eJournals lendemains 42/166-167

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2017
42166-167

Les contes des frères Grimm: réception, traduction, reconfigurations

2017
Pascale Auraix-Jonchière
ldm42166-1670177
177 Dossier Pascale Auraix-Jonchière (ed.) Les contes des frères Grimm: réception, traduction, reconfigurations Introduction Les Contes des frères Grimm sont inscrits depuis 2005 par l’UNESCO au registre de la ‚Mémoire du monde‘, geste qui place ces textes dans une tension entre identité et universalité, ancrage territorial et délocalisation. Car si cette ‚mémoire‘ atteste la dimension patrimoniale de l’œuvre, c’est en un double sens, qu’induit l’étymologie du terme, comme le précise Christiane Connan-Pintado: le mot patrimoine, rappellet-elle, désigne d’abord l’„ensemble des biens et des droits hérités du père“ et, plus largement, tout „ce qui est transmis à une personne, une collectivité par les ancêtres, les générations précédentes et qui est considéré comme un héritage commun“ (Connan-Pintado/ Tauveron 2013: 10). Le patrimoine, en l’occurrence, est le produit (ici culturel) d’un héritage, à son tour donné en héritage à une collectivité plus large. Ce processus, s’il témoigne d’une continuité, sous l’espèce d’une transmission (consciente) ou d’une contamination (inconsciente), induit cependant force métamorphoses. En effet, le patrimoine dont il est ici question ne saurait garder une hypothétique pureté originelle. Dans cette dynamique de transmission, il se fond dans la masse aux contours indécis de ses propres sources - ainsi recyclées dans un mouvement d’éternel retour - auxquelles vient s’adjoindre la somme des variantes ou reconfigurations apparues entre temps, dans le domaine désormais élargi de l’intermédialité. Cette tension fondatrice est du reste constitutive de l’écriture même de ces récits, dont le troisième volume - qui rassemble des notes ou notices, les Anmerkungen - propose une comparaison des différentes versions, marquée par „une volonté affichée de germanisation des contes“. 1 Germanité, territorialité, d’une part, immersion dans un vaste réservoir international conjointement oral et écrit, d’autre part - et sans que l’on discerne toujours de frontière assignable entre les deux -, forment ainsi deux pôles a priori inconciliables qui rendent pourtant compte de la production de ces textes, à leur tour reversés dans la „longue chaîne qui relie les contes les uns aux autres“ à l’échelle du monde afin de participer à l’élaboration de nouvelles créations. Cette tension, qui détermine l’étude de la réception des contes - qu’il s’agisse de traduction, de réécriture ou de transcription du texte en images - est indissociable de l’idée de „dialogisation“, que l’on doit à M. Bakhtine. 2 Cette notion est fondamentale, en particulier dans le domaine de la traduction. La „brève histoire des traductions anglaises de Hänsel und Gretel“ en Angleterre 3 - pays qui joue un rôle majeur dans le processus de diffusion des Kinder und- Hausmärchen, puisque la traduction 178 Dossier d’Edgar Taylor et de David Jardine dans German Popular Stories (1823-1826) est à l’origine de la Kleine Ausgabe de 1825 - est exemplaire de ce point de vue. Autant les Grimm se sont réapproprié leurs sources en les germanisant, autant les premiers traducteurs britanniques réinjectent des composantes qui sont propres à leur langue et à leur culture dans les versions qu’ils en proposent. Et s’il est vrai que les traductions se succèdent et ne se ressemblent pas, les principes de fusion - voire de syncrétisme - souvent à l’œuvre procèdent de ce même dialogisme, qui induit une lecture plus universalisante: les contes traduits s’enrichissent ou se subvertissent en fonction de ce principe dialogique. Quant à l’illustration, elle procède de même: il n’est pas rare que l’on voie se superposer dans une même image les traces de plusieurs réminiscences iconographiques, qui peuvent faire interférer différents artistes, mais aussi se superposer différents contes, le cas échéant d’origines diverses. La combinaison du texte (comme produit d’autres textes) et de l’image (comme produit d’autres images) produit alors un dialogisme au carré riche en effets de sens. Ce principe de reconfiguration 4 (ou réédification), 5 que l’on peut définir comme l’ensemble des métamorphoses (narratives, tonales, figurales, etc.) imputables à un faisceau d’interactions littéraires, artistiques, linguistiques et plus largement socioculturelles, qu’elles agissent en synchronie ou en diachronie, génère écarts ludiques, processus de domestication euphémisante ou conversion merveilleuse des images. Un même geste de réappropriation (parfois ostentatoire) confirme la mobilité intrinsèque des contes dont le processus même d’élaboration témoigne de leur instabilité féconde et constitutive. Beck, Philippe, Chants populaires, Paris, Flammarion, 2007. Connan-Pintado, Christiane / Tauveron, Catherine, Fortune des Contes des Grimm en France, Clermont-Ferrand, PUBP (coll. Mythographies et sociétés), 2013. Heidmann, Ute / Adam, Jean-Michel, Textualité et intertextualité des contes, Paris, Garnier, 2010. 1 Cf. ici même Frédéric Calas, p. 195. 2 Elle est notamment exploitée dans les travaux de Ute Heidmann et Jean-Michel Adam. 3 Cf. ici même Martine Hennard Dutheil de la Rochère, pp. 217-226. 4 Ce terme est privilégié à juste titre par Ute Heidmann. 5 Philippe Beck parle de „rédifications“ (2007: 11).