eJournals lendemains 34/136

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2009
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Chateaubriand lecteur de Volney

2009
Sarga Moussa
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121 Arts & Lettres Sarga Moussa Chateaubriand lecteur de Volney Dans un article programmatique paru il y a trente-cinq ans déjà, Michel Butor rappelait les liens existant entre le voyage, la lecture et l’écriture. 1 Le regard du voyageur est en effet toujours informé par un certain nombre de lectures. Même lorsqu’il prétend décrire le monde tel qu’il est, dans une sorte d’immédiateté sensible, il ne peut manquer de faire appel à des médiations culturelles. Lamartine ne dit-il pas, au début de son Voyage en Orient (1835), avoir embarqué „une bibliothèque de cinq cents volumes? “ 2 Sans doute doit-on faire la part de l’exagération rhétorique, mais cette assertion est malgré tout révélatrice: même à l’époque romantique, où le moi s’affirme et chercher à s’autonomiser, le voyageur, surtout s’il est un écrivain, est aussi un grand lecteur, qui se documente avant, pendant et même après son voyage. Ce phénomène est particulièrement observable chez Chateaubriand, encore proche du XVIII e siècle, et dont la dimension érudite est très visible dans l’Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811): le narrateur cite constamment d’autres auteurs, que ce soit dans le corps du texte, en note de bas de page, dans les notes plus longues figurant à la fin de son récit de voyage, ou encore dans une Introduction en forme de bibliographie commentée. 3 Volney, en particulier, apparaît régulièrement dans l’Itinéraire, qu’il soit explicitement cité ou que son Voyage en Syrie et en Egypte (1787) ne soit mentionné qu’en filigrane. 4 Opposé au courant de pensée des „idéologues“, 5 Chateaubriand n’en est pas moins tributaire, comme nombre d’autres voyageurs du XIX e siècle, du Voyage de Volney, 6 qui passe longtemps pour une autorité sur l’Orient. I. Les ruses de l’intertextualité C’est surtout dans la troisième partie de l’Itinéraire, consacrée à l’entrée en Terre sainte, que Volney est explicitement mentionné par Chateaubriand. A l’évidence, le Voyage en Syrie et en Egypte est parfois considéré comme un véritable guide. A une époque où la collection des guides Joanne 7 n’existe pas encore, ce sont les récits des voyageurs antérieurs jugés les plus sérieux qui tiennent lieu de guide. Volney en fait partie, mais sur certains points seulement. Ainsi à propos de „la moderne Jafa“, Chateaubriand renvoie à son prédécesseur pour „l’histoire des sièges qu’elle a soufferts pendant les guerres de Dâher et d’Aly-Bey, ainsi que les autres détails sur la bonté de ses fruits, l’agrément de ses jardins, etc.“ 8 Sur les plans historique et économique, Volney est donc jugé fiable. Mais il peut être complété, ce que fait Chateaubriand en ajoutant des remarques sur l’histoire la plus récente 122 Arts & Lettres (l’expédition de Bonaparte), et surtout en procédant à une vérification personnelle de la fertilité du sol (creuser le sable à la main pour en faire sourdre de l’eau fraîche). Pourtant, si l’on regarde bien, les références à Volney ne sont presque jamais sans réserves. D’ailleurs, il n’y a rien d’étonnant à cela. Car si l’on ne veut pas, ainsi que l’écrit Chateaubriand, „faire, comme tant d’autres, un Voyage avec des Voyages“, 9 il faut bien se démarquer un peu, fût-ce poliment, des voyageurs dans les pas desquels on marche. En voici un exemple à propos de Rama, sur le chemin de Jérusalem: „Après avoir visité ces ruines, nous passâmes près d’un moulin abandonné: M. de Volney le cite comme le seul qu’il eût vu en Syrie; il y en a plusieurs autres aujourd’hui.“ 10 Une notation aussi banale que celle-ci est néanmoins intéressante du point de vue de la poétique du voyage. On devine sans trop de peine ce que Chateaubriand donne à entendre: malgré sa prétention totalisante, Volney n’a pas tout vu, que ce soit parce qu’il a voyagé trop rapidement ou parce que sa mémoire l’a trahi; mais le narrateur de l’Itinéraire lui laisse une porte de sortie honorable: le temps a passé, et peut-être la réalité a-t-elle changé… Voici un autre exemple d’une référence explicite à Volney, où la critique, cette fois-ci, commence à percer sous la révérence. Dans une note qu’il place en bas de pages, Chateaubriand écrit à propos de Jaffa: „Je sais qu’on prononce en Syrie Yâfa, et M. de Volney l’écrit ainsi; mais je ne sais point l’arabe; je n’ai d’ailleurs aucune autorité pour réformer l’orthographe de d’Anville et de tant d’autres savants écrivains.“ 11 Le narrateur de l’Itinéraire se veut tout aussi sérieux et crédible que celui du Voyage en Syrie et en Egypte. Il a donc intérêt à faire la preuve de son érudition. Mais les voyageurs, les historiens et les géographes ne sont pas tous d’accord entre eux. Il faut donc faire des choix. Volney avait choisi d’apprendre l’arabe, et l’on en voit immédiatement une conséquence dans sa toponymie: employer le nom arabe de Jaffa, c’est se placer du point de vue de l’autre, et c’est reconnaître, au moins implicitement, la légitimité de l’islamisation comme une donnée historique. Chateaubriand, sans surprise, fait le choix inverse. Son aveu d’ignorance de l’arabe ne le gêne nullement, au contraire même, il en tire parti pour se placer résolument du côté de la tradition occidentale, dont le poids, à la fois en termes d’autorité et de nombre („tant d’autres savants écrivains“), contribue à marginaliser Volney. Il est d’ailleurs révélateur que cette critique se trouve dans une note: après avoir expulsé sa victime hors du corps du texte, Chateaubriand peut continuer tranquillement à raisonner sur l’origine hébraïque du nom de Jaffa (l’antique Joppé), se situant ainsi dans la perspective biblique qui est la sienne. Il y a aussi, dans l’Itinéraire, des exemples de critique beaucoup plus radicale de Volney. Mais dans ce cas - et ceci n’est pas non plus un hasard -, le nom de ce dernier n’apparaît pas: n’oublions pas que Volney, devenu comte sous l’Empire, vit toujours au moment où Chateaubriand publie son récit de voyage. Alors que le narrateur du Voyage en Syrie et en Egypte s’était livré, dans l’esprit anti-clérical des Lumières, à une attaque en règle contre les pèlerins et les religieux de Terre sainte (zèle superstitieux des premiers, dépenses excessives des seconds), 12 le narrateur de l’Itinéraire, dans la logique du Génie du christianisme et des Martyrs, 123 Arts & Lettres loue au contraire la piété et la modestie de ces chrétiens, voyageurs ou résidents dans l’Empire ottoman. Ainsi lors du débarquement à Jaffa: „Cette foule de vieillards, d’hommes, de femmes et d’enfants ne fit point entendre, en mettant le pied sur la Terre-Sainte, ces cris, ces pleurs, ces lamentations dont on s’est plu à faire des peintures imaginaires et ridicules.“ 13 Ce on, comme plus tard la formule „quelques voyageurs“, 14 cache évidemment Volney, que la prudence empêche Chateaubriand d’attaquer de manière frontale. Ce même procédé se retrouvera dans le Voyage en Orient de Lamartine, mais cette fois-ci à l’égard de… Chateaubriand, auquel le poète romantique feint de rendre hommage dès les premières lignes de son Avertissement, 15 tout en critiquant systématiquement - mais sans le nommer -, notamment à propos des couvents de Terre sainte. Je voudrais commenter un dernier cas d’intertextualité volneyienne dans l’Itinéraire. „Je ne puis être du sentiment de ceux qui supposent que la mer Morte n’est que le cratère d’un volcan“, s’exclame Chateaubriand, 16 visant implicitement Volney, qui écrivait effectivement, en s’appuyant sur Strabon, que les villes foudroyées dont il est question dans la Genèse le furent par „l’éruption d’un volcan alors embrasé“. 17 A priori, deux logiques irréconciliables s’affrontent: celle, rationaliste, de l’homme des Lumières qu’est Volney, et celle de Chateaubriand, qui cherche à replacer l’histoire et la géographie dans une perspective biblique. Pourtant, l’opposition entre les deux auteurs est moins tranchée qu’il n’y paraît. D’abord parce que Chateaubriand, voyageur érudit, a lui aussi lu Strabon qui, de même que Tacite, attribue à une cause naturelle le caractère inculte des rives de la mer Morte. Or Chateaubriand accorde un grand crédit à l’autorité des Anciens, dont il dit d’ailleurs qu’“ils connaissaient beaucoup mieux que nous“ la géographie de cette région. 18 Mais il y a plus que cela. En effet, le narrateur de l’Itinéraire veut, avec son ouvrage, obtenir une certaine reconnaissance scientifique, on le voit bien dans ses différentes préfaces, où il défend pied à pied ce qu’il considère comme ses découvertes personnelles (l’emplacement de tel fleuve, le relevé de telle inscription, etc.). Loin d’être uniquement l’ennemi des Lumières, Chateaubriand en est parfois l’héritier, notamment par son goût pour l’enquêtes archéologique, dont on sait qu’elle a déjà, dans la seconde moitié du XVIII e siècle, une dimension européenne, que ce soit avec les fouilles de Pompéi par Winckelmann, avec le voyage de l’Anglais Chandler en Grèce et en Asie Mineure, ou encore avec le Voyage pittoresque en Orient du dessinateur français Cassas. Chateaubriand se situe donc dans le cadre des débats de son temps, et il ne refuse nullement de prendre en compte les apports de la science contemporaine. D’où cette tentative un peu gênée de concilier deux types de causalité: „En adoptant l’idée du professeur Michaëlis et du savant Busching, dans son Mémoire sur la mer Morte, la physique peut encore être admise dans la catastrophe des villes coupables, sans blesser la religion. Sodome était bâtie sur une carrière de bitume, comme on le sait par le témoignage de Moïse et de Josèphe qui parlent des puits de bitume de la vallée de Siddim. La foudre alluma ce gouffre; et les villes s’enfoncèrent dans l’incendie souterrain.“ 19 On voit que le récit de voyage, même chez un Chateaubriand dont 124 Arts & Lettres on a souligné à juste titre l’orientation autobiographique apportée par l’Itinéraire, 20 est un genre d’une grande plasticité, ouvert aussi bien à la méditation personnelle qu’à la description du monde ou au récit d’aventure, à l’essai politique, ou encore, comme ici, à la dissertation historique et géographique. 21 II. Positions du voyageur Si l’Itinéraire est fortement tributaire du Voyage en Syrie et en Egypte, symétriquement, Volney annonce parfois Chateaubriand. Sans doute les deux auteurs semblent-ils s’opposer, a priori, sur le plan de la subjectivité énonciative. Volney, dans la logique „idéologique“ qui est la sienne, veut s’en tenir aux faits, et rien qu’à eux: „Je me suis interdit tout tableau d’imagination“, écrit-il à la fin de sa Préface. 22 Dans le même esprit, il place en exergue à son ouvrage la phrase suivante, souvent citée: „J’ai pensé que le genre des voyages appartenait à l’Histoire et non aux Romans.“ Double méfiance, donc, aussi bien à l’égard du je que de la fiction. De fait, il suffit de regarder les premières pages du récit, consacrées à l’arrivée à Alexandrie, pour voir comment Volney tente de mettre en œuvre sa propre poétique, à la fois en s’absentant de son propre texte (la troisième personne du singulier remplace systématiquement la première: „on se prépare“, „un Européen“, „il regarde“…) et en brossant un tableau aussi sombre que possible de la population égyptienne („ces espèces de fantômes ambulans qui, sous une draperie d’une seule pièce, ne montrent d’humain que deux yeux de femme“), 23 de façon à mieux échapper au reproche qu’il adresse lui-même à Savary, l’auteur des Lettres sur l’Egypte (1785-1786), qu’il accuse de voir l’Orient à travers le prisme idéalisant des Mille et une Nuits. 24 Le je volneyien étant relativement rare dans le Voyage en Syrie et en Egypte, lorsqu’il apparaît, il n’en a que plus de force. Ainsi, lorsqu’il s’agit de dénoncer le détournement des richesses par les représentants du pouvoir ottoman en Egypte (les beys mamelouks entasseraient chez eux des sacs de blé et de riz alors que le peuple est affamé), Volney adopte soudain un ton grave, celui d’un accusateur qui sait d’expérience ce dont il parle: „Je n’oublierai jamais que revenant de Syrie en France, au mois de mars 1785, j’ai vu sous les murs de l’ancienne Alexandrie, deux malheureux assis sur le cadavre d’un chameau, et disputant aux chiens ses lambeaux putrides.“ 25 Mais le plus souvent, le sujet du voyage figure dans le texte de manière implicite, conformément à la vision objectivisante et universaliste qui est celle de Volney. Tel est clairement le cas dans le récit, déjà évoqué, de son arrivée à Alexandrie. Ainsi, il est difficile de ne pas voir que lorsque Volney écrit: „Tel est le cas d’un Européen qui arrive, transporté par mer, en Turkie“, 26 il part (et parle) de sa propre expérience pour tenter d’en extraire une règle générale. Derrière cette figure apparemment indéterminée du voyageur européen mettant le pied sur le sol oriental (figure à laquelle le lecteur peut néanmoins facilement s’identifier) se trouve évidemment le narrateur, à la fois auteur et personnage de son propre récit. On peut d’ailleurs en lire d’autres indices dans le Voyage, où, du 125 Arts & Lettres il, on glisse parfois au nous („Au lieu de nos visages nus […]. Dans nos contrées…“), 27 - une première personne du pluriel qui inclut forcément le narrateur lui-même. Reste que Volney se méfie constamment de sa propre subjectivité, et que sa démarche consiste, le plus souvent, à rationaliser son expérience de voyageur. Le choc de la différence, qu’il met en scène dans le récit de son arrivée à Alexandrie, constitue pour lui, à l’évidence, un risque de déstabilisation identitaire. La nouveauté qu’introduit l’Itinéraire, de ce point de vue, est l’apparition massive d’un je qui revendique hautement la parole pour se donner à voir comme héros de son propre récit de voyage. Loin de craindre le choc de la rencontre, Chateaubriand semble le susciter pour mieux se donner à voir comme un sujet parlant librement à la fois de soi et des autres, - le plus souvent de soi face aux autres. Il n’en est pas moins attaché, comme Volney, à la vérité du dire. „Je parle éternellement de moi“, concède-t-il dans la première préface de l’Itinéraire. 28 Mais il ajoute un peu plus bas: „Un voyageur est une espèce d’historien: son devoir est de raconter fidèlement ce qu’il a vu ou entendu dire; il ne doit rien inventer, mais aussi il ne doit rien omettre; et, quelles que soient ses opinions particulières, elles ne doivent jamais l’aveugler au point de taire ou de dénaturer la vérité“. 29 Voilà pour le principe. Quant à son application, c’est une autre affaire: on sait, depuis l’édition récente de Jean-Claude Berchet, que Chateaubriand n’a pas emprunté le trajet qu’il raconte dans le „Voyage de la Grèce“; 30 quant à son amante, Natalie de Noailles, retrouvée en Espagne à la fin du voyage, c’est évidemment la grande absente de l’Itinéraire. Il n’empêche que, sur le plan de la poétique du voyage, Chateaubriand est tout aussi attaché que Volney crédibiliser son récit. Loin d’apparaître comme le vecteur d’une subjectivité parasitaire, le moi de l’Itinéraire garantit au contraire l’authenticité du propos. Que ce soit pour peindre un tableau esthétisant d’Athènes („J’ai vu du haut de l’Acropolis le soleil se lever…“) 31 ou au contraire pour donner une image démythifiante de l’Archipel („je découvrais à différentes distances toutes les Cyclades: […] toutes ces îles si riantes autrefois, ou peut-être si embellies par l’imagination des poètes, n’offrent aujourd’hui que des côtes désolées et arides“), 32 le je atteste la réalité de ce qui a été vu et n’hésite pas à jeter le soupçon sur des images préformées qu’il s’agit de remplacer par d’autres, quitte à s’interroger sur les clichés qu’on véhicule parfois soi-même sans s’en rendre compte. Il est d’ailleurs remarquable que ce je est parfois capable de se séparer en deux, le voyageur prenant distance de son propre savoir, comme lorsque Chateaubriand raconte son arrivée à Modon, au sud du Péloponnèse: „Contre l’idée que je m’étais formée de la taciturnité des Turcs, ils riaient, causaient ensemble et faisaient grand bruit.“ 33 Mais il faut reconnaître que ce type d’autocritique reste l’exception dans l’Itinéraire. Le plus souvent, le voyage confirme un savoir préétabli, et le voyageur ne perçoit que ce qui s’inscrit dans le cadre culturel qui est le sien et qu’il entend partager avec ses lecteurs contemporains. 126 Arts & Lettres III. La nuit de l’islam L’exemple le plus flagrant, dans l’Itinéraire, d’une „validation“ par l’expérience d’un savoir préformé est la question du „despotisme oriental“. Sur ce plan-là, Chateaubriand doit beaucoup à Volney, qui lui-même se situe dans une tradition qu’on a coutume de faire remonter, pour la théorisation, à Montesquieu. On connaît le système exposé dans l’Esprit des lois (1748): le climat de l’Asie déterminerait un certain type de gouvernement - le despotisme, précisément -, qui reposerait sur la terreur, la cruauté, l’arbitraire et l’incurie; il se manifesterait à travers un certain nombre de d’„institutions“ condamnables, comme le pouvoir autocratique, mais aussi la polygamie et l’esclavage, et il trouverait son expression emblématique dans le sérail, lui-même incarné par le maître des lieux, le sultan. Ce pouvoir „despotique“ produirait de façon mécanique les mêmes effets désastreux sur la population: terreur, ruine, ignorance, etc. 34 Volney reprend très largement cette représentation, mais, à la différence de Montesquieu, il ne fait pas du climat un facteur déterminant du système „despotique“: pour lui, comme pour Turgot et N. A. Boulanger, c’est la nature du pouvoir et sa mauvaise application des lois de l’économie politique, qui déterminent la bonne ou la mauvaise gestion, et, au final, le bonheur ou le malheur des peuples. 35 Cela dit, l’image des Turcs n’en est pas modifiée fondamentalement, même si l’empire ottoman est déjà affaibli, à la fin du XVIII e siècle, notamment à la suite de la guerre avec la Russie de 1768-1774: 36 il reste pour nombre de voyageurs le grand ennemi de l’Occident chrétien et civilisé. Si cet imaginaire de l’autre „despotique“ a été bien étudié, y compris du point de vue de l’héritage de cette vision stéréotypée dans l’Itinéraire de Paris à Jérusalem, 37 on sait moins que la critique virulente de l’islam et du Coran, chez Chateaubriand, prend elle aussi appui sur Volney. Au chapitre 35 du Voyage en Syrie et en Egypte, on lit ainsi: „Il s’en faut de beaucoup que l’esprit de l’islamisme soit propre à remédier aux abus du gouvernement: l’on peut dire au contraire qu’il en est la source originelle. […] Quiconque lira le Qôran sera forcé d’avouer qu’il ne présente aucune notion des devoirs des hommes en société, ni de la formation du corps politique, ni des principes de l’art de gouverner, rien en un mot de ce qui constitue un code législatif. […]. Que si, à travers le désordre d’un délire perpétuel, il perce un esprit général, un sens résumé, c’est celui d’un fanatisme ardent et opiniâtre. […]. Quelle en est la conséquence, sinon d’établir le despotisme le plus absolu dans celui qui commande, par le dévouement le plus aveugle dans celui qui obéit? Et tel fut le but de Mahomet: il ne voulait pas éclairer, mais régner; il ne cherchait pas des disciples, mais des sujets.“ 38 Alors que tout un courant des Lumières va dans le sens d’une réévaluation de l’islam et de son prophète, auquel on reconnaît de plus en plus des qualités de législateur, 39 Volney renoue avec une conception antagoniste de la religion musulmane en accusant le Coran d’être à la source d’un mode de gouvernement „despotique“, donc haïssable. Doit-on lire ici, comme dans le Mahomet de Voltaire, une 127 Arts & Lettres critique à double visée, l’islam servant à parler, implicitement, du christianisme? Ce n’est pas exclu. Mais il faut observer que même dans Les Ruines (1791), où Volney se livre à une critique de toutes les religions instituées, l’Orient (et par voie de conséquence l’islam) est jugé de manière particulièrement sévère. 40 Quoi qu’il en soit, il est sûr que Chateaubriand a lu le Voyage en Syrie et en Egypte de Volney comme un argumentaire sur lequel il s’est appuyé pour bâtir son propre système d’oppositions entre le christianisme et l’islam. Autrement dit, tout en prétendant combattre l’anticléricalisme des Lumières, Chateaubriand est encore fortement tributaire de celles-ci, en particulier sur le plan de la critique du „despotisme oriental“. Sans doute la célèbre page de l’Itinéraire consacrée à l’apologie des Croisades est-elle caractéristique du renouveau catholique qu’incarne depuis le début du XIX e siècle l’auteur du Génie du christianisme (1802); c’est d’ailleurs dans ce texte que se trouve formulée la théorie des „justes représailles“, selon laquelle les Croisés n’auraient fait que répondre aux armées arabes venues envahir l’Europe quelques siècles auparavant et arrêtées à Poitiers par Charles Martel. 41 Mais la façon dont le narrateur de l’Itinéraire associe l’islam à un certain nombre de valeurs négatives („un culte ennemi de la civilisation, favorable par système à l’ignorance, au despotisme, à l’esclavage“), 42 est caractéristique de sa dette à l’égard des Lumières, comme sa croyance au progrès de la civilisation, héritée des Philosophes. Plus précisément, la critique du Coran à laquelle se livre Chateaubriand, lorsqu’il raisonne sur la „tyrannie“ qui opprime les Grecs, est sans doute empruntée à Volney: „Il n’y a dans le livre de Mahomet ni principe de civilisation, ni précepte qui puisse élever le caractère: ce livre ne prêche ni la haine de la tyrannie, ni l’amour de la liberté“, 43 - critique qu’on peut mettre en parallèle avec le Voyage en Syrie et en Egypte: „[Le Coran est] un ouvrage […] qui a pour conséquence, comme on l’a vu, d’établir le despotisme le plus absolu dans celui qui commande.“ 44 Cette hostilité foncière à l’islam se double, chez Chateaubriand comme déjà chez Volney, d’une véritable turcophobie. Ainsi la Grèce, dans l’Itinéraire, est-elle présentée comme un vaste désert ravagé par les Turcs („le pays est inculte, le sol nu, monotone, sauvage…“), mais aussi comme une terre chrétienne asservie par l’islam („un minaret s’élève du fond de la solitude pour annoncer l’esclavage“). 45 Mais le passage le plus célèbre de l’Itinéraire qui illustre cette noirceur despoticoislamique est évidemment celui consacré à Constantinople, - ville qui ne fait pas partie du parcours oriental de Volney, mais dont la description hallucinée qu’en donne Chateaubriand est, comme l’écrit J.-C. Berchet dans les notes de son édition, „un concentré de tous les fantasmes“ de sa génération à propos du despotisme oriental. 46 Cette „capitale des peuples barbares“ 47 est une sorte d’Enfer, tout à la fois anti-chrétien et anti-humain: „Ce qu’on voit n’est pas un peuple, mais un troupeau qu’un iman conduit et qu’un janissaire égorge.“ 48 L’alliance du pouvoir religieux et politique, qui renvoie implicitement à Volney, est ici radicalisée pour produire une sorte de boucherie à ciel ouvert, tableau fantasmatique que Lamartine, quant à lui, s’emploiera à renverser systématiquement, un quart de siècle 128 Arts & Lettres plus tard, en qualifiant les Turcs de „peuple de philosophes“ qui „tire tout de la nature [et] rapporte tout à Dieu.“ 49 IV. Un autre Orient Il ne faut pourtant pas croire que l’ensemble du monde oriental obéisse à la même logique dépréciative chez Volney et Chateaubriand. En effet, il suffit de s’intéresser non plus à l’Orient turc, mais à l’Orient arabe - celui du désert - pour s’apercevoir qu’on peut trouver, aussi bien dans le Voyage en Syrie et en Egypte que dans l’Itinéraire de Paris à Jérusalem, un imaginaire orientaliste très différent. Pour Volney, l’espace désertique relève, dans un premier temps, de l’irreprésentable: „Que l’on se figure sous un ciel toujours ardent et sans nuages, des plaines immenses et à perte de vue, sans maisons, sans arbres, sans ruisseaux, sans montagnes…“ 50 Description purement négative, puisqu’elle est constituée d’une suite d’absences qui renvoient toutes, en creux, à l’espace habité, et que le narrateur tente néanmoins de rendre „visible“ par l’artifice rhétorique de l’hypotypose. Le désert marque donc une frontière, qui fait basculer le voyageur dans un autre monde, lequel est d’abord perçu comme un vide angoissant. Mais le désert, malgré cette représentation quasiment abstraite, est aussi un espace habité. Et dès lors qu’il s’intéresse aux Arabes nomades de Syrie, Volney présente une tout autre image de leur territoire. Ou plus exactement, les Bédouins incarnent un paradigme anthropologique qui s’oppose à celui des Turcs et qui, du coup, rejaillit sur les valeurs associées au désert. Du fait même de leur nomadisme et de leur éloignement des grands centres de civilisation, ces Arabes sont, pour Volney, les dépositaires d’un mode de vie primitif dans lequel il n’hésite pas à reconnaître „l’état dépeint par Homère, et par la Genèse dans l’histoire d’Abraham“. 51 Volney projette sur les Bédouins un imaginaire primitiviste qui est caractéristique des voyageurs de la seconde moitié du XVIII e siècle. Considérés auparavant comme des pillards sauvages, ils deviennent des patriarches hospitaliers, dépositaires de valeurs ancestrales qui renvoient en même temps aux sources de la civilisation judéo-hellénique. 52 Volney pose ensuite la question de savoir pourquoi les Bédouins, dont les conditions de vie ressemblent selon lui à celles des Indiens d’Amérique, ont pourtant des mœurs „plus douces et plus sociables“. 53 C’est, dit-il, parce que les Sauvages, vivant dans des forêts, sont contraints de chasser, ce qui a développé chez eux le goût du meurtre. A l’inverse, le caractère de l’Arabe serait déterminé par son mode vie pastoral: „Il a conservé un cœur humain et sensible“, alors que l’Indien est devenu „anthropophage, sanguinaire, atroce“. 54 En usant de ce type de raisonnement, Volney renoue implicitement avec Montesquieu, mais aussi avec Buffon, puisque c’est l’environnement qui est présenté comme le paramètre central d’une détermination anthropologique et sociale. 55 En effet, de ce régime pastoral découlent toute une série de caractéristiques morales qui posent les bases d’un véritable 129 Arts & Lettres mythe bédouin: outre la sacralité de l’hospitalité, le narrateur du Voyage en Egypte et en Syrie met en avant la „générosité“, mais aussi l’“égalité“ et la „liberté“ censées régner au sein des tribus du désert, - autrement dit des valeurs qui seront celles de la Révolution française. 56 „Cette liberté s’étend jusque sur les choses de religion“, 57 ajoute Volney: dans la mesure même où ils pratiquent un islam peu rigoriste, ces Bédouins chez qui règne „la plus parfaite tolérance“ 58 incarnent finalement un idéal assez proche de la religion naturelle chère aux Lumières. Dans l’Itinéraire, Chateaubriand reprend la comparaison entre les Arabes nomades et les Indiens du Nouveau Monde, mais il en tire des conclusions différentes. En effet, pour lui, l’Américain est un „sauvage qui n’est point encore parvenu à l’état de civilisation“, tandis que le Bédouin serait, à l’inverse, un „homme civilisé retombé dans l’état sauvage“. 59 Chateaubriand introduit donc l’Histoire, mais aussi une temporalité réversible. Il se distingue de la sorte aussi bien du concept d’état de nature introduit par Rousseau que de l’idée de progrès inéluctable partagée par les Philosophes. Mais pourquoi les Bédouins étaient-ils autrefois des civilisés? C’est que, répond le narrateur de l’Itinéraire, „ils sont nés dans cet Orient d’où sont sortis tous les arts, toutes les sciences, toutes les religions“; 60 ils participent donc eux aussi d’un mythe primitiviste, - mais un mythe dont il ne reste qu’une sorte de halo, auquel Chateaubriand ne croit plus lui-même. A preuve cette réflexion qui intervient quelques pages plus tôt, et qui renvoie implicitement, pour mieux s’en détacher, à Volney: „On aime à distinguer dans ces usages [les festins préparés par les Bédouins] quelques traces des mœurs des anciens jours, et à retrouver chez les descendants d’Ismaël des souvenirs d’Abraham et de Jacob“. 61 Or Chateaubriand s’empresse, dans les deux paragraphes suivants, de donner une image largement démythifiante des nomades de Judée. Malgré une apparence flatteuse (démarche fière, beau visage, regard doux), les hommes ressemblent à des bêtes sauvages, dès lors qu’ils se mettent à parler (leurs dents sont comparées à celles des „chacals et des onces“). Quant aux femmes arabes, leur apparence serait tout aussi trompeuse: de loin, elles ont l’air de „belles statues“, mais vues de près, misère, saleté et teint foncé dégradent ce rêve esthétisant. 62 On retrouve d’ailleurs à plusieurs reprises ce double regard dans l’Itinéraire. Bien que nourri de culture classique, Chateaubriand refuse de voir la Grèce à travers les yeux d’Homère, ou le Jourdain tel qu’on pourrait l’imaginer à travers la lecture de la Bible. Désir de vérité et attention au détail font vite basculer l’Orient du côté d’un réel désenchanté. Du coup, Volney, qui pourtant se réclamait d’une objectivité absolue, est à son tour soupçonné d’avoir peint un tableau parfaitement irréaliste des Bédouins, vus à travers le prisme rousseauiste qui marque tant de voyageurs de la fin du XVIII e siècle. Il est pourtant un point, dans les pages que nos deux auteurs consacrent aux Bédouins, sur lequel Chateaubriand se trouve en convergence avec Volney. Ce dernier a reproduit dans son Voyage un petit récit „dans le genre des Mille et une Nuits“, qu’il met dans la bouche d’un conteur arabe: „Il continue jusqu’à la fin les aventures d’un jeune chaik et d’une jeune bédouine: il raconte comment le jeune 130 Arts & Lettres homme aperçut d’abord sa maîtresse à la dérobée, et comment il en devint éperdument amoureux; il dépeint trait par trait la jeune beauté, vante ses yeux noirs, grands et doux comme ceux d’une gazelle“, etc. 63 Chateaubriand, de son côté, reprend exactement la même situation de départ (un groupe de Bédouins rassemblés autour d’un feu pour entendre une histoire), mais il renonce à pasticher un conte arabe. En revanche, il met l’accent sur le lien profond qui s’établit entre le cheikh et son auditoire: „Je voyais à la lueur du feu, ses gestes expressifs, sa barbe noire, ses dents blanches, les diverses formes qu’il donnait à son vêtement en continuant son récit. Ses compagnons l’écoutaient dans une attention profonde, tous penchés en avant, le visage sur la flamme, tantôt poussant un cri d’admiration, tantôt répétant avec emphase les gestes du conteur; quelques têtes de chevaux qui s’avançaient au-dessus de la troupe, et qui se dessinaient dans l’ombre, achevaient de donner à ce tableau le caractère le plus pittoresque, surtout lorsqu’on y joignait un coin du paysage de la mer Morte et des montagnes de Judée.“ 64 Au-delà de l’intertextualité volneyienne (qui relaie elle-même celle de Galland) à laquelle il renvoie, cet épisode est caractéristique de la position dans laquelle se trouve l’auteur de l’Itinéraire en 1811, à la fois ancien émigré et exilé de l’intérieur (à la Vallée aux Loups), n’ayant d’autre choix que de s’imposer par la force de sa parole littéraire, et dont le désir ne peut être que de capter un public aussi vaste que possible à travers une centralité imaginaire, celle d’une voix qui, où qu’elle se trouve, parviendrait à recréer un cercle autour d’elle. Il y a là, sans doute, l’indice d’une fascination secrète qui transcende les clivages habituels (religieux, culturels, linguistiques…) entre Orient et Occident pour laisser percer une forme d’universalisme issue des Lumières. Et il est caractéristique que cette fascination, chez Chateaubriand, s’exprime à travers un je qui assume désormais pleinement sa position autobiographique, le voyageur étant comme saisi par le tableau à la fois visuel et auditif qu’il décrit. Désireux d’„ouvrir la carrière“ 65 des voyageurs du XIX e siècle, Chateaubriand n’en est pas moins, par sa naissance comme par sa culture, ancré dans le XVIII e siècle. La dette qu’il a à l’égard du Voyage en Syrie et en Egypte ne se limite pas à la reprise du thème du „despotisme oriental“ ou à la critique de l’islam, même si cette dimension prend la forme d’une véritable obsession anti-ottomane. C’est bien par rapport à Volney qu’il se positionne le plus souvent, que ce soit pour lui rendre hommage, pour infléchir son propos, ou - ce qu’on n’a guère remarqué jusqu’à présent - pour le contester dans les pages consacrées à la Terre sainte. Renouant avec la tradition du pèlerinage médiéval, Chateaubriand n’en est pas moins à l’écoute des débats scientifiques et anthropologiques de son temps, que ce soit à propos de la mer Morte ou des Arabes nomades. La lecture de l’Itinéraire présuppose donc celle de Volney. Elle illustre, à l’orée même du romantisme, l’importance persistante de l’intertextualité dans la poétique du récit de voyage en Orient. 131 Arts & Lettres 1 Michel Butor, „Le voyage et l’écriture“, dans Romantisme, n° 4, 1972. Voir également le livre de Christine Montalbetti, „Le Voyage, le monde et la bibliothèque“ [en italique, je ne peux pas le faire dans mon mail], Paris, PUF, 1997, ainsi que celui d'Alain Guyot et Roland Le Huenen, „L'Itinéraire de Paris à Jérusalem de Chateaubriand“ [même remarque, mais titre de l'ouvrage de Ch. en romain, pour le distinguer du titre du livre en italique], Paris, PUPS, 18-19. 2 Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, éd. Sarga Moussa, Paris, Champion, 2000, 54. 3 Cette Introduction, qui fait quelque cinquante pages dans l’édition Pléiade (Œuvres romanesques et voyages de Chateaubriand, éd. Maurice Regard, Paris, Gallimard, 1969, t. II), a été supprimée dans l’édition Folio, à laquelle nous nous référerons cependant par la suite, étant donné la qualité de son annotation (Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, éd. Jean-Claude Berchet, Paris, Gallimard, 2005). 4 Jean Gaulmier a procuré une édition présentée et annotée de ce texte, sous le titre qu’il a pris au XIX e siècle, Voyage en Egypte et en Syrie (Paris-La Haye, Mouton, 1959). Mais le titre initial de cet ouvrage était Voyage en Syrie et en Egypte, repris par Anne Deney- Tunney et Henri Deneys dans leur édition (que nous citerons par la suite) des Œuvres de Volney, Paris, Fayard, ici t. III, 1998. 5 Issus des Lumières, les idéologues cherchent à fonder une science générale des idées en tenant compte de leur rapport entre elles et en les replaçant dans leur contexte. Voir Jean Gaulmier, L’Idéologue Volney, Beyrouth, imprimerie catholique, 1951 (texte réédité chez Slatkine, Genève, 1980). Voir également Jean Roussel (ed.), Volney et les idéologues, Presses universitaires d’Angers, 1988. 6 Pour une mise en perspective du récit de voyage de Volney, voir Jean-Claude Berchet, Le Voyage en Orient, Paris, Laffont, „Bouquins“, 1985, ainsi que notre anthologie Le Voyage en Egypte, Paris, Laffont, „Bouquins“, 2004. Voir par ailleurs l’étude récente de Frank Estelmann, Sphinx aus Papier. Ägypten im französischen Reisebericht von der Auflkärung bis zum Symbolismus, Heidelberg, Winter, 2006 (56 et suiv. sur Volney). Voir enfin l’ouvrage récent et très documenté de Daniel Lançon, L’Egypte littéraire de 1776 à 1882, Paris, Geuthner, 2007, 235 et suiv. 7 L’Itinéraire descriptif, historique et archéologique de l’Orient (1861), par Adophe Joanne et Emile Isambert, constitue l’ancêtre des guides Baedecker et des Guides Bleu. 8 Chateaubriand, Itinéraire, op. cit., 289. Dâher fut pacha d’Acre entre 1750 et 1766, Ali- Bey gouverna l’Egypte entre 1760 et 1772. 9 Ibid., 328. 10 Ibid., 292. 11 Ibid., 286, note b. Jean-Baptiste d’Anville est un célèbre cartographe français du XVIII e siècle. 12 Volney, Voyage, op. cit., 488. 13 Chateaubriand, Itinéraire, op. cit., 280. 14 Ibid., 282. 15 „Un livre, ou plutôt un poème sur l’Orient, M. de Chateaubriand l’a fait dans l’Itinéraire…“ (Lamartine, Voyage en Orient, op. cit., 43). Pour la critique des moines de Terre sainte, voir ibid., 271 („Leurs vastes appartements ne s’ouvrirent ni pour nous, ni pour aucun des étrangers que nous rencontrâmes à Jaffa“). 16 Chateaubriand, Itinéraire, op. cit., 320. 17 Volney, Voyage, op. cit., 230. 18 Chateaubriand, Itinéraire, op. cit., 322. 19 Ibid., 321. Johann David Michaelis fut professeur de langues orientales à l’université de Göttingen; il rédigea un long questionnaire que Niebuhr emporta avec lui lors de son 132 Arts & Lettres voyage en Arabie. Le „Mémoire“ du géographe allemand Anton Freidrich Büsching parut en traduction française dans les Annales des voyages, V, 1808. 20 Voir l’Introduction de Jean-Claude Berchet, ibid., 21. Voir également notre Relation orientale (Paris, Klincksieck, 1995, chap. 2, 28 et suiv.: „L’entrée en scène du voyageur“), ainsi que Philippe Antoine, Les Récits de voyage de Chateaubriand, Paris, Champion, 1997. 21 Sur cette poétique du „montage“, voir Philippe Antoine commente l’Itinéraire de Paris à Jérusalem de François de Chateaubriand, Paris, Gallimard, „Foliothèque“, 2006, 20 et suiv. Pour une réflexion plus générale sur la plasticité intrinsèque du genre viatique, voir Adrien Pasquali, Le Tour des horizons, Paris, Klincksieck, 1994. 22 Volney, Voyage, op. cit., 13. 23 Ibid., 15-16. 24 Cet auteur est relativement peu commenté par rapport à son contemporain Volney. Voir cependant, sur ces deux auteurs, Yasmine Marcil, La Fureur des voyages. Les récits de voyage dans la presse périodique, 1750-1789, Paris, Champion, 2006, et Daniel Lançon, L’Egypte littéraire, op. cit., 235 et suiv., ainsi que, du même, „Vers une renaissance des altérités: l’Egypte de Savary en héritage“, dans Orages, n° 6 (dossier sur „L’Egypte des Lumières“ préparé par Sadek Neaimi), mars 2007, 21-47. 25 Volney, Voyage, op. cit., 135-136; je souligne. 26 Ibid., 15. 27 Ibid., 16-17. 28 Chateaubriand, Itinéraire, op. cit., 56. 29 Ibid., 56-57. 30 Ibid., 16-17. 31 Ibid., 186. 32 Ibid., 231. 33 Ibid., 87-88. 34 Voir Alain Grosrichard, Structure du sérail, Paris, Seuil, 1979. 35 Voir Henry Laurens, Orientales I, Paris, CNRS Editions, 2004, 24-25 et passim, et Nicole Hafid-Martin, Voyage et connaissance au tournant des Lumières (1780-1820), Oxford, Voltaire Foundation (Studies on Voltaire and the eighteenth century n° 334), 1995, chap. 5, en particulier 108-109. 36 Voir Robert Mantran (dir.), Histoire de l’empire ottoman, Paris, Fayard, 1989, chap. VIII. 37 Voir Jean-Claude Berchet, „Chateaubriand et le despotisme oriental“, dans Dix-huitième siècle, n° 26, 1994, 391-421. Pour une mise en contexte de l’Itinéraire de ce point de vue, voir Claudine Grossir, L’Islam des romantiques, Paris, Maisonneuve et Larose, 1984, chap. II, et Sarga Moussa, La Relation orientale, Paris, Klincksieck, 1995, 39 et suiv. 38 Volney, Voyage, op. cit., 551-552. Le mot islamisme, souligné dans le texte, doit être entendu au sens moderne d’islam. Volney n’est pas le premier à établir une relation entre Coran et despotisme. Mais il est vraisemblable qu’il constitue le relais principal de Chateaubriand pour la réactivation de ce thème dans l’Itinéraire (voir N. Hafid-Martin, Voyage et connaissance…, op. cit., 104 et 115-117). 39 Voir Maxime Rodinson, La Fascination de l’islam, Paris, Maspero, 1980, chap. 6. On trouve déjà cette réévaluation du Prophète dans La Vie de Mahomed (1730), œuvre posthume de Boulainvilliers. Voir à ce sujet Diego Venturino, „Un prophète ‘philosophe’? Une Vie de Mahomed à l’aube des Lumières“, dans Dix-huitième siècle, n° 24, 1992, 321-331. 40 „La fatalité est le préjugé universel enraciné des Orientaux: […]; de là leur apathie et leur négligence, qui sont un obstacle radical à toute instruction et civilisation“ (Volney, Les Ruines, éd. Jean Tulard, Genève, Slatkine, 1979, 12, note). 133 Arts & Lettres 41 Chateaubriand, Itinéraire, op. cit., 371-372; cf. Génie du christianisme, éd. Maurice Regard, Paris, Gallimard, Bibl. de la Pléiade, 1978, 1019. 42 Chateaubriand, Itinéraire, op. cit., 372. 43 Ibid., 221. 44 Volney, Voyage, op. cit., 552-553. 45 Chateaubriand, Itinéraire, op. cit., 215-216. 46 Ibid., 676. 47 Ibid., 256. 48 Ibid., 257. 49 Lamartine, Voyage en Orient, op. cit., 575. 50 Volney, Voyage, op. cit., 279. 51 Ibid., 293. 52 Sur ce point, voir mon article „Une peur vaincue: l'émergence du mythe bédouin chez les voyageurs français des Lumières“, dans La Peur au XVIII e siècle, sous la dir. de Jacques Berchtold et Michel Porret, Genève, Droz, 1994, 193-212. 53 Volney, Voyage, op. cit., 295. 54 Ibid., 296. 55 Volney reprendra ces questions dans son Tableau du climat et du sol des Etats-Unis (1803), pour souligner la primauté des conditions de vie (climat, lumière, nourriture…) sur la couleur de la peau et le type physique des Indiens. Voir l’article très documenté de Simone Carpentari Messina, „Penser l’altérité: les ‘races d’hommes’ chez Volney“, ainsi que, sur Buffon, Claude Blanckaert, „Les conditions d’émergence de la science des races“, dans L’Idée de ‘race’ dans les sciences humaines et la littérature (XVIII e -XIX e siècles), sous la dir. de Sarga Moussa, Paris, L’Harmattan, 2003. 56 Volney, Voyage, op. cit., 297-298. 57 Ibid., 298. 58 Ibid. 59 Chateaubriand, Itinéraire, op. cit., 333. 60 Ibid, 333. 61 Ibid., 329-330. 62 Ibid., 330. 63 Volney, Voyage, op. cit., 294. 64 Chateaubriand, Itinéraire, op. cit., 331-332. 65 Ibid., 68 (Préface de l’édition de 1826). Resümee: Sarga Moussa, Chateaubriant als Leser von Volney. Obwohl es sein Wunsch ist, den Reisenden des 19. Jahrhunderts den Weg zu ebnen, ist Chateaubriand dennoch - von seiner Herkunft wie von seiner Kultur her - im 18. Jahrhundert verankert. Was er dem Voyage en Syrie et en Egypte verdankt, beschränkt sich nicht auf die Wiederaufnahme des Themas des „despotisme oriental“ oder die Kritik des Islams, selbst wenn dieser Aspekt die Form einer wahren anti-ottomanischen Obsession annimmt. Meistens positioniert er sich im Bezug auf Volney, sei es um ihm Respekt zu erweisen, um seine Äußerungen leicht zu ändern oder - was man bisher selten bemerkt hat - um seine dem Heiligen Land gewidmeten Textpassagen anzufechten. An die Tradition der mittelalterlichen Pilgerreise anknüpfend, verfolgt Chateaubriand jedoch auch die wissenschaftlichen und anthropologischen Debatten seiner Zeit, seien sie dem Toten Meer oder den arabischen Nomaden gewidmet. Die Lektüre des Itinéraire setzt also die von Volney voraus. Sie illustriert, kurz vor der Romantik, die fortbestehende Bedeutung der Intertextualität in der Poetik des Reiseberichts in den Orient.