eJournals lendemains 37/145

lendemains
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
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2012
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Les paysages insaisissables de la fiction policière, miroirs d’une société en quête de repères. Marcus Malte, Fred Vargas, Pascal Garnier, Maurice Dantec et Tanguy Viel

2012
Mereyem Belkaid
ldm371450074
74 Dossier Mereyem Belkaid Les paysages insaisissables de la fiction policière, miroirs d’une société en quête de repères. Marcus Malte, Fred Vargas, Pascal Garnier, Maurice Dantec et Tanguy Viel Une tendance spécifique du roman policier français, apparue à la fin des années 1960 et que l’on regroupe souvent sous l’appellation tout aussi vague que commode de „polars“, 1 se définit avant tout comme un ensemble de romans urbains dans lesquels s’expriment un réalisme critique à la fois psychologique et social et un sens historique fort. 2 Ces romans ont souvent été considérés comme un instrument hors pair d’analyse des mécanismes sociaux, prenant en compte et rendant compte de manière souvent critique de certaines réalités proprement liées à l’urbanisation: consumérisme à outrance, marginalisations socio-économiques, vie des cités de banlieues, disparition de la classe ouvrière, accession à l’âge adulte d’une immigration dite de deuxième génération, crises identitaires, nouvelles formes de sociabilités urbaines. Qu’en est-il de la fiction policière contemporaine, et de la manière dont elle met en récit les réalités nouvelles de ce que nous pouvons résumer sous le terme général de „mondialisation“? On entend cette dernière comme un changement radical d’échelle et de référence, dans tous les domaines de la vie sociale, politique et culturelle. Le terme renvoie ainsi à une réalité comprise comme une modernité extrême liée aux changements d’échelle, à l’émergence des non-lieux et à l’abolissement de la distance entre les grandes métropoles grâce aux moyens de transports rapides et aux nouvelles techniques de communication. Si beaucoup de romans contemporains choisissent d’évoquer de manière réaliste les „symptômes“ de la mondialisation par l’évocation de non-lieux 3 et d’une société de l’abondance et de la saturation, les fictions policières que nous nous proposons d’étudier ici empruntent une voie sensiblement différente. On sait aujourd’hui combien a été rendue suspecte la notion de réalisme et la veine réaliste critique du „néopolar“ a elle-même été nuancée. 4 Il semblerait par ailleurs qu’une nouvelle génération d’auteurs dont font partie Marcus Malte, Fred Vargas, Tanguy Viel et Pascal Garnier, a pris acte de la difficulté de décrire la réalité de manière fidèle en vue de la dénoncer. On notera ainsi une volonté de rompre de manière explicite avec tout réalisme critique, psychologique et social. Les auteurs cités mettent en effet en récit des intrigues de moins en moins ancrées dans des réalités sociales concrètes dont elle nous expliciterait les rouages. 5 Nous nous proposons dans cet article de montrer que les intrigues sont de surcroît de moins en moins situées dans un monde sensible identifiable et tangible. C’est bien 75 Dossier là une technique particulière et un procédé d’écriture novateur de mise en fiction et de description de notre univers contemporain. Jusqu’à quelle mesure pouvonsnous lier cet effacement du monde sensible et surtout de ses paysages, aux évolutions qui ont touché la société contemporaine? Notre hypothèse est que les paysages, les lieux, les villes surtout, connaissent à la fois un effacement et une dématérialisation qui obligent à une interprétation symbolique des endroits évoqués. La manière dont ils sont décrits reste selon nous un moyen de rendre compte de certaines évolutions récentes tant dans le domaine économique, idéologique, social que politique. Cet effacement est dans tous les cas hyperbolique, se fondant davantage sur une modalité fictive plutôt que réaliste de la représentation. S’il vise dans un premier niveau de lecture à dénoncer l’uniformisation de notre univers, comme conséquence néfaste et regrettable de la mondialisation, il permet par ailleurs de figurer le destin des individus dans une époque qui leur offre peu de repères. Surtout, cette modalité particulière de mise en récit des lieux constitue, de manière inédite, le miroir exact de l’époque contemporaine: il n’est plus temps pour la littérature policière de dénoncer uniquement les excès et les effets de saturations visuelles et sonores dues à la société de consommation, il n’est plus possible de se contenter de critiquer l’uniformisation due à la mondialisation, certains fictions policières contemporaines semblent en réalité s’assigner la responsabilité de rendre davantage compte de l’ère du vide 6 que nous semblons vivre aujourd’hui. On aura donc compris que dans la perspective de cet article, étudier un paysage représenté consistera à mettre au jour une forme de pensée ou de perception „subjective“ et plus généralement une expression humaine informée par des codes culturels déterminés. 7 La notion de paysage sera donc envisagée de façon élargie comme représentation culturelle collective et/ ou individuelle, sans en diminuer pour autant la portée esthétique. Nous évoquerons dans cet article notamment le roman de Marcus Malte intitulé La Part des chiens, dans lequel deux hommes sur la route, Zodiak et Roman, cherchent Sonia, épouse du premier et sœur du second, disparue sans laisser de traces. Cette quête les mènera dans les dédales d’une ville cauchemar. Fred Vargas conduit son enquêteur fétiche, Jean-Baptiste Adamsberg, au Canada dans Sous les vents de Neptune, tandis que dans La Sirène rouge de Maurice Dantec, Alice, fillette de douze ans, vit à Amsterdam avec sa mère et son beau-père. Elle doit fuir après avoir découvert un crime, aidée par Hugo, rencontré par hasard. Une folle course-poursuite s’engage ensuite à travers l’Europe, d’Amsterdam à Porto. Pascal Garnier, et Tanguy Viel, pour leur part, aiment à placer leurs personnages dans des lieux clos et isolés. Une résidence pour personnes âgées dans Lune captive dans un œil mort de Garnier, une île ou une clinique dans Le Black Note de Viel. 8 En mouvement ou immobiles les personnages ne semblent en réalité nulle part, ailleurs, et surtout à dériva. Nous montrerons en effet d’abord combien le mouvement et les déplacements induisent une indétermination des paysages, puis comment les lieux clos renvoient pour leur part à l’idée d’un monde sans horizon, ces modalités de description n’étant contradictoires qu’en apparence car 76 Dossier toutes deux renvoient à un monde sans assises spatiales et par conséquent sans avenir et sans repères ni idéologiques ni religieux. A/ Déplacements et indétermination des paysages. 1- Déplacements et impossibilité de la description. Nombreuses sont les fictions policières qui demeurent construites autour d’une esthétique du déplacement en ville ou de ville en ville. Souvent, l’intrigue dépasse le territoire français et s’étend à d’autres pays d’Europe, d’Amérique ou d’Asie. 9 De ce fait, la pratique transitoire freine les tentations voire même les possibilités pratiques d’une description des lieux et des paysages. Il est en effet nécessaire de prendre en considération l’interaction entre l’histoire des formes de la sensibilité paysagère et celle des types de dispositifs techniques comme l’automobile, l’avion ou la moto que les sociétés modernes ont interposés entre elles et le monde. 10 Dans plusieurs romans policiers contemporains, les personnages se déplacent sur un territoire qui peut se limiter à une ville, comme c’est le cas dans La Part des chiens de Marcus Malte, ou s’étendre à un territoire plus vaste: l’Europe dans La Sirène Rouge de Maurice G. Dantec ou le Canada dans Sous les vents de Neptune de Fred Vargas. Une cartographie du roman policier contemporain montrerait en effet combien le déplacement est l’une de ses caractéristiques fortes. 11 Le mouvement est donc progressivement devenu un des topos obligé du récit policier dont le héros est un arpenteur du labyrinthe de la ville 12 - c’est le cas par exemple du personnage de Zodiak dans La Part des Chiens - mais le héros peut également être amené à quitter la ville et à étendre son champ d’investigation. 13 Selon la formule célèbre que nous empruntons à Raymond Chandler, un certain type de littérature policière a apporté une innovation majeure par rapport au roman d’énigme classique, car elle a jeté le roman policier dans la rue. 14 Une manière de dire que le roman policier s’est progressivement affranchi de l’enfermement spatial et narratif du roman à énigme des origines pour narrer, en insistant cette fois sur leur caractère horrible, des faits plus ancrés dans la réalité. Car c’est bien la rue et les déplacements qu’elle induit que l’on peut considérer comme le chronotope du roman d’enquête ou peut-être devrions-nous préciser du roman noir. 15 Mais ce déplacement n’est pas une exploration d’inspiration géographique, il n’est pas non plus un vagabondage foncièrement optimiste fait d’ardeur exploratrice, ni l’exploration quasi sociologisante de lieux urbains ou l’occasion d’une description et d’une célébration d’une ville particulière à la manière de Jean-Claude Izzo et sa peinture de Marseille. Ce sont les circonstances de l’enquête et de la quête des personnages qui induisent ces mouvements, puisqu’à l’investigation se mêle le destin individuel des protagonistes. C’est le destin qui prime, le voyage psychologique et la quête des personnages qui dominent le récit davantage que la propension des personnages à s’arrêter devant un lieu pour l’admirer et le décrire. 77 Dossier L’enquête revêt ainsi d’emblée un caractère personnel et vital. Dès les premières pages de La Part des Chiens on peut ainsi lire à propos de Zodiak: „Il avait beaucoup voyagé. Pas seulement depuis le début de la quête. Il était sur les routes depuis toujours“, 16 plaçant d’emblée le personnage sous le signe du voyage et ses recherches sous le signe de la quête davantage que de l’enquête policière à proprement parler et donnant au récit un caractère heuristique plus marqué encore que dans le cadre du récit policier classique. C’est d’autant plus vrai que Marcus Malte a crée un personnage prétendument doté du pouvoir de lire l’avenir, de consulter les astres et d’interpréter des signes de toutes sortes. Comme dans nombre de fictions policières contemporaines, la quête ne trouvera jamais son objet et le destin de Zodiak sera de chercher indéfiniment Sonia, comme une mise en récit hyperbolique et extrême du chronotope de la route déjà évoqué. 17 Les protagonistes ont donc une relation fortuite aux lieux. Ils sont commandés par des facteurs extérieurs aux lieux mêmes. Les personnages se contentent de les traverser sans fixer réellement sur eux ni leur attention, ni leur regard, tant ils sont obnubilés par leur quête. La description des lieux et des paysages est donc modelée par la motivation profonde des protagonistes, par la durée de la vision et la nature du déplacement. Et il est à cet égard éclairant de constater que tout déplacement, qu’il soit lent ou rapide, en voiture ou en train, ne prend en considération le cadre et le décor que de manière évasive voire impressionniste. Alors que La part des chiens est construit nous l’avons dit sur un déplacement lent puisque les protagonistes circulent en ville à pied, La Sirène rouge de Maurice G. Dantec met en scène pour sa part une course poursuite vertigineuse, à la manière d’un „road movie“ au rythme haletant. 18 Dans ce roman, Alice, fillette de douze ans, vit à Amsterdam avec sa mère et son beau-père. Elle découvre que ces derniers commettent des crimes et qu’ils filment leurs forfaits. Alice vole une cassette et s’enfuit. Sa mère lance à sa poursuite une bande de tueurs. La fillette trouve un appui inespéré en Hugo, rencontré par hasard et qui va l’aider dans sa fuite. La vitesse caractérise l’ensemble des déplacements des protagonistes. Les lieux ne sont pas nommés lorsque Alice, poursuivie par des tueurs court dans les rues. Dès qu’elle ralentit son regard peut reconnaître le quartier d’Amsterdam dans lequel elle se trouve: „Au bout d’un moment Alice réalisa qu’elle courait en ligne droite depuis deux ou trois cents mètres et qu’il convenait de quitter cette rue au plus vite. Elle s’engagea dans une petite allée sur sa droite et aperçut les lumières roses si particulières du quartier chaud à quelques maisons de là. Elle ralentit sa course et se mit à marcher, à bonnes foulées. Elle se dirigea d’instinct vers le labyrinthe des rues tortueuses.“ 19 Et lorsque Hugo accepte de la transporter en voiture jusqu’au Portugal, la vitesse se fait de plus en plus vertigineuse et empêche toute prise sur les lieux: „Elle se coucha sur un côté et contempla le paysage mécanique de l’autoroute défiler par la portière. Alice vit le paysage de lampadaires, de rambardes et de pelouses accélérer, de manière croissante, et finalement vertigi- 78 Dossier neuse. Elle préférait être couchée, tout compte fait. Elle aurait détesté voir quel chiffre pointait l’aiguille de l’indicateur de vitesse.“ 20 Alors même que le paysage implique un contemplateur capable de prendre du recul, l’impossibilité d’un déplacement lent réduit à néant toute prise en compte des lieux. Il n’est pas rare d’ailleurs que les protagonistes ignorent où ils se trouvent exactement pendant leur course: „Il avait quitté l’Allemagne sans même s’en rendre compte. Bienvenue en Europe, pensa-t-il. Welcome to Autobahn 21 City, rectifia-t-il aussitôt.“ 22 On pourrait croire ainsi que c’est la rapidité du déplacement qui efface les lieux et permet de souligner l’uniformité des paysages, mais en réalité cet effacement est bien trop hyperbolique pour être le résultat d’une modalité réaliste de la représentation. La vitesse n’est qu’un prétexte à la mise en récit d’un monde insaisissable. C’est d’autant plus vrai qu’un mode de déplacement radicalement différent en arrive lui aussi à réduire la consistance des lieux traversés. La dérive. 23 empêche elles aussi toute inscription durable dans les lieux. Pour revenir au roman de Marcus Malte, les deux personnages évoqués plus haut déambulent dans une ville qui n’est jamais explicitement nommée et dont la toponymie n’est jamais dévoilée: „L’avenue descendait en pente douce jusqu’à ce qui semblait être un grand boulevard, une de ces artères incontournables dont chaque habitant connaît le nom.“ 24 Cette absence de nom rend les lieux insaisissables et identiques à beaucoup d’autres: „Partout les villes se ressemblaient. Partout les mêmes règles, les mêmes codes, les mêmes subtiles frontières.“ 25 Certes quelques indices apparaissent tout au long du récit de Malte: nous sommes dans une ville portuaire, probablement du sud de la France, 26 mais l’auteur prend bien soin de maintenir l’indétermination. Il existe donc au-delà de techniques narratives différentes voire radicalement opposées, au delà d’un déplacement lent ou rapide des protagonistes une volonté dans certaines fictions policières d’uniformisation des lieux. Tout est décrit comme s’il était impossible de prise en compte véritablement les paysages qui entourent les personnages. Malte et Dantec signalent de ce fait l’incapacité dans laquelle se trouvent les protagonistes de manière particulière et l’individu contemporain de manière générale à se situer dans un lieu précis, potentiellement source d’identité et de stabilité. L’impossibilité de décrire et de saisir les paysages renvoie d’une certaine manière à l’impossibilité d’être. 2- Mondialisation des récits? Les romans policiers contemporains n’échappent donc pas aux déplacements. Pour ceux qui ont fait de la rue ou de la route leur chronotope de prédilection à la manière des premiers romans noirs américains, l’innovation se situe le plus souvent au niveau de la variété des destinations, passant si l’on peut dire de la rue au monde, parcourant des distances de plus en plus longues. Les vols long-courriers apparaissent donc dans de nombreux romans, supplantant la voiture et le train, modes de déplacement plus habituels du roman policier traditionnel. 79 Dossier Mais les effets d’exotisme ou de pittoresque que pourrait produire ce type de récit, sont constamment nuancés et contrebalancés par un personnage qui pour sa part vit le voyage sous le mode de l’angoisse et de l’indifférence mêlées. Ainsi dans le roman intitulé Sous les vents de Neptune, une partie de l’équipe du commissaire Adamsberg est envoyée pour un stage ADN au Québec. Tandis que le héros se réjouit à la perspective de ce voyage: „A huit jours du départ, les pensées d’Adamsberg avaient déjà décollé vers les forêts du Canada, immenses lui disaiton, trouées de millions de lacs“, 27 son adjoint et double négatif Danglard, rappelle en maugréant qu’il s’agit en réalité de fixer des écrans d’ordinateur et en aucun cas les surfaces des lacs. Il est le seul qui semble conscient que le voyage ne sera pas une exploration joyeuse, contrebalançant l’attitude d’Adamsberg qui pour sa part est en constant décalage avec le monde qui l’entoure: à Paris ou ailleurs il ne prend des lieux que ce qu’il aime et souhaite voi.r 28 La suite du récit donnera raison à Danglard. Préoccupé par une affaire criminelle non résolue et dans laquelle son frère est impliqué, 29 Adamsberg ne réussira pas à communier avec la nature, malgré son goût pour la marche et l’exploration vagabonde. Il refuse catégoriquement de passer son séjour devant un ordinateur, comme l’y obligerait le stage: „A sept heure du matin, il était déjà sorti, aimanté par le fleuve. Non, la rivière, l’immense rivière des Indiens Outaouais. Il parcourut la piste jusqu’à l’entrée d’un chemin sauvage. Sentier de portage, lut-il sur un panneau, emprunté par Samuel de Champlain en 1613“, il manifeste le bonheur de parcourir la piste des anciens, mais celle-ci n’est pas facile à suivre et le chemin est cahoteux. 30 Le passé hante Adamsberg et l’affaire en cours l’empêche de contempler les paysages: „il avait projeté de s’attarder longtemps en forêt mais le Lac Pink lui fit rebrousser chemin. Partout, il se cognait dans le juge mort, partout il touchait les eaux inquiétantes de Neptune et les traces de son maudit trident.“ 31 Tandis que la nature lui a jusque là toujours réussi, 32 celle-ci va être le cadre d’un incident calamiteux pour le commissaire. Il va en effet en traversant le sentier qu’il affectionne tant, perdre connaissance et être accusé d’un meurtre. Il ne saura luimême s’il l’a commis suite à une amnésie qui l’empêche de rassembler ses souvenirs. Cet épisode constitue une illustration parmi d’autres que les destinations lointaines sont rarement source d’un dépaysement heureux et les paysages décrits se limitent à quelques contours entr’aperçus qu’effacent très vite les événements et la nécessité d’agir. Une toponymie des plus flous et une topographie bien imprécise accentuent ainsi selon nous, tant chez Malte, Dantec que Vargas l’effet d’isolement des personnages. Un des procédés récurrent d’écriture dans certaines fictions policières contemporaines reste en effet l’absence d’ancrage géographique claire: de nombreux lieux ne sont pas explicitement nommés bien que tout un faisceau de signes et d’indications permet au lecteur de se situer. Il est rare par exemple que le pays fasse de doute. L’action de La Part des chiens se déroule bel et bien en France, vraisemblablement dans le sud nous l’avons évoqué précédemment et il semble tout aussi plausible d’affirmer que nombre de romans de Tanguy Viel se déroulent 80 Dossier dans le nord de la France, mais les auteurs se refusent à toute autre précision onomastique. Il n’est pas jusqu’au dernier roman de Fred Vargas dont le titre Un lieu incertain 33 résume à lui seul l’indétermination spatiale de la fiction policière contemporaine. S’il agissait d’établir une psychogéographie 34 des romans policiers évoqués dans cet article, l’expérience des lieux ne pouvant être que passagère, ou le plus souvent source d’égarement, aucun endroit ne parvient à s’ériger en source potentielle d’identité. La dématérialisation métaphorique des paysages est pour ainsi dire l’expression de l’égarement identitaire des personnages. Seuls lieux décrits avec précision sont ceux qui appartiennent à un passé heureux et à bien des égards idéalisé. Dans La Part des chiens, c’est l’Italie qui tient lieu d’endroit idyllique. 35 C’est le pays dans lequel Zodiak et Sonia connaissent les premières années de leur amour. Notons que pour la première fois dans le roman la toponymie se fait plus précise: „L’Italie, bien sûr. Encore l’Italie. Quelque part dans la plaine entre Napoli et Mercato San Severino.“ 36 Et lorsque sont évoqués des épisodes de cette vie passée la description se fait plus détaillée: „Il était couché sur le dos dans l’herbe haute au pied d’un cerisier. Le tronc de l’arbre était de couleur cendre avec des coulées de résine, des verrues lisses et transparentes et ambrées pareilles à du miel durci. Les fruits avaient été cueillis, quelques-uns oubliés de-ci de-là sur les branches ou tombés à terre (…) C’était une sorte de petit plateau surélevé où les arbres étaient disposés en rangs parfaitement rectilignes. Tout autour, des champs de vignes séparés par des haies de buissons épineux.“ 37 Loin de ces lieux inaccessibles car appartenant à un passé révolu, le présent des personnages est fait de flottement spatial. Les personnages sont semblables à d’éternels exilés, à la recherche d’un paradis perdu ou à venir, évoquant des paysages proches de l’utopie pour compenser le vide qui les entoure. A cet égard Marcus Malte n’hésite pas à mettre en parallèle la situation de ses protagonistes à celle d’immigrés croisés par Zodiak en ville: „Des Maghrébins sans âge étaient assis sur un petit muret face aux bateaux. Ils se retrouvaient là dès le matin, désœuvrés aussi, discutant parfois à voix basse ou se taisant et tournant leurs regards et leurs pensées vers le large, vers d’autres temps, vers d’autres lieux, avec la terrible certitude qu’ils n’appartenaient qu’à eux et qu’ils étaient perdus à jamais.“ 38 Tous, personnages secondaires ainsi que principaux du roman semblent devenir au fur et à mesure du récit des silhouettes imperceptibles, dans un monde tout aussi impalpable. Les lieux que traversent réellement les personnages sont donc touchés par une sorte d’indistinction qui aboutit à une indétermination des paysages. De ce fait les lieux métaphorisent à la fois le flottement des personnages et leur indétermination identitaire. On pourrait ainsi croire de ce fait que les romans d’inspiration sédentaire, qui choisissent de situer leurs intrigues dans des lieux clos et circonscrits offrent des descriptions plus réalistes ou du moins plus précises des lieux cadres de l’action. Nous allons voir en réalité que par des modalités différentes de description, ces récits suscitent les mêmes impressions d’indétermination. 81 Dossier B/ Sédentarité: des paysages sans avenir. Le choix d’un chronotope circonscrit et clos, alors même que l’on pourrait penser que qu’il permet d’insister sur un lieu et de le dépeindre avec précision, va dans le sens d’une volonté d’effacement et de peinture impressionniste du monde sensible. L’unité de lieu dans la dramaturgie classique se définit de manière stricte comme la représentation d’un lieu non seulement unique, mais réel et déterminé avec précision, non composite ou vague avec la nécessité de fixer l’action dans ce lieu sans aucune invraisemblance. 39 Si l’on s’en tient à cette définition les romans d’énigme traditionnels respectent davantage une stricte unité de lieu en plaçant l’action dans un manoir, voire dans une chambre close. Certains de nos auteurs contemporains n’en optent pas moins pour divers lieux situés dans l’enceinte d’une même ville ou dans les environs immédiats, ou encore diverses localités d’une région naturelle de petite dimension, respectant une unité de lieu entendue en un sens large. Pascal Garnier et Tanguy Viel font en effet délibérément le choix de situer plusieurs de leurs intrigues dans un lieu circonscrit, petite ville de province, 40 demeure située dans une île 41 ou fermée au monde extérieur, clinique 42 ou résidence surveillée, 43 autant de déclinaisons possibles d’un choix géographique récurrent du côté de l’unité de lieu. Nous montrerons que cette dernière n’empêche pas un effet d’indétermination et renvoie aussi à une société anomique tant les lieux métaphorisent cette fois un rapport particulier au temps. 1- Lieu clos: de l’enfermement à la folie. Les fictions policières multiplient les lieux clos dans lesquels les personnages vivent en reclus. Pascal Garnier, place ses personnages dans le roman intitulé Lune captive dans un œil mort dans une résidence pour personnes âgées qu’un prospectus décrit comme: „une résidence clôturée et sécurisée“. Cet enfermement spatial renvoie à un enfermement temporel qui inscrit en réalité les personnages dans une a-temporalité que l’auteur rapproche d’une forme d’éternité: „oui c’était comme de vivre en vacances, à la différence près que les vacances avaient une fin alors qu’ici il n’y en avait pas. C’était un peu comme s’ils s’étaient payé l’éternité, ils n’avaient plus d’avenir. Preuve qu’on pouvait s’en passer.“ 44 Mais force sera de constater que l’absence d’avenir pèse sur les habitants de la résidence, cette impression d’éternité n’a rien d’apaisant et nous comprenons en réalité dès le départ que le choix du nom de la résidence: „les conviviales“ s’est fait par antiphrase ironique puisque l’ensemble des personnages va progressivement sombrer dans une forme de folie destructrice, créant une atmosphère oppressante et exacerbant les tensions entre les protagonistes. 45 Point de description dans ces romans, les personnages s’isolent, mais ce n’est pas source de paix, d’apaisement ou occasion de ressourcement. Cela figure au contraire une incapacité à s’inscrire dans le temps, dans la vie sociale et provoque des dommages importants et parfois irréversibles sur la santé mentale des personnages, les poussant à l’irréparable et au crime. 46 Igor Pécou personnage malveil- 82 Dossier lant de La Part des chiens qui manipule Zodiak et Roman pour assouvir sa soif de vengeance, vit lui aussi en reclus dans un cinéma désaffecté. Zodiak et Roman eux-mêmes malgré leur vie d’errance ont une prédilection pour les lieux protégés comme les criques, symboles à la fois de leur isolement et de leur marginalité. Il en va de mêmes des protagonistes de Tanguy Viel, qui prennent la décision délibérée de s’isoler dans une maison qu’ils baptiseront le Black Note en prétendant s’adonner à leur passion du jazz. C’est bien cet isolement et cette cohabitation qui va porter à leur paroxysme les rivalités entre les personnages et les mener à l’irréparable: l’assassinat de Paul, l’un d’entre eux. Cet enfermement symbolise selon nous la situation mentale des protagonistes. Leur isolement les mène très rapidement à la folie ou du moins à la perte d’une identité stable. Il n’est pas anodin par exemple que les personnages du Black Note finissent par renoncer à s’appeler par leurs véritables prénoms et prennent ceux des musiciens de jazz qu’ils admirent et souhaitent égaler. Paul - qui finira par être assassiné par ses amis - sera dénommé John pour John Coltrane; Georges rebaptisé Charlie, pour Charlie Mingus et Christian dénommé Elvin, pour Elvin Jones. 47 Dans le récit parcellaire et confus du narrateur ces présentations ne sont pas très claires et empêche le lecteur d’avoir une véritable connaissance des personnages, de leurs noms et de leurs surnoms, ce qui renvoie selon nous à nouveau au flottement identitaire des personnages. Car ce jeu sur les noms n’a rien d’innocent, il renvoie à une perte d’identité et à une perte complète de repères, provoquées à la fois par l’isolement et l’enfermement. Tout se passe dans ce roman comme si cette demeure supposée être un tremplin vers la réussite, est en réalité la dernière destination des personnages qui en se coupant du monde et des autres vont perdre tout sens de la réalité. Le narrateur pressent le danger car s’il est heureux que les quatre amis se retrouvent tous les soirs pour jouer, il craint plus que tout la cohabitation: „Pas qu’on habite ensemble, et qu’on se marche dessus jusqu’à ne plus se voir. Pas qu’on habite ensemble sur une île si petite, avec tant de moribonds autour, tant de fatigue de vivre qu’il y avait sur leurs visages à tous, les habitants de cette île.“ 48 Ces différentes situations d’enfermement sont à la fois volontaires et subies et semblent le résultat d’un choix et l’ultime recours de personnages en perdition, incapables de s’inscrire ni dans l’espace, ni au sein d’une communauté ni dans le temps. Il apparaît ainsi dans certains récits que l’enfermement est d’une certaine manière lié à un rejet des personnages par la société et qu’il ne se présente comme un choix volontaire que pour en atténuer la violence symbolique. 2- Paysages en ruines. A côté des paysages indéterminés et des lieux clos, apparaissent souvent dans les fictions policières des paysages en déréliction qui pour leur part renvoient par nature à un passé révolu et symboliquement à l’impossibilité de se projeter dans l’avenir. Cette esthétique du désastre paysager contribue elle aussi à la représentation symbolique d’un monde sans repères et d’une ère du vide. Les descriptions 83 Dossier renvoient à un monde soumis à la catastrophe. On notera l’omniprésence dans les romans de Viel et de Malte des ruines comme motif récurent qui signifie bien assez clairement une forme d’immobilité et renforce la description psychologique de personnages apathiques, inscrits durablement dans l’immobilisme. Dans La Part des chiens, une grande partie de l’action se déroule dans un cinéma désaffecté, fermé et abandonné depuis plus de vingt-trois ans. L’endroit semble tomber en lambeaux: „il restait des façades grises, des murs rongés, des volets à claire-voie disloqués…“ 49 Tous les éléments de la description renvoient à l’idée d’un endroit rongé par le temps: „de chaque côté de l’entrée, sous des vitrines embuées de poussière grise, des rectangles de punaises rouillées marquaient l’emplacement des photos disparues. Le sol était recouvert de plaques de linoléum, écornées par endroits ou gondolées ou vérolées de brûlures de cigarette. Des lambeaux de moquette râpeuse s’accrochaient aux murs comme les derniers squames d’une mue.“ 50 Le locataire des lieux Igor Pécou, ressasse sans cesse le passé et ne parvient à vivre qu’en se raccrochant à l’idée de vengeance qu’il ne peut lui-même accomplir, en raison de la mutilation physique qu’il a subie. Les lieux en ruines font écho à son impuissance tant physique que psychique. Les descriptions insistent souvent sur la vétusté qui touche, dans les romans de Viel, non plus seulement des demeures mais également des villes entières: „La ville fait écran à la mer lointaine. Et de la ville elle-même, on oublie vite l’ombre marine qui la baigne, on retient plus facilement la construction à l’américaine, les rues droites et peu soucieuses de déjouer les vents, l’arsenal aux longs murs supportant son déclin, le port rouillé, et la campagne alentour, verte, qui surélève d’autant la grisaille humide des toits. Ni basilique, ni grand place, ni maison à colombages, ni fontaine bienfaitrice dans cette ville mais des enseignes lumineuses, du vent, une gare, un pont sur la mer, une prison. On ne vient pas ici, on y passe. Ou on y est.“ 51 La référence à la prison insiste sur l’aspect carcéral de la ville qui se saisit de ses habitants et ne les laisse pas s’échapper, qui les enferme dans une temporalité sans avenir, irrémédiablement tournée vers le passé. La description du port insiste elle aussi sur le délabrement des lieux: „les docks salis. Les rails oxydés. Les grues immobiles. L’abandon qui les gagne.“ 52 Dans la scène finale du même roman, les deux protagonistes à l’origine amis, finiront par s’affronter dans une abbaye en ruines, symbole de leur amitié détruite et d’un monde révolu. Tout concourt en effet à exprimer l’effondrement du monde: tous les paysages sont des champs de ruines. C’est ici qu’il nous semble possible de lire que la fiction policière exprime la nécessité pour la littérature contemporaine de renouveler son propos. Elle ne peut plus décrire les lieux car elle ne peut plus décrire le monde ancien. Elle doit se renouveler car elle ne peut plus dire le monde à travers des techniques traditionnelles d’écriture comme la description à tonalité réaliste. Le personnage-narrateur du Black Note en rappelant qu’il est nécessaire de „comprendre que l’on ne peut pas vivre à l’infini sur des ruines, à l’infini sur des champs de bataille“, 53 semble appeler de ses vœux à un renouvellement de la représentation et de l’écriture qui ne 84 Dossier doit plus se tourner vers la retranscription fidèle de la réalité, mais doit symboliser le monde par une mise en fiction dans un univers nouveau en rien semblable au monde ancien. Ce monde nouveau est pour le moment représenté sans assise matérielle et concrète, ce qui renvoie à un monde social lui aussi, sans valeurs et sans normes stables et partagées. L’effacement des paysages, renvoie donc ainsi à un monde sans attaches et sans repères clairs auxquels les individus seraient susceptibles de se raccrocher. Cet effacement touche avant tout les lieux, mais également les objets. Les éléments de descriptions renvoient souvent à une esthétique floue et approximative. Cet appel à l’imagination du lecteur contribue selon nous à l’effet d’effacement du réel. Les personnages sont ainsi entourés de paysages suffisamment suggérés pour être identifiables, mais dont les éléments sont trop peu décrits pour imposer une image claire et fixe des lieux et du monde matériel. Cela contribue à instaurer une atmosphère flottante qui renvoie, au flottement identitaire des personnages. Il nous semble ainsi possible d’affirmer que dans un certain nombre de romans policiers français contemporains, les conséquences de la mondialisation se lisent davantage à travers une modification du regard et de la prise que les personnages ont sur les milieux et les lieux où se déroule l’intrigue qu’à travers une description réaliste et dépréciative des lieux et „non-lieux“ que l’on associe généralement à la mondialisation: aires d’autoroute, aéroports et gares, grandes surfaces ou fastfood. Il s’y exprime, à travers une esthétique qui privilégie le transitoire et l’incertain, le vide et l’impressionisme et qui dépeint des territoires et espaces fictifs sans assise et parfois même sans nom, une volonté de montrer à quel point il n’existe plus pour les personnages de lieux source d’identité. L’égarement des protagonistes perpétuellement à la dérive est signifié par cet effacement des paysages qui renvoie à un nulle part tant spatial qu’identitaire. 1 Deux auteurs allemands ont néanmoins réussi, dans un livre précieux à donner substance à un terme avant tout utilisé par les journalistes: Elfriede Müller et Alexandre Ruoff, Le polar français. Crime et histoire, La fabrique éditions, 2002. 2 Même s’il s’en défend constamment dans ses écrits, on peut considérer que Jean-Patrick Manchette est le chef de fil du polar qu’il définit lui-même comme un „roman d’intervention sociale très violent“, in Jean-Patrick Manchette, Chroniques, Rivages, écrits Noirs, Payot, 1996, 12. Parmi les héritiers possibles des noms s’imposent d’emblée comme ceux de Frédéric Fajardie, Didier Daeninckx, Jean-Claude Izzo, tous tenant d’un polar engagé, tous héritiers d’une écriture réaliste du moins dans son intention. 3 Nous empruntons l’expression à Marc Augé qui définit les non-lieux comme des espaces dans lesquels les individus ne peuvent s’identifier. On songe le plus souvent aux gares, aéroports, centres commerciaux, c’est-à-dire autant de lieu de passage où il est difficile par définition de se fixer. Mais en réalité la notion de non-lieu est toute relative et il est impossible d’en dresser véritablement une liste: «Tout d’abord je tiens à préciser que l’on 85 Dossier ne peut pas établir une liste, empirique et définitive, de „non-lieux“ d’un côté et de „lieux“ de l’autre. Il s’agit là de notions relatives, et il m’est apparu de plus en plus évident que ce qui comptait c’était le couple lieu/ non-lieu comme un instrument pour analyser de manière lisible l’espace social, qu’il s’agisse de l’espace structuré par une absence d’identité, de relation et d’histoire ou du contraire.“ Et Augé de donner l’exemple de l’aéroport non-lieu pour le voyageur de passage, mais par pour celui qui y travaille, in Raphël Bessis, Dialogue avec Marc Augé autour d’une anthropologie de la mondialisation, L’Harmattan, 2004. 4 Le prétendu réalisme mimétique des polars à la française a en effet été nuancé par la critique, notamment Jean-Noël Blanc dans son ouvrage intitulé Polarville, Presses universitaires de Lyon, Lyon, 1991. Cet auteur revient sur une représentation de la ville dans le polar, réduite à des figures stéréotypées et éloignées de la réalité. Pour sa part le sociologue Erik Neveu a consacré un article à la banlieue dans le polar considérant que „(…)les néo-polars ne correspondent pas à ces attentes et représentations (de la banlieue) liées à l’identification du genre à une littérature sociologisante et critique par excellence.“, in Erik Neveu, „La banlieue dans le néo-polar: espaces fictionnels ou espaces sociaux“, Mouvements, Dossier. Le polar entre critique sociale et désenchantement, maijuin-juillet-août 2001, La Découverte, 23. 5 Nous pouvons noter entre autre exemple, l’absence notable du monde du travail dans plusieurs fictions policières contemporaines. 6 L’expression est empruntée ici au titre d’un ouvrage de Gilles Lipovetsky, L’ère du vide. Essais sur l'individualisme contemporain, Gallimard, 1983. 7 Jean-Marc Besse, Le Goût du monde. Exercices de paysage, Actes Sud/ ENSP, 2009. 8 Maurice G. Dantec, La sirène rouge, Folio policier, Gallimard 1993, Marcus Malte, La Part des chiens, Folio policier, Gallimard, 2008, Fred Vargas, Sous les vents de Neptune, Chemins nocturnes, Viviane Hamy, 2004, Tanguy Viel, Le Black Note, Editions de Minuit, 1998, Pascal Garnier, Lune captive dans un œil mort, Zulma, 2009. Toutes les citations de l’article sont extraites de ces éditions. 9 Le continent africain est plus rarement représenté que les autres destinations, notons une série de romans policiers consacrés au continent avec un auteur comme Pierre Cherruau, Togo or not Togo, Le Poulpe-Baleine, Seuil, 2008. 10 Jean-Marc Besse, Le Goût du monde. Exercices de paysage, op. cit., 13. 11 Ce qui n’exclut pas par ailleurs comme nous le verrons plus loin, une inspiration plus sédentaire. Certains romans perpétuent encore la tradition du huis clos qui est le propre de certains romans d’énigme dont l’action était souvent circonscrite à un lieux clos: chambre ou manoirs. C’est par exemple explicitement le cas de la collection policière „Les lieux du crimes“, publiée à partir de 1987 chez Calmann-Lévy et qui met en récit des énigmes se déroulant dans un lieu célèbre ou à la mode, l’Ecole Nationale d’Administration, le TGV, Le Louvre et dont la majorité des titres commencent par „Meurtres à …“. Mais elle constitue une exception dans un roman policier français en grande majorité urbain. Ce sont davantage les romans d’inspiration policière ( qui ne sont pas forcément publié dans une collection policière sans que les auteurs ne réfutent totalement l’appartenance de leur roman au genre) qui effectuent un retour libre et décomplexé au huis clos du roman d’énigme. 12 Lire notamment à ce sujet Muriel Rosemberg (dir.), Le roman policier. Lieux et itinéraires, Revue Géographie et culture, n°61, printemps 2007, L’Harmattan. 13 Pour reprendre la terminologie du critique Mikhaïl Bakhtine, nous rappellerons ici que le chronotope est une notion qui lie espace et temps et qui détermine l’unité artistique d’une 86 Dossier œuvre avec la réalité. Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Tel, Gallimard, 2006, p 235-384. 14 Raymond Chandler, „The Simple Art of Murder“, 1950, réed. in Les ennuis, c’est mon problème, Omnibus, 2009, 1151: „Hammett a sorti le roman policier du vase vénitien pour le jeter dans la rue.“ 15 Notons que ce chronotope n’est qu’une variante de la route considéré par Mikhaïl Bakhtine comme le chronotope du roman d’aventures: «Dans les romans, les rencontres se font, habituellement „en route“, lieu de choix des contacts fortuits. Sur la „grand route“ se croisent au même point d’intersection spatio-temporel les voies d’une quantité de personnes appartenant à toutes les classes, situations, religions, nationalités et âges.“, in Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Gallimard, Tel, 2006, 284. 16 Marcus Malte, La Part des chiens, op. cit., 14. 17 Le roman s’achève en effet sur une impasse, et une indifférence aux lieux qu’il reste à explorer: „Neuf cent quarante sept jours s’étaient écoulés depuis qu’ils avaient pris la route. Depuis le début de leur quête. Cette ville ou une autre. Il y avait un train à quai ce matin-là. Ils le prirent.“, La Part des chiens, p 300. 18 Le terme apparaît lui-même dans le roman. Hugo, l’un des protagonistes du récit, interrogé sur la teneur du roman qu’il projette d’écrire répond: „Je ne sais pas vraiment… c’est mon premier… Un roman sur la fin du monde… maintenant je le vois comme un road movie, sur la route avec une petite fille poursuivie par les flics et par sa mère, et un type qui revient du noyau actif de l’enfer (...)“, In La Sirène rouge, op. cit., 195. 19 Ibid., 83. 20 Ibid., 111. 21 Terme allemand qui désigne les autoroutes. 22 Ibid., 176. 23 Nous reprenons ici la définition que donne Guy Debord de la dérive comprise dans le cadre théorique spécifique du situationnisme comme: „une technique de passage hâtif à travers des ambiances variées“, in „Théorie de la dérive“, Internationale situationniste n°2, 13, nous retiendrons de cette définition la tension entre le terme „passage“ qui implique une durée et l’adjectif „hâtif“ qui insiste sur la brièveté de cette durée. 24 Marcus Malte, La Part des Chiens, op. cit., 14. 25 Ibid., 14. 26 Nice est l’unique occurrence d’un nom de ville française dans le récit, mais il ne s’agit pas de la ville dans laquelle se trouvent les personnages, mais de la ville d’origine d’un personnage évoqué lors de leurs recherches. 27 Fred Vargas, Sous les vents de Neptune, op. cit., 10. 28 Il faudrait prendre le temps de montrer combien Fred Vargas a tendance à décrire un Paris enchanté et en grande partie fantasmé, notamment dans le roman intitulé, Pars vite et reviens tard, Chemins nocturnes, Viviane Hamy, 2001 dont l’intrigue se déroule principalement autour d’une place Edgar Quinet méconnaissable, emplie de personnages improbables dont un crieur annonçant pêle-mêle légumes à vendre, météo marine et petites annonces matrimoniales. 29 On retrouve encore une fois en filigrane l’idée que le destin particulier des protagonistes a tendance à envahir le récit et éloigner les personnages de leurs obligations immédiates. 30 Ibid., 143. 31 Ibid., 155. 32 Ibidem., 180. 87 Dossier 33 Fred Vargas, Un lieu incertain, Chemins Nocturnes, Viviane Hamy, 2008. 34 Guy Debord définit la psychogéographie comme „l’étude des effets précis du milieu géographique consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus“, in „Problèmes préliminaires à la construction d’une situation“, Internationale situationniste, n°1, juin 1958. 35 Les lieux varient selon les romanciers, Dans le roman de Dantec, c’est le Portugal, destination ultime de la course de Hugo et Alice qui fait l’objet d’une description détaillée et enchantée. 36 Marcus Malte, La Part des chiens, op. cit., 127. 37 Ibidem., 128. 38 Ibid" 55. 39 C’est la définition que donne Jacques Scherer dans l’ouvrage intitulé La dramaturgie classique en France, Librairie A.-G Nizet, 1986, 194. Ajoutons qu’elle n’a point, à la différence des deux autres unités de temps et d’action de véritables titres de noblesse: Aristote n’en parle pas dans sa Poétique, elle se dégage peu à peu, dans le théâtre classique de l’unité de temps grâce aux exigences de la vraisemblance. 40 C’est le cas des deux romans de Tanguy Viel: L’Absolue perfection du crime, Editions de Minuit, 2001 et d’Insoupçonnable, Editions de Minuit, 2006, tout deux situés en Province. 41 Les protagonistes du Black Note de Tanguy Viel décident en effet de vivre ensemble dans une même demeure située dans une île vraisemblablement bretonne. 42 Celle dans laquelle est enfermé le narrateur du Black Note. 43 Celle où s’installent les retraités de Lune captive dans un œil mort de Pascal Garnier. 44 Pascal Garnier, Lune captive dans un œil mort, op. cit., 53. 45 L’enfermement est en réalité un thème récurrent chez cet auteur et trouve son paroxysme dans l’enfermement du personnage de Yolande dans L’A.26. Enfermée depuis la Libération dans la demeure familiale, Yolande n’a aucun contact avec le monde extérieur qu’elle ne voit jamais. Ce personnage est bel et bien hors du temps: „Yolande peut avoir entre vingt et soixante dix ans. Elle a le grain et les contours flous d’une vieille photo“, Pacal Garnier, L’A.26, Zulma, 1999, 9. 46 Dans le roman intitulé L’A.6, Yolande oblige par son enfermement, son frère Bernard à une vie solitaire qui le conduit petit à petit au crime, il assassine des inconnus et les enterre dans le chantier en construction de l’autoroute A.26 qui donne son titre au roman. 47 Tanguy Viel, Le Black Note, op. cit., 17. 48 Tanguy Viel, Le Black Note, op. cit., 19. 49 Marcus Malte, La Part des chiens, op. cit., 70. 50 Ibid., 96. 51 Tanguy Viel, L’Absolue perfection du crime, op. cit., 128-129. 52 Ibid., 37 53 Tanguy Viel, Le Black Note, op. cit., 38-39.