eJournals lendemains 34/134-135

lendemains
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Narr Verlag Tübingen
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2009
34134-135

Frissons d’automne

2009
Yves Bonnefoy
ldm34134-1350072
72 Cahier d’inédits Yves Bonnefoy Frissons d’automne Où va-t-on placer cette glace? Ah, nulle part! Qu’elle reste sur cette table, ne reflétant que le ciel, et pour personne. Le ciel? Pas seulement le ciel, aussi un coin de la voûte, avec sa grosse moulure d’un autre siècle. Dehors, par une fenêtre que nous avions creusée, le jardin, ce qui aurait été le jardin. Et à la nuit, si nous passons auprès de la glace, nous y verrons une vague lueur d’étoiles. Et cette chromolithographie, où la mettre? Nous l’avions achetée non sans quelque perplexité à ce vide-grenier d’un village proche. Qu’on la voit mal sous les ternissures du verre! Mais si! Ne comprends-tu pas? C’est un lac devant des montagnes, une barque. Et à bord sont deux jeunes femmes en robes roses, avec de grands chapeaux, des voilettes, et dans leurs mains des bouquets de fleurs. L’eau est claire mais la nuit tombe. Et une autre barque vogue plus loin, avec des musiciens, un chanteur. Quelle voix! Ces voilettes, je m’en souviens, on en portait encore quand j’étais enfant, pour faire chic! Souvent voilettes de deuil, gaze noire. La porte bat dans le couloir depuis un moment, sais-tu pourquoi? Je ne sais pas. Et ces pas qu’on entend dans le grenier? C’est l’oiseau de chaque soir. Voici l’heure où il se réveille. Je vais monter. Je le verrai prendre son vol pour la nuit par la fenêtre qui est ouverte. Ne t’en va pas! Ne crains rien! Ecoute plutôt comme il chante fort, ce jeune être là-bas sur l’eau. C’est dommage, il y a maintenant de la brume. Il pousse sa barque vers l’autre barque mais on ne voit de lui qu’une tache rouge qui se perd dans l’ombre de la montagne. On dit qu’on fait des feux sur des barques, dans ces pays de montagne. Que ces barques-là dérivent à travers le lac, tard dans la nuit. Allons voir, regardons loin devant nous puisque notre maison n’existe pas. (inédit) Yves Bonnefoy a publié en 2001, Les Planches courbes (Mercure de France), et en 2008, La Longue Chaîne de l’ancre (Mercure de France). Ses derniers essais sont: La Poésie à voix haute (Ligne d’ombre, 2007), Ce qui alarma Paul Celan (Galilée, 2007), L’Alliance de la poésie et de la musique (Galilée, 2007), L’amitié et la réflexion (Université François Rabelais, 2007), Raymond Mason, la liberté de l’esprit (Galilée, 2007), Le Grand Espace (Galilée, 2008), Notre Besoin de Rimbaud (Seuil, 2009).