eJournals lendemains 44/173

lendemains
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.2357/ldm-2019-0006
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/
2019
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Transmissions franco-allemandes: le tertium relationis – quelles similitudes?

2019
Thomas Keller
ldm441730068
68 DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 Dossier Thomas Keller Transmissions franco-allemandes: le tertium relationis - quelles similitudes? Introduction: le problème Associer transmission entre cultures différentes et similitude est un défi: en règle générale, l’analyse des transmissions transfrontalières rencontre un double soupçon. Ainsi accuse-t-on souvent la traduction de trahison, la différence devenant synonyme d’infidélité: on soupçonnera par exemple de falsification l’introduction de termes et de concepts philosophiques de provenance étrangère, l’information dans le nouveau contexte étant incapable de reproduire le ‚vrai‘ message. En outre, le regard sur la transmission semble établir une binarité, une comparaison qui tend à enfermer les êtres vivants et les objets dans des images fixes de soi et de l’autre. Les lignes qui suivent s’efforceront d’éviter ces écueils. Elles remplacent la perspective binaire, structurée par l’alternative de la similitude et de la différence, par l’attention portée sur le processus de transmission même, qui précède ce qui est transmis. La transmission requiert un médium qui entretient un rapport complexe avec les différents contextes qu’elle sollicite. Ce médium peut être un artefact technique, un objet ou un corps sacré, un objet d’art, un objet de guerre et un corps vivant, le corps humain inclus. Certes, ce tiers configure aussi des rapports de similitude et de différence avec ses référents: ainsi l’hostie représente ou incarne le corps du Christ; mais, dans tous les cas de figure, le corps du Christ ne se substitue pas totalement à elle. En tant que pain elle subsiste matériellement, indépendamment de sa fonction représentative. Dans les contacts transculturels, ce tiers ‚encombrant‘ acquiert une qualité particulière. Mon accent dans ma langue seconde représente un bon exemple, un exemple littéralement ‚parlant‘. Quand je m’exprime avec un accent, je fais apparaître un petit écart, un désordre vocal. Le processus de transmission ajoute quelque chose, une aspérité résonante. L’accent conserve une propriété audible de la langue première qui vient se loger dans le signifiant (le phonème) et de la langue seconde et parasite le signifié. L’accent est donc un supplément à la fois physique (corporel) et langagier. Il ressemble à la langue d’origine par le son mais il se conforme à la langue seconde pour le sens, tout en produisant un reste inassimilable. Par l’accent, la première langue se maintient à travers un reste sonore et sensible. Ce reste introduit dans la seconde langue une déviation. L’accent témoigne de mon intégration dans une seconde langue. Il constitue du même coup un signal sonore, un signifiant mixte sensible qui provient de la langue première et la désigne, cette dernière étant absente. Il ne s’agit pas d’une relation métaphorique - le terme second ne se substitue pas complètement au terme premier -, mais d’une relation métonymique, qui déplace le terme premier. La contiguïté fait que les particularités du contexte premier, en l’occurrence la prononciation de la DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 69 Dossier langue première, réapparaissent dans la langue seconde parlée. Ainsi l’accent constitue-t-il un signal divisé: le son renvoie à la langue première, bien que le mot (une partie du phonème et le signifié) fasse partie de la langue seconde. Cette qualité de la transmission transculturelle crée un rapport spécifique entre l’énonciation et l’énoncé. Les traces de la transmission forment un tiers irritant qui s’ajoute aux corps parlants. Elles forment un champ, non pas du social, mais du transculturel, dans lequel l’irritant oppose une résistance sensuelle et matérielle à la communication ‚lisse‘. Les expressions se trouvent prises dans un acte précaire. Parler avec un accent représente une expérience physique témoignant de limites motrices données par les parties du corps (langue, cordes vocales, glotte, thorax, diaphragme…). Elle est doublement phatique pour le locuteur et pour le public: on ne peut pas se libérer facilement d’un accent. L’accent est traître. Il est, dans une mesure variable, gênant pour le locuteur. Pour le public, il signale inexorablement un étranger qu’il accueille avec bienveillance ou avec prévention. L’accent constitue un indice renvoyant à une origine étrangère précise. Les accents jouissent d’un prestige particulier. Ainsi l’accent allemand en français a un prestige moindre que l’accent français en allemand. L’accent relie deux langues, deux mondes, mais il peut séparer le locuteur du contexte d’accueil. Toutefois, l’accent peut également se manifester comme pure trace, pur son, sans aucune signification. On peut donc parler d’une particularité sensible de l’expérience physique lors des transmissions franco-allemandes. Elle entraîne celle de la nature du média: il ne s’agit pas d’un simple moyen de communication comme le téléphone ou le courriel, mais elles font intervenir dans la transculturalité un être précaire, à savoir l’homme physique et transculturel, et une marque corporelle comparable à une escarre. La traduction écrite semble faire disparaître le corps sonore, elle ne connaît pas l’accent. Cependant, l’ambivalence de la marque sensible ne régit pas uniquement l’oralité. Ainsi, la précarité langagière se fait-elle également sentir dans le lapsus ou dans l’incongruité stylistique. Elle est lisible dans l’écriture. En revanche, l’absence d’accent aussi bien que l’expression écrite parfaite peuvent dissimuler une sorte de clandestinité au service d’une puissance étrangère hostile. On peut ainsi parler d’un masque expressif. L’accent est „la face de la parole“. 1 Il „envahit la langue seconde et génère une musique atonale“. 2 Il est une persona particulière, une forme d’expression qui renvoie à un type et indique un passage de frontière et non forcément un masque qui discrimine. Il confère un caractère irremplaçable. À la différence d’une particularité dialectale ou sociolectale, ce type ou ce masque reflète, contradictoirement, la migration et l’intégration. L’accent et l’écart stylistique ne sont que des manifestations particulières du masque expressif dans le contact transculturel. Il y en a d’autres comme les gestes et l’expression du visage. Tous ces signes sont des véhicules d’altérité. On peut, par analogie avec le terme de „véhicule iconographique“ (Bilderfahrzeug, cf. Beyer/ Bredekamp/ Puschner/ Wolf 70 DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 Dossier 2018) forgé par Aby Warburg pour caractériser la circulation d’éléments iconographiques à travers le temps et l’espace, parler de véhicules transculturels. Ainsi l’accent est-il un véhicule vocal, un tiers qui circule entre deux mondes et les relie. Or ce véhicule peut également être un objet physique. Le mur de l’Atlantique est certes un monument témoignant de la mégalomanie nazie; il est ‚colossal‘ et peut ainsi, pour les riverains français, belges ou néerlandais, symboliser une propriété allemande, la représenter visiblement. Il peut manifester la présence d’une autre puissance, occupant le sol de sa présence, massive et distincte, en terre étrangère. Cependant, le mur reste un mur, fait de béton. Il garde sa première qualité, son sens propre, il reste. C’est cette qualité de quasi-relique qui ouvre la possibilité de transformer le monument en point de vue, en élevage de champignons, etc. L’objet a également des limites physiques qui déterminent son usage. Tout comme la sonorité de l’accent, imposée par le corps, constitue un reste irritant, les propriétés de l’objet comme la taille, la forme, la surface (lisse ou âpre) et la couleur opposent une résistance à leur résorption dans le contexte d’accueil. L’acte transmetteur ne s’épuise pas dans la fonction imagologique. Les véhicules transculturels ont tous un effet de dé-rangement. Ainsi est-il fallacieux de réduire les relations entre mondes différents à des comparaisons, à des processus métaphoriques produisant des similitudes et des différences. La métaphore a une partie propre et une partie figurée: c’est la partie figurée qui véhicule l’image. L’image diffère radicalement de la partie propre, et pourtant c’est elle qui met en œuvre la similitude. Autrement dit, la métaphore instaure une relation sémiotique qui soumet l’image à la fonction d’illustrer un sens propre auquel elle est apparemment réductible. Or, bien que les transmissions entre cultures établissent également de telles relations, l’accent aussi bien que l’objet encombrant ne se résorbent jamais complètement dans la fonction représentative de la langue. À la place du tertium comparationis, on peut parler d’un tertium relationis, qui est aussi un tertium reliquans. Les différents renvois de la personne expressive et de l’objet encombrant créent des similitudes contradictoires et de nature diverse mettant à l’épreuve le concept de similitude même. Ils ne se plient que difficilement aux définitions de la similitude. Similitude et transculturalité La similitude est une qualité du langage métaphorique. Elle s’y nourrit du caractère nécessairement spatial et imagé de la pensée. La formule aristotélicienne conçoit la métaphore en tant que transmission d’un mot. Selon Aristote, la bonne métaphore fait entrevoir la relation de similitude dans la transmission opérée par la langue (cf. Aristote 1982: 67). Par elle, le sens figuré se substituerait au sens propre. L’idée que la métaphore cacherait le sens propre non-figuré a progressivement perdu de sa plausibilité avec la modernité où des métaphores emphatiques font leur apparition, notamment dans l’art. Elles traduisent l’impossibilité de la langue d’exprimer immédiatement et de façon univoque les choses. Des formules telles que „métaphore DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 71 Dossier vive“ (Paul Ricœur [1995/ 1975]) et „métaphore absolue“ (Hans Blumenberg [1999/ 1960]) reflètent ce dilemme. Ricœur et Blumenberg ont, chacun à sa façon, argumenté contre l’identification du discours transmetteur avec le discours figuré. Ricœur met l’accent sur la capacité de la métaphore vive d’innover et de redécrire la réalité. Blumenberg souligne le caractère paradoxal de la métaphore absolue: elle exprime l’inexprimable; elle ne se ramène à aucune opération logique simple et indiscutable: pourtant c’est elle qui permet à l’homme de s’exprimer. La „métaphorologie“ récente met l’accent sur la dimension non-substitutive de la métaphore (cf. Haverkamp/ Mende 2009). Les sémioticiens ont essayé de reformuler la notion de similitude transmise par la métaphore. Selon Klinkenberg, pour qu’il y ait métaphore, il faut qu’il y ait au moins un sème en commun (isotopie) et un sème différent (allotopie) entre les deux éléments de l’image (cf. Klinkenberg 1996, Botet 2008). Cependant, de telles tentatives pour ‚apprivoiser‘ les tropes récalcitrants trouvent leur limite tout particulièrement dans les constellations transculturelles. Ce qu’exprime l’art moderne, la distorsion, le vague, l’ambivalence, on le trouve aussi dans l’interstice où les cultures se touchent et présentent leurs corps et objets insolites. Le langage y est affecté par des relations qui excèdent le simple jeu de similitude et de différence et développent un réseau physique et sensible régi par des principes de contiguïté. Ces relations métonymiques relèvent d’associations se fondant sur une proximité ‚naturelle‘ et réelle, comme par exemple la partie pour le tout. D’autres définitions de la similitude partent de l’objet. Ainsi Hermann Weyl a-t-il pu reprendre la vieille formule leibnizienne: „On peut parler de similitude entre deux objets qu’on ne peut pas distinguer quand on les regarde chacun pour soi“ (Bhatti/ Kimmich 2015: 16). Cette conception qui part d’un monde pluriculturel indifférent aux différences ne connaît pas de tiers qui relie, qui mélange; elle ne pense pas le transculturel. Dans la définition récente donnée par Ulrike Hahn, Nick Chater et Lucy B. Richardson, la similitude n’est pas une propriété de l’objet, elle est une perception variable de proximité et de distance: „Plus l’entité demande de transformations pour être perçue comme similaire, moins elle est similaire au départ“ (ibid.: 13). L’affirmation de Nelson Goodman selon laquelle „circumstances alter similarities“ (ibid.: 11) semble pouvoir tenir compte des déet des re-contextualisations qui se produisent lors des transmissions transculturelles. La dépendance à l’égard du contexte donne un caractère incertain au concept de similitude. Au lieu d’une conception rapprochant la similitude de l’identité et de la différence, la prise en compte des changements de contextes permet de décrire le vague, la transition, la géométrie variable oscillant entre semblable et dissemblable et déjouant ces catégories. Toujours est-il qu’une telle approche de l’approximatif doit aussi tenir compte du fait que les dislocations, les déet recontextualisations transculturelles n’annulent pas la qualité physique de ce qui transmet. Le corps et l’objet matériel ne se résorbent pas dans la fonction de rapprocher et d’éloigner A et B. Dans mes recherches sur les transmissions franco-allemandes (Keller 2018), j’ai mis en lumière un grand nombre de tiers qui établissent des rapports complexes 72 DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 Dossier entre des contextes de mondes différents. Il s’agit de tertia relationis qui, tout en créant aussi des rapports de similitude et de différence, sont des médias sensibles: des êtres vivants (des corps animaux et humains), des œuvres d’art et des machines, des monuments, des reliques, des tableaux. Les actes de transmission les intègrent dans le contexte d’accueil sans qu’ils s’y fondent complètement. C’est pour cette raison que - sans vouloir récuser ou dévaloriser l’approche du transfert culturel qui consiste à privilégier le contexte d’accueil dans les contacts entre cultures - je privilégie la perception de tout ce qui préexiste à l’information donnée sur l’autre. 3 De ce fait, la notion de similitude dont il est question dans ce texte acquiert une double qualité. Elle résiste à la dissolution de l’un par l’autre et elle déplace. Je m’intéresse avant tout aux relations métonymiques: un objet ou un corps, par exemple un son, se trouvent déplacés et enregistrent des qualités du contexte premier. Ils sont de ce fait des tiers qui relient deux contextes dans une logique de contiguïté, de toucher. Les médias dont il est question ici sont transitoires: ils montrent et touchent de deux côtés. Le double contact, le double lien agit dans l’objet et dans le corps migrant. Cet acte est tout d’abord un événement et une expérience. L’affirmation de différents degrés de similitude et de différence, par exemple dans la prononciation de la langue, est un effet rétrospectif. En remplaçant ainsi la notion de transfert par celle de transmission, je me procure la possibilité de me passer de tout discours imagologique portant sur l’identité et sur la différence. Je parle d’événements et de lieux reliant des personnes en Allemagne et en France sans être obligé de recourir à des concepts essentialistes ni même comparatistes. Je m’attache à percevoir des objets et des corps qui ne signifient strictement rien en soi, qui ne représentent rien d’allemand ni de français, mais qui relient ou séparent pourtant Allemands et Français. Ces objets et corps libérés ont une dimension physique et sont également d’ordre événementiel dans la mesure où ils réalisent un passage ou marquent un rejet. On peut alors regrouper les médias (corps et objets) selon leur nature et les relations qu’ils instaurent entre cultures en distinguant cinq modes de transmission: • l’emprunt circonstanciel; • la substitution par une effigie; • la double contextualisation; • le toucher et la contamination; • le tiers insolite. 1. Emprunt circonstanciel 1.1. Trahison par la voix et par le style La trahison par la voix démontre particulièrement bien le procédé circonstanciel à partir du „paradigme d’indices“ (Carlo Ginzburg). À travers la voix, les locuteurs trahissent leur âge, leur sexe, leur région d’origine et leur caractère. Lors de la recherche d’un criminel, on diffuse parfois une voix à la radio ou à la télé, dans l’espoir DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 73 Dossier qu’un auditeur parvienne à identifier la personne à laquelle cette voix appartient. Depuis peu, on analyse la voix pour déterminer l’origine et la langue d’un réfugié. L’accent dans la prononciation d’une langue seconde permet des suppositions quant à l’origine du locuteur. Il ouvre un accès indirect à la langue première. Un masque acoustique particulier se forme également lors de transmissions franco-allemandes. Il porte les traces de l’autre ou les cache. Il est pourtant très rare que les textes littéraires imitent l’accent. L’imitation tend à ridiculiser la parole du locuteur. La littérature préfère passer sous silence l’accent. Son absence n’est pas forcément le signe de l’intégration parfaite - comme j’ai dû le constater quand j’ai lu les textes des grands médiateurs franco-allemands dont les héros sont bilingues. Mme de Staël, dans son roman Corinne ou l’Italie, présente la protagoniste comme une femme italienne qui, de façon imprévue, parle l’anglais sans accent, ceci en Italie en présence d’un Écossais, son futur amant. „Corinne remercia lord Nelvil, en anglais, avec ce pur accent national, ce pur accent insulaire qui presque jamais ne peut être imité sur le continent“ (de Staël-Holstein 2003 [1807]: 68). L’absence d’accent, présentée d’abord comme une qualité, perturbe cependant Lord Nelvil. Elle cache un secret. Corinne a une mère italienne et un père écossais. L’emprunt circonstanciel révèle progressivement sa double appartenance. Cependant, cette position binationale est précaire et instable. Corinne ne trouve pas de place, elle va à sa perte. La double ‚ressemblance‘ n’a pas de lieu. Le maintien de traits au-delà de la transplantation constitue l’intrigue dans Siegfried et le Limousin de Jean Giraudoux. Le roman fonctionne comme un collecteur d’emprunts circonstanciels, accumulant preuves et indices. Le corps de Jacques Forestier, trouvé nu, amnésique et sans langue sur le champ de bataille, devient celui de Siegfried von Kleist, parlant et écrivant en allemand. Il co-rédige la constitution de la République de Weimar. L’intrigue du roman consiste à retransformer en français le corps déplacé et programmé en allemand. Sa ré-identification en tant que français est multiple. Il est remarquable que ce ne soient pas les traits corporels mais les caractéristiques langagières qui permettent d’identifier Siegfried von Kleist alias Jacques Forestier. L’emploi de la litote par Forestier/ Siegfried dans des textes écrits en allemand le trahit (cf. Giraudoux 1991 [1922]: 620) . Cette particularité stylistique prétendument française frappe encore lors de distances géographiques considérables. L’ami de Forestier, le narrateur, lit un article dans la Frankfurter Zeitung à Paris, signé par „ SVK “. Il témoigne de la transmission possible d’une caractéristique française dans un corpus écrit allemand. L’allemand de Siegfried enregistre la transmission de particularités langagières françaises dans la langue allemande. Le masque expressif est ici acoustique et stylistique. Siegfried von Kleist parle allemand sans accent. Il apprend le français sans aucun problème. Il pratique immédiatement le subjonctif II . Les indices que relève le narrateur, l’ami français, sont donc en quelque sorte des indices négatifs, à savoir l’absence d’accent et d’écart stylistique. 74 DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 Dossier La transmigration d’une personne a une dimension matérielle, langagière et iconographique. Jacques Forestier se trouve physiquement en Allemagne, ses caractéristiques langagières migrent à travers la Frankfurter Zeitung lue à Paris. Le narrateur, l’ami français, devient une figure dans un tableau de Poussin qui subit également un déplacement. L’ami allemand, le comte von Zelten, ramène le tableau à Paris où le narrateur français peut le découvrir. L’incongruité du tableau l’incite alors à dévoiler le secret. Les ‚véhicules‘ fonctionnent comme des métalepses ontologiques réalisant des sauts entre niveaux, médias et cultures différents. Les indices physiques qu’émet la personne en présence n’interviennent qu’après ces indices envoyés de loin. Giraudoux convoque ici le modèle d’Ulysse: l’animal, le chien Black, reconnaît son maître à son odeur. La rencontre physique permet une identification visuelle et olfactive. Toutes ces caractéristiques ne sont pas aléatoires. On ne peut pas les annuler, contrairement aux habitudes que Forestier a acquises en Allemagne (piratage, exagérations dans le style) et qu’il abandonne après son retour en France. Le modèle de référence est également chrétien. Le toucher permet de saisir l’âme. 4 Siegfried est un ressuscité qui ne parle pas ou qui parle peu. Il voudrait être touché et témoigne ainsi physiquement de sa persistance au-delà de sa mort présumée. L’identification ne connaît qu’une direction: celle vers la France. L’intrigue rétablit la frontière. Le processus est circulaire, d’abord disjonctif, puis ré-intégrateur: Jacques Forestier devenu allemand redevient lui-même. Ce mouvement est dissymétrique. Le corps nu et amnésique préserve l’identité de Jacques Forestier; elle se maintient à travers le déplacement et le contact dans le contexte allemand. En fin de compte, l’intrigue consiste à constater la similitude des personnes avec une culture, avec une nation. Le script est identitaire, à savoir gréco-chrétien et national. Le corps traversant la frontière redevient un corps-frontière. À travers les ressemblances persistantes, Siegfried redevient Jacques et rentre en France. Bien que Siegfried von Kleist porte un masque allemand, son masque expressif, son ‚vrai‘ masque, reste français. Giraudoux n’évite pas seulement une géométrie variable, glissant entre similitude et différence, il évacue également l’escarre, la tavelure. Le procès circonstanciel est la stratégie sémiotique qui, parmi les transmissions transculturelles, reste la plus proche de la relation métaphorique. Il est l’approche préférée des médiateurs qui comparent les cultures. Ils opèrent à l’intérieur d’une alternative qui consiste à confirmer ou à dénier une identité. Les similitudes et les différences sont situées sur des pôles opposés. On est forcé de décider entre l’absence d’écarts et la marque sensible. 1.2. Emprunt stylistique dans l’acte de mise en image Dans les exemples précédents, les corps, bien que soumis à l’épreuve de la traduction, préservent certaines des caractéristiques du premier contexte. Cette traduction prend la forme d’une translation sonore et stylistique et établit ainsi en quelque sorte DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 75 Dossier une transversale culturelle. La couleur ou une forme peuvent également se transmettre. Ces éléments du contexte originaire font alors l’objet d’un emprunt (Mitriss, cf. Bredekamp 2015: 277-300) de tableau à tableau. Ils persistent dans l’image d’arrivée sous l’effet de la transmission transculturelle. Ainsi le portrait de Wilhelmine Cotta peint en 1802 par Gottlieb Schick reprend-il la position de Juliette Récamier telle que l’observateur la connaît des tableaux de David et de Gérard. Schick, originaire de la Souabe, a vu le tableau de Gérard à Paris. Schick place la grâce allemande dans un décor naturel, à savoir dans un paysage typique aux alentours de Tübingen, au bord du Neckar. Il crée ainsi une ressemblance et une dissemblance entre les deux grâces et les deux tableaux. Il est évident que les postures se ressemblent et rapprochent les deux femmes. Même le rouge présent dans le tableau de Gérard occupe une place similaire. Deux relations régissent cette transmission, la première étant de l’ordre représentatif, mimétique (les portraits ressemblent aux femmes représentées), la deuxième imite un style (le portrait de Schick reprend le style néo-classique du portrait de David, qu’on retrouve ensuite dans le second portrait, postérieur à celui de Gottlieb Schick, de Mme Récamier par Gérard). Ill. 1: Jacques Louis David, Portrait de Mme Récamier (1800, Louvre) 76 DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 Dossier Ill. 2: Christian Gottlieb Schick, Portrait de Wilhelmine Cotta (1802, Staatsgalerie Stuttgart) Ill. 3: François Gérard, Juliette Récamier (1805, musée Carnavalet) DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 77 Dossier Le style néoclassique de ces portraits signe l’emprunt. Paris, alors capitale européenne de la culture, exerce son attraction. Le tableau s’inscrit dans l’espace francoallemand du début du règne de Napoléon, sur lequel repose encore l’espoir des élites culturelles allemandes. Cet emprunt stylistique au moment de la mise en image constitutive du portrait établit un véhicule iconographique qui ne traverse pas le temps et l’espace, mais qui crée un continuum transculturel. À travers ce continuum s’établit un tiers par lequel un élément de la première culture se maintient dans la deuxième. Le style néoclassique reliant les écrits de Winckelmann et la doctrine de l’art en France se reconnaît à des surfaces et à des contours lisses, qui n’opposent aucune résistance: il est facilement identifiable dans la mise en image du portrait. Le tableau de Schick ressemble à celui de David, et celui de Gérard à celui de Schick. À chaque fois, le nouveau contexte ne modifie la similitude que dans une mesure limitée. Mais il est dépendant d’une relation contiguë. Bien que la transmission stylistique soit indépendante de la localisation des images, elle a pour condition la mobilité de l’artiste et la proximité des cultures en contact. 1.3. Coproduction de l’objet L’emprunt circonstanciel permet de découvrir ‚l’origine‘ étrangère cachée d’une chose ou d’une personne à partir d’indices. Il cherche à identifier. Cela vaut aussi bien pour la création artistique que pour la production industrielle réalisée en coopération. Lorsqu’il y a coopération, le processus de création ou de production réunit des personnes et des techniques de cultures diverses. La guillotine, aujourd’hui perçue comme un symbole de la Révolution Française, est à ce titre une œuvre transculturelle. La machine, recommandée par le médecin Ignace Guillotin et le bourreau Sanson, est conçue et produite en commun par Antoine Louis et par Tobias Schmidt, qui était un fabricant de piano allemand à Paris. La machine cache sa composante allemande, à savoir un savoir technique provenant de la construction d’instruments de musique et transmis à cet appareil redoutable. La machine ne renvoie que de façon cachée à ses différentes composantes. 5 L’Airbus rassemble ouvertement, voire officiellement, des parties d’origines diverses que l’usager commun ne saurait identifier dans le détail. Toutefois, l’avion passe pour un objet mixte, à savoir européen, reliant les différentes composantes. La volonté de produire un objet à plusieurs mains traduit aussi une conscience transculturelle, un désir de dépasser l’appartenance unique sans s’affranchir de l’appartenance même. Les choses semblent alors se libérer d’une quelconque ‚identité‘; cependant l’identification des différentes composantes n’échappe pas à la logique identitaire. 78 DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 Dossier 2. Substitution par une effigie (l’objet et l’image remplacent le corps vivant) 2.1. L’objet haïssable Dans les cas de figure suivants, ce n’est pas l’identification du corps substitué qui est décisive mais bien l’interaction de l’objet substituant (image, statue…) au corps substitué. Elle est le plus souvent une conséquence de la haine, comme dans l’exécution en effigie: on pend une poupée à la place du corps humain vivant. Mais l’effigie peut également être un objet d’admiration. Au musée Granet à Aix, je suis tombé sur les restes du tombeau du Marquis d’Argens. Frédéric II , roi de Prusse, a fait édifier ce monument pour honorer cet ami des Lumières qui était aussi le sien (amicus), et qui tout Marquis provençal qu’il était avait passé une grande partie de sa vie à la cour de Prusse, à Berlin et à Potsdam. Le roi de Prusse charge le sculpteur Bridan de réaliser le tombeau. Le tombeau est une provocation voulue par le roi de Prusse. Le médaillon avec le portrait du Marquis, l’inscription précisant qu’il s’agit du chambellan du roi de Prusse et de „L’ami de la vérité“ viennent affirmer une certaine idée des Lumières, incarnée à la fois par le défunt et par le commanditaire, le roi de Prusse, dans un milieu catholique provençal qui ne leur est pas acquis. Le monument tient lieu ici des personnes et de leurs idées. Les indices qu’il véhicule irritent. Il a fait scandale pendant plusieurs décennies quand il se trouvait encore dans l’Église des Minimes à Aix. Les curés attaquent le tombeau matériellement: ils ajoutent une inscription mensongère relatant la reconversion du Marquis au catholicisme; derrière le tombeau, c’est la personne qu’ils visent. Puis les visiteurs venant d’Allemagne cherchent à rétablir la vérité. L’objet rassemble deux contextualisations, celle qui renvoie à la Prusse et celle qui s’enracine dans l’environnement local. Le monument acquiert son statut d’objet de haine à partir de signes de similitude iconographique et à partir d’un message écrit. Le médaillon représentant le marquis et l’inscription identifiant le mandataire et son ami ainsi que leurs idées communes restent intacts. En revanche, le message relatant la conversion du marquis, la trace des curés, deviennent objet de discussion et de rejet. Une similitude comme celle du médaillon avec le marquis n’est pas suffisante pour déclencher l’attaque contre l’effigie. La simple existence du monument ainsi que l’information sur le commanditaire suffisent pour attirer la haine. Il existe d’autres signes matériels de la présence allemande en France qui ne reposent sur aucune reconnaissance, aucune similitude. Ce sont souvent des ‚reliques‘de la guerre et de l’Occupation. Un exemple particulièrement visible est le mur de l’Atlantique. On pourrait peut-être dire qu’il ‚symbolise‘ un furor teutonicus. Mais cette relation de similitude est le produit de l’imagination et ne repose sur aucun indice matériel de ce qui reste de ce mur. Aujourd’hui, ce monument n’attire plus les foudres de la haine mais est plutôt l’objet d’un traitement ludique. La similitude en effigie est pure absence. Elle ne repose sur rien. Elle se perd dans la matérialité de l’objet. Elle adore ou détruit l’absent et érige son monument en pure relation, avec ou sans indice. DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 79 Dossier 2.2. Le tableau vivant admirable La présence d’Allemands à Paris provoque très tôt une perception du corps qui emploie l’image et l’ekphrasis comme signes de l’intégration réussie. Dans mes recherches sur les transmissions franco-allemandes avant la Révolution française, je suis tombé sur deux immigrés allemands qui ont fait carrière à Paris: Frédéric Melchior Grimm et Jean-Georges Wille. Tous deux ont bien sûr acquis la notoriété comme Allemands: leur identité allemande fait l’objet d’une mise en scène. Diderot les présente tous deux au moyen de tableaux vivants, Wille à travers le portrait peint par Greuze, Grimm à travers la description de l’ami qui change de posture dès qu’il se sait observé (cf. Keller 2018: 111-147). Diderot souligne le dynamisme de l’immigré. Au salon de 1765, il a vu le portrait de Wille peint par Greuze. Ill. 4: Jean-Baptiste Greuze: Jean-Georges Wille (1763) Il commente ainsi le tableau, qui se trouve aujourd’hui au musée Jacquemart-André: Très beau portrait. C’est l’air brusque et dur de Wille; c’est sa roide encolure; c’est son œil petit, ardent, effaré; ce sont ses joues couperosées. Comme cela est coiffé! Que le dessin est beau! Que la touche est fière! Quelle vérité et variété de tons! Et les velours, et le jabot, et les manchettes, d’une exécution! J’aurais plaisir à voir ce portrait à côté d’un Rubens, d’un Rembrandt ou d’un Van Dyck (Diderot 1984: 192). Si Diderot insiste ici sur la technique mise en œuvre pour obtenir une imitation réussie, cette imitation ne remplace pas simplement l’original par une copie. Elle est double: elle agit dans l’acte de peindre de Greuze et dans l’acte de décrire, dans l’ekphrasis de Diderot. Aujourd’hui on parlerait de transmédialité. La représentation réalise un haut degré de similitude avec l’original, à savoir l’homme Wille. Or Diderot attire l’attention sur l’expressivité atteinte par la mimique et par les couleurs. Elle reflète l’intégration réussie. Les tableaux vivants sont devenus des moyens pour 80 DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 Dossier donner le portrait d’un homme réel vivant, en l’occurrence un immigré. Wille n’est pas beau, mais il exprime une force dynamique. La présence de cette puissance dans le tableau qui force l’admiration du spectateur est un effet in effigie. Dans ses Essais sur la peinture, qui font suite au Salon de 1765, Diderot revient à Wille dans le chapitre sur l’expression. D’après lui, seule l’immigration en Italie ou à Paris permettrait l’épanouissement du génie allemand. Raphael Mengs et Wille en sont les exemples: „Meings [sic] fait des prodiges, c’est qu’il s’est expatrié jeune, c’est qu’il est à Rome“ (ibid.: 146). Diderot connaît personnellement les graveurs allemands Preissler 6 et Wille. Il se souvient qu’étant jeune, il a vécu avec les deux dans le même grenier. Si les graveurs allemands étaient restés en Allemagne, leur talent n’aurait pas porté ses fruits: „enfermez-le à Breslaw, et nous verrons ce qu’il deviendra“. Dans un premier temps, l’art de Preissler était supérieur à celui de Wille. Puis Preissler a quitté Paris pour Copenhague: „il n’est plus rien“. Wille en revanche s’est épanoui à Paris: „aujourd’hui il est devenu le premier graveur de l’Europe“ (ibid.). Il importe que les traces d’une vie transculturelle restent sensibles à travers les différents médias: la vivacité de l’expression, les couleurs dans le portrait de Greuze, „réapparaissent“ dans l’intensité exclamatoire, dans l’ekphrasis de Diderot. À travers la Correspondance littéraire de Grimm, par laquelle le Salon de 1765 et les Essais sur la peinture étaient diffusés, cette expression de vitalité atteint un public européen. La similitude traduit ici plutôt la persistance d’une énergie. La transmédialité fonctionne en tant que métalepse transgressant les frontières entre niveaux et médias différents. La fonction substituant au corps vivant un tableau vivant trouve un équivalent dans l’hypotypose de l’étranger. Diderot accueille avec bienveillance l’intégration de Wille et celle de Grimm. Mais l’hypotypose, quand elle témoigne de la présence de l’étranger, véhicule et provoque souvent la haine. C’est pourquoi on parlera ici d’effigie: présenter l’autre, l’objet, l’étranger en effigie permet d’attaquer ou de punir l’effigie à la place de la personne. Ainsi, la matière subit-elle les attaques ou les rejets à la place des personnes représentées. 3. Double contextualisation 3.1. Vols Le vol d’œuvres d’art, la spoliation et la multiplication de leurs expositions ont pour effet la genèse d’une double ou de multiples contextualisations. L’objet subit et enchaîne une série de contextualisations qui font sens, il devient parlant du fait de ses déet de ses re-contextualisations. Il devient un tableau vivant dans un sens autre que le portrait de Wille. Le vol d’œuvres d’art organisé par Denon sous Napoléon se traduit par le transport du tableau. Leur présence dans la collection d’un prince allemand, leur vol, leur exposition au Musée Napoléon, puis leur retour en Allemagne ont eu comme effet un redoublement de l’aura. L’aura locale (nationale) et l’aura du ‚voyage‘ coexistent. DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 81 Dossier L’exposition à Paris l’a inséré dans un contexte historique et européen, elle montre les rapports avec d’autres tableaux. Le ‚voyage‘ a augmenté son prestige. Le message du tableau même, par exemple celui du Jugement dernier aujourd’hui attribué à Memling, devient une manifestation de l’art religieux vieil-allemand (altdeutsch). La ressemblance avec l’art national semble exiger la localisation du tableau sur le sol allemand. Cependant du même coup, le tableau devient ‚parlant‘ (cf. Savoy 2011): il raconte ses localisations et son voyage. Le tableau reste le même, mais son aura se pluralise. Le tableau qui traîne avec lui des contextes différents est un porteur de signe, une ‚sémiophore‘ (Pomian 1988) particulière. Elle intègre les contextes et les transforme en signes renvoyant à plusieurs appartenances et provenances. 3.2. Rejets Contrairement à la multiplication des contextualisations dans le cas des œuvres convoitées, d’autres objets déplacés et exposés ne réussissent pas à s’insérer dans un deuxième contexte. À l’occasion de l’exposition universelle à Paris en 1900, quelques objets d’art décoratif moderne fabriqués à Munich cherchent un public français. Les objets ont une valeur esthétique, renvoyant au fonctionnalisme moderne. L’art nouveau, puis le Jugendstil, se veulent de plus en plus épurés. Leur déplacement sert à les vendre et à révolutionner la décoration intérieure en France. Cependant, ils heurtent les yeux des observateurs locaux. Les objets ont pour ambition de remplacer les meubles Louis XV dans les intérieurs français. Les médiateurs Julius Meier-Graefe et Otto Grautoff soulignent le caractère moderne des objets. Mais cette modernité semble être allemande. La tentative pour remplacer en France le mobilier traditionnel par le design moderne échoue, dans un premier temps du moins. L’absence de similitude avec le style national fait problème. 3.3. Circulation L’exemple suivant montre que l’origine étrangère peut aussi constituer une valeur à part. Dans une coopération entre l’architecte Rudy Riciotti et Fred Rubin, les lampes provenant du palais de la République de Berlin-Est ont trouvé refuge, dans leur exil, au Pavillon Noir d’Aix-en-Provence. Fred Rubin pratique le rotational recycling: il sauve des objets de RDA menacés de destruction, les entrepose et les réinsère dans des environnements nouveaux les plus divers. Riciotti se propose de respecter et de restituer la valeur matérielle des objets dépréciés. Les objets sauvés du Palais de la République retrouvent leur fonction à Aix: ils donnent à nouveau de la lumière et montrent leur valeur esthétique. Il s’agit d’un acte d’empathie et de réparation envers ceux qui voient disparaître tout objet de leur vie antérieure. Les objets conservent un lien avec l’Allemagne de l’Est. Rien ne permet au spectateur d’identifier l’origine des lampes à partir d’indices caractéristiques. Elles sont modernes, c’est tout. Les lampes dans le nouvel environnement redeviennent de simples objets d’usage. Mais elles font sens par leur double contextualisation pour les Allemands de l’Est, à travers leur déplacement et 82 DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 Dossier leur exposition en terre étrangère. Par la double contextualisation, les objets - tableaux, meubles, lampes - se voient marqués culturellement deux fois (ou plus) tout en restant les mêmes. 4. Toucher et contaminer 4.1. Le transport des reliques On peut récuser, neutraliser, détruire, déformer ou mutiler les objets déplacés renvoyant à l’ennemi - selon la logique de l’effigie. La communication par le toucher est quant à elle beaucoup plus exposée, voire dangereuse. Le contact physique, qu’il s’agisse de serrer la main, de l’acte sexuel ou de tout autre contact, déclenche parfois le phantasme du toucher magique et de la contamination. Il peut augurer d’une guérison aussi bien que de la transmission d’une maladie. Le corps partiel fétiche peut être objet de vénération et de rejet communs. Cette transmission ‚virale‘ ne fonctionne pas sur le mode de la similitude. Elle opère par incorporation. Elle rapproche des personnes, les rend similaires dans le sens qu’elle les réunit dans une vénération commune ou un rejet commun. Elle entraîne la fétichisation de l’objet partiel, d’une partie du corps qui devient un tiers. Elle constitue alors la référence partagée d’une communauté sociale, religieuse ou nationale. Des personnes et groupes issus de mondes différents peuvent se rencontrer autour de l’usage ou de la vénération commune d’un objet. Dans le contexte francoallemand, il peut s’agir d’un lieu fixe, comme la chapelle et le trône de Charlemagne à Aix-la-Chapelle, ou alors du transport d’une relique. Les reliques de St. Liboire, conservées à Paderborn, ont fait l’objet d’un double transfert, vers le Mans au V e siècle, puis du Mans à Paderborn au IX e siècle. La légende de leur deuxième déplacement est éminemment transculturelle: Badurad, évêque de Paderborn, demande à son collègue Aldric, évêque du Mans, de lui laisser une partie des reliques du saint. Une délégation de Paderborn est chargée du transport. Un paon montre le chemin à la délégation transférant les os. L’animal messager meurt lors de l’arrivée à Paderborn, comme le messager de Marathon. Après leur transfert, les reliques matérialisent un lien entre deux espaces, deux groupes de personnes, deux pays. La translation même est au centre d’une vénération et d’un emploi communs. Les reliques de Saint Liboire dotées de la narration de leur déplacement forment une référence sensible commune aux catholiques allemands et français. La similitude réside tout d’abord dans la métonymie constitutive de la relique: l’os représente Saint Liboire. Puis l’effet des reliques rapproche les hommes. Le rapport par le toucher partagé par Allemands et Français réside dans la foi, dans la communauté des croyants. Il entraîne une similitude entre eux. Les reliques sont encore aujourd’hui un objet sacré initiant et matérialisant le jumelage entre les deux villes. La médaille de Saint Liboire honore l’engagement européen. L’effet miraculeux escompté réunit les croyants catholiques, mais aussi deux pays. Les parties du corps sont des DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 83 Dossier fétiches assumant la fonction de fonder la paix. Il s’agit d’un don et d’une participation magique. 4.2. Les cheveux tondus La métonymie est un véhicule: la partie du corps renvoyant au corps complet, que ce corps soit considéré comme sacré ou comme abject, a pour effet de doter cette partie du corps d’une force. Cette force agit également dans le cas d’une maltraitance. Pendant l’épuration en été 1944, des milliers de femmes françaises ayant entretenu une relation amoureuse avec un soldat allemand ont subi le supplice de la tonte. La photo célèbre de Robert Capa montrant une femme tondue et son bébé dans les bras a donné un caractère emblématique à ce type de scène. La métonymie, les cheveux, est invisible, le fruit de l’union, le bébé, est présent. Les cheveux coupés appartiennent à la femme, ils renvoient également au soldat allemand absent que la foule ne peut pas atteindre ni punir. La logique de l’effigie est inversée. La femme est le bouc émissaire. La tonte doit fonder une nouvelle communauté nationale. La meute agit au nom de la justice du peuple. Cependant, la photo de Capa déclenche une inversion. Elle montre la violence dont les femmes accusées de collaboration horizontale sont les victimes et provoque la compassion. Vingt ans plus tard, Georges Brassens réinterprète l’acte sexuel et la tonte en en inversant le sens. Le chansonnier, l’observateur, qui assiste passivement à la scène de la tonte, a honte, il n’ose pas venir en aide. Mais il s’approprie les cheveux coupés, le trophée devient talisman. Le geste restaure la manifestation d’amour. Brassens, qui fut travailleur forcé dans l’Allemagne nazie, s’excuse de mal prononcer „Ich liebe dich“. Il parle allemand avec un accent très fort comme le montre l’enregistrement sur youtube. 4.3. Les animaux fétiches du Roi des aulnes De tels événements présupposent qu’une partie du corps enregistre le savoir d’une existence antérieure: la relique comme l’enfant de la femme tondue ont une origine étrangère. Les objets fétiches peuplant le roman Le Roi des aulnes de Michel Tournier (Tournier 1970) dissolvent les frontières entre les corps. Les objets sont des animaux - les pigeons et le hongre formant une sculpture avec l’homme. Ils sont des êtres chéris qui, dans leur vulnérabilité, ressemblent à l’anti-héros, le prisonnier de guerre Abel Tiffauges. Ils lui donnent la possibilité d’établir un rapport non-génital avec des enfants allemands. Les relations se passent sans violence, elles font en quelque sorte l’économie de l’Œdipe. Les objets fétiches ont un double statut: ils ressemblent à Tiffauges désirant; ils ressemblent à l’objet désiré. Les corps vivants chéris sont les objets du désir non génital de Tiffauges. Les pigeons traversant les lignes de démarcation et l’hongre qui porte les enfants voire les enfants mêmes sont des êtres vivants-fétiches ayant besoin de protection. Ils permettent de mettre en scène le désir du prisonnier de guerre français. Ainsi situés, ils deviennent les parties d’une sculpture mi-humaine, mi-animale. La relation des protagonistes entre eux crée une continuité entre 84 DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 Dossier l’homme et l’animal. Une logique de l’incorporation se substitue à la logique substitutive. Dans tous ces exemples, un corps vivant en tant que tiers est indispensable. Il organise le contact entre deux contextes culturels. Il tient lieu, il extériorise les affects, les désirs et les agressions liant deux personnes. Ces qualités du tiers distinguent le médiateur Tournier d’un Giraudoux. 5. Exclusion du tiers et tiers insolite 5.1. Dandysme et indifférentisme Le dernier cas est celui de la personne ou de l’objet qui se dérobe à toute identification avec A ou avec B. Il annule les notions de similitude et de différence. Ce tiers refuse d’incarner tout ce qui ressemble à une nation, à un groupe. Quelques années avant la Première Guerre mondiale, un nouveau type de rebelle avant-gardiste apparaît. Des imposteurs et mythomanes comme B. Traven, Arthur Cravan et Felix Paul Greve surgissent. Ils bâtissent leur vie sur une stratégie de camouflage obscurcissant toute référence à l’origine, à des étapes de vie. Ils n’appartiennent à aucune culture. La non-identité est leur programme. Aucun public ne peut les saisir. L’habitus du dandy déjouant toute forme d’identité locale ou l’indifférence pratiquée par Mynona et d’autres dadaïstes évacuent toute appartenance. Mynona alias Salomon Friedländer assume la posture du dandy. Il critique le livre À l’ouest rien de nouveau d’Erich Maria Remarque au moyen de son concept d’indifférentisme (cf. Mynona 2009, 2010). Selon Mynona, Remarque n’aurait pas su marquer ses distances vis-à-vis de catégories abstraites et clivantes comme le ‚Français‘ et l’‚Allemand‘, génératrices de guerre. L’‚indifférence‘ de Mynona tisse un lien entre les dadaïstes allemands, comme Hausmann et Huelsenbeck, d’autres dadaïstes comme Tzara et Eluard, et le groupe qui organise le procès Barrès (Breton, Aragon, Péret…). À l’encontre du nouveau lieu de mémoire - la Tombe du Soldat inconnu installée sous l’Arc de Triomphe en 1920 - ils mettent en scène l’existence de la créature souffrante au-delà de toute nationalité et culture. Péret porte le masque à gaz et s’écrie „kaputt“. Ce cas de figure évite les véhicules expressifs caractéristiques créant des relations identitaires. L’avant-garde s’efforce d’échapper à l’alternative de se décider pour des similitudes ou pour des différences. Ils déconstruisent le concept reliant des cultures différentes par un tertium comparationis. 5.2. Résistance de l’accent L’accent peut être objet d’un procédé circonstanciel, mais il peut également se dérober à toute identité. La parole exprimée avec un accent n’est pas forcément une parole qui trahit son locuteur en lui assignant une identité univoque. Le masque sonore réunit la similitude et la différence. Il fait phonétiquement ressembler la DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 85 Dossier langue seconde à la langue première, il rend la deuxième langue un peu différente de celle parlée par les locuteurs ‚de souche‘. Les œuvres d’art peuvent reléguer cet effet au deuxième plan en le confinant à l’exception, par exemple à une caractéristique de l’immigrant. Si la traduction est un processus d’intégration nécessaire et légitime, la soi-disant synchronisation dans les médias visuels est un vrai désastre. Dans les films synchronisés la mimique, les mouvements de la bouche et les mots ne coïncident plus. Les acteurs font des grimaces. Les metteurs en scène, ou plutôt les producteurs de films, craignent pourtant le bilinguisme accompagné de soustitres. Cependant, le parler avec un accent ‚met en son‘ une aspérité qui est aussi une vérité propre. Le corps peut ainsi accentuer la transition. Certaines œuvres mettent en avant le processus de transmission même. Wedekind l’a essayé au théâtre dans sa pièce d’abord multilingue Frühlings Erwachen. Puis, pendant les années trente, Jean Renoir, dans son film La Grande Illusion, fait parler chaque acteur dans sa langue maternelle et dans une langue étrangère, cette dernière avec un accent. Récemment, dans Frantz de François Ozon et Transit de Christian Petzold, les acteurs parlent leur langue maternelle sans accent, ils parlent une deuxième langue avec accent. Une constellation de chiasmes se dessine. Le plurilinguisme et le codeswitching situent la frontière dans le corps même qui porte maintenant un masque expressif déviant. Il n’y a aucun doublage, seuls les sous-titres offrent une traduction écrite. Le texte littéraire préexistant pour Frantz, c’est-à-dire L’Homme que j’ai tué de Maurice Rostand publié dans les années 20, avait pour but la substitution totale: le soldat ‚meurtrier‘ doit remplacer sa victime auprès de la fiancée et des parents. Le film Broken Lullaby de Lubitsch, tourné d’après le roman de Rostand, retient cette possibilité de substitution. Dans Frantz, en revanche, le Français ne peut pas remplacer l’Allemand. Paula cherche Adrien en France, mais elle ne l’épouse pas. Son accent trahit la vérité de son origine, il signale l’impossibilité de devenir l’autre de l’autre culture. Les indices trompent le spectateur. Parfois les images mentent, quand elles montrent Adrien et son ami Frantz visitant le Louvre avant 1914. Quand Paula visite ‚réellement‘ le Louvre, la métonymie reprend ses droits. L’accent est un masque expressif irréductible, qui ne peut être exclusivement ramené à aucune identité (nationale). Il tient lieu d’une appartenance, non tant qu’il la remplace et en joue le rôle que comme corps précaire - comme véhicule transculturel. 5.3. Résistance de l’objet Existe-t-il dans le registre visuel des objets un équivalent pour l’aspérité sonore de l’accent? Tout comme la sonorité de l’accent est imposée par le corps et gêne le public, les propriétés de l’objet comme la taille, la forme, la surface (lisse ou rugueuse) et la couleur peuvent résister à leur réduction à une pure fonction de représentation iconique et créer le désarroi. Un bon exemple, un exemple spectaculaire, est le crocodile du Collège de Pataphysique. En 2016, on pouvait admirer cet animal 86 DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 Dossier effrayant dans la Böhmische Straße à Berlin, dans le quartier hussite Rixdorf, accompagné de l’information qu’il s’agissait d’une émanation du Collège de Pataphysique. Des recherches ont permis de donner un nom et une histoire à la créature. Il s’agissait de Lutembi, le quatrième vice-curateur du Collège de Pataphysique. Lutembi était un crocodile mythique du lac Victoria, où il aurait exercé les fonctions de juge et dévoré les coupables. Il a présidé le collège pendant l’Occultation jusqu’en l’an 2000. Il réapparaît à Berlin en 2016, puis disparaît. L’installation réitère l’humour potache qui avait présidé à la création du père Ubu par Alfred Jarry. Tandis que le père Ubu est une forme ronde qui se rapproche d’une boule à travers une multitude d’aspérités, le crocodile déchiqueté représente la forme la moins ronde qu’on puisse s’imaginer. Carus le classe en bas de l’échelle des êtres vivants. En migrant, la créature relie les pays dans lesquels les membres du collège sont actifs. Le tiers est devenu un élément ‚contre-nature‘. Il n’entretient aucun rapport de similitude ni de différence avec les cultures dans lesquelles il s’incruste pour un moment. Sa seule référence est à usage interne: la référence au père Ubu reste interne au Collège de Pataphysique. Le spectateur ne peut la décrypter. Le ‚sens‘ du crocodile se situe à l’opposé du pôle occupé par l’emprunt circonstanciel avec ses indices. Il s’affranchit de toute ‚identité‘ culturelle. En avalant sa proie, il suggère une appropriation aussi magique que ludique de l’autre. Le flâneur tombe sur ce tiers encombrant et sans appartenance qui l’amuse du même coup. Conclusion Les activités médiatrices ne représentent pas une exception à la tendance d’enfermer la culture dans une ‚identité‘. Tout au contraire: elles ont souvent renforcé cette tendance en comparant deux cultures différentes et en les identifiant à travers l’emprunt circonstanciel. Bref, en affirmant l’identité ou la différence là où un processus de transmission complexe joue de la similitude et de la différence, puis déjoue ce jeu. Là où la perception du tiers irritant, par exemple l’accent, est évacuée, les images de soi et de l’autre rétablissent leur règne. Or, de chaque manifestation ou production transculturelle naît une œuvre insolite créée dans un espace jouant des contiguïtés. La similitude, avec son jeu de différences, est mise en travail à l’intérieur du règne de la métonymie. Ce travail va de la logique de l’effigie, au toucher et à la double contextualisation, en passant par la production d’un objet fétiche ou d’un objet encombrant. Le passage en revue des différents types de tiers susceptibles d’opérer les transmissions transculturelles a permis de mettre en lumière un processus souvent caché. Il s’agissait, dans la lignée post-aristotélicienne, de pousser plus loin l’attention portée aux fonctions de la métaphore par Paul Ricœur et par Hans Blumenberg. Pour eux déjà, la métaphore ne pouvait être réduite à un pur ornement cachant le sens propre qu’il s’agit de transmettre, mais visant le maximum de similitude. Or c’est la transmission même d’une culture à une autre qui crée, par la différence et le reste DOI 10.2357/ ldm-2019-0006 87 Dossier qu’elle produit, l’identité de la culture qu’elle est supposée annuler: voilà qui du même coup exclut toute approche qui s’efforcerait de ramener les véhicules transmetteurs à une simple logique de transmission. Les études récentes sur la métaphore devraient être complétées par une investigation de l’univers métonymique. L’exploration d’un espace franco-allemand peuplé de corps et d’objets encombrants appelle à un changement de perspective tenant compte de ces relations non-substitutives. Les relations métonymiques mobilisent plus les sens autres que la vue. Elles comprennent le toucher, l’ouïe, le goût, l’odorat et organisent une contiguïté qui résiste au remplacement de la matière par un sens propre, par l’esprit. La ‚métonymologie‘ permet de concevoir un espace franco-allemand non-binaire plus libre et ludique que le règne des comparaisons. Les objets s’y trouvent parfois ‚animés‘, les corps et les objets sont souvent insolites. Les tiers établissent une instance instaurant et entretenant des relations extrêmement diverses entre deux cultures. La similitude et la différence ne sont que des éléments parmi d’autres dans un univers transculturel foisonnant. Aristote, Poetik, Griechisch/ Deutsch, trad. Manfred Fuhrmann, Stuttgart, Reclam, 1982. Beyer, Andreas / Bredekamp, Horst / Puschner, Uwe / Wolf, Gerhard (ed.), Bilderfahrzeuge. Aby Warburgs Vermächtnis und die Zukunft der Ikonologie, Berlin, Wagenbach, 2018. Bhatti, Anil / Kimmich, Dorothee, „Einleitung“, in: id. 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(www.deutschlandfunk.de/ musik-und-fragen-zur-person-die-japanischeschriftstellerin.1782.de.html? dram: article_id=412635, letzter Zugriff am 13.07.2019). 1 „Das Gesicht der gesprochenen Sprache“, ainsi Yoko Tawada (2016: 22). 2 „Der Akzent sickert in die Zweitsprache ein und erzeugt eine a-tonale Musik“, Die japanische Schriftstellerin Yoko Tawada im Gespräch mit Marietta Schwarz, Deutschlandfunk 29.04.2018. 3 Je m’inspire librement des concepts de Michel Serres et de Bruno Latour tout en les transposant et en les adaptant au contexte transculturel. En décrivant les déet recontextualisations, je m’approche du concept derridien de ‚greffe‘. Cependant, tout en confirmant la non-identité des éléments déplacés et recontextualisés avec eux-mêmes, je ne nie pas systématiquement l’expérience de présence. 4 Cf. Derrida 2001. Dans sa déconstruction du christianisme, Derrida s’oppose à l’immédiateté passant du toucher des stigmates au sentiment du cœur, à l’authenticité qui fait converger le contact physique, le sentir et l’âme. Il se tient à l’élément perturbateur qui empêche le système de se fermer. 5 Par ailleurs, le dernier condamné à mort décapité publiquement en 1939 à Versailles est un Allemand, le tueur en série Eugen Weidmann. La scène de la décapitation publique apparaît dans Le Roi des aulnes de Michel Tournier et provoque le dégoût de l’observateurnarrateur. 6 Johann Martin Preissler (né en 1715 à Nuremberg, mort en 1794 à Lyngby au Danemark), vit à Paris entre 1739 et 1744 et participe à l’œuvre de galerie de Versailles. À partir de 1744, il est graveur à la cour royale de Copenhague.