eJournals lendemains 43/172

lendemains
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Narr Verlag Tübingen
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2018
43172

Un parti de crise

2018
Sylvain Crépon
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59 Dossier Sylvain Crépon Un parti de crise Les reconfigurations du Rassemblement national: 1972-2017 Introduction Depuis son émergence électorale au début des années 1980, le renforcement du Rassemblement national 1 dans le paysage politique français est interprété par nombre de commentateurs comme la manifestation d’une crise qui toucherait la France depuis les années 1970. Cette crise peut être envisagée de deux façons. Premièrement, les succès électoraux du parti longtemps présidé par Jean-Marie Le Pen sont présentés comme la conséquence d’une crise qui revêtirait elle-même un triple aspect: économique, avec notamment un chômage endémique qui toucherait les franges socialement les plus fragiles de la population et jamais véritablement endigué depuis les deux chocs pétroliers de 1974 puis 1979; morale, avec le sentiment, chez une partie de l’opinion, d’une déconnexion entre les élites politiques (perçues comme corrompues et inefficaces) et le reste de la population, favorisant la posture populiste des chefs RN ; identitaire, avec l’impression exprimée, par une frange de l’électorat, que l’immigration menacerait le mode de vie des français autochtones et que les immigrés constitueraient par ailleurs des concurrents illégitimes dans l’accès aux ressources économiques et sociales (une dimension qui recoupe le premier aspect). Deuxièmement, dans l’hypothèse où il arriverait au pouvoir, le RN risquerait de générer, pour nombre de ses contempteurs, une crise politique sans précédent depuis la crise du 13 mai 1958 qui, dans le contexte insurrectionnel dû à la guerre d’Algérie, a vu la France changer de régime politique avec l’arrivée au pouvoir du Général De Gaulle instaurant sa ‚monarchie présidentielle‘. La posture antisystème des dirigeants du Rassemblement national avec leur dénonciation de la démocratie libérale, leur volonté de remettre en question certaines des valeurs républicaines centrales, à commencer par l’universalisme (remise en cause du droit du sol, du droit d’asile, traitement de la laïcité sous l’angle exclusif de l’opposition à l’islam, arrêt, voire inversion des flux migratoires), la volonté de sortir de l’ UE et de redéfinir les alliances géopolitiques en se rapprochant de régimes autoritaires, l’invocation d’une politique répressive en matière de maintien de l’ordre, laissent en effet augurer un bouleversement institutionnel majeur en cas de prise du pouvoir. Le parti de Jean-Marie, puis de Marine Le Pen, devenu aujourd’hui le Rassemblement national, est donc très fréquemment analysé par les commentateurs politiques sous l’angle de la crise. Cette dimension est accentuée par le fait que les dirigeants RN mobilisent eux-mêmes abondamment ce registre, noircissant à l’envie la situation hexagonale afin de mieux présenter leur parti comme un ultime recours 60 Dossier face à l’état de ‚déliquescence‘ dans lequel se trouveraient, selon eux, les paysages économique, politique et social. L’usage de ce terme prolonge un des vieux leitmotivs de l’extrême droite française et des mouvements réactionnaires qui l’ont précédée: la ‚décadence‘. Depuis que la France aurait rompu avec les fondements traditionnels de son histoire, un processus associé à la Révolution française par les contre-révolutionnaires (Louis de Bonald et Joseph de Maistre en France, Edmund Burke en Angleterre) et au régime républicain par les nationalistes du début du XX e siècle (Maurice Barrès et Charles Maurras), elle risquerait de se dissoudre, de disparaître. Cette vision catastrophiste est bien souvent associée, dans les discours nationalistes, à la thématique identitaire, la présence sur le sol national de populations perçues comme allogènes (immigrés, Juifs, Arabes, Africains, Asiatiques, Musulmans, Roms), risquant de porter atteinte de façon irrémédiable à son homogénéité, que celle-ci soit définie dans un registre biologique ou culturel. Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen ne cessent ainsi de dénoncer dans leurs discours respectifs le laxisme par lequel les démocraties européennes feraient face à la ‚crise migratoire‘. Si le Rassemblement national s’évertue, depuis sa création, à incarner une rupture radicale avec l’état de ‚déliquescence‘ dans lequel se situerait le système politique français, et à présenter ses mesures comme les mieux à même de résoudre les multiples crises qui fragiliseraient la société française, il a dans le même temps toujours pris soin de ne pas apparaître par trop extrémiste afin d’éviter d’effrayer un électorat très majoritairement acquis à la démocratie libérale. Tel est le paradoxe de ce parti qui a toujours oscillé entre ces deux objectifs contradictoires: incarner la rupture radicale tout en rassurant les franges les plus modérées de ses potentiels soutiens électoraux. 2 Le RN a, pour ce faire, constamment adapté son idéologie aux évolutions socio-historiques, exprimant des positions devenues contradictoires au fil du temps, fustigeant ou louant, au gré des contextes historiques, la politique extérieure des États-Unis, la laïcité républicaine, le gaullisme, la lutte pour les acquis sociaux, le libéralisme économique, la liberté des mœurs, pour ne prendre que ces exemples. Nous aborderons dans cet article la trajectoire idéologique et sociologique du Rassemblement national, depuis sa création en 1972 jusqu’à l’élection présidentielle de 2017, en tachant de saisir comment ce parti a pu soutenir des combats devenus contradictoires au fil du temps, mais finalement sans jamais rompre avec son idéologie nationaliste qui, bien que reconfigurée à de multiples reprises, continue de dicter sa vision catastrophiste du monde et constitue sa singularité dans le champ politique depuis sa création. La création du FN À partir du milieu des années 1960, la mouvance nationaliste française semble dans une impasse. Suite à la compromission d’un nombre important de ses cadres et militants avec le régime collaborationniste durant la Seconde Guerre mondiale, et après l’échec de l’opposition au processus de décolonisation, opposition qui avait pu 61 Dossier lui donner un semblant de résurgence à la fin des années 1950, elle est condamnée à la marginalisation. Le mouvement de Pierre Poujade, qui avait cristallisé la contestation des commerçants et artisans contre la politique fiscale du gouvernement à partir de 1956, et appuyé la défense de l’Algérie française à partir de 1958, ne survit pas à l’arrivée au pouvoir du Général De Gaulle, qui, selon la formule de Jean-Pierre Rioux, „inhibe les extrêmes“ (Rioux 1993 : 239). Dans un tel contexte de délabrement, le candidat du camp nationaliste, l’avocat Jean-Louis Tixier-Vignancour, ne recueille que 5 % aux élections présidentielles de 1965. Seuls quelques groupuscules arrivent alors à se donner une visibilité en faisant le coup de poing contre les étudiants gauchistes de l’époque, mais sans réussir à surmonter la marginalité dans laquelle ils restent cantonnés. C’est dans ce contexte de délabrement que l’extrême droite française va entreprendre un processus de restructuration dont l’aboutissement le plus réussi sera le lancement d’un parti politique, le Front national, qui parviendra à bouleverser, une décennie après sa création, le champ politique français. Le Front national est créé en 1972 par les dirigeants d’Ordre nouveau, un groupuscule nationaliste révolutionnaire, très inspiré des néofascistes italiens de l’époque, notamment le Movimiento sociale italiano ( MSI ), à qui ils empruntent la rhétorique ainsi que l’iconographie (notamment la fameuse flamme tricolore qui ornera ses documents de propagande). L’objectif de ces nationalistes révolutionnaires est de parvenir à sortir de la marginalité en créant une vitrine électorale afin d’obtenir une plus forte visibilité en notabilisant ses responsables dont plusieurs se présentent à des scrutins locaux et nationaux, et d’attirer des cadres extérieurs susceptibles d’adoucir leur réputation sulfureuse. Le mouvement originel, ON , continue malgré cela d’exister en parallèle et de produire une doctrine radicale qui reste l’objectif ultime de ses dirigeants révolutionnaires. Bien que disposant d’un personnel formé et expérimenté (la présidence du mouvement est confiée à Jean-Marie Le Pen, ancien député poujadiste et directeur de campagne de Jean-Louis Tixier-Vignancour aux élections présidentielles de 1965), le Front national ne parvient pas à décoller électoralement. À l’occasion de la dissolution d’ ON suite à des affrontements avec des militants de la Ligue communiste en 1974, ses dirigeants n’ont d’autre choix que de se rabattre sur le FN qu’ils ont créé deux ans auparavant. Jean-Marie Le Pen réussit à leur barrer la route et à se débarrasser de ces militants encombrants et à prendre seul la tête du parti. Il réalise alors durant les années 1970 un important travail organisationnel en absorbant un nombre conséquent de groupuscules d’extrême droite (catholiques intégristes, solidaristes, nationalistes révolutionnaires), si bien que son parti devient, au tout début des années 1980, la seule véritable structure de la mouvance nationaliste structurée en parti politique. Afin de retenir les membres de son camp tentés par les mouvements concurrents qui font de la surenchère en matière de provocation, il radicalise fortement son discours, ce qui le contraint à la marginalité (cf. Dézé 2012). Son comité de direction, calqué sur celui du Parti communiste, avec un Bureau politique et un Comité central, regroupe d’anciens miliciens collaborationnistes, d’ex-membres de l’Organisation armée secrète ( OAS ), des 62 Dossier catholiques intégristes issus du mouvement Chrétienté-solidarité de Bernard Antony, qui deviendra un cadre de premier plan du FN jusqu’en 2008 et influencera très significativement la ligne sociétale du parti, ou des militants de l’Union solidariste avec Jean-Pierre Stirbois. Sur le plan idéologique, il s’inscrit dans la tradition de l’extrême droite en dénonçant „l’égalitarisme utopique“ et „toutes les doctrines supposées contraires aux lois d’un ordre naturel“ (Chebel d’Appollonia 1988: 330). Dans le contexte de la Guerre froide, il affirme son soutien à l’Alliance Atlantique et au parapluie nucléaire américain ainsi qu’aux dictatures sud-américaines et au régime d’apartheid sud-africain. Il s’oppose naturellement à l’immigration, mais avant tout sur un registre racial en affirmant qu’elle constitue un danger pour l’homogénéité du peuple français. François Duprat, vice-président du FN , nationaliste révolutionnaire et très investi dans la cause négationniste, va avoir sur cette thématique une influence déterminante. Convaincu que le Front national doit concurrencer le Parti communiste dans sa capacité à représenter les catégories populaires, premières victimes de la crise économique, et notamment du chômage, il va s’appliquer, dès 1978, à racialiser cette problématique en conceptualisant le fameux slogan „1 million de chômeurs c’est 1 million d’immigrés en trop. La France et les Français d’abord“. Il s’agit également pour Duprat de piéger la droite en l’obligeant à se positionner sur les idées du FN en matière d’immigration en tablant que „l’électeur préférera toujours l’original à la copie“, selon la formule restée célèbre depuis (cf. Lebourg 2010). Jean-Marie Le Pen, qui ne croit pas, dans un premier temps, à cette formule, va se laisser convaincre d’en faire un des slogans phare de son parti. Quelques années plus tard, et après la mort de son concepteur dans un attentat à la bombe jamais élucidé, la formule deviendra l’ ADN du mouvement et symbolisera l’influence des thématiques lepénistes dans le champ politique français. L’ascension électorale des années 1980. À droite, toute! Après une décennie de marginalité politique, le Front national de Jean-Marie Le Pen va entamer une ascension électorale continue. Dans un contexte où la droite peine à se remettre de son échec à la présidentielle de 1981, Jean-Marie Le Pen parvient à incarner une alternative attrayante pour une partie de l’électorat conservateur effrayé par l’arrivée au pouvoir d’un président de la République socialiste appuyé sur une Assemblée nationale acquise. Outre la thématique de l’immigration dont il a fait l’Alpha et l’Omega de ses discours, le chef frontiste présente son parti comme l’incarnation de la véritable droite tant sur les registres économiques (en vantant l’ultralibéralisme du président états-unien Ronald Reagan ou de la première ministre britannique Margaret Thatcher) que sociétaux, avec la condamnation de l’avortement, de l’homosexualité ou encore en plaidant pour le rétablissement de la peine de mort. Sur le plan institutionnel, il plaide pour une diminution des prérogatives de l’État, dont il souhaite qu’il s’en tienne à ses seules fonctions régaliennes. Ce discours lui vaut les soutiens électoraux d’une partie de la bourgeoisie conservatrice, du monde de la 63 Dossier boutique (commerçants et artisans) (cf. Mayer 2015), ainsi que d’une partie des ouvriers, même si ce dernier électorat se montre plus frileux à voter pour un parti qui, dans son programme, prétend remettre en cause certains acquis sociaux. Le premier succès, local, survient à Dreux, où le solidariste Jean-Pierre Stirbois aide la droite à ravir la mairie à la gauche, ce qui pose d’entrée la possibilité d’alliances électorales entre les deux pôles de la droite. Viennent ensuite les élections européennes, premier véritable succès national, lors desquelles le FN obtient 10,95 % des suffrages exprimés (2 200 000 voix), envoyant dix de ses membres au parlement européen. Dès lors, le parti frontiste parvient à focaliser l’attention et cristalliser les passions en obligeant les autres acteurs du champ politique à se positionner sur ses thématiques identitaires et à redéfinir leur stratégie électorale. François Mitterrand n’hésite pas à favoriser la médiatisation de Le Pen, en faisant en sorte qu’il soit invité dans les émissions politiques de la principale chaîne de télévision publique (dans lesquelles ce dernier s’illustre par des outrances xénophobes, antisémites, homophobes et sexistes), tout en encourageant la mobilisation anti- FN par la voie d’organisations antiracistes qui ne cessent de fustiger les potentielles accointances entre la droite et l’extrême droite. La prophétie de Duprat semble dès lors se réaliser puisque le FN fait une nouvelle percée aux élections législatives de 1986 avec 9,65 % des suffrages exprimés (2 700 000 voix), envoyant trente-cinq députés à l’Assemblée nationale à la faveur d’un scrutin devenu exceptionnellement proportionnel, sans doute pour limiter le succès de la droite qui obtient malgré tout la majorité, ce qui entraîne la première cohabitation de l’histoire de la V e République. Revenue au pouvoir, cette dernière s’efforce d’envoyer des signaux à l’électorat frontiste, le gouvernement de Jacques Chirac décidant par exemple de rendre plus contraignante l’acquisition de la nationalité française, un projet finalement abandonné suite à des mobilisations dans la rue. Cette période de cohabitation va toutefois reconfigurer la position du Front national dans le champ politique français et, par voie de conséquence, celle des autres partis politiques. Les années 1980 sont en effet marquées par une très forte mobilisation anti- FN avec le lancement d’organisations antiracistes qui sont autant de satellites de partis politiques de gauche. Si Jean-Marie Le Pen s’en accommode plutôt bien, assumant le rôle d’épouvantail de la vie politique française que lui confère cette mobilisation, la droite se voit quant à elle dans l’impossibilité d’établir une alliance avec un parti associé ‚aux heures les plus sombres de l’histoire‘. Elle en prend la mesure aux élections présidentielles puis législatives de 1988 où François Mitterrand est réélu face à Jacques Chirac qui a pâti, en tant que chef du gouvernement de cohabitation, de l’impopularité de sa politique économique libérale, mais aussi du projet de loi de son ministre de l’intérieur Charles Pasqua sur la restriction du droit du sol, ainsi que de la répression très ferme des manifestations étudiantes qui se sont déroulées à la fin de l’année 1986. Les deux principales composantes de la droite ( RPR et UDF ) décident alors de constituer une alternative au discours nationaliste du FN en lançant ce que le politistes Vincent Martigny qualifie de „contreattaque identitaire“, en dénonçant le multiculturalisme de la gauche et en mettant en 64 Dossier avant une vision inclusive et homogène de la culture française qu’elles associent aux valeurs républicaines (Martigny 2016: 252). Délaissant les enjeux économiques et sociaux, les partis de gauche et de droite tentent dès lors d’apporter des réponses à l’obsession identitaire du FN en exprimant la nécessité de restreindre les flux migratoires, sans réaliser totalement qu’ils ne font alors que renforcer les thématiques frontistes, 3 même si le parti lepéniste, avec 9,61 % des suffrages exprimés et 2 350 000 voix, a vu son ascension sensiblement, mais provisoirement, freinée aux élections législatives de 1988 et ne compte plus aucun député en raison du retour à un scrutin majoritaire à deux tours qui freine mécaniquement les partis sans alliés. 4 Le renouveau des années 1990 Les années 1990 annoncent un profond renouveau pour le Front national. La chute du Mur de Berlin en 1989, auquel fait suite l’effondrement de l’empire soviétique, oblige le parti nationaliste à s’adapter à la reconfiguration des équilibres géopolitiques. Le FN n’avait de cesse jusque-là de dénoncer les crimes de masse commis par le régime soviétique, 5 espérant peut-être ainsi faire oublier les liens entretenus par certains de ses cadres historiques avec le régime collaborationniste, voire avec l’occupant nazi (Lebourg 2017). Cette posture anticommuniste dictait son soutien à l’Alliance Atlantique, et donc aux États-Unis, et guidait ses orientations ultralibérales au niveau économique. Or, cette période de reconfiguration au niveau international, qui laisse en Occident beaucoup de partis politiques en plein désarroi, va de pair avec une transformation significative de l’électorat frontiste qui, à partir de 1990, devient plus populaire, nombre d’ouvriers et d’employés, voire de chômeurs, s’avérant de plus en plus nombreux à voter pour ses candidats. C’est sous le croisement de ces deux événements, international et électoral, que le parti lepéniste entreprend une refonte de son idéologie ainsi que de sa stratégie. Sur le plan de la politique internationale, le Front national change radicalement d’orientation. Ancien défenseur indéfectible de la politique extérieure des États-Unis, Jean-Marie Le Pen se lance à partir de 1990 dans la dénonciation de ‚l’impérialisme américain‘, qu’il accuse de vouloir uniformiser le monde en tirant profit du processus de la mondialisation (qu’il nomme péjorativement ‚mondialisme‘ dans ses discours) pour imposer son mode de vie et, par voie de conséquence, ses marchandises. Cette réorientation devient manifeste à la faveur de la première crise du Golfe, en 1990-1991, lorsque le dictateur irakien Saddam Hussein décide de lancer son armée à l’assaut du Koweït, suscitant la constitution d’une coalition internationale sous l’égide des États-Unis sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale qui l’y chassera en quelques semaines. Les dirigeants frontistes surprennent alors l’ensemble du monde politique et des médias en refusant de soutenir ladite coalition (à laquelle prenait part la France), Jean-Marie Le Pen allant même jusqu’à se rendre en Irak durant le prologue du conflit pour y rencontrer Saddam Hussein et l’assurer de son soutien. 6 Comment interpréter ce retournement de la part d’un parti politique qui avait jusque-là défendu l’allié américain et n’avait eu de cesse de dénoncer la 65 Dossier présence de populations arabes et musulmanes sur le sol national? Ce revirement s’explique par le fait que le FN a su puiser adroitement dans le travail idéologique de la mouvance dite de la Nouvelle droite, et plus particulièrement du Groupe de recherche et d’étude pour la civilisation européenne ( GRECE ), des éléments lui permettant de s’adapter très rapidement au monde de l’après-guerre froide tout en préservant sa logique nationaliste. Le GRECE , qui se veut un groupe de pensée et non un parti politique, se donne pour objectif dès sa création à l’automne 1968, de refonder la doctrine antiégalitariste de l’extrême droite sur la base d’un travail intellectuel s’inspirant des théories des sciences sociales, essentiellement l’histoire et l’anthropologie. À partir d’une interprétation assez libre du relativisme culturel de Claude Lévi-Strauss, les ‚grécistes‘ conceptualisent un nouveau principe identitaire postulant une égalité, mais dans le même temps une étanchéité entre les différentes communautés humaines dont l’objectif ultime doit être la préservation de leur homogénéité tant ethnique que culturelle. Ce „différentialisme culturel“, comme l’a qualifié le chercheur Pierre-André Taguieff (1994: 68), permet de contourner adroitement la législation sanctionnant les propos racistes en prétendant défendre toutes les identités culturelles, voire en dénonçant la menace que ferait peser sur les peuples ‚primitifs‘ l’irrésistible hégémonie de l’Occident, prenant ainsi une distance critique vis-à-vis du nationalisme expansionniste de la période coloniale. 7 Sur le plan politique, les ‚grécistes‘ ont par ailleurs très vite cherché les fondements d’une troisième voie entre capitalisme et communisme qu’ils considèrent comme deux avatars de l’idéologie universaliste dont la visée expansionniste et uniformisante contiendrait les germes du totalitarisme. Cette transmission idéologique au sein du FN a pu se réaliser par l’intermédiaire de cadres ayant appartenu à la Nouvelle droite et qui ont rejoint le FN dans le courant des années 1980 et 1990. 8 C’est d’abord au sein de la jeunesse frontiste que les thèses de la Nouvelle droite commencent à percer, „l’expérience générationnelle“ (cf. Mannheim 1990) dans laquelle elle s’est socialisée politiquement n’étant plus tributaire de la mémoire de l’expansionnisme colonial ou de la défense de l’Algérie française (cf. Crépon 2006). Sur le plan de l’identité politique, les jeunes frontistes remettent au goût du jour le slogan du Parti populaire français ( PPF ) de Jacques Doriot, „Ni droite, ni gauche“, qui s’illustra durant l’Occupation par une collaboration active avec l’Allemagne nazie. Postulant que les clivages politiques et sociaux ont perdu toute signification pour les électeurs, ils prétendent reconfigurer le pluralisme sur des fondements non plus politiques, mais identitaires, avec d’un côté un pôle cherchant à dissoudre les identités pour mieux asseoir sa domination et rassemblant les ‚cosmopolites‘, les ‚mondialistes‘ et les ‚européistes‘, et de l’autre un pôle attaché, quant à lui, à la défense des identités et regroupant les ‚patriotes‘, les ‚souverainistes‘, les ‚nationaux‘. 9 C’est dans ce contexte de réorientation idéologique que Jean-Marie Le Pen se fait soudainement le défenseur des „luttes des travailleurs“ 10 pour les acquis sociaux et que des affiches de propagande de son parti proclament: „Le social, c’est le Front national! “, sans doute dans le but de séduire cette part des ouvriers toujours plus 66 Dossier nombreux à voter pour lui: 30 % aux présidentielles de 1995, 24 % aux législatives de 1997 et 26 % aux présidentielles de 2002. Ces dernières élections voient le président du FN accéder au second tour face à Jacques Chirac et franchir une nouvelle étape dans son influence sur le champ politique français. Les années 2000: l’émergence du paradigme Républicain Lorsque Jean-Marie Le Pen se qualifie pour le second tour des élections présidentielles de 2002, la surprise est générale. Cette ‚victoire‘ est paradoxale car son parti sort d’une crise interne qui a menacé son existence même. L’affrontement avec son numéro 2, Bruno Mégret, de 1998 à 1999, a abouti à la scission du mouvement, ce dernier créant finalement un mouvement concurrent (le Mouvement national républicain - MNR ) que rejoignent la moitié des cadres et militants, privant ainsi le parti originel de précieuses ressources. Afin d’éviter sa marginalisation interne lors de l’affrontement avec son successeur putatif, Le Pen n’a eu de cesse de mobiliser la pureté doctrinale dans ses discours (cf. Dézé 2012), ce qui risquait de rebuter certains ‚modérés‘ de le rejoindre. C’est donc un parti sans soutiens, sans argent et sans enthousiasme qui se présente aux élections et qui réussit malgré cela l’exploit d’accéder au second tour. Il faut dire que le contexte global dans lequel se trouve le champ politique à l’époque a sans doute fortement contribué à favoriser le Front national. En 2002, la France sort de cinq années de cohabitation, le Président de droite, Jacques Chirac, devant composer avec un premier ministre, Lionel Jospin, et une Assemblée législative socialistes. Cette troisième cohabitation sous la V e République, qui oblige les institutions à de subtiles équilibres, bien que plébiscitée par l’opinion publique, accentue le sentiment, déjà diffus, que la droite et la gauche ne sont finalement pas si opposées que cela, légitimant implicitement le discours frontiste qui n’avait alors de cesse de dénoncer les accointances entre le PS et le RPR pour se présenter comme la seule vraie alternative. Durant la campagne, l’équipe de Jacques Chirac a décidé de se focaliser presque exclusivement sur l’insécurité en pointant le supposé laxisme du gouvernement socialiste, mettant en exergue le moindre fait divers médiatisé sur la question. Si la stratégie s’est avérée payante pour la droite, elle a sans aucun doute contribué à légitimer les opinions sécuritaires du FN et donc à le faire monter mécaniquement. 11 Le soir du 21 avril 2002, la France a le sentiment de traverser une des plus graves crises politiques de la V e République. Les gigantesques mobilisations, qui ont lieu dans les grandes villes françaises durant l’entre-deux-tours, les plus importantes depuis la Libération, pour dénoncer la présence du leader d’extrême droite, sont là pour le rappeler. Chercheurs, journalistes, politiques, syndicalistes, acteurs du monde associatif, tous se lancent dans une vaste introspection nationale sur fond de psychodrame pour tenter de saisir les raisons de cette irrésistible ascension et trouver les moyens d’y remédier. Du côté du Front national, l’euphorie cède rapidement la place à la déception, voire au dépit. Prenant la mesure des manifestations monstres qui se développent 67 Dossier pour dénoncer la qualification de Le Pen au second tour, les cadres frontistes réalisent alors que leur chef ne sera jamais élu à la fonction suprême, du moins tant que celui-ci continuera à se complaire dans les provocations racistes et antisémites (cf. Crépon 2012). Le second tour est d’ailleurs sans appel puisque Jean-Marie Le Pen réunit péniblement 20% des voix, le score le plus bas d’un second tour de présidentielle sous la V e République. Prenant la mesure de cette impasse tant stratégique qu’idéologique, sa fille Marine décide alors de réunir un groupe informel baptisé Générations Le Pen afin de lancer une réflexion sur le rejet massif du parti dans l’opinion et les moyens d’y remédier. Épluchant les travaux de la sociologie électorale, notamment ceux du CEVIPOF , son équipe retient qu’entre 40 % et 60 % de l’électorat frontiste, selon les élections, ne souhaite pas que Jean-Marie Le Pen soit élu président de la République, d’une part parce qu’ils jugent qu’il n’en a pas les compétences et d’autre part parce qu’il représenterait un danger pour la démocratie (cf. Perrineau 2003). Comment vaincre lorsque vos propres électeurs ne veulent pas que vous soyez élu? Les membres de Générations Le Pen en concluent qu’ils doivent encourager les processus de la normalisation (montrer que le parti est composé de cadres compétents) et de la dédiabolisation (rompre avec les ‚provocations‘ racistes et antisémites trop outrancières de Le Pen père). Cette réorientation deviendra notable en 2006, lorsque Marine Le Pen, devenue directrice de campagne de son père en vue des présidentielles de 2007, tâchera de donner une coloration républicaine aux thématiques frontistes. Le fameux Discours de Valmy, prononcé par son père le 20 septembre 2006 sur les lieux de la bataille où les armées révolutionnaires stoppèrent l’armée prussienne en 1792, et dans lequel ce dernier tend la main aux „Français d’origine étrangère“ et loue la République dans ses dimensions laïque, démocratique, sociale, en est la parfaite illustration. Las, son père sera éliminé dès le premier tour avec seulement 10,44 % des voix (3 800 000 voix), Nicolas Sarkozy, candidat de l’ UMP , principal parti de droite, parvenant à séduire de nombreuses franges de l’électorat frontiste grâce à une campagne menée autour de thématiques typiquement conservatrices sans avoir besoin de sembler courir après celles du FN . Cet échec marque la retraite du vieux leader auquel succède sa fille à la présidence du parti en janvier 2011. Les années 2010: nationalisme et libéralisme sociétal Dès lors qu’elle est candidate à la succession de son père à la présidence du FN , Marine Le Pen se lance dans une campagne où elle se distingue de son rival interne, l’ancien numéro deux du parti, Bruno Gollnisch, en avançant de nouvelles thématiques sociétales qui font sensation. Très fortement inspirée des mouvements néopopulistes européens, tel de PVV de Geert Wilders aux Pays-Bas, ou l’ UDC d’Oskar Freysinger en Suisse, elle conjugue le rejet des immigrés musulmans avec la défense d’une certaine liberté des mœurs (mixité, droit des femmes, des personnes homosexuelles), du principe de laïcité et de la liberté de culte auxquels les musulmans seraient rétifs en raison du caractère ontologiquement traditionaliste de leur 68 Dossier religion. C’est ainsi qu’en décembre 2010, elle compare les prières musulmanes qui se tenaient dans deux ou trois rues de la capitale, faute de place dans les mosquées, à une „véritable armée d’occupation“ et déclare que certaines minorités ou catégories de la population (‚femmes‘, ‚homosexuels‘, ‚Juifs‘, ou même tout simplement ‚Blancs‘) ne seraient pas en sécurité dans des zones où vivent de nombreux immigrés (sous-entendu de religion musulmane). 12 Plus récemment, elle déclarait que ce phénomène serait accentué par le fait que, dans ces zones, des élus locaux favoriseraient voire financeraient indirectement des associations d’obédience salafiste afin de se constituer une clientèle électorale, ce qui conduirait à une logique „communautariste“ qui verrait les musulmans imposer leurs règles traditionalistes de vie. 13 Dans le même temps, Marine Le Pen prend quelque peu ses distances avec les aspects par trop réactionnaires de son parti, comme le montre sa déclaration visant à prendre la défense des homosexuels et des Juifs, des franges de la population que son père ne cessait de stigmatiser, ou celle des femmes que son père assignait à un rôle subalterne, celui de procréatrice (cf. Crépon 2015). Il est en ce sens significatif qu’aux élections présidentielles de 2012, Marine Le Pen soit parvenue à rassembler sur sa candidature au premier tour un taux à peu près équivalent d’hommes et de femmes, et qu’à la dernière, en 2017, elle soit même parvenue à attirer davantage de femmes que d’hommes (cf. Amengay/ Durovic/ Mayer 2017). Le fait d’être une femme, relativement jeune, diplômée, active, divorcée et vivant dans une famille recomposée sans être mariée a pu favoriser son image de modernité qu’elle a cherché à imposer pour encourager le vote des femmes (cf. Mayer 2015). Sur le plan social, son discours axé sur la réappropriation du ‚Ni droite, ni gauche‘ des années 1990 et porté par son ancien bras droit Florian Philippot jusqu’à sa démission du parti quelques mois après la présidentielle de 2017, de même que sa dénonciation des inégalités sociales avec sa volonté de maintenir, voire relever certains minimas sociaux (au contraire de son père qui dénonçait l’assistanat), sa condamnation de la financiarisation de l’économie via le processus de la mondialisation a également correspondu aux attentes d’un électorat populaire, peu diplômé, largement ouvrier ou du moins cantonné à des métiers peu valorisés, habitant des zones périurbaines pauvres et hanté par le risque de perdre le peu qu’il a pu malgré tout réussir à accumuler (cf. ibid.). La fille de Jean-Marie Le Pen s’est ainsi faite l’écho de ceux qui se sentent les laissés-pour-compte de la globalisation et à qui elle propose de prendre leur revanche en faisant trembler le système, celui des élites tant parisiennes que bruxelloises. Ses solutions nationalistes basées sur la fermeture des frontières, l’arrêt voire l’inversion de l’immigration, la ‚préférence nationale‘, récemment rebaptisée ‚priorité nationale‘, en termes d’accès à l’emploi ou aux prestations sociales, apparaissent comme autant de solutions frappées du bon sens pour cette part de l’électorat populaire, désenchanté politiquement et qui ne croit plus aux solutions des partis traditionnels. * * * 69 Dossier Les succès du Rassemblement national symbolise la crise de la politique française dans sa capacité à susciter confiance et espoir, l’une des constantes de l’électorat RN depuis trente ans étant le pessimisme. Marine Le Pen a surtout réussi le tour de force d’apposer un habillage républicain à ses principes nationalistes afin d’éviter que sa volonté de rompre avec le système politique actuel ne suscite la peur d’une crise politique majeure si jamais elle venait à prendre le pouvoir. Son ascension n’a été jusqu’ici stoppée que par la grâce d’un vote présidentiel et législatif uninominal à deux tours qui pénalise très fortement les partis sans alliés et par une équipe qui, en dépit d’un travail stratégique qui a porté ses fruits, pèche par un manque de compétences notoires dans les dossiers économiques et sociaux, comme l’a illustré la piètre prestation de sa présidente lors du débat de l’entre-deux-tours de la présidentielle. Avec la constitution d’une école de formation politique, c’est peut-être le défi qu’a décidé de relever Marion Maréchal, la nièce de Marine Le Pen, elle qui assume une identité droitière et des affinités et réseaux en conséquence. Amengay, Abdelkarim / Durovic, Anja / Mayer, Nonna, „L’impact du genre sur le vote Marine Le Pen“, in: Revue française de science politique, 6, 67, 2017, 1067-1087. Arzheimer, Kai / Carter, Elisabeth, „Political opportunity structures and right-wing extremist party success“, in: European Journal of Political Research, 45, 2006, 419-443. Chebel d’Apollonia, Ariane, L’extrême droite en France. De Maurras à Le Pen, Bruxelles, Éditions Complexe, 1988. Crépon, Sylvain, La nouvelle extrême droite. Enquête sur les jeunes militants du Front national, Paris, L’Harmattan (coll. Logiques politiques), 2006. —, „Du racisme biologique au différentialisme culturel: les sources anthropologiques du GRECE“, in: id. / Sébastien Mosbah-Natanson (ed.), Les sciences sociales au prisme de l’extrême droite. Enjeux et usages d’une récupération idéologique, Paris, L’Harmattan (coll. Les Cahiers politiques), 2008, 159-189. —, Enquête au cœur du nouveau Front national, Paris, Nouveau monde éditions (coll. 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Jalons d’une analyse critique, Paris, Descartes & Cie, 1994. 1 Nous utiliserons dans cet article le nouveau nom du parti de Marine Le Pen, y compris pour évoquer les périodes où il apparaît sous son ancien nom, Front national, sauf mention explicite. 2 Cf. sur ce point la très éclairante analyse d’Alexandre Dézé (2012). 3 Kai Arzheimer et Elisabeth Carter ont montré à partir d’enquêtes électorales menées dans sept pays d’Europe de l’Ouest (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, France, Italie, Norvège) de 1984 à 2001 que lorsque les partis de gouvernement reprenaient à leur compte les thématiques des mouvements de la droite populiste ou de l’extrême droite, cela conduisait immanquablement à favoriser ces derniers dans les urnes; cf. Arzheimer/ Carter 2006. 4 Le retour à un mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours ne lui permet pas d’envoyer à nouveau des députés à l’Assemblée nationale dans la mesure où il ne dispose pas d’allié en mesure de l’aider à franchir la barre du second tour. 5 Lors de son invitation à l’émission TV „L’heure de vérité“ sur Antenne 2 en 1987, il exigea en tout début d’émission que soit observée une minute de silence à la mémoire des victimes du communisme. 6 Lors de l’invasion anglo-américaine de l’Irak en 2003, Jean-Marie Le Pen prit à nouveau la défense de l’Irak de Saddam Hussein en jugeant que le but de l’invasion consistait à „enrôler les masses musulmanes […] sous les bannières du Veau d’or et du grand prêtre Dollar“, les État-Unis se comportant au „Moyen-Orient comme Cortes vis-à-vis des Incas: hier comme aujourd’hui, on s’empare de l’or et on veut convertir les infidèles“ (Discours prononcé lors de la manifestation contre l’invasion de l’Irak le 2 février 2003 à Paris). 7 Pour une analyse détaillée de cette problématique, cf. Crépon 2008. 8 Le courant dit de la Nouvelle droite est loin d’être homogène. Deux entités au moins la composent dans le courant des années 1970 et 1980: le GRECE donc, qui a théorisé le principe du différentialisme culturel, et le Club de l’Horloge qui, à partir de 1974, a pour objectif de transmettre les idées du GRECE dans les principaux partis de droite et d’extrême droite où ses membres font de l’entrisme. Au tout début des années 1980, les deux entités finissent par prendre leur distance, le GRECE supportant de moins en moins l’identité droitière du Club de L’Horloge, ni son catholicisme assumé, lui qui prône la subversion du clivage gauche-droite et sur le plan religieux plaide pour une forme de néo-paganisme selon lui plus proche des fondements originels de l’Europe. 9 Cette position se heurtera à celle de Bruno Mégret qui qualifiait son mouvement de ‚droite nationale‘, afin de parvenir à des alliances électorales avec la droite de gouvernement, son ultime objectif. 10 Discours prononcé lors de la fête de Jeanne d’Arc, le 1 er mai 1997. 11 Dans un tel contexte, la multiplication des candidatures à gauche, qui a indéniablement privé Lionel Jospin de précieuses voix en vue de la qualification pour le second tour, apparaît comme un épiphénomène. 12 „J’entends de plus en plus de témoignages sur le fait que dans certains quartiers, il ne fait pas bon être femme, ni homosexuel, ni juif, ni même français ou blanc“ (Discours prononcé à Lyon le 10 décembre 2010). 13 Marine Le Pen lors de „L’Emission politique“ sur France 2, le 9 février 2017.