eJournals lendemains 38/149

lendemains
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Narr Verlag Tübingen
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2013
38149

Raconter en images: Flaubert aujourd'hui

2013
Mieke Bal
ldm381490064
64 Mieke Bal Raconter en images: Flaubert aujourd’hui Vive l’anachronisme Il faut avant tout que l’on soit bien d’accord sur un fait: l’anachronisme est indispensable à qui veut comprendre le fonctionnement des narrations. L’argument est simple et bien connu, banal même: c’est que la lecture elle-même est nécessairement anachronique. Chacun lit pour soi, pour et dans le présent. C’est un peu comme la mémoire: on fait acte de mémoire dans le présent, même si l’impression ou l’événement auquel se rapporte le souvenir s’est déroulé dans le passé. Toute banale qu’elle puisse être, cette idée est importante quand on pense à la possibilité de venir en aide aux personnes traumatisées ou autrement atteintes d’un mal qui relève de leur passé. 1 C’est ainsi que je me souviens aujourd’hui de ma première réaction à la tragédie de la vie d’Emma Bovary. „Si seulement elle s’était résolue à travailler! “, pensai-je alors tout en pleurant de chaudes larmes. Car personne n’est vraiment à l’abri des clichés. J’étais alors naïve; c’est dans le présent que je m’en souviens et que je dois agir sur le souvenir. C’est en m’identifiant au personnage, en partageant avec lui les aventures, les émotions, les événements et jusqu’aux mots qui décrivent tout cela, que je pouvais, alors, m’engager avec lui. Maintenant, je reconnais ce sentiment, je peux le revivre. Car il est logé quelque part en moi. C’est surtout - et voilà le sujet de cet article - que, dans le présent, je vois Emma et les autres. L’image, chaque fois recomposée quand quelqu’un la regarde, est en transformation permanente, tout en étant située en même temps endehors du temps. L’image, comme une histoire, se passe, se déroule dans le tempo de celui qui la regarde. On sous-estime le rôle que jouent les images pour la lecture, pour la mémoire et pour toute activité culturelle. C’est au moyen de ce lien anachronique et des images qu’elle crée que la littérature continue à être pertinente. Ce constat est bien banal, j’en conviens. Mais en même temps, il est crucial de le reconnaître. J’ai dédié la plus grande partie de ma vie professionnelle à l’analyse critique de la narration: à sa théorie, à sa pratique et, dernièrement, à son exploration au moyen de l’image en mouvement. Ce qui m’a le plus intéressé dans les récits, c’est la façon dont la narration manipule - pour le bien et le mal de ses récepteurs - les lecteurs et les spectateurs. La narration en tant qu’instrument politique, en tant qu’outil de persuasion, en tant qu’enjeu éthique: cela ne se limite pas à la littérature. Mais un bon roman démontre tout cela de façon compacte, subtile, complexe, nuancée. J’espère en persuader les lecteurs de cette revue. 2 DDossier 65 Raconter visuellement J’ai entrepris, il y a dix ans, de recourir au médium de la vidéo pour faire des analyses de la culture contemporaine en devenir - donc pas encore documentée. Le premier résultat de cette démarche est une série de documentaires expérimentaux concernant la question de l’immigration. C’est à partir de cette perspective contemporanéiste qu’ensuite, avec l’artiste britannique Michelle Williams Gamaker, j’ai entrepris une analyse de la folie dans le domaine social, qui a donné lieu au long métrage fictionnel Histoires de Fous, basé sur le livre Mère Folle de la psychanalyste parisienne Françoise Davoine. C’est à travers l’expérience de ce dernier projet que mon nouveau projet, toujours avec Michelle, se propose d’examiner l’actualité littéraire, philosophique et culturelle de Madame Bovary. Il a débuté par un grand tournage en août 2012. 3 Car même si j’ai travaillé sur des textes et sur d’autres objets très variés, je ne peux m’empêcher de revenir de temps en temps à Madame Bovary de Gustave Flaubert. Ce roman, qui date de 1856, forme une série avec plusieurs classiques comme Effi Briest, Anna Karenina, La Regenta et d’autres romans écrits dans les pays européens par des hommes sur des femmes hystériques et qui finissent mal, un genre très à la mode dans la deuxième moitié du XIX e siècle. On aurait tendance à se dire que seul son statut de classique le sauve de l’oubli. Or, ces romans nourrissaient la pensée freudienne en émergence, car on y faisait entrevoir le désir des femmes et l’horreur qu’il inspirait aux hommes. La question „Que veut la femme? “ était dans l’air, et si Freud s’en faisait le porte-parole et le théoricien (partiellement manqué), il n’en était pas l’inventeur. La toute première publication d’analyse littéraire de ma main était consacrée à Madame Bovary. C’est sur la base de ma lecture, naïve et anachronique, que je pus trouver en 1974 la motivation d’entreprendre comme il était d’usage à l’époque une analyse structuraliste, technique plutôt aride. À ce moment de l’histoire des Sciences Humaines, si l’on voulait avoir du poids, il fallait être technique. J’ai plus ou moins réussi mon coup. Si l’article d’il y a une quarantaine d’années me convainc encore aujourd’hui, c’est par le lien qu’il établissait entre la technique romanesque - descriptive en l’occurrence - et la portée politique. Tout était dans l’image. J’avançais alors que la description de Rouen, introduite par l’un de ces imparfaits dévastateurs dont Flaubert était le maître et qui frisent l’agrammaticalité („Tout à coup, la ville apparaissait“), prédisait l’échec d’Emma à trouver ce bonheur évasif qu’elle cherchait avec tant d’acharnement. Je pressentais que Flaubert non seulement passait par des jeux de grammaire à la limite de l’inacceptable, mais qu’il démontrait aussi ce que nous appellerions aujourd’hui une tendance féministe. Or, la relecture que j’en ai faite récemment m’amène à penser que le roman est plus que cela: il est prophétique, radical, d’un progressisme encore difficile à comprendre et, s’il faut en croire la critique, à accepter. Est-ce là une lecture anachronique? Évidemment. DDossier 66 Pour explorer ce côté progressiste, cette actualité prophétique du roman, et pour voir comment l’écriture a pu à ce point dépasser la volonté probable de son auteur, je me suis immergée depuis peu dans une entreprise dont j’avoue qu’elle est assez folle: donner de ce roman une version à la fois actualisée et fidèle; explorer comment l’image raconte autrement et autre chose. L’image en mouvement, a priori l’image visuelle même si le niveau auditif est essentiel, devrait se prêter - me suis-je dit - à l’examen de quelques caractéristiques généralement attribuées au roman flaubertien: son côté visuel, qui se vérifie par la prédominance de la description sur le récit, et son rejet du dialogue, remplacé non seulement par la narration, mais aussi par le discours indirect libre qui remplace le qui parle? par un qui voit? ainsi que par l’image visuelle ou auditive. 4 Ces modes, qui tendent à raconter en images, permettent une dynamique entre l’objectivité proclamée et la subjectivité de fond, ou bien, comme je tâcherai d’argumenter plus loin, ils permettent la solidarité avec la dernière par le moyen de la première. La subjectivité n’est pas seulement celle du personnage mais, de façon plus complexe, celle où le personnage et les lecteurs se rencontrent. Il ne s’agit nullement de plaider pour un Flaubert féministe ou autrement engagé dans le domaine du social; qu’il ait été l’idiot de la famille sartrien ou Emma Bovary auto-déclaré („Madame Bovary, c’est moi“), peu m’importe. Car toute projection d’une interprétation sur l’intention de l’auteur interdirait l’anachronisme que j’estime indispensable pour générer le sens de l’héritage littéraire et artistique du passé; pour mettre en relief son actualité. 5 Les films sur Madame Bovary ou qui s’en inspirent sont nombreux, et à vrai dire, du point de vue de l’ambition de donner forme à la pertinence du roman, ils ne sont guère très réussis, même ceux tournés par des réalisateurs brillants. C’est qu’ils sont plus fidèles à l’histoire qu’à la façon de narrer, au récit proprement dit, à sa dynamique spécifique. On y fait grand cas des scènes les plus spectaculaires - le bal au château de la Vaubyessard, ou l’agonie, par exemple - mais peu de l’écriture qui les raconte. Et surtout, ils sont pour la plus grande partie construits comme des drames historiques, en costumes. Paradoxalement, la tentative même d’éviter l’anachronisme entraîne sa présence inavouée et, de ce fait, pernicieuse. L’historicité des images donne au roman, qui avait sa propre contemporanéité, un masque théâtral qui met tout à distance. Comme il se doit, les erreurs des autres nous ont servi de leçon, de même que nos propres erreurs, ceux de nos projets antérieurs. Nous envisageons le projet comme suit, comme le plus anachronique possible, et donc comme le plus fidèle possible à l’écriture de Flaubert. C’est par ce biais que nous avons l’ambition de saisir ce en quoi consiste une narration proprement dite impossible. Je donnerai ici trois exemples de la façon dont la création d’images qui transposent tout le roman dans le présent tout en le tirant hors de la durée narrative, aide le roman à se révéler dans toute son actualité. DDossier 67 L’image visuelle raconte: le regard comme moteur narratif Pour rendre justice au caractère visuel presque obsessif du roman, nous avons imaginé, dans un premier temps, une série de huit installations vidéo. Le mode de l’installation vidéo nous empêchera de recourir au plus vite à la narration, piège de tout travail audio-visuel basé sur un roman. Nos vidéos varient de l’écran simple à quatre écrans disposés en cube, en passant par des triangles et des triptyques ainsi que des duos opposés ou juxtaposés. L’ensemble constituera une exposition „immersive“. Par ce mot, que Michelle a analysé en détail dans sa thèse (Gamaker 2012), nous entendons une forme artistique où le fond et la forme, la technique et l’ambiance collaborent pour solliciter une présence participative du spectateur; ceci correspond plus ou moins au sens de l’identification en littérature et au cinéma, mais sans les atouts sentimentalistes et manipulateurs qui l’accompagnent souvent. Ce n’est qu’une fois ces pièces terminées que nous nous proposons de procéder au montage d’un film de 90 minutes sur la base du même matériel. C’est l’ordre inverse de celui que nous avions suivi pour le film, puis pour diverses installations sur la folie. Selon nous, cela vaut toujours la peine de changer de mode de travail; on apprend plus, tout se renouvelle. 6 Sur ce point, mieux vaut donner quelques exemples, même si, à l’état de brouillon actuel, ils se situent encore au futur. Tout d’abord, l’idée de l’hostilité au dialogue, dans son lien avec le désir de fidélité (pour mieux comprendre les enjeux de la narrativité) de même que la mise à jour actualisant, entraîne un problème de scénario. Les quelque 400 pages du roman se sont réduites, dans notre scénario, à 40 pages, soit à 10% du texte. A priori, le scénario se limite à des citations directes du roman, tout en éliminant des discours qu’on ne pourrait que difficilement actualiser. Le caractère citationnel du texte flaubertien - citations sans guillemets puisées dans son fonds sans fond des idées reçues - nous a quasiment obligées à nous limiter aux citations. En même temps, l’écriture narrative nécessite des substituts d’un tout autre ordre. Prenons l’élément narratif le plus visuel qui soit - la première fois que Charles voit Emma, lors de la visite médicale à la ferme où elle habite. C’est à la fois un acte manqué dans la mesure où Charles ne la voit pas tout de suite, et un acte décisif car il éveille Emma à la vie - et Charles aussi, d’ailleurs. En éliminant le prétexte narratif - la jambe cassée du père Rouault - nous mettons en images simplement cette perception retardée et mutuelle. En réduisant le nombre de sites et de personnages, d’épisodes et d’événements, nous avons mis en scène cette vision qui éveille à la vie sur deux écrans opposés. Ils constituent la première scène, appelée La vie quotidienne. Sur un écran, on voit Charles qui prend son café du matin et se prépare à sa tournée de visites aux malades. Il lit le journal, regarde par la fenêtre; son langage corporel suggère l’ennui mais il ne voit rien. Pendant les trois minutes de ce tableau, on voit, sur l’autre écran, Emma parmi les animaux de la ferme. Elle commence à se poser des questions sur sa vie, peut-être à s’ennuyer. DDossier 68 Fig. 1: Emma, jouée par Marja Skaffari, commence à s’ennuyer à la ferme (Madame B., Mieke Bal & Michelle Williams Gamaker, 2013) 7 Un changement devient perceptible, mais à peine, après trois minutes. Au moment où Charles lève les yeux et regarde par la fenêtre, Emma marche vers la maison du médecin, se promène dans le champ qui l’entoure et finit par jeter des coups d’œil furtifs qui suggèrent un début de flirt. Elle regarde l’apparition assez fantomatique de l’homme à la fenêtre où celui-ci s’adonne à un regard proche du voyeurisme. Ce sont donc deux regards socialement ambigus, qui commencent à avoir des conséquences percutantes quand ils se croisent. Fig. 2: Charles à la fenêtre, joué par Thomas Germaine (Madame B., Mieke Bal & Michelle Williams Gamaker, 2013) Qu’avons-nous fait en modifiant l’épisode des visites fréquentes de Charles à la ferme du père Rouault, les Bertaux, la découverte de la jeune fille et l’éveil du désir, la demande en mariage et l’acceptation par Emma qui „croyait avoir de DDossier 69 l’amour“ comme on le raconte rétrospectivement? Le moment essentiel des chapitres 2 et 3, selon Michelle et moi, était le lent réveil du regard performatif. Emma commence à exister lorsque Charles la voit - avec tout ce qui s’en suit. Un regard performatif - qui fait acte. Le père qui décide, la procédure de la demande en mariage en l’absence de la jeune femme, tout cela ne nous paraissait ni actualisable ni important au-delà de la couleur locale temporelle, c’est-à-dire historique - distraction, selon nous, qui condamne la plupart des films sur ce sujet. Par contre, avec l’idée du regard performatif nous voulions intervenir, non pas simplement dans la critique flaubertienne mais aussi dans la théorie de l’art et de la culture visuelle en général. De cette dernière, la littérature fait partie intégrante. 8 On sait que l’art peut avoir une efficacité performative. Mais que le regard même qu’on jette sur lui puisse avoir pour effet un changement existentiel, voire ontologique, ceci fournit à l’argument connu un fondement qui, tout en le renforçant, implique le spectateur dans cette efficacité. Or, pour cet aspect-là, les théories de la réception ont déjà avancé que l’art, y compris la littérature d’ailleurs, ne peut fonctionner sans ses spectateurs. C’est un argument a priori phénoménologique. Mais que l’efficacité performative d’une image dépende du regard qu’on jette sur l’autre signifie que l’ontologie même du visuel est fondamentalement dialogique. 9 Ainsi, Charles, ce médecin de campagne généralement - mais sans doute à tort - tenu pour médiocre et donc méprisable, démontre l’importance du regard en tant qu’outil ontologique. Cela s’approche des idées de Lacan, en particulier de sa conception de l’écran culturel, mais sur un niveau plus général. C’est dans ce sens que nous croyons avoir été fidèle à l’écriture flaubertienne dans sa portée de ce qu’on appelle aujourd’hui, à la suite du philosophe Hubert Damisch, un „objet théorique“. Par ce terme, Damisch veut suggérer que l’œuvre d’art même incite à la réflexion théorique, voire qu’elle indique la manière dont on peut (la) théoriser. 10 Images sonores: la voix mortelle Toujours dans notre projet, le déploiement de l’image auditive est un deuxième exemple du paradoxe de la fidélité anachronique. La plupart de ces images restent à créer, car notre artiste du son, la Portugaise Sara Pinheiro ne peut les créer qu’une fois le montage fini. L’idée en est que le son - murmures, tintements, bêlements, hurlements - constituent un réseau lui aussi déployé dans le but de la narration anachronique. Car tous ces sons sont réitératifs, durables, routiniers. Mon exemple doit ici être limité à l’emploi du dialogue pour la création d’une image. Cette image sonore, située en dehors du temps, retourne pour faire acte de narration. Parmi les milliers de phrases narratives du roman, il s’en trouve en effet quelques-unes que nous avons prises comme points de départ pour raconter autrement. Dans un sens, notre conception, qui limite la plupart des dialogues à des citations littérales, comporte aussi l’opposé de cette méthode contraignante. Parfois, nous avons donné aux acteurs une phrase, une expression, et nous leur DDossier 70 avons demandé d’improviser là-dessus. Cela donne lieu à des images sonores, des développements dont l’importance réside dans la façon de constituer un contenu narratif de manière sensuelle. Ensuite, celui-ci trouve sa place dans un récit sans pouvoir être localisé textuellement. Prenons la fameuse phrase „Sa conversation était plate comme un trottoir de rue“. Elle est fameuse à juste titre, car aux yeux d’Emma, elle est dévastatrice pour Charles - si toutefois l’on considère la phrase comme un discours indirect libre. Mais comme Jonathan Culler (1976) et d’autres l’ont démontré, rien n’est moins certain, justement, que ce discours. 11 La petite phrase illustre surtout parfaitement l’usage économique des mots qui en dit long sur l’esthétique narrative. Car l’usage générique du nom conversation, accompagné de l’imparfait qui n’a rien ici de spécifiquement flaubertien mais exprime simplement la réitération et la routine, implique, justement, beaucoup de mots - un nombre infini de mots qui finissent par assommer l’interlocutrice avec sa platitude „comme un trottoir de rue“. Des mots qui trottent, en effet. Il fallait inclure cette phrase importante à la fois comme l’expression narrative d’un non-événement, et comme la représentation de l’ennui qui finira par tuer Emma. En d’autres termes, elle provoque un renversement dans l’économie narrative: de la narration littéraire, on passe à la narration cinématographique. Ce renversement est nécessaire, encore une fois, pour être fidèle au roman - tout en le trahissant. Or, le caractère itératif de la conversation plate qu’implique la phrase, la perception qu’en fait Emma et le glissement vers l’aventure qui s’en suit: tout cela ne peut pas être audio-visualisé facilement, et surtout pas avec la concision de Flaubert, car pour l’auteur une métaphore suffisait. C’est en s’y essayant que la plupart des films échouent dans la mise-en-film du roman. Pour notre expérimentation, c’est-à-dire dans le but de tourner un film-labo qui explore ce qui est et ce qui fait le récit plutôt que de fournir des réponses toutes faites, nous nous sommes mis derrière la caméra sans aucune répétition préalable. Car pour l’improvisation (aussi appelé jeu d’atelier) la qualité réside dans le caractère spontané, dans le premier jet. Cette opportunité, nous la devons à notre chance de travailler avec de brillants acteurs extrêmement talentueux. L’acteur qui interprète Charles, le Français Thomas Germaine, avait simplement annoncé qu’il aimerait parler de quatre sujets, étalés sur quatre dîners qui auraient lieu pendant des soirées différentes: le temps, un projet de construire une cabane dans le jardin, une patiente, et enfin le manque de goût (ou de parfum) des framboises. On voit l’ennui venir. L’actrice qui jouait Emma, la Finlandaise Marja Skaffari, toute préparée qu’elle était, n’avait qu’à se taire et montrer dans son visage l’écho visuel du discours de Charles. L’image sonore, donc, fonctionne comme l’image visuelle performative telle que je l’ai décrite dans l’exemple précédent. 12 Bien que nous ayons filmé cette scène avec deux caméras fixes, chacune orientée sur l’un des deux visages, nous avons décidé de montrer presque exclusivement le visage d’Emma. C’est là que s’inscrivit un ennui de plus en plus exaspérant; c’est là, sur son visage, que l’on construit le discours indirect libre de la DDossier 71 phrase de départ, même si, ou parce que, c’est exclusivement Charles qui parle. Son discours constitue, en effet, une image sonore proprement dite. Dans le récit, Emma focalise; il fallait donc que ce soit elle la prisonnière de la conversation plate - écrasante, donc, effectivement comme un trottoir de rue. Et selon la conception performative du regard, c’est encore le spectateur qui la met en l’état de manifester son ennui et, à la fin de la séquence, quand l’ennui se transforme en horreur, de pousser un cri. Car c’est le spectateur qui, en voyant l’ennui et en en éprouvant l’horreur, lit sur son visage et, dans un certain sens, autorise l’ennui de s’y manifester. Fig. 3: Emma (M. Skaffari), écoute la conversation de Charles, „plate comme un trottoir de rue“. (Madame B., Mieke Bal & Michelle Williams Gamaker, 2013) En même temps, nous avons voulu libérer Charles du mépris qui l’entoure dans la critique, réception qui, de fait, rend son personnage ineffectif. Ou plutôt, c’est l’acteur qui, par son jeu, devient son propre sauveur. Son outil est alors le rythme. Quand il parle de sujets à dormir debout, il parle néanmoins sur un rythme nerveux, avec une monotonie à la limite de la fébrilité, tout en s’arrêtant et soupirant de temps en temps. Par ce moyen, il donne forme à l’angoisse du personnage qui, sans s’en rendre compte, est lui aussi prisonnier de ce ménage sans issue. Il souffre de ses propres clichés, et par conséquent interroge l’interprétation un peu trop systématique de l’ironie flaubertienne. Sentant sa femme s’ennuyer, à un niveau pourtant irréfléchi, il parle avec de plus en plus de nervosité, meublant les silences qu’il sait inéluctables, et il en résulte qu’il accumule les bêtises. La bêtise flaubertienne, ici, ne réside pas tant dans la réitération des clichés mais plutôt dans le besoin de remplir un vide pourtant radical que génèrent les clichés. Ce besoin donne de la profondeur au personnage plus profond. L’image sonore qui en résulte colle au visage d’Emma, c’est la contrepartie visuelle, voire le produit de cette image sonore. Dans cette scène, Charles et Emma sont plus unis DDossier 72 que jamais: liés par l’ennui, la nervosité, l’angoisse. Leur union infernale dit bien tout ce que Flaubert n’a dit que de façon implicite. Quand, à la fin, Emma pousse un cri, Charles demande avec étonnement: „Ça va? “ comme s’il pensait que si seulement il réussissait à transformer l’ennui en maladie, il pourrait sauver son mariage. Il est médecin, après tout. Cette image sonore - et il y en a d’autres, bien sûr - démontre un autre côté de la performativité de l’image. L’image visuelle, le visage d’Emma de plus en plus exaspérée, n’est pas, dans ce cas, la conséquence du regard de l’autre. Elle est le produit d’une voix, de paroles, d’une conversation que Flaubert a si bien caractérisée. Néanmoins, si Charles est celui qui a fait vivre Emma dans la première scène, il est aussi celui qui la fait quasiment mourir dans celle-ci. Il est, de nouveau, le personnage générateur d’un événement invisible: celui qui transforme Emma, à peine éveillée à la vie, en un cadavre vivant. Elle entre dans une agonie qui dure le reste de l’histoire. Cette agonie n’est pas causée par son mari - après tout, il en est tout aussi bien une victime - mais il ne fait que l’occasionner, il en est l’instrument. La véritable cause, c’est l’attente, la passivité d’Emma prisonnière d’un système qu’elle ne comprend pas, mais qui lui a été inculqué dès son plus jeune âge. Pour renforcer cette importance performative de l’image sonore, nous avons aussi mobilisé la sonorité dans la scène de l’agonie même. 13 Sauve qui peut: les hommes Le troisième type d’image est l’image audio-visuelle que créent les acteurs par leur jeu. Ces images sont, elles aussi, des interprétations du roman. Le problème fondamental de la critique flaubertienne est moins la fameuse incertitude, l’indécidabilité de la dynamique entre bêtise et ironie, sujette au paradoxe du menteur crétois, que le récit qui fait défaut. L’écriture s’esquive; on ne l’attrape jamais en flagrant délit de raconter. Dans ce sens, il s’agit en effet d’un livre „sur rien“, malgré la tournure dramatique que prend l’histoire. Histoire et narration se séparent, parfois de façon dramatique. Dans le clivage entre les deux, les hommes de la vie d’Emma risquent de tomber. Car ils se ressemblent trop. L’image de ce clivage, nous la produisons par le moyen du casting. La médiocrité tant décriée de ces hommes est un aspect du lien qui existe entre eux. L’autre aspect, c’est Emma elle-même, à qui son éducation a volé la capacité d’être active, de faire. En effet, le drame d’Emma est son impuissance. Elle manque de performativité. Comment rendre une ressemblance entre trois hommes, surtout si chacun d’eux, a priori, a pour mission de sauver Emma de l’ennui par contraste avec l’homme de routine? Charles la sauve de son père, Rodolphe et Léon la sauvent de Charles. Le sauvetage échoue à chaque fois, justement parce qu’ils se ressemblent trop. Mais Flaubert ne le dit pas. Nous avons mis en scène cet inracontable flaubertien par deux décisions de casting. D’abord, les trois hommes sont joués par un seul acteur; ensuite, Emma et ses hommes ne parlent pas la même langue. La première décision est motivée par le fait évident mais jamais dit que la DDossier 73 jeune femme est amoureuse de l’amour et non pas d’un homme en particulier; la deuxième décision, quant à elle, est motivée par le fait tout aussi indéniable et tout aussi inénarrable qu’Emma et ses hommes, de toute façon, ne se comprennent pas. Lors de la scène du dîner décrite plus haut, l’ennui inéluctable d’Emma était, bien sûr, facilité par le fait que l’actrice comprend assez peu le français. Mais l’incompréhension se joue aussi à un niveau plus profond. Le romantisme exalté de Léon, dans la première partie, ne rencontre qu’un écho modérément enthousiaste chez Emma. En refondant cet épisode avec celui de la grossesse et le souhait d’avoir un garçon, car „les hommes, au moins, sont libres“, nous avons mis en scène la promenade des deux personnages dans une forêt où, après un tournant du sentier, Emma, qui est enceinte à l’insu de Léon, voit un bébé garçon jouer dans le sable du sentier. Elle s’attendrit. Léon, lui, ne voit rien. Le spectateur voit tour à tour le bébé - et pour rendre la scène encore plus croyable, le petit crie de plaisir! - et le pan de sable vide. Que penser, que croire? Le caractère subjectif des deux images les rend incompatibles. Elles se succèdent, ce qui empêche sans doute un choix clair, car le spectateur voit lui aussi le bébé, puis le pan de sable vide. L’idée est justement de mettre les deux personnages sur le même niveau de ce que, à l’époque, on commençait à considérer comme l’hystérie. Si Emma hallucine, Léon, plat, tombe de son nuage romantique pour reconnaître son incapacité d’imaginer. Lequel est le plus fou des deux? Fig. 4: Thomas Germaine jouant les trois hommes, collage (photos de Thijs Vissia, montage Margreet Vermeulen) DDossier 74 Fig. 5: Juxtaposition du bébé, joué par Julia Gamaker, et du pan de sable vide (Madame B., Mieke Bal & Michelle Williams Gamaker, 2013) Lors du tournage de l’aventure entre Emma et Rodolphe, des rencontres clandestines dans le château de ce dernier, nous étions de nouveau face à un défi narratif. Les monologues intérieurs de Rodolphe disent bien son ennui. D’ailleurs, dès qu’il a décidé de séduire Emma, cet homme cynique se demande „mais comment s’en débarrasser ensuite? “ Le lecteur est donc bien préparé, mais est-ce que le spectateur s’en souvient? De nouveau, l’acteur crée l’image de l’ennui. Cela va jusqu’à laisser tomber de sa main la petite boîte contenant un bijou qu’Emma lui a offert en cadeau. Ce bijou, il s’en sert d’abord pour produire un reflet de lumière sur le visage d’Emma; il joue avec elle, littéralement. Ensuite, il laisse tomber la boîte. Le geste exprime bien son ennui. Mais, au-delà du cynisme déclaré du personnage flaubertien, l’acteur a su mettre dans le visage de Rodolphe quelque chose que Flaubert ne dit pas: une tristesse profonde. Est-il possible de réconcilier cette tristesse avec le cynisme du personnage? Nous avons posé la question à l’acteur. „Mais bien sûr,“ a-t-il dit. „Il mène une vie vide; lui aussi il est malheureux.“ Flaubert le dit-il? Non, et oui. Dans le scénario, Thomas Germaine a indiqué la phrase „Si seulement j’avais un but dans la vie, si j’eusse rencontré une affection “. Effectivement, la phrase est là, tirée du roman. Elle y fait partie du grand fond de clichés de la séduction. Il en va de même dans notre scénario, où l’acteur la prononce avec un visage à la fois intense et solidement malhonnête. En ancrant en cette phrase l’expression de tristesse, l’acteur crée de fait une image de la progression narrative même, où l’amusement et le plaisir recherchés s’autodétruisent par l’effet de la durée. Mathieu Montanier, qui joue Homais, cherchait lui aussi à donner plus de profondeur à son personnage. Dans son cas c’était sans doute encore plus difficile. Car si Flaubert, avec énormément de subtilité et d’ambiguïté, glisse dans les paroles des trois amants assez d’éléments qui permettent de les sauver de la médiocrité que leur attribue trop vite une critique qui comprend le citationnalisme de Flaubert de façon unilatérale - et en oublie l’incertitude - le cas d’Homais semble plus problématique. Après tout, à la première lecture, le pharmacien semble l’incarnation même du cliché, de l’ignorance, de la méchanceté et du snobisme. Sauf que notamment dans ses disputes avec le curé, Monsieur Bournassien, au sujet de la religion (qu’il rejette), l’incertitude s’insinue. En même temps, la réception de DDossier 75 ces passages dépend aussi clairement des convictions du spectateur. Et c’est là que l’incertitude est renforcée, que l’on se rend compte que ce qu’on voit et entend diffère pour chacun. Cela éveille chez le spectateur à la fois un sens de la responsabilité et de la participation, et une réalisation de la force performative du personnage que l’acteur présente. Dans un deuxième temps cependant, une autre caractéristique d’Homais prend plus de consistance. Elle se note le plus clairement dans la scène qu’il fait à son apprenti Justin au sujet de l’emplacement de l’arsenic. Or, il s’agit là d’une scène dans les deux sens du terme. Car on est au théâtre, au théâtre de boulevard même: Emma, que le pharmacien a lui-même convoquée, est présente et écoute, et c’est ainsi que commence la grande finale du suicide. Ce qui perce à la surface dans cette scène est l’hystérie d’Homais. Même caricaturale, l’hystérie - dont témoignait aussi Léon - n’est pas seulement la nouvelle maladie dont Freud mettra le nom à la mode, et sur laquelle il fondera la découverte de l’inconscient. C’est aussi ce qu’ont en commun Emma et ses hommes. Entre le cliché, facilement ironisé, et l’hystérie généralement attribuée aux femmes, le texte flaubertien navigue avec astuce. Fig. 6: Homais dans la mer, joué par Mathieu Montanier. (Madame B., Mieke Bal & Michelle Williams Gamaker, 2013) De sa propre initiative, Mathieu Montanier a insisté pour faire quelques performances autour de l’hystérie. Premièrement, alors que Charles et Emma sont invités à une réception à Paris - notre version du bal - il fait une crise de nerfs dans une forêt où il cherchait des baies pour ses médicaments. Ensuite, après le suicide d’Emma, il est déchiré, non pas par la culpabilité mais par une sorte de crise DDossier 76 d’hystérie totale. Il se plonge dans la mer, se lave le visage avec de la boue et des algues, il rit, il crie et il pleure. Cette scène reste indécidable; lui donner un sens clair serait la pire trahison du texte - où, d’ailleurs, elle ne figure pas. Si une crise d’hystérie n’est jamais belle à voir, on ne peut pas non plus s’en débarrasser avec de l’ironie facile. Pourtant, la lumière nordique aidant, l’image est belle. La beauté produit l’ambivalence: elle nous rapproche du personnage qu’en même temps nous abhorrons. Encore une fois on est amené à se demander: lequel de ces personnages est le plus fou? Étrangement, ce n’est pas Emma. Récit imagé Le dernier exemple de ce que nous appelons imager - la mise en image du récit - montre le plus clairement peut-être à quel point un récit pris à la lettre de sa littérarité, peut, en tant qu’objet théorique, générer sa propre trahison. Nous affirmons que nos installations constituent, que notre film constituera une version de Madame Bovary. Mais pour affirmer cela il faut prendre le mot version dans son sens littéral, celui de ‚tour‘, ou de ‚détournement‘. Homais, dans le roman, ne s’approche jamais de la mer. Mais il a bel et bien une crise d’hystérie. Ce fait est déjà assez frappant. Cela fait partie du côté prophétique que nous attribuons au roman, ce pourquoi nous nous sentons autorisé à imaginer, à partir de traits littéraires, une version qui puisse donner forme à ce que la prophétie de Flaubert signifie aujourd’hui. 14 Or, notre version tient à s’attacher au roman, non pas par vénération pour son auteur, mais parce que, s’agissant d’un roman classique, canonique, son potentiel d’actualité n’a toujours pas été épuisé. La sensibilité féministe - qui ne devient perceptible qu’à partir d’une vision volontairement anachronique - nous semble indéniable. Mais alors, qu’est-ce qu’on gagne à sauver les hommes du mépris total? Tout. Plus les personnages des hommes sont complexes, plus la tragédie d’Emma devient inéluctable et terrible, et plus elle donne à penser, à évaluer dans quelle mesure la situation des femmes s’est vraiment améliorée depuis. Ce n’est qu’en sauvant les hommes d’un ridicule qui resterait superficiel s’il n’était que massif, et donc qui trahirait la complexité de l’incertitude flaubertien, que l’on peut sauver Emma de sa bêtise à elle, car les pièges qu’on lui tend, nous les reconnaissons encore. Notre réécriture du roman en images - visuelles, sonores, jouées - met en relief ce qui était là depuis toujours, mais dont on ne perçoit le caractère pernicieux qu’une fois que les images créent le lien, forcément anachronique, entre le texte de 1856 et la culture d’aujourd’hui. Un roman classique n’est pas grand parce qu’il est intouchable. Bien au contraire, c’est dans la mesure qu’il se prête à cette trahison par fidélité qu’un récit littéraire reste vraiment vivant. Cette trahison dit en effet que tout est déjà là mais qu’en même temps, rien n’est vraiment là, qu’il faut tout changer pour mieux voir. DDossier 77 Alphen, Ernst van, Art in Mind: How Contemporary Images Shape Thought, Chicago, Chicago UP, 2005. Austin, John L., How to Do Things With Words [1962], Quand dire c’est faire, trad. Gilles Lane, Paris, Seuil, 1970. Bakhtin, Michail M., The Dialogic Imagination: Four Essays, Austin (Texas), The University of Texas Press, 1981. Bal, Mieke, „Fonction de la description Romanesque“, in: Revue des langues vivantes 40/ 2 (1974), 132-149. — Quoting Caravaggio: Contemporary Art, Preposterous History [1999], Chicago, Chicago UP, 2 2001. — Travelling Concepts in the Humanities: A Rough Guide, Toronto, Toronto UP, 2002. — Narratology: Introduction to the Theory of Narrative, 3e éd. revue et augmentée, Toronto, Toronto UP, 2009. — „Madame B.: L’analyse cinématographique d’un roman“, in: Flaubert. 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Par contre, il ne s’agit jamais d’un je singulier; pour le projet ici en question, je indique les deux réalisatrices du projet, Michelle Williams Gamaker et moi-même. 4 J’appelle ici cinématographique l’image en mouvement malgré les discussions acharnées sur la différence entre le cinéma analogue et la vidéo digitale. Voir Rodowick 2007. 5 Mon argumentation contre ce que j’appelle l’intentionnalisme se trouve dans mon livre de 2002, ch. „Intention“. DDossier 78 6 Pour les expositions qui ont suivi le film sur la folie, voir le lien www.miekebal.org/ artworks/ exhibitions. 7 Toutes les illustrations sont des plans arrêtés des vidéos de Madame B., par Mieke Bal & Michelle Williams Gamaker, 2013. 8 Sur la visualité de la littérature, voir le chapitre „Caught by Images“ du livre d’Ernst van Alphen (2005). 9 Y compris dans le sens de Bakhtine, où dialogisme et citationalisme coïncident (1981). Voir aussi Todorov (1981) et, pour une étude qui donne de l’actualité à ce sens, Peeren (2007). 10 Pour une vue positive de Charles, voir le livre de Marc Girard (1995), qui selon moi pêche par excès de partialité contre Emma - il prend en effet ses paroles sans aucun sens de l’ironie, qui est pourtant capitale chez Flaubert. À ma connaissance, Damisch n’a jamais publié de texte spécifiquement dévoué à l’objet théorique. La définition la plus claire se trouve dans un entretien, publié en anglais, avec Yve-Alain Bois et al. (1998). 11 Voir en particulier Prendergast 1981. L’idée que la traduction fidèle est impossible et indésirable remonte au beau texte „La tâche du traducteur“ de Walter Benjamin. Voir aussi le chapitre „Image“ dans mon livre (2002). 12 Marja Skaffari dût interrompre le tournage une fois ou deux lorsqu’elle ne put s’empêcher de rire, tellement la performance de Thomas était hilarante. Nous autres, réalisatrices et acteurs, assistants, maquilleuse et autres participants, nous écroulâmes alors avec elle. 13 Sur la scène de l’agonie, voir mon article „Madame B.: L’analyse cinématographique d’un roman“ dans la revue Flaubert. Revue critique et génétique (2012). 14 Pour cette conception de la version comme tournure, selon l’étymologie du mot, voir Peeren 2007. DDossier