eJournals lendemains 42/166-167

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Narr Verlag Tübingen
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2017
42166-167

Edith Aron: Il faut que je raconte. Conversations avec son fils Pierre Aron

2017
Judith Klein-Kandel
ldm42166-1670273
273 Comptes rendus revolutionäre Phraseologie, sondern auch auf ihre klerikalen Vorgänger, von denen sie sich doch absetzen wollte“ (142). De Sade entwickelte Phantasien von archaischer Regression und stellte die Normen des Über-Ich in Frage. „Die Desintegration von Ich und Über-Ich erzeugen [sic] die Identifikation des Ich mit dem Aggressor und setzen die sadistische Straflust des Über-Ich und die masochistische Lust des Ich am Bestraftwerden frei“ (142). Andere Autoren vollzogen wie Hölderlin eine Wendung nach innen oder wandten sich wie Lord Byron mystischen Traditionen zu. „Man kann sie auch als Warnung vor den Möglichkeiten eines nur noch rationalen Männer- und Menschenbildes verstehen. Denn die zum Äußersten getriebene Raison schlägt bekanntlich in Dé-raison um“ (152). Diese wenigen Beispiele zeigen, dass sich die Lektüre des Buches sehr lohnt und es ein Gewinn ist, dass die an vielen Orten publizierten Beiträge sowie die beiden unveröffentlichten hier in einem Sammelband vereint und somit leicht zugänglich sind. Möge ihnen nun die Beachtung zuteil werden, die sie verdienen. Peter Antes (Hannover) ------------------ EDITH ARON: IL FAUT QUE JE RACONTE. CONVERSATIONS AVEC SON FILS PIERRE ARON, PARIS, L’HARMATTAN, 2014, 450 P. Les institutions culturelles destinées à enregistrer et à sauvegarder les témoignages des survivants de la Shoah faisaient encore défaut en 1978, quand Edith Aron et son fils Pierre commencèrent à réaliser leur projet qui allait se poursuivre en dehors de toute politique commémorative et de tout ancrage institutionnel. Chez Edith Aron, femme engagée et dévouée aux autres, née en 1898 à Berlin, les premiers symptômes d’une cécité progressive s’étaient manifestés et les difficultés qu’elle avait à marcher - séquelles d’un acte de violence subi pendant l’enfance et des interventions chirurgicales nécessaires qui s’ensuivirent - s’aggravaient. Une idée généreuse commença alors d’émerger et de prendre corps: celle d’un long voyage commun vers le passé - projet sous-tendu par la conviction que les expériences du passé sont précieuses et demandent à être sauvegardées et transmises aux autres. Les conversations que Pierre Aron enregistrera sur bande magnétique s’étendront, avec une interruption de sept années, jusqu’en 1994, année du décès volontaire d’Edith Aron à Paris. Leur activité partagée n’est pas uniquement sédentaire et casanière: les séances d’enregistrement sont précédées de déambulations physiques et mentales, au cours desquelles les sujets dont il sera question sont déterminés - procédé attesté par une des photos qui parsèment le volume où l’on voit les deux promeneurs en Normandie, la maman frêle s’appuyant sur le bras du fils. Deux voix se rejoignent, l’une expansive, l’autre réservée, mais veillant à tout et guidant la première. En réalité, plus de deux voix se relaient car les voix d’antan émergent, claires et distinctes ou en filigrane. 274 Comptes rendus Ainsi se dessine le panorama de tout un siècle et d’une famille juive berlinoise aux multiples ramifications car, comme le signale Pierre Aron dans la préface, le livre ne se limite pas „aux années sombres de 1933 à 1945“, il englobe „aussi bien l’avant que l’après“. „L’avant“ porte une double marque: celle de l’insertion de la famille dans la modernité (avec tout ce que cela comporte d’ascension, de mobilité, de dispersion et de fragilité sociales) et celle des signes avant-coureurs de la catastrophe: antisémitisme, violences quotidiennes, luttes sociales… Le père d’Edith est médecin, dévoué à sa clientèle qui le vénère; la mère, originaire de la „joyeuse Vienne“, dépaysée à Berlin, pourvoit au bien-être de la famille. Une autre figure lumineuse est évoquée: l’ami Arthur Kahane, anarchiste, dramaturge, qui inspire à la jeune Edith confiance en soi et liberté face aux regards aliénants. „L’avant“, c’est donc aussi l’enfance et la jeunesse d’Edith; puis viennent ses études, son travail comme institutrice dans le nord et nord-est prolétariens de la capitale allemande, son mariage. À la fin des années vingt, le mari d’Edith, Paul Aron, lettré, grand lecteur, „détaché des choses de ce monde“ (159), devient directeur des Éditions Kurt Wolff, y éditant entre autres l’œuvre posthume du philosophe Max Scheler. Dès la prise du pouvoir par Hitler, le jeune couple s’enfuit avec ses deux fils, Thomas âgé de cinq, Pierre âgé de huit ans. Après une période d’errances et plusieurs séparations, les Aron s’installent à Paris dans une maison vétuste que la baronne de Rothschild a mise à la disposition des réfugiés allemands. Ils y occupent une seule pièce (et une sorte de corridor pour les deux enfants). Malgré la misère, ils auraient, au moins pour un moment, ressenti un certain bonheur à Paris, joyau culturel et architectural de l’Europe, si les parents d’Edith, âgés et isolés, n’étaient restés à Berlin où ils devaient subir les persécutions nazies. À partir de 1939, internements, séparations, évacuations, exodes se succèdent. En 1941, Edith et les enfants traversent la ligne de démarcation - c’est leur quatrième fuite -, pour retrouver Paul en zone non-occupée, où il est interné comme membre d’un groupe de travailleurs étrangers. Les parents d’Edith, arrivés à Paris en 1939, affaiblis, anéantis par ce qu’ils avaient dû endurer en Allemagne, ne peuvent ni ne veulent quitter Paris. En 1942, ils font une tentative de suicide. La mère succombe, le père survit. Edith Aron: „Je peux seulement dire: malheureusement. Car un an plus tard, il a été déporté. Il a vécu seul et abandonné en France, à Paris, avec l’étoile jaune“ (273). Edith, Paul et les enfants mènent, en zone non-occupée, une existence marquée par la peur, le froid et la faim. Une tentative de passer la frontière franco-suisse échoue; seul Pierre réussit à gagner la Suisse. Les autres membres de la famille sont emprisonnés dans le camp de Rivesaltes, puis à Gurs. Paul Aron, appelé pour la déportation, refuse de profiter d’une occasion de se dérober: „Veux-tu qu’un autre parte à ma place? “ (326), demande-t-il à sa femme. Il ne rentrera pas. Thomas, hébergé entre-temps dans un home d’enfants, échappe aux bourreaux. Malade, il est à l’hôpital quand les autres enfants sont déportés… Edith réussit à survivre dans la clandestinité, éreintée, épuisée, se soumettant à des corvées, mais puisant encore 275 Comptes rendus dans ses ressources intérieures. Elle est hantée par la peur d’être dénoncée. Puis vient „l’après“. Les plus proches parmi les proches d’Edith, mari, père et mère, sont morts; ses deux fils sont malades: „J’avais donc après la guerre un fils tuberculeux et un fils déprimé. Nous nous trouvions devant le néant, pas de foyer, pas d’argent, rien“ (350). Son combat pour la guérison de ses deux fils, pour un logement, pour un travail commence. Après avoir fait des ménages pendant de longs mois, Edith devient, en 1947, assistante sociale dans le Service Social des Jeunes dont la tâche consiste „à réintégrer dans une vie normale les jeunes complètement déracinés“ (389), survivants des persécutions et souvent orphelins. Edith se rappelle avoir déclaré à l’un de ces jeunes: „Personne ne vous donnera rien pour ce que vous avez souffert. Cela n’intéresse personne. On vous demande maintenant ce dont vous êtes capables, les services que vous pouvez fournir. […] entre-temps il y a de nouveau des dizaines de milliers d’autres, si ce n’est des millions de nouvelles victimes dans le monde. Cela ne s’arrête pas“ (389). Ces derniers mots n’anticipent-ils pas sur le constat qu’Elias Canetti fera en 1972: „Les massacres sont allés ailleurs, dans d’autres parties du monde“? La personnalité unique d’Edith Aron se révèle avant tout dans le rayonnement qui émane d’elle. Par son attention, son dévouement, sa douceur elle éclaire son entourage, mais elle l’éclaire aussi grâce à son refus de l’auto-aveuglement, de l’obnubilation, de l’illusion. Pierre Aron a transcrit et traduit les conversations, à l’origine en allemand, en respectant l’oralité - vive et intense - du discours. Une troisième personne, le frère cadet, dont l’enfance et la jeunesse sont amplement et chaleureusement évoquées, reste en retrait de ce discours: Thomas Aron, professeur de Lettres à l’université de Besançon, dont les essais remarquables sur Francis Ponge et sur Anna Seghers ont marqué étudiants et enseignants, s’est suicidé en 1990. Judith Klein-Kandel (Paris)