistance française à la théorie postcoloniale. Elle fut tout simplement too french pour les Français, qui, à l’époque où le poststructuralisme partait à la conquête des universités américaines, commençaient à se désolidariser des idéologies qui avaient dominé la vie intellectuelle des dernières décennies. Autour de 1975, la structure intellectuelle héritée des années soixante se décompose. L’Avènement des „nouveaux philosophes“ marque la rupture du gauchisme d’avec le marxisme-léninisme. Ce virement politique entraîne aussi un changement du paradigme philosophique, comme l’atteste le succès incontesté de trois publications parues à cette époque: La Pensée 68 (1985) de Luc Ferry et Alain Renaut; Le Sanglot de l’homme blanc (1983) de Pascal Bruckner; La Défaite de la pensée (1987) d’Alain Finkielkraut. Ce qui relie ces ouvrages, c’est qu’ils sonnent le glas du mythe révolutionnaire sous tous rapports: le structuralisme chez Ferry et Renaut; le tiers-mondisme chez Bruckner; la philosophie de la décolonisation d’un Fanon et d’un Lévi-Strauss chez Finkielkraut. L’Humanisme, longtemps décrié par la gauche, reprend du terrain, de même 110 que remontent ses représentants qu’une intelligentsia communiste ou communisante avait relégués au second plan. Ce bouleversement explique aussi pourquoi il revient à Albert Camus d’occuper une place de choix dans Les Aventures de la liberté (1991), ‘histoire subjective des intellectuels’, dont l’auteur est un ancien „nouveau philosophe“: Bernard-Henri Lévy. Ce qui est tout de même frappant, c’est que dans le chapitre qu’il lui consacre, Lévy parle surtout de Camus et de l’Algérie. Sur ce point, il se démarque de la pratique courante en France, à cette époque du moins, qui est de considérer Camus comme un auteur franco-français, champion de l’universalisme et de l’humanisme, sans prendre en compte ses antécédents algériens. 6 En témoignent, encore aujourd’hui, les manuels d’histoire littéraire comme Itinéraires ou Littérature: Textes et documents, où le contexte colonial de l’œuvre camusienne est largement ignoré. Lévy en revanche, en insistant sur son travail de journaliste, montre très bien que Camus en tant qu’intellectuel, fut engagé à fond dans l’histoire coloniale de son pays d’origine: Camus et l’Algérie, oui. Camus et le colonialisme. Il faudra traiter la question, en effet. [...] Il faudra reprendre les articles de 37. Relire cette Misère en Kabylie qui est, avec le Voyage au Congo d’André Gide, l’un des classiques de la tradition anticolonialiste. Il faudra dire qu’il a été le premier. Longtemps le premier.7 Pour Lévy, le Camus qui-ne-parle-pas-d’indépendance pour l’Algérie, n’entache donc nullement son estime pour le Camus dénonçant la misère qui règne dans la colonie et, plus tard, l’oppression dont fut victime la population autochtone. Bref, Camus fait figure ici d’écrivain anti-colonial qui fut en avance sur son temps. Cette appréciation paraît significative du gouffre qui sépare les chercheurs francophones et anglophones dans le domaine des études coloniales. Car, rappelonsle, deux ans après la parution de l’essai de Lévy, Edward Said publie Culture et impérialisme (1993; 2000 pour la traduction française), dans lequel l’œuvre de Camus occupe également une place importante. S’appuyant notamment sur la biographie de Conor Cruise O’Brien, Said campe l’auteur français, pied-noir d’origine, parmi les écrivains européens qui, représentant la position subordonnée du sujet colonisé comme inaltérable, ont contribué à consolider une vision impérialiste des rapports entre l’Occident et l’Orient: Camus joue un rôle particulièrement important dans les sinistres sursauts colonialistes qui accompagnent l’enfantement douloureux de la décolonisation française du XX e siècle. C’est une figure impérialiste très tardive: non seulement il a survécu à l’apogée de l’empire, mais il survit comme un auteur ‘universaliste’, qui plonge ses racines dans un colonialisme à présent oublié.8 A l’opposé de Lévy donc, et sans le savoir probablement, Said regarde Camus comme un auteur colonial, et qui plus est, comme un écrivain dont l’œuvre fait preuve d’un esprit colonialiste daté, car rattrapé par l’histoire. Comment expliquer cette différence d’opinion? Afin de mieux la cerner, comparons d’abord, bien que brièvement, l’approche respective des deux auteurs en 111 question. Lévy ne prend en considération que les écrits politiques de Camus et se montre surtout sensible à l’évolution de ses idées concernant l’Algérie. Il essaie donc de retracer le développement intellectuel de Camus à travers le temps, tout en soulignant son rôle d’intellectuel dans un contexte français. S’il considère Camus comme l’un des premiers anticolonialistes, c’est que son histoire des intellectuels ne comprend que des Français de souche, laissant de côté ceux qui, en Algérie par exemple, se sont opposés au régime colonial dès les années vingt, et même avant. Le travail de Said a le mérite de traiter aussi, et surtout, des romans et nouvelles de Camus, en insistant sur le rôle qu’y joue l’espace algérien et, bien qu’à moindre degré, le personnage de l’Algérien musulman. A l’encontre de Lévy, il aborde l’œuvre camusienne dans une perspective comparatiste en la rapprochant de textes voisins écrits dans d’autres langues européennes. En insistant sur le rôle primordial que joue la question de la représentation culturelle dans l’analyse littéraire d’aujourd’hui, Said range Camus parmi les héritiers d’une tradition coloniale selon laquelle les colonisés sont ‘subordonnés par essence.’ Il s’en suit que dans ses écrits Camus n’a fait que confirmer cet état des choses. Définie ainsi, son écriture est le prolongement d’une politique coloniale qui refuse l’égalité politique et civique aux musulmans d’Algérie. 9 On conclura donc que chez Lévy, c’est la présentation de la réalité coloniale, telle qu’on le trouve chez Camus journaliste, qui domine, tandis que Said s’intéresse surtout à la question de sa représentation dans les œuvres de fiction. Il n’y a pas de doute que l’analyse proposée par Said est plus complète, car plus ambitieuse, que celle de Lévy. Afin de déconstruire le choix fait par Camus de situer une partie de son œuvre littéraire en Algérie, il suggère de confronter celle-ci d’une part au roman colonial du début du siècle, et d’autre part à des textes écrits par des auteurs algériens dans les années qui ont suivi l’indépendance: Il faut donc comparer les assertions et présupposés de Camus sur l’histoire algérienne avec des histoires écrites par des Algériens après l’indépendance, afin d’appréhender pleinement la controverse entre le nationalisme algérien et le colonialisme français. Et il serait juste de rattacher son œuvre à deux phénomènes historiques: l’aventure coloniale française (puisqu’il la postule immuable) et la lutte acharnée contre l’indépendance de l’Algérie. Cette perspective algérienne pourrait bien ‘débloquer’ ce que l’œuvre de Camus dissimule, nie ou tient implicitement pour évident (256). Ce qui manque néanmoins à cette lecture ‘en contrepoint’ 10 telle que la propose Said, c’est d’abord la référence au contexte spécifique qui a nourri la pensée de Camus sur l’Algérie et qui par sa complexité, sa fluidité si l’on veut, ne se laisse pas réduire à l’antagonisme entre colonisateurs et colonisés. 11 Pour commencer, Said prend Camus pour un auteur qui représente la communauté des colons en Algérie, ce qui est en fait inexact. Comme il en témoigne son roman autobiographique inachevé Le premier homme (1994), le milieu franco-espagnol misérable dont Camus était issu et auquel il restera fidèle toute sa vie, oc- 112 cupait plutôt une place intermédiaire entre colons et indigènes. Cela ne signifie pas pourtant qu’il existe, dans le contexte colonial, une complicité entre les masses ouvrières arabe et européene - d’après Jean Amrouche, la ‘postulation d’une supériorité de nature’ fut plus forte chez les prolétaires européens d’Algérie que chez la classe dirigeante, en revanche 12 - mais il est également faux de considérer les Européens d’Algérie comme un bloc sans fissure. Ensuite, et cela me paraît plus important encore, dans sa jeunesse, Camus faisait partie d’un réseau d’auteurs algériens de différentes origines qui, s’opposant au conservatisme et au racisme de la société coloniale, rêvent d’un réveil de la culture méditerranéenne. Il ne s’agit certes pas de cette latinité prônée par l’extrême-droite au début du vingtième siècle, mais d’un projet qui vise un rapprochement des différentes communautés en Algérie, et au-delà, des populations du bassin méditerranéen. 13 Puis, grâce aux liens multiples qui le rattachèrent à la fois à l’intelligentsia parisienne et à ses amis d’Alger et d’Oran, Camus fait figure de médiateur, plutôt que de porte-parole des colons. Il compte parmi les intellectuels, qui, pour reprendre la formule d’Elleke Boehmer, peuvent être considérés comme de ‘ces êtres transitionnels se situant entre modernité et tradition, entre l’Europe et l’Autre colonisé.’ 14 Enfin, on doit supposer que chez Camus ce positionnement était lié aussi à ses origines modestes, d’où le sentiment d’occuper une place à part dans le milieu intellectuel parisien, qu’il considérait pourtant comme le sien. 15 Dans les Chroniques algériennes (1939-1958), on trouve à plusieurs reprises l’écho de l’idéal d’une coexistence de l’Orient et de l’Occident que Camus et ses amis avaient chéri pendant leur jeunesse algéroise. L’auteur y exprime son admiration devant les cultures arabe et berbère, plaide pour leur égalité devant la loi et évoque l’affinité qui l’unit à la population arabe. 16 Mais ce qu’il refuse de comprendre, à la différence de la plupart de ses camarades d’autrefois, c’est qu’au moment où l’Algérie bascule dans la guerre ouverte, l’idée de la Méditerranée comme ‘continent liquide fédérateur’, 17 n’a plus cours. Elle cédera la place, provisoirement du moins, au panarabisme, ce qui signifie que l’Algérie se détourne progressivement de la mer, ou de l’autre rive de la Méditerranée, pour diriger son regard vers l’Orient. Said a parfaitement raison lorsqu’il reproche à Camus journaliste son incompréhension devant le fait que vers 1957, le conflit colonial se fut envenimé à tel point que son concept de fraternité fut périmé. 18 Mais cela n’empêche que l’idée de la permanence des relations entre deux mondes antagonistes pourrait très bien constituer le point de départ d’une lecture des nouvelles algériennes de Camus. D’abord, parce que, nonobstant leur date de publication (1957), elles ont été conçues à une époque où il était encore possible de garder quelque espoir sur la possibilité d’un état algérien indépendant mais associé à la France. ‘La femme adultère’ date de 1952, tandis que ‘L’Hôte’, étant en projet depuis la même année, fut écrit en 1954. 19 Pour comparer, Jean Amrouche dans ‘Un Algérien s’adresse aux Français’, discours prononcé à Paris, le 27 janvier 1956, dit ceci: ‘Mais il existe encore quelque espoir de provoquer la fin de cette guerre par le dialogue, de 113 même qu’il faut comprendre les musulmans et leur faire justice, il importe de comprendre les Européens et leur faire justice.’ 20 Ensuite, vu que les nouvelles réunies dans L’Exil et le royaume appartiennent au genre fictionnel, leur fonction est quand-même différente, et leur effet moins direct si l’on veut, que celui des écrits journalistiques. L’interprétation que j’aimerais proposer ici, ne partira donc pas de la différence culturelle, mais aura son principe dans l’affirmation profonde de l’unité méditerranéenne. Les deux nouvelles en question, ‘La femme adultère’ et ‘L’Hôte’, ont été recueillies dans L’Exil et le royaume (1957). Leurs protagonistes respectifs, une femme, Janine, et un instituteur qui s’appelle Daru, sont tous les deux d’origine française mais nés en Algérie. Ce qui rend ces textes encore plus intéressants du point de vue qui est le nôtre ici, c’est qu’ils ont pour sujet la rencontre avec ‘l’autre’: Janine, visitant pour la première fois le Sud algérien en compagne d’un mari dont elle s’est aliénée, semble entièrement préoccupée par les inconnus arabes - un Arabe entrevu dans le bus, des hommes dans la rue, des nomades aperçus au loin - qui croisent son chemin; Daru, vivant en solitaire sur les hauts plateaux dans la même région, se voit contraint d’héberger pour la nuit un prisonnier arabe qu’il devra livrer aux autorités françaises le lendemain. Dans la scène finale de ‘La femme adultère’, Janine vit un moment de communion intense avec le paysage qui l’entoure. Edward Said, dans Culture et impérialisme, explique cette union intime de ‘l’étrangère’ avec la géographie comme un acte d’appropriation coloniale: ‘Son histoire personnelle de femme française vivant en Algérie n’a pas d’importance, car elle accède de façon immédiate et directe à cette terre et ce ciel particuliers’. 21 Pourtant, si l’on rapproche l’histoire de Janine de celle de Daru, dans laquelle le problème de communication entre Arabes et Français a été élaboré plus en détail, il se trouve que c’est le paysage, justement, ou plutôt le sentiment qu’il fait naître, qui y rend possible l’échange interculturel: ‘Dans ce désert, personne, ni lui ni son hôte n’étaient rien. Et pourtant, hors de ce désert, ni l’un ni l’autre, Daru le savait, n’auraient pu vivre vraiment.’ 22 D’après Camus, la géographie sert donc de ciment entre Arabes et Européens. Incapables de communiquer directement par la langue (ou, comme dans ‘La femme adultère’, d’assouvir leur désir sexuel pour ‘l’autre’), ils ne se retrouvent que dans leur amour commun pour cette terre qu’ils habitent, et qui, dans une acception plus large, signifie également l’univers méditerranéen. L’idée de lire les nouvelles algériennes à la lumière du concept d’unité culturelle présente plusieurs avantages. D’abord, elle nous permet de tenir compte de la spécificité du contexte historique et géographique de ces textes, tout en évitant de les réduire à la seule expression de la relation binaire entre colonisateurs et colonisés. Ensuite, et cela me paraît plus important encore, une telle approche rend justice à la tendance actuelle qui est de considérer la littérature algérienne d’expression française dans son unité, plutôt que de regarder la guerre d’indépendance comme une fracture, séparant les auteurs coloniaux des auteurs postcoloniaux. Sur ce point je me réfère à l’analyse tout à fait pertinente de cette évolution qui a été faite 114 par Christiane Chaulet Achour dans son article ‘Albert Camus, l’Algérien. Tensions citoyennes, fraternité littéraires.’ 23 En exemple de cette tendance relativement récente on pourrait citer Assia Djebar, qui dans son récit commémoratif, Le Blanc de l’Algérie (1995), convoque indistinctement parmi les morts de la ‘première espérance’: Albert Camus, Frantz Fanon, Mouloud Feraoun et Jean Amrouche. 24 Plus significatif encore est l’essai Camus à Oran (1995) où l’auteur, l’Oranais Abdelkader Djemaï, reconstitue le lien qui unissait Camus à sa ville natale. Bien que la ville d’Oran soit encore marquée au sceau de l’histoire de la lutte contre le colonialisme et de la décolonisation - ainsi, l’auteur nous apprend que la rue Elisée-Reclus où a vécu Camus, fut rebaptisée rue Ho Chi Minh - la littérature a le pouvoir de créer une continuité, là où la cartographie marque une rupture: Et j’imagine toujours et encore Camus écrivant, solitaire et discret, dans la chambre du fond dont la fenêtre donne sur la petite terrasse aux carreaux grenat, au-dessus des arcades, face à la mer „qu’il faut toujours aller chercher“.25 Acte de déou de réappropriation postcoloniale, ou geste d’une fraternité retrouvée par delà des vicissitudes de l’histoire? On conclura en premier lieu que pour ce qui est de la théorie postcoloniale, les universitaires français ont un retard incontestable sur la pratique universitaire anglo-saxonne. Compte tenu cependant de l’intérêt croissant que suscite actuellement le passé colonial dans le débat public français, il me semble que l’heure est propice de suivre l’exemple anglo-saxon, sans hésiter pourtant d’y apporter une note critique stipulant que les études postcoloniales devront être plus attentives aux particularités historiques et géographiques des œuvres en question. Car comme nous venons de voir, à l’époque où furent conçues les deux nouvelles de Camus, l’idée d’un état algérien réunissant dans son sein Algériens et Européens, n’était pas entièrement incongrue. Cela n’empêche que la communion quasi-mystique, car passant par la terre plutôt que par la langue ou la culture, préconisée par Camus, eût fourni une base trop fragile, sans doute, pour la future nation. En second lieu, on constatera que l’histoire littéraire a tendance à suivre un autre cours que l’histoire politique. Ainsi, il revient à la littérature algérienne d’expression française de faire le pont entre les deux continents que l’évolution de l’histoire a inéluctablement dû séparer. 1 Cf. Jean-Marc Moura, Littératures francophones et théorie postcoloniale, Paris, P.U.F., 1999; Jacqueline Bardolph, Etudes postcoloniales et littérature, Paris, Champion, 2002. 2 Je me réfère ici aux différentes propositions et contributions qui ont été faites à l’occasion du Séminaire International sur les Etudes Françaises, organisé par le ministère des Affaires Etrangères, qui a eu lieu à Paris, du 24 au 26 juin 2003. 3 En décembre 2006, la revue Esprit publia un dossier intitulé „pour comprendre la pensée postcoloniale.“ Mais il serait tout de même prématuré d’y voir le signe avant-coureur d’un changement paradigmatique. 115 4 Anti-féministe, car ses représentantes ont voulu se distinguer des courants féministes antérieurs, comme les suffragettes du début du siècle. S’inspirant des travaux de Lacan, elles travaillaient dans une perspective psychanalytique, centrée sur la différence sexuelle. 5 Voir à ce sujet sa contribution au numéro spécial, paru en 1981, de Yale French Studies sur le poststructuralisme français (Gayatri Chakravorty Spivak, ‘French feminism in an international frame’, Yale French Studies, „French Texts/ American Contexts“, no. 62, 1981). 6 Exception faite de quelques spécialistes, comme Jacqueline Lévi-Valensi, et l’Association „Rencontres Méditerranéennes Albert Camus“, qui fut fondée en 1983. Ces dernières années, en revanche, le nombre de publications consacrées à Camus et l’Algérie a augmenté de façon considérable. En témoignent, entre autres, les ouvrages de Christiane Chaulet Achour, José Lenzini, Daniel Rondeau, Frédéric Musso, et les actes du colloque „Albert Camus et les lettres algériennes: l’espace de l’inter discours“, publiés par Afifa Behreri (Université d’Alger, 2007). 7 Bernard-Henri Lévy, Les Aventures de la liberté. Une histoire subjective des intellectuels, Paris, Grasset, 1991, 293-294. 8 Edward W. Said, Culture et impérialisme (1993, traduit par Paul Chemla), Paris, Fayard, Le Monde diplomatique, 2000, 252. 9 Cf. Culture et impérialisme, op. cit., 136. 10 C’est ainsi que Said appelle la pratique interprétative prenant en compte à la fois le discours métropolitain dominant et celui des dominés, le non-dit, qui se trouve en quelque sorte dissimulé dans le texte. 11 Ceci est mis en avant aussi par Jean-Marc Moura pour qui, „la distinction colonial/ autoch tone n’est pas toujours évidente [...] on peut rappeler que pour le continent africain, d’Albert Camus à Karen Blixen [...] des écrivains blancs peuvent à l’évidence nourrir des relations extrêmement diverses, par leur nature et par leur force, avec l’Afrique.“ (Moura, op. cit., 51). 12 Cf. Jean Amrouche, „Un Algérien s’adresse aux Français“, dans Un Algérien s’adresse aux Français ou l’histoire d’Algérie par les textes (1943-1961, édition établie par Tassadit Yacine), Paris, Awal/ l’Harmattan, 1994, 34. Souligné dans le texte. 13 Cf. Emile Temime, Un rêve méditerranéen. Des Saint-Simoniens aux années trente, Arles, Actes Sud, 2002, 136-149. Parmi ces jeunes, il y avait, à part Camus, Jean Amrouche, Armand Guibert et Gabriel Audisio. 14 Elleke Boehmer, Empire, the National, and the Postcolonial (1890-1920), Oxford, Oxford University Press, 2002, 4. Traduit par l’auteur. 15 Je me suis basée ici sur les remarques de Boehmer sur Leonard Woolf, par rapport à l’anticolonialisme de celui-ci et sa position relative d’outsider, en tant que Juif, auprès des intellectuels de Bloomsbury. Cf. Boehmer, op. cit., 182. 16 Albert Camus, Chroniques algériennes (1939-1958), Paris, Folio, 2002. Voir, par exemple, la fin de ‘Misère de la Kabylie’ (1939) et ‘Lettre à un militant algérien’ (1955). 17 Jeannine Hayat, Jules Roy, ombre et présence d’Albert Camus, Paris/ Caen, lettres modernes Minard, 2000, 116. 18 Cf. ‘Algérie 1958’, Chroniques algériennes, op. cit., 199-207, et Said, op. cit., 216-217. 19 Informations fournies par Roger Quilliot dans Albert Camus, Théâtre, récits, nouvelles, Bibliothèque de la Pléiade, 1962, 2037-2082. 20 Jean Amrouche, op. cit., 34. 21 Culture and Imperialism, op. cit., 213-215. Traduit par l’auteur. 22 Albert Camus, „L’Hôte“, L’Exil et le royaume (1957), Gallimard Folio, 2001, 91. 116 23 Christiane Chaulet Achour, „Albert Camus. L’Algérien. Tensions citoyennes, fraternités littéraires“, in : Albert Camus et les écritures algériennes. Quelles traces? , Edisud, 2004, 13-35. 24 Cf. Assia Djebar, Le Blanc de l’Algérie, Paris, Albin Michel, 1995, 122. 25 Abdelkader Djemaï, Camus à Oran, Paris, Michalon, 1995, 109. Resümee: Ieme van der Poel, Das Interkulturelle bei Albert Camus: ein fruchtloses Unterfangen? Bis vor kurzem zeigte sich die französische universitäre Kritik dem postkolonialen Gedanken gegenüber eher zurückhaltend, der seit nun fast 30 Jahren die angelsächsische Universitätswelt erobert hatte. Diese abweichende Auffassung wird ideal von der Rezeptionsgeschichte des Werks von Albert Camus illustriert. Lange wurde er als franko-französischer Schriftsteller betrachtet, und es ist dem amerikanischem Wissenschaftler Edward Said zu verdanken, der ihn nicht nur als kolonialen Autor charakterisiert, sondern auch als jemanden, der mit seinen Fiktionen dazu beigetragen hat, ‘die imperialistische Vision der Beziehungen zwischen Okzident und Orient zu konsolidieren’ . Obwohl Saids Analyse relativ gut fundiert erscheint, stellt sie sich dennoch als zu manichäistisch heraus. Anstatt von der Opposition zwischen Kolonisatoren und Kolonisierten auszugehen, versuchen wir, Camus’ algerische Novellen im Lichte des Konzepts einer kulturellen Einheit zu interpretieren. Dieses führt uns dazu festzustellen, dass es die Aufgabe der algerischen Literatur französischer Sprache ist, eine Brücke zu schlagen zwischen den beiden Kontinenten Europa und Afrika, die die historische Entwicklung schicksalhaft getrennt hat.