eJournals lendemains 37/145

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Narr Verlag Tübingen
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2012
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Le paysage d’Europe dans la poésie française au début du 20e siècle

2012
Julien Knebusch
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55 Dossier Julien Knebusch Le paysage d’Europe dans la poésie française au début du 20 e siècle Depuis une vingtaine d’années, l’on assiste à une multiplication des approches de l’identité de l’Europe par le biais du paysage. Le programme „Géophilosophie de l’Europe“, par exemple, animé par Jean-Luc Nancy, proposait en 1992, d’aborder l’Europe à la fois comme une vue d’ensemble, à savoir le paysage, et une multitude de pays et de points de vue. 1 La convention européenne du paysage (2000) du Conseil de l’Europe associe le paysage à la „consolidation de l’identité européenne“ (préambule), de la même façon que le philosophe George Steiner considère dans Une certaine idée de l’Europe (2005), le paysage comme l’un des quatre piliers de l’identité européenne. 2 Enfin, le programme pluridisciplinaire „Paysage et identité(s) européenne(s)“ (2005-07), coordonné par Aline Bergé et Michel Collot, interrogeait l’évolution et la circulation des représentations du paysage en Europe. 3 La littérature, bien que réticente aujourd’hui aux portraits de l’Europe et du monde, semble devoir être associée à cette réflexion, et la poésie au début du 20 e siècle constitue assurément un chapitre important dans l’histoire littéraire des relations entre le paysage et l’Europe. Le paysage désigne d’abord la relation d’un sujet à un espace et à un horizon, lesquels permettent d’articuler un ici à un ailleurs et inscrivent le paysage dans une tension entre l’ouverture aux divers mondes et la constitution d’un monde. A ce titre, le paysage présente une figure de relation des hommes à l’espace particulièrement intéressante pour approcher et penser les dynamiques d’ouverture au monde qui peuvent prendre des figures variées. Le début du 20 e siècle est traversé par des évolutions à la fois littéraires, géographiques, culturelles, politiques et scientifiques du fait de l’internationalisation des échanges et de la révolution des transports et des télécommunications qui induisent une mutation des représentations du monde et ce, d’autant plus que la révolution des sciences (Einstein) et des arts (Picasso) tend à transformer les cadres mêmes de perception, à démultiplier les temporalités et les espaces et à faire éclater l’unité du monde en morceaux. Or, cela nous conduit à poser la question de la place du paysage et de l’Europe dans cette ouverture aux mondes. Les études de Pascal Dethurens sur la conquête littéraire de l’Europe au début du 20 e siècle n’abordent pas la poésie, 4 car s’ „il peut y avoir des poètes de l’Europe (Cendrars, Werfel, Lorca), il ne peut y avoir de poésie de l’Europe: d’autres continents, crus promis à un meilleur avenir, auront connu plus de succès“. „La poésie est soumise à la nécessité de garantir la présence du monde“ et que „les formes de l’Europe, au contraire, sont dans leur impuissance à fonder l’existence, c’est-à-dire à ériger du sens.“ 5 Nous essayerons de montrer que les formes de l’Europe sont au contraire tout à fait aptes à donner du sens et même à 56 Dossier garantir la présence du monde. En effet, l’on montrera, notamment par l’exemple de Larbaud et de Romains, que la poésie française s’ouvre à l’Europe via le paysage, bien que cette logique soit aussi contrebalancée par une logique de dispersion, contraire au paysage, mais propre à la dynamique d’ouverture aux mondes de cette époque. Paysage et ouverture au(x) monde(s) Tout paysage déborde les limites d’un pays dans la mesure où il entretient un rapport d’une ambiguïté féconde avec ce dernier. En effet, il se caractérise par son horizon qui délimite un ensemble perceptif tout en l’ouvrant sur un ailleurs, permettant ainsi de conjuguer le point de vue local et l’ouverture à l’autre et à l’univers et également de mettre en relation l’espace réel et l’espace imaginaire. A ce titre, le paysage est tendanciellement planétaire et ce, parce qu’il se caractérise, comme nous l’enseigne la phénoménologie husserlienne, par sa structure d’horizon et qu’il peut, d’horizon en horizon, suggérer le monde entier. L’élaboration d’un paysage peut donc constituer une figure particulière, parmi d’autres, du monde mais aussi de l’Europe, dans la tension entre divers mondes et la constitution d’un monde. Pourtant, le paysage n’a pas forcément été associé à cette dimension européenne voire planétaire. A partir des 17 e et 18 e siècles, les peintres renoncent progressivement à peindre le monde dans sa diversité bigarrée, les paysages étant désormais perçus de façon plus directe et représentant dès lors plus un fragment du monde que l’ensemble de celui-ci. 6 A partir du 19 e siècle, le paysage est même plutôt associé à la nation ou à la transcendance dans l’esthétique romantique du sublime, 7 même si nous sommes conscient de forcer le trait puisque ces paysages ne s’opposent pas au monde pour autant. Mais, c’est méconnaître la tradition du paysage qui s’est justement constituée dans des moments de dépassement du pays et de redéfinition des rapports à l’espace, comme à la fin du 15 e et au 16 e siècle. L’on sait maintenant que la notion même et l’art du paysage sont largement européens, c’est-à-dire élaborés dans un contexte européen (le mot français de paysage, par exemple, serait apparu d’abord dans le milieu des artisans italiens travaillant à la décoration du château de Fontainebleau) qui est bien souvent représenté, comme dans les tableaux de Patinir qui juxtapose les éléments les plus divers du paysage européen: les terres cultivées, les forêts, les montagnes, les cours d’eau et les cités. 8 Or, cette dynamique du paysage peut être mise en évidence au début du 20 e siècle. En effet, il se trouve que plusieurs rapprochements sont effectués au début du 20 e siècle entre le paysage, l’Europe et le monde et ce, notamment chez les poètes. 9 Mais il faudrait déjà remonter plus loin dans le 19 e siècle pour repérer cette logique de liaison des mondes par le paysage, pour l’étudier ensuite tout au long du 20 e siècle, en commençant par le „paysage fou“ du „Rhin“ (1842) de Hugo, dans lequel la convexité du globe se mêle à des paysages divers, pour aller 57 Dossier jusqu’aux „paysages planétaires“ de Butor des années 1970. L’on pourrait même voir à l’œuvre cette logique d’universalisation du paysage au 16 e siècle. Les historiens de l’art ont ainsi observé que l’“infini paysage“ du poème épique le „Septième Jour“ de La semaine ou la création du monde (1578) de Du Bartas transposerait un tableau de Patinir ou de Gassel et que les „estendus païsages“ de Scève - qui dans Microcosme „d’un seul regard en bien petit tableau voyait d’un grand pais le ciel, la terre, et l’eau“ - seraient inspirés d’un Bles ou d’un Breughel. 10 De plus, il faudrait rappeler qu’à priori, le début du 20 e siècle dont on sait qu’il est un moment „spectaculaire“ de la mondialisation (révolution des télécommunications et des transports), n’est pas très propice à l’émergence de ce type de paysages et ce, pour de multiples raisons: aux poètes épris de voyage, le paysage apparaît à maints égards en crise, notamment parce que leur poésie s’est plutôt construite contre la tradition des descriptions de paysage propres aux voyageurs romantiques. Ces dernières étaient assimilées à une poésie de carte postale associée à la tradition exotique dont on entendait se démarquer. Segalen exprime cette crise du paysage dans Equipée en parlant des „facilités d’un genre“ qui a transformé le paysage en „un plaisant chromo verbal“. 11 Même si ces poètes redécouvrent pour partie aussi une nouvelle qualité heuristique du paysage, sous l’effet de la lecture de géographes et d’ethnologues notamment, 12 c’est aussi le rejet d’une certaine manière d’appréhender le monde moderne qui s’opère au travers de sa „disqualification“. En effet, la vitesse et le mouvement, apanages de cette époque décidée à réagir à l’enfermement et à l’immobilisme du symbolisme, tendent aussi à dépasser et à faire éclater le paysage au profit d’une poétique de la multiplicité des lieux et de leur investigation et exploration documentaire, ou de l’ivresse et ubiquité spatiales expérimentant l’espace, par exemple comme espace cartographique: Morand ne disait-il pas qu’il „ne p[ouvait] contempler un paysage sans le voir en même temps couché sur la carte, déroulé le long de la mappemonde“? 13 „Ma vitesse effraye le paysage car il se tortille étrangement de joie“ dit Marinetti dans Le Monoplan du pape (1912) qui rêve depuis l’avion d’écraser et de dépasser les paysages classiques de l’Italie qu’il survole en direction du sud. 14 C’est que le paysage suppose un point de vue unifiant sur le monde qui, bien souvent, pouvait apparaître contraire non seulement au désir d’exalter la diversité au cœur de cette ouverture, mais aussi à la volonté de conquête de la planète de lieu en lieu, voire de sa conquête comme lieu, que recherchent Larbaud, Brauquier, Cendrars, Durtain, Marinetti ou Morand. Grands amateurs du saut de puce international, ces derniers n’entendent pas fédérer nécessairement le Divers en des vues d’ensemble et radicalisent ainsi le mouvement de la modernité. Mais le paysage a constitué aussi un moment de cette ouverture qui a permis de placer cette dernière sous le signe de l’unité, sans méconnaître toutefois l’ouverture à l’altérité, à l’instar de Larbaud qui après avoir contemplé „le paysage presque africain d’Elche“ en Espagne, y reconnaît aussi „une ville européenne“: „Ceci est un paysage européen. [Elche] est nôtre! Elle est nôtre! “ 15 Face à une ouverture qui démesure et face à une tentative de repli qui peut s’exprimer, par exemple, dans un lyrisme national ou encore dans 58 Dossier une tentation impériale (autant de logiques qui ont traversé la poésie française au début du 20 e siècle), le paysage a constitué une troisième voie conjuguant ouverture à la diversité et sens de l’unité du monde dans laquelle l’Europe a pu trouver sa place. Le pays européen au début du 20 e siècle Malgré les appels de nombreux intellectuels européens, dans un contexte de crise européenne, à véhiculer une „émotion européenne“, 16 comme ceux de Dominique Braga qui souhaite que les écrivains confèrent à l’Europe une „apparence palpable, sensible et charnelle“ 17 - alors que les „valeurs“ européennes sont violemment critiquées tout au long des années 1920, notamment par l’avant-garde surréaliste -, force est de constater que beaucoup de poètes désertent plutôt la „douceur du foyer européen“ pour partir à la conquête du monde et dissoudre l’objet européen qui n’apparaît plus que comme un „petit cap de l’Asie“ ou une „petite république d’Occident“. 18 Une bonne partie de la critique littéraire d’après-guerre s’inquiètera de cette exploration des richesses de l’univers, de ce désir de la conquête poétique du monde et de l’attrait pour l’aventure jugée parfois impossible dans le monde hautement civilisé de l’Europe. L’élan mondial sera-t-il compatible avec le sens de l’Europe? Braga déplore le côté viril de la poésie contemporaine qui veut „lancer le poète à travers les moissons du monde“ dans une espèce d’“exaltation géographique“ et de poétique de la conquête du monde avec „Durtain, Werfel, Jouve et Cendrars“. 19 En effet, qui dit „exaltation géographique“, dit parcours extensif du monde dans lequel, à terme, l’Europe paraîtrait bien trop exiguë… L’ouverture au monde suppose alors de rompre avec l’Europe natale dans un mouvement de distanciation. „Et l’Europe tout entière aperçue au coupe-vent d’un express à toute vapeur“ (La Prose du Transsibérien). Quittant l’Europe, cette fois-ci en direction de l’Ouest pour le Brésil, Cendrars désinvolte ne regrette rien (Feuilles de route): Adieu Europe que je quitte pour la première fois depuis 1914 Rien ne m’intéresse plus à ton bord pas plus que les émigrants de l’entrepont juifs russes basques espagnols portugais et saltimbanques allemands qui regrettent Paris Je veux tout oublier ne plus parler tes langues et coucher avec des nègres et des négresses des indiens et des indiennes des animaux et des plantes 20 De même, Morand déclare en 1925 que l’Europe „c’est toujours pareil“ et témoigne de sa volonté de s’affranchir de la société occidentale pour se régénérer ailleurs; 21 le mouvement de distanciation se doublant d’une dérision géographique, comme dans le poème „Bain avec Douglas Fairbanks“ (USA-1927) qui adopte le point de vue américain sur une Europe qui s’apparente à un minuscule spectacle: „Il me demande des nouvelles de l’Europe, / comme de quelqu’un de très malade. / Il se 59 Dossier rase tout nu. Il m’explique qu’/ il a été en chemin de fer jusqu’à Moscou et sait / que l’Europe se compose d’une infinité de petits Etats / ayant chacun ses mœurs, sa langue, ses douanes et ses institutions“. 22 Mais face à cette relative désertion de l’Europe, l’on constate aussi, en y regardant de plus près, que l’Europe était bien présente chez les poètes, de façon plus discrète dès la décennie 1900. Les poètes à l’instar de Gasquet, Arcos, Larbaud, Apollinaire ou Romains, par exemple, donnent une certaine réalité à l’Europe, certes marginale, et ils n’ont jamais eu besoin de rompre avec l’Europe pour s’ouvrir au monde car celle-ci leur apparaît alors comme une modalité d’ouverture sur le monde. En effet, leurs approches de l’Europe tendent à lui conférer une figure sensible, à l’instar de la figure du cap, de la péninsule, de la province, du pays ou de la ville qui servent d’emblème à une identité ouverte à l’altérité et au monde. Selon Michel Décaudin, Joachim Gasquet aurait écrit avant la Première Guerre mondiale, un recueil intitulé Europe qui est resté inédit. 23 Cependant, la vision européenne de Gasquet transparaît dans certains poèmes qu’il avait donnés à la revue La Vie française en 1911. 24 Dans la première partie du poème „Fraternité“, Gasquet dresse un portrait de l’Europe qui apparaît sous les traits d’une jeune femme désirable: Des brouillards de guerre et des brumes du nord Tu sors, les bras ouverts, jeune et tranquille Europe En laissant sur tes pieds que la mer enveloppe Tomber les voiles noirs que te brodait la mort. 25 Gasquet porte ensuite un regard englobant sur la diversité de ses villes dans un paysage européen miniaturisé, divers, riche et tranquille qui sera déchiré par le cri de l’Internationale „Debout les damnés de la terre! “: „Indolente, à côté de sa mère chenue (…) / Venise s’alourdit en écrasant les roses (…) / Tandis que dans les golfes ou l’avenir abonde / Multipliant ses ports Marseille vagabonde / (…) / Et comme elle, là-bas, sur le fleuve qui fume / De ses doigts dentelés déchiquetant la brume / A la même heure on pourrait voir / Anvers tendant ses bras aux peuples d’Amérique“. 26 Contrairement à la vision plus idéelle de l’Europe déclinée essentiellement en termes de valeurs comme la Liberté ou la Raison, ces figures prennent l’Europe dans sa forme sensible, celle d’un pays par exemple, et insistent par là davantage sur l’investissement émotionnel, mais aussi sur les relations de voisinage avec son entour. En effet, la figure du „pays d’Europe“ renvoie implicitement à une perspective fédérale qui, vers l’intérieur, considère davantage les nations comme des provinces et, vers l’extérieur, le pays européen comme une plus grande province du monde. Ainsi, au début du 20 e siècle, cette image fédérale de l’Europe, chère à Larbaud comme l’on sait, apparaît aussi sous la plume de Verhaeren - „l’Europe ne sera bientôt plus qu’un immense pays dont les nations actuelles seront les provinces“ 27 -, ou de Durtain et de Duhamel. Durtain évoque „notre pays d’Europe“ en récusant l’idée de „nation“: „Avec la facilité sans cesse accrue des voyages, il 60 Dossier est probable qu’un jour cette foule qui habite dans chaque artiste s’élargira jusqu’à provenir véritablement de tous les pays du monde: en tout cas, d’ores et déjà, elle a cessé d’être une nation, sa nation“. 28 Dans le livre Géographie cordiale de l’Europe (1931) de Duhamel qui se dit alors à la recherche d’une „connaissance immédiate et personnelle“ de l’Europe, 29 cette dernière est présentée comme un „territoire“, un „pays“ composé de provinces et qui se situe à l’intérieur du monde entier, „notre royaume“. 30 Le livre regorge d’évocations de son „premier sentiment de l’Europe“, 31 lequel s’exprime par la multiplication d’images géographiques qui tendent vers le paysage, comme par exemple pour les „pays du Nord“ qui sont „marche de l’Europe, notre dernière forteresse au bord de la nuit boréale“ et qui „contemplent l’Europe de leurs collines neigeuses“. 32 La Hollande apparaît „comme un ponton (amarré) au rivage de l’Europe fiévreuse, comme une bouée à l’embouchure des grands fleuves. Il flotte, radeau bien construit“, 33 voire une „éponge verdoyante, pendue à la proue du continent! “ 34 L’on peut citer encore le critique littéraire Léon Bazalgette, qui deviendra un proche collaborateur d’Europe, et qui publiait en 1913 un petit opuscule intitulé Europe dans lequel il appelait à découvrir l’Europe comme un paysage: Pourquoi ce mot s’est-il dépouillé, un jour, de sa banalité quotidienne pour s’illuminer à mes yeux d’un sens plus clair et si profond? Je m’en souviens: ce fut bref comme l’arrêt du convoi entre les parois émaillées de la station où s’étalait, dans une lumière fatiguée, cette „Europe“, répétée par des voix indifférentes. Soudain je vis ce mot jusqu’au fond de ses racines, dardant vers la foule qui passait tout le jour, oublieuse, ses six grandes lettres qui voulaient dire: aux larges yeux, à l’ample vision… (…) et comme [l’héritage européen] nous oblige surtout à nous en montrer plus dignes encore, afin que nous devenions vraiment des Européens, des hommes qui voient largement, et qui découvrent, dans les lignes du visage de leur province, le prolongement des traits d’autres provinces à l’infini, qui lisent partout les parentés et des concordances, et s’en éprouvent grandis. 35 La figure du paysage („le visage de leur province“) devient l’emblème d’une identité ouverte à l’ailleurs: l’Europe comme paysage de pays, composée de „provinces“ ouvertes sur „d’autres provinces à l’infini“. Le recours à l’étymologie - selon la mythologie grecque, Europe est la fille ravie par Zeus, et plus précisément la fille „aux larges ou grands yeux“ puisque le mot grec Europe est un composé de „large“ et de „yeux“ - permet d’ériger l’ample vision et la capacité d’allier l’ancien et le nouveau monde, en signes distinctifs de l’Europe et ce, en intégrant et en acclimatant les valeurs d’autres civilisations. Aux yeux de Bazalgette, l’Europe ne se confond donc pas avec le monde, mais devient plutôt un carrefour du monde. C’est donc bien le monde qui est désiré à travers ce penchant pour l’Europe. Bon nombre de ces poètes s’investirent également dans un travail auprès des revues européennes qui tendaient à rappeler la complémentarité entre l’Europe et le monde. Ainsi, Larbaud rejoint fin 1922 le comité de rédaction de la nouvelle Revue européenne précisément en raison de sa vocation plus européenne - la NRF est jugée trop française par le comité de rédaction - et pour „faire connaître, entre 61 Dossier autres, les littératures ibériques et sud-américaines“. 36 Les collaborateurs de la revue Europe, „revue française de culture internationale“ fondée en 1923 à Paris, en l’occurrence Arcos, Duhamel, Romains et Durtain, ont publiquement déclaré leur européanisme dans un texte fédérateur rédigé par Arcos et intitulé „Patrie européenne“, auquel Morand souscrira également. 37 Dans le premier numéro d’Europe, René Arcos étendait les frontières de la „patrie européenne“ au monde entier et se prononçait en faveur d’une Europe largement ouverte sur le monde et aux civilisations étrangères: 38 Nous disons aujourd’hui Europe parce que notre vaste presqu’île, entre l’Orient et le Nouveau Monde, est le carrefour où se rejoignent les civilisations. Mais c’est à tous les peuples que nous nous adressons. Ce sont les voix autorisées du plus grand nombre possible de pays que nous entendons faire témoigner ici, non pour les opposer puérilement les unes aux autres, non pour dresser des collections d’opinions, mais dans l’espoir d’aider à dissiper les tragiques malentendus qui divisent actuellement les hommes. 39 Duhamel affirme que „l’esprit européen n’est lui-même qu’un acheminement et qu’il nous faudra bien mériter, un jour, d’être appelés comme le grand Goethe, les citoyens du monde“. 40 Quant à Durtain, il acclame le „peuple de l’Europe et de toute la terre, qui remplit nos horizons de ta demande pareille à celle du ciel audessus de nos têtes - une insatiable, abstraite, toute-puissante exigence - l’artiste n’est que l’une des parcelles de ton ubiquité. Dans le labeur de la plume comme dans les autres, c’est dans la mesure où, donnant et recevant à la fois, un homme participe à ta large vie, qu’il connaît la certitude et la joie“. 41 Cette idée de l’échange entre l’Europe et le reste du monde est au centre des préoccupations du poète qui aimait à rappeler qu’“Europe est une revue pour laquelle le monde existe“ 42 et à renseigner ses lecteurs sur les événements, par exemple de l’Asie (il publia de nombreuses chroniques à ce sujet). Ainsi, les collaborateurs d’Europe se distinguent par une conception de l’Europe ouverte sur le monde, laquelle a déjà été analysée par Michel Collot, 43 et se répand au début des années 1920 dans les revues pro-européennes. 44 Démesures du monde et paysages d’Europe: Larbaud et Romains Deux poètes en particulier, intimement associés à l’Europe, ont consacré une place importante aux paysages d’Europe dans leur création poétique: Larbaud et Romains. Face à leur tentation de la démesure du monde, ils opposent aussi une image du pays d’Europe qui leur permet au contraire d’ordonner et de configurer le monde. La logique paysagère et européenne s’affirme chez Romains tout particulièrement dans le poème Europe (1916). En plein contexte de la Grande Guerre, ce poème permet, à travers le paysage, de donner une base et un corps à l’Europe pour favoriser l’émergence d’une conscience européenne. Dans ce poème, il 62 Dossier s’ouvre à l’Europe par le paysage, à la fois comme une vue d’ensemble mais aussi comme une diversité de pays. Romains va construire le sentiment de l’unité de l’Europe par le biais de „lieux de mémoire“ à la manière de l’historien contemporain Pierre Nora qui suggère d’adjoindre des lieux géographiques (fleuves, grands massifs) aux lieux de mémoire européens pour construire une topologie de la mémoire européenne qui soit à la fois tangible et transfrontalière (le Rhin, le Danube, les grands massifs montagneux). 45 Ces lieux permettent au poète de présenter l’Europe comme un pays dont il nous livre son image; il utilise délibérément l’expression de „mon pays“ ou de „territoire“ pour parler de ce grand pays fait de contrées diverses et dans lequel la France devient un „terroir“. 46 Il aimait en effet rappeler le substrat géographique et unitaire de l’Europe, comme dans cet article remis à la revue Europe en avril 1930 (mais dont les notes furent rédigées pour l’essentiel en 1915): Je ne rappellerai pas des choses connues de tous. Qu’il s’agisse de la disposition des principales chaînes de montagnes, de la distribution des bassins fluviaux, ou du système des voies ferrées et des voies navigables artificielles; que l’on considère les grands courants d’échange ou les centres d’activité; l’Europe forme dès maintenant une société continue assise solidement sur un ensemble géographique. 47 Or, constatant l’identité objective d’un pays européen attestée par la géographie, Romains peut s’attacher à nous en livrer une image et ce, d’autant plus que le salut de l’Europe passera, à son sens, par le paysage. Ces images de l’Europe lui paraissent d’autant plus nécessaires qu’il considérait ce continent comme condamné par une fatalité d’ordre historique: L’Europe est condamnée par une fatalité interne; elle porte en elle un vice du sang, une sorte de maladie honteuse qui lui interdit toute grande pensée d’avenir, et dont les crises, de plus en plus violentes, sans réussir à la détruire, la mèneront peu à peu à une lamentable sénilité. Cette maladie c’est l’histoire. L’Europe est intoxiquée par l’histoire (…) Chaque Européen qui vient au monde est neuf par sa chair et son âme, mais il est vieux, parce qu’il hérite à sa naissance de procès séculaires… 48 Cette crise de l’histoire, Romains veut la surmonter par une attention accrue à la géomorphologie et au paysage de l’Europe. Le poète évite ainsi d’entrer dans la variété des conceptions politiques et sociales du continent qui sont à l’évidence trop diverses pour rassembler le pays. L’Europe sera donc paysagée, non pas sous la forme d’une personnification comme chez Gasquet, mais sous la forme d’un pays dont Romains fut avide de découvrir la forme: Je fus le passant efficace Qu’un sol ne porte pas en vain. Tes contours, j’ai voulu les voir; Tes limites m’ont fait plaisir. 49 Il décrit ainsi un corps géographique que les voyages lui ont rendu familier: Car je n’ai pas eu de paresse. Les faisceaux de rails et de routes 63 Dossier Qui donnent aux lourdes vallées Une pulsation de tempes, Je les connais depuis longtemps. Je sais leur grosseur et leur sens, Et les chaleureuses façons Dont ils se croisent et se tordent. 50 Romains ne s’arrête pas sur la curiosité des mœurs ni sur le décor, mais cherche à étendre et à généraliser son expérience des lieux et réalités de l’Europe. De ce fait, l’Europe de Romains ne constitue pas une collection de lieux (à la façon barnaboothienne comme nous le verrons plus loin), voire de hauts lieux dans une vision éminemment „touristique“ de l’Europe. Au contraire, loin des souvenirs livresques et des lieux culturels classiques de la mémoire européenne, le poète évoque les endroits les plus prosaïques et communs comme les cafés, par exemple („Foules du train et du théâtre, / Du café et du music-hall; / Foule de Hyde-Park en Mai; Foule du Lido en Septembre; Foules du port et du navire; Foules de l’Europe vivante; Foules contraires à la mort! “ 51 ). Ce faisant, Romains prend du recul par rapport aux lieux et nous déshabitue des frontières historico-culturelles qui traversent le continent: Il faisait chaud. Nous étions dans une vallée Assez étroite, qui montait en sinuant Vers quelque haut pays de forêts et de landes 52 Ou encore: Il y eut, vers le nord de la plaine d’Europe, Dans un pays d’étangs que serrent des forêts, Au carrefour de deux canaux voués à l’âme, Un village, comme le cri d’un oiseau triste 53 Selon un mécanisme d’association mentale, les paysages s’enchaînent les uns aux autres: Il nous venait de la pitié - Une pitié non sans amour - Pour un polder sous le brouillard Dans une aurore de Novembre, Pour la plaine de Picardie Qu’on voit des murailles de Laon, Et pour un carrefour, à Londres, Dix minutes avant la nuit. 54 Ainsi, Romains résume l’Europe en trois images juxtaposées représentant ou associant la mer, la plaine et la ville, ingrédients d’un même pays qui s’ouvre alors à l’imaginaire. Le Divers est ramené à sa plus simple expression. Mais, la paradoxale réduction et volonté de maîtrise du Divers libère en réalité l’imagination et offre des possibilités de voyage pour le poète. Alors que l’Europe de Larbaud abonde - nous le verrons - de notations précises et de faits culturels divers, celle 64 Dossier de Romains est relativement homogène et réduite à ses principaux éléments. Le poète nous incite ainsi à rêver et à nous égarer dans son paysage européen. Le recueil Le Voyage des amants (1920) témoigne peut-être d’une plus grande ouverture au monde qu’il appelle à conquérir horizontalement, de lieu en lieu, en exaltant sa diversité au lieu de son unité. Nous faisions comme si Paris Achevant son repas antique Avait absorbé l’étendue, Et comme si, toute distance Lui devenant intérieure, Nous n’avions qu’à nous en nourrir Par un secret allaitement Je m’asseyais à la terrasse D’un petit café de la Butte. Le monde ne m’inquiétait plus. J’étais certain de ses limites. Je le prenais avec ma main, Par sa rondeur, comme le verre; Je le buvais, comme le vin. L’espace était surnaturel. L’espace était hostie. Une âme Le recevait par communion Tout entier dans une parcelle. Et c’était bien la vérité. Mais voilà qu’autre chose est vrai. Tout l’espace n’est pas à prendre, En un seul moment, d’un seul coup, Comme un verre ou comme un baiser. Le monde est vaste, bassement. Il est le monde pas à pas. „Si nous partions pour Amsterdam? “ 55 Ici la notion de profondeur du monde change de sens; elle ne s’exprime pas dans la profondeur liée à l’horizon caractéristique du paysage qui offre un fond commun à la variété des impressions. C’est plutôt l’ampleur, l’accumulation et l’addition infinie des lieux qui permet d’atteindre cette profondeur. Dans Le Voyage des Amants, le poète aime la flânerie et le plaisir de l’anecdote (qui lui fait découvrir „la forme d’un chapeau“, „l’assaisonnement d’une salade“ au gré de ses pérégrinations). L’amant est pris par la main et promené dans le monde; un dialogue et des paroles rassurantes atténuent les chocs pourtant répétés du parcours: „Des chocs pro- 65 Dossier fonds / Secouent / La tête et les / Entrailles (…) Les joints du corps / Qui baillent / Vont tout à coup / Céder“ 56 ). La deuxième partie du poème intitulée „Chemin faisant“, nous invite plutôt à un voyage comme on convierait à une „ronde“: „Songe à ces beaux pays / Que nous allons connaître, / / / A ce repli du monde / Qui nous caressera, / / Et quelle ivresse c’est / D’entrer dans une ronde, / / Une ronde au printemps / De villes délacées“, 57 ponctuée de surprises („- Tiens! Regarde l’église / Et le clocher gonflé! “) et de changements brusques: „Un tunnel va nous gober“ 58 qui ne sont pas sans rappeler les plaisirs de la flânerie qu’il avait tout particulièrement prisée dans Un Etre en Marche (1912) qui décrit une promenade passant par des ambiances variées. „Mais je vibre, j’oscille. Le sol n’est pas sûr. / Déjà ne plus marcher me dégoûte de moi; / Je repousse ma peau comme l’étreinte moite / D’une amoureuse. Il faut bouger enfin d’ici. / / La ville patiente attend que je gravite.“ 59 Mais dès 1924 Romains retrouve avec L’Ode genoise le pays d’Europe qu’il représente comme un ensemble observé depuis Gênes et composé de lieux différents ouverts sur le monde („Et le monde, à l’horizon, chaîne et rempart de mystères / Le monde, forêts et monts, à l’horizon du terroir“). Sous la „lave refroidie“ (Europe) que représentent les traces de la guerre, le poète retrouve l’Europe vivante quand une scène de banlieue appelle une scène de Barcelone. L’on reconnaît la logique paysagère au fait que le „pays“ dont nous parle Romains ne peut être mesuré ou localisé sur une carte. Cette Europe est faite uniquement de souvenirs, „de chant d’effusion“; elle ignore l’étendue, les contours, les frontières. En elle, „tout l’espace est démenti“, c’est-à-dire l’espace géographique ou objectif, et „des lieux lointains communiquent“. Ce paysage de pays européens est imaginé par Romains dans un contexte de retour des frontières et il semble que le paysage prenne d’autant plus d’importance dans son œuvre qu’il reconnaît „qu’il faut renoncer à ce rêve d’une époque récente: d’une Europe où les frontières seraient quasi supprimées“. 60 C’est que le paysage constitue un moyen de déborder les frontières, sans devoir nécessairement les supprimer. Romains conservera cette image de l’Europe comme pays, notamment dans les années 1930 dans les Hommes de bonne volonté où l’un des principaux protagonistes, Jallez, déclare: Une autre fièvre que j’ai attrapée, c’est la passion du voyage, et spécifiquement du voyage „européen“. Je viens de découvrir qu’il n’y a pas de volupté supérieure à celle d’être dans un train sur quelque ligne Nord-Sud du plein pays d’Europe, ou de débarquer un soir tombant dans une grande ville où les hommes parlent une autre langue que la nôtre, que vous saisissez pourtant quelque peu. 61 L’approche de Larbaud, dans ses premiers poèmes sur l’Europe, semble d’abord relever d’une autre logique car les poèmes portent un regard géographique sur l’Europe et non pas un regard paysager. En 1908, il publie chez Messein, à ses frais, les Poèmes par un Riche Amateur qui ont été élaborés dans un contexte entièrement européen (au cours des cinq dernières années, il avait multiplié les voyages européens et changé de ville de résidence au moins une fois par an). 66 Dossier Suffisamment familier de l’Europe, le milliardaire A.O. Barnabooth n’a pas besoin de la cerner de près. L’Europe s’apparente alors à une aire spacieuse, une pluralité large et ouverte de lieux en mouvement, naviguée de façon souveraine.62 En effet, la suite poétique Europe correspond à une série de tableaux alternant des temporalités différentes (courtes, dilatées, etc.) et formant un ensemble rythmé, une sorte de poétique de la fuite ou de la fugue des lieux. Or, le paysage ne peut réellement émerger de la série de chocs que constitue la fuite des lieux car les tableaux valent par la célérité de leur fuite - soulignait André Gide dans son commentaire des poèmes.63 De ce fait, la suite poétique s’apparente à un parcours discontinu sans offrir pour autant une vision d’ensemble comme dans le paysage. De prime abord, nous sommes immergés (section I) dans une scène de la rencontre avec la première des lumières d’Europe pour les voyageurs du transatlantique venant de l’Atlantique-Sud: le phare portugais près d’El Ventanal. Barnabooth offre ensuite un paysage nocturne de l’Europe puisqu’il propose dans un montage une vision cinématographique et nocturne de l’Europe: la description d’un théâtre se focalise progressivement sur la description rapprochée du globe incandescent d’un lampadaire pour redéployer l’instant suivant la constellation lumineuse européenne: „les villes tâchent la nuit comme des constellations“. Mais la suite du poème ne permet plus cette vision d’ensemble. A la section IV, depuis le Japon (Nagasaki) et le Sri Lanka (Colombo), nous contemplons les plans de villes européennes „de second rang“. Puis, brusquement, sans transition aucune, nous nous retrouvons en Espagne dans un omnibus en route pour la Estación del Norte, et puis, à nouveau, dans le même omnibus et pour la même destination quelques mois ou un an plus tard, après avoir fait un détour par les Indes et le Japon, intégrant cette fois-ci une largeur mondiale entre les mêmes destinations locales. Ensuite, à nouveau sans transition aucune, Barnabooth évoque maintenant en surplomb les rivages de l’Istrie et de la Dalmatie: les villes apparaissent miniaturisées: „(…) Zaro, Sebenico, Spalato, et Raguse / Comme un panier de fleurs incliné près des flots“. S’ensuit une course en diligence dans les montagnes du Monténégro avec des vues vertigineuses en contrebas. A partir de la section VI, vient s’intercaler dans le parcours une série de trois portraits de villes (Stockholm, Londres et Berlin). Les villes ont peu de rapports entre elles (tout juste une analogie entre Stockholm et les soirs sur la Tamise). Le rythme change: c’est celui d’un habitant et de la vie quotidienne. On va boire à Stomparterren (Stockholm) ou se promener le long de la Tamise et, pour la première fois, se fondre dans l’histoire des lieux: Barnabooth évoque les personnages historiques mis en scène par Marie-Catherine d’Aulnoy et l’architecture néo-classique du Berlin de Frédéric II. L’on se rend à l’évidence que jusqu’à présent ce voyage ahurissant à travers l’Europe se développait plus dans l’espace que dans le temps (Barnabooth reculait dans sa mémoire, mais jamais dans celle de l’histoire). A la fin des portraits de ville, la juxtaposition lyrique reprend de plus belle, cette fois-ci de façon plus ample et désordonnée (section IX). Barnabooth distribue des lieux particuliers de l’Espagne à l’Ukraine: la „place du Pacifique à Séville“, puis des rues, places et avenues 67 Dossier sans que l’on sache très bien à quelle ville elles appartiennent („la Chiaja“ à Naples, la „place du Vieux-Phalère“ et „l’avenue de Képhissa“ à Athènes), comme si elles appartenaient à une seule et même ville. Le sentiment d’ouverture de l’espace et de diversité provient notamment du fait que Barnabooth se plaît à évoquer des villes secondaires, tel que Kharkow, la capitale de la Petite-Russie, l’actuelle Kharkiv en Ukraine, écrivant ainsi une Europe en marge de l’histoire officielle (Saint-Pétersbourg s’imposait naturellement pour parler d’Europe). On s’attendait aussi à ce que Barnabooth évoque la France et Paris qui est „la capitale du continent“ pour Larbaud.64 Barnabooth évoquait (longuement) Paris dans la version de 1908 du poème „Europe“ mais la section correspondante a été supprimée dans la nouvelle version de 1913. Ainsi, Larbaud a supprimé un certain centre de l’Europe, centre qui n’est d’ailleurs pas perceptible dans ce poème. De ce fait, il montre au public français, que l’on peut bien rêver d’Europe sans être à Paris et qu’il existe bien d’autres centres que Paris. A ce parcours et cette dispersion des lieux s’oppose une force de cohésion qui fait apparaître cet univers décentré, asymétrique et discontinu comme un ensemble d’ordre archipélique. En effet, l’archipel offre une représentation du monde moins préoccupée de globalité mais attentive à la mise en résonance des lieux avec les autres. Il ne se révèle ni par ses limites, ni par son cadre, mais se découvre de l’intérieur par la circulation qu’il organise entre les lieux et permet de redécouvrir la Terre comme un ensemble ouvert à l’instar des navigateurs de la Renaissance. 65 L’élément premier est donc la mer qui ouvre la perspective sur la terre, perspective que Larbaud avait appréciée chez le poète John-Antoine Nau: … l’élément poétique (…) apporté dans Hiers bleus (…) est le sentiment mystique de „l’au-delà des horizons“, de „l’illimité“ de l’homme; c’est aussi la poésie, non de la mer, mais de l’océan, le sentiment géographique moderne, et une chose plus difficile à définir: la poésie des terres vues de la mer (…), vues par des yeux plus accoutumés aux vagues qu’aux pavés des rues. Chacun de ses poèmes paraît entouré par la mer, est situé dans la lumière renvoyée par le réflecteur de l’Atlantique. 66 Dès le début, l’Europe apparaît en effet baignée dans l’univers comme un archipel sidéral (dont „les villes tachent la nuit comme des constellations“). Les différents lieux sont ensuite évoqués comme autant d’enclaves qui misent autant sur la fermeture que l’ouverture et permettent de ce fait de créer de la diversité. En effet, l’évocation de l’eau est omniprésente dans la suite poétique qui multiplie les références aux „ports“, „rivages“, à la „baie claire“, „la mer au milieu des montagnes“, „la source des fleuves“, „la mer parmi les ruines“, le „lac“, les „îles“, le „bord des eaux“ et insiste sur les phénomènes et aspects climatiques comme le „brouillard“, „l’humidité des soirs“, la „rue luisante“, „la boue légère et brillante“, „la tiédeur humide“, „l’averse“, les flots „pareils à un autre Ciel“ et les scènes de baignade „dans la baignoire d’argent de ma maison de Londres“, „dans l’eau, et sous un pont, sous des feuillages“ à Stromparterren. La présence de l’eau permet de relier les différents lieux entre eux, comme „l’Océan qui embrasse d’immenses îles / Dans les mille replis de ses gouffres inconnus“, lequel s’invite jusque dans la baignoire 68 Dossier de Barnabooth: „Eau de l’océan Atlantique / Dans la baignoire d’argent de ma maison de Londres“ et le relie à l’Amérique et aux siens: „Oh! ici enfin je suis bien, avec l’Océan chez moi / Et Grosvenor Square vu à travers mille fleurs aux fenêtres. / Ma belle maison! (Combien différente / De celle où je naquis à Campamento, / Au bord du désert d’Arequipoa - au diable.)“. 67 La suite „Europe“ avec ses „immenses îles“ et les divers lieux et villes évoquées fait constamment penser à la mer, „aux mille replis de ses gouffres inconnus“, qui relie les différentes parties de l’Europe et fait communiquer l’archipel avec le reste du monde lorsque le poème évoque les „grands vaisseaux de l’Orient et du Pacifique“. Si le paysage d’Europe n’affleure pas dans la suite poétique „Europe“, Barnabooth n’est pas insensible à l’image du „pays d’Europe“ par-delà la diversité des pays européens. Si un tel pays existe, il doit être possible d’en former une image. Or, une étude plus approfondie du paysage barnaboothien montrerait que certains poèmes traduisent une plus grande compréhension du monde à l’instar d’“Eterna Voluttà“ qui déploie un immense paysage dans lequel on glisse à travers les pays, les jours, les nuits et les saisons ou comme dans le poème „Epilogue“ qui clôt le Journal intime du Riche Amateur et son périple européen: Avec le vernis blanc des corridors étroits, Les plafonds bas, l’or des salons, et le plancher Qui s’émeut, comme d’un soupir, secrètement, Et l’oscillation de l’eau dans les carafes, Ici déjà commence Avant le départ et le flot, la vie nouvelle. Je me rappellerai la vie européenne: Le passé souriant accoudé sur les toits, Les cloches, le pré communal, les calmes voix, La brume et les tramways, les beaux jardins et les Eaux lisses et bleues du Sud. Je me rappellerai les étés et l’orage, Le ciel mauve aux puits de soleil, et le vent tiède, Escorté de mouches, et qui va, violant La tendre nudité des feuilles, et, coulant A travers toutes les haies et tous les bois, Chante et siffle, et dans les parcs royaux consternés Tonne, Tandis qu’au-dessus des bosquets l’arbre-vampire, Le cèdre, soulevant ses ailes noires, aboie. Et je me souviendrai de ce lieu où l’hiver Demeure au cœur des mots d’été: Ce lieu de glace, et de rocs noirs, et de cieux noirs Où, dans le pur silence, Au-dessus de toute l’Europe se rencontrent La Germanie et Rome. Et je sais que bientôt 69 Dossier Je reverrai cet autre lieu, d’eaux neuves, Où la Mersey enfin lavée des villes, Immense, lentement, rang sur rang, flot par flot, Se vide dans le ciel, et où Première et dernière voix d’Europe, au seuil des mers, Sur un berceau de bois, dans sa cage de fer, Une cloche depuis quarante ans parle seule. Ainsi ma vie, ainsi le grave amour scellé, Et la prière patiente jusqu’au jour Où transférant enfin la Secrète au grand siècle, La Mort, avec sa main d’os écrira FINIS 68 Dans cet Epilogue écrit en 1913 à Londres, Barnabooth recueille son expérience de l’Europe en un paysage alors qu’il s’apprête à quitter l’archipel. Pourquoi pouvons-nous parler ici de paysage et plus singulièrement d’un paysage d’Europe? Tout d’abord parce que Barnabooth nous arrache à toute localisation précise. Deux „lieux“ sont mentionnés, mais il est impossible de les situer sur une carte; ce sont des paysages puisque le retentissement intérieur prime dans leur évocation et non leur description objective. On reconnaît peut-être la province anglaise et Warwick où Larbaud séjourna, 69 mais en quoi est-ce vraiment utile? Le poème semble plutôt travaillé par une logique d’imprécision. On y décèlera tout au plus la ville de Liverpool, les traces d’un voyage entre Côme, Bâle et la Tamise, mais force est de constater qu’aucun lieu n’est expressément nommé, hormis Rome et quelques aires géographiques imprécises comme „l’Europe“, „la Germanie“ et le fleuve „ Mersey“. Cette indéfinition nous suggère l’image d’un lieu plutôt que son ancrage et permet une dérive imaginaire au sein de l’Europe, renforcée par le procédé de l’amplification qui caractérise le poème: „toutes les haies...“, „toute l’Europe“ et l’usage des pluriels indéfinis: „les étés...“, „les parcs royaux...“, „des mers“. Le paysage émerge parce qu’un point de vue subjectif définit un ensemble dont participe ce sentiment de „vie européenne“. Posé sur les flots, déjà distancié, Barnabooth s’apprête à embrasser la vie nouvelle, il se remémore encore une fois l’Europe dans un enchaînement rapide de lieux qui vont s’élargissant (du village à la ville aux mers du Sud, aux Alpes) et mêlent des impressions de variété et de contraste (village/ ville, vie simple/ lieux royaux, parcs/ alpes, été/ hiver, luxe/ simplicité), de sensualité et d’érotisme (mauve, tiède, violant, tendre nudité, coulant), de vivacité (chante, siffle, tonne) liées au climat estival en y associant un sentiment de frayeur (cèdre comme arbre-vampire qui aboie) et de sacré. Le monde apparaît comme un espace blanc, quelque chose de vaste, se situant au delà du „seuil des mers“, comme l’inconnu. En effet, le lecteur du Journal intime, qui s’achève sur ce poème, sait que Barnabooth embarque pour l’Amérique centrale. Comme au début de la suite poétique „Europe“, l’“Epilogue“ offre une image de l’Europe qui fait ressortir sa petitesse perdue dans le monde, comme fondue 70 Dossier dans un milieu plus grand, dans un vaste espace cosmique où ciel et eau se confondent et où s’évanouit la „dernière voix d’Europe“ qui fait ainsi écho à la première des lumières d’Europe (le phare de Ventanal au Portugal) accueillant le voyageur interplanétaire qui accoste à son havre. Nous avons pu voir que, face à des dynamiques d’ouverture au monde qui exaltent sa diversité, comme le parcours horizontal du monde de lieu en lieu, le paysage d’Europe permet aux poètes français du début du 20 e siècle de construire une Europe „unie dans la diversité“ et en même temps consciente d’être au monde. L’histoire littéraire du paysage d’Europe gagnerait à être développée. 70 Qu’en est-il du roman qui a surtout retenu l’attention de l’histoire littéraire de l’Europe? Plutôt qu’un paysage, fait-il voir un lieu clos, à l’instar de l’allégorie kafkaïenne de l’Hôtel Occident incapable de s’ouvrir aux mondes extra-européens? 71 Ou peut-on penser qu’il déploie aussi une image paysagère de l’Europe qui permet de l’ouvrir au monde? 1 Penser l’Europe à ses frontières. Géophilosophie de l’Europe, Carrefour des littératures européennes (Strasbourg, 7-10 novembre 1992), La Tour d’Aigues, L’Aube, 1993. 2 George Steiner, Une certaine idée de l’Europe, Arles, Actes Sud, 2005, 23. 3 Pour plus d’information: <http: / / www.ecritures-modernite.eu/ ? p=680>. Au sujet du paysage comme lieu possible de la construction d’une identité européenne, voir Michel Collot, La Pensée-paysage, Arles, Actes Sud, 2011, 79-90. 4 Pascal Dethurens, De l’Europe en littérature. Création littéraire et culture européenne au temps de la crise de l’esprit (1918-1939), Genève, Droz, 2002 et Pascal Dethurens, Ecriture et culture. Ecrivains et philosophes face à l’Europe. 1918-1950, Paris, Honoré Champion Editeur, 1997. 5 Ibid., 362. 6 Jan Bialostocki, „Die Geburt der modernen Landschaftsmalerei“, in Bulletin du Musée National de Varsovie, Musée national de Varsovie, Varsovie, vol. 14, n° 1-4, 1973, 12. 7 Voir les analyses de Jean-Luc Nancy sur les paysages romantiques du sublime dans Au fond des images, Galilée, Paris, 2003, 101-119, ainsi que celles de François Walter qui a montré que le paysage a servi à construire la nation, cf. François Walter, Les figures paysagères de la nation. Territoire et paysage en Europe (16 e -20 e siècle), Editions de l’EHESS, Paris, 2004. 8 Pour cette histoire européenne du paysage, cf. Michel Collot, La Pensée-paysage, op. cit., 81 sqq. 9 Mais aussi parmi les historiens de l’art. L’on peut remarquer que les historiens d’art allemands tendent, par exemple, à lire, à cette époque, dans les débuts de la tradition paysagère une thématique d’universalisation ou de globalisation du monde et ce, au détriment d’une lecture plus attentive aux allégories de la transcendance et aux transformations du sacré, à l’instar de celle de Pomme de Mirimonde et de Falkenburg qui, dans les années 1970 et 80, réhabiliteront le caractère allégorique du genre afin de relativiser l’élan encyclopédique et la prétention à la totalité que l’on pouvait lui prêter, cf. Albert Pomme de Mirimonde, „Le symbolisme du rocher et de la source chez Joos van Clève, Dirck Bouts, Memling, Patenier, C. van den Broeck, Sustris et Paul Bris“, in Jaarboek van het Koninklijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen, s. n°, 1974, 73-99 et Reindert L. 71 Dossier Falkenburg, Joachim Patinir. Landscape as an Image of the Pilgrimage of Life, Amsterdam/ Philadelphia, Benjamins, 1988, 66 sqq. Von Bodenhausen évoque pour la première fois le „paysage du monde“ au sujet de l’école d’Anvers dans sa monographie sur Gerard David publiée en 1905, cf. Gerard David und seine Schule, Bruckmann, Munich, 1905, 209. La notion est ensuite développée par Ludwig von Baldass qui en 1918 propose, au sujet des premiers tableaux de Joachim Patinir, une définition comme représentation de la diversité réelle du monde au sein d’une unité idéale d’ordre paysager, cf. „Die niederländische Landschaftmalerei von Patinir bis Bruegel“, in Jahrbuch der kunsthistorischen Sammlungen des Allerhöchsten Kaiserhauses, n° 34, F. Tempsky et G. Freytag, Vienne, Leipzig, 1918, 111-157. En France, Charles Sterling, formé en partie en Allemagne, s’intéresse aux „paysages de fantaisie“ (Altdorfer et Patinir) et va jusqu’à unir, dans un article publié en 1931, ces paysages renaissants à ceux du Japon de l’époque Ashikaga (1338-1584) ou à ceux de la Chine de l’époque Ming (1368-1643) en découvrant de multiples concordances entre eux et en sondant les influences possibles entre ces deux extrémités d’un même continent, cf. „Le paysage dans l’art européen de la Renaissance et dans l’art chinois. I. Concordances“, in L’Amour de l’art, n° 1, janvier 1931, 13. 10 Walter Gibson, „Mirror of the Earth“: The World Landscape in Sixteenth-Century Flemish Painting, Princeton (N.J.), Princeton University Press, 1989, 57. Nous préférerons marquer ici les limites d’une continuité supposée entre ces paysages de la Renaissance et les paysages planétaires du monde contemporain. Les poètes au début du 20 e siècle s’inscrivent dans une transcendance complexe - qui tend à se confondre avec un rapport au(x) monde(s) -, alors que les poètes du 16 e siècle approchent le monde encore de façon religieuse. 11 Victor Segalen, Œuvres complètes, édition établie et présentée par Henry Bouillier, Paris, Robert Laffont, coll. „Bouquins“, 1995, t. 2, 306. 12 Pour la lecture, par Segalen, du paysage chez Bacot, voir Samuel Thévoz, „Paysages et nomadismes dans le Tibet révolté de Jacques Bacot“, in A contrario, n° 5, 2007, 8-23. 13 Morand, Paul, „Paysages méditerranéens“ (1933), in Voyages, édition établie et présentée par Bernard Raffalli, Robert Laffont, Paris, coll. „Bouquins“, 2001, 782. 14 Filippo Tommaso Marinetti, Le Monoplan du Pape. Roman politique en vers libres, Sansot, Paris, 1912, 249. 15 Valery Larbaud, Journal 1912-1935, Paris, Gallimard, 1955, 122. 16 Salvador de Madariaga, Entretiens. L’Avenir de l’esprit européen, Paris, Publications de l’Institut International de Coopération Intellectuelle, 1934 [comptes-rendus des entretiens de Paris, 16-18 octobre 1933; contribution de Madariaga, 174-175]. 17 Dominique Braga, „Romain Rolland d’Europe“, in Europe, n° 38, 15 février 1926, 221. 18 Drieu La Rochelle, „Le jeune Européen“, in Commerce, n° 9, automne 1926, 87. 19 Dominique Braga, „La poésie du temps“, in Europe, n° 30, 15 juin 1925, 232. 20 Blaise Cendrars, Du monde entier au cœur du monde. Poésies complètes, préface de Paul Morand, édition établie par Claude Leroy, Paris, Gallimard, 2006, [1947], 200. 21 Ginette Guitard-Auviste, Paul Morand (1888-1976). Légende et vérités, Paris, Hachette, 1981, 108-109. 22 Paul Morand, U.S.A. - 1927. Album de photographies lyriques, Paris, Pour la collection de „Plaisir de Bibliophilie“, 1928, 88. 23 Michel Décaudin, La crise des valeurs symbolistes. Vingt ans de poésie française 1895- 1914, Genève/ Paris, Slatkine, 1981, 365. 24 Joachim Gasquet, „Fraternité“, in La Vie française, n° 2, 20 mai 1911, 15-22. 25 Ibid., 15. 72 Dossier 26 Ibid., 16. 27 Jacques Morland, „Enquête sur l’influence allemande: I. Philosophie, littérature“, in Mercure de France, n° 155, novembre 1902, 379 [la réponse de Verhaeren figure aux 379- 380]. 28 Luc Durtain, „Lettre à un lecteur étranger“, in Europe, n° 29, 15 mai 1925, 26-27. 29 Georges Duhamel, Entretien sur l’esprit européen, Paris, Editions des Cahiers libres, 1927, 14. 30 Georges Duhamel, Géographie cordiale de l’Europe, Paris, Mercure de France, 1931, 10-14. 31 Ibid., 15. 32 Ibid., 248. 33 Ibid., 96. 34 Ibid., 149. 35 Léon Bazalgette, Europe, Paris, Editions de l’Effort libre, 1913, 3. 36 François Laurent, „La création de la Revue européenne et la collaboration de Valery Larbaud“, in Auguste Dezalay, Françoise Lioure (éds.), Valery Larbaud espaces et temps de l’humanisme, Clermont-Ferrand, Publications de la Faculté des Lettres et de Sciences Humaines de Clermont-Ferrand, 1995, 168. 37 Paul Morand, Lettres de Paris, Paris, Salvy, 1996, 15 (lettre n° 1, juillet 1923). 38 René Arcos, „Patrie européenne“, in Europe, n° 1, février 1923, 110. 39 Ibid., 110-111. 40 Georges Duhamel, Entretien sur l’esprit européen, op. cit., 61-62. 41 Luc Durtain, „Lettre à un lecteur étranger“, art. cit., 39. La pensée européenne de Durtain a fait l’objet d’une thèse de Trude Wessely, Luc Durtain: Ein Europäer, soutenue en 1931 à l’université allemande de Prague. Malheureusement, nous n’avons pas pu localiser cette thèse. 42 Pierre Abraham, Roland Desne, Manuel d’histoire littéraire de la France, Paris, Messidor/ Editions sociales, 1982, 152. 43 Michel Collot, „Supervielle l’Européen“, in Europe, n° hors-série, actes du colloque „Europe 1923-1998, une revue de culture internationale“, à la Sorbonne le 27 mars 1998, 1998, 59-71. 44 Lionel Richard a montré dans une étude qui porte sur les revues européennes en France dans l’entre-deux-guerres que c’est la vision d’une Europe plurielle, reliée par le sentiment d’une communauté de destin et susceptible de se construire un destin politique, mais en même temps ouverte à l’ensemble des cultures mondiales, qui prédomine, cf. Michel Trebitsch, „Les revues européennes de l’entre-deux-guerres“, in Vingtième siècle. Revue d’histoire, vol. 44, 1994, 137. 45 Gérard Bossuat, „Citoyenneté et lieux de mémoire pour l’Europe unie“, in Andrée Bachoud, Josefina Cuesta, Michel Trebitsch (wds.), Les intellectuels et l’Europe, de 1945 à nos jours, actes du colloque international de l’université de Salamanque, 16-18 octobre 1997, Paris, Publications universitaires Denis Diderot, 2000, 203. 46 Jules Romains, Europe, Paris, Editions de la NRF, 1919, 10. 47 Jules Romains, „Pour que l’Europe soit“, in Europe, n° 88, 15 avril 1930, 464. 48 Ibid., 466. 49 Jules Romains, Europe, op. cit., 25. 50 Ibid., 26. 51 Ibid., 85 52 Ibid., 27. 53 Ibid., 79. 73 Dossier 54 Ibid., 33. 55 Jules Romains, Le Voyage des Amants, Paris, Editions de la NRF, 1920, 22-23. 56 Ibid., 27-29 (poème „Ode en express“). 57 Ibid., 30. 58 Ibid., 40. 59 Jules Romains, Un Être en marche, poème, Paris, Mercure de France, 1910, 18. 60 Interview par Bernard de Vaux dans Je suis partout, du 8 décembre 1934, cité par André Cuisenier, Jules Romains et l’unanimisme, Paris, Flammarion, 1935, t. 1, 128. 61 Jules Romains, Les Hommes de bonne volonté, Paris, Flammarion, 1936, t. 12, 238. 62 La suite étudiée est d’ailleurs significativement intitulée „Europe“ et non pas „l’Europe“: la spécification de l’Europe renverrait davantage à son projet ou sa réalité sociologique et historique; sans article le mot est doté de significations plus ouvertes, notamment géographiques. 63 André Gide, „Poèmes par un Riche Amateur“, in NRF, n° 1, 1 er février 1909, 103. 64 Valery Larbaud, „Paris de France“ (1925), in Œuvres, préface de M. Arland, notes de G. Jean-Aubry et Robert Mallet, Paris, Gallimard, coll. „Bibliothèque de la Pléiade“, 1958, 778. 65 Voir Frank Lestringant, Le livre des îles. Atlas et récits insulaires de la Genèse à Jules Verne, Genève, Droz, 2002. 66 Valery Larbaud, „John Antoine Nau„ (1924), in John-Antoine Nau, Les Trois Amours de Benigno Reyes, Paris, Editions d’Ombres, 2000, 20. 67 Valery Larbaud, Œuvres, op. cit., 74. 68 Ibid., 305-306. 69 Bernard Delvaille, Essai sur Valery Larbaud, Paris, Editions Seghers, 1963, 50. 70 L’on pourra se reporter à A. Bergé, M. Collot et J. Knebusch (eds.), Paysages européens & mondialisation, Carnet de recherche numérique associé au projet de recherche Vers une géographie littéraire, Université Paris 3, EA 4400 [http: / / geographielitteraire.hypotheses.org], à paraître en 2012. 71 Sur l’idée de cette difficile ouverture du roman à la diversité des mondes extra-européens, voir Philippe Zard, La fiction de l’Occident: Thomas Mann, Franz Kafka, Albert Cohen, Paris, PUF, 1999, 82 sqq.