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2013
38152

Décadence et renaissance de la feerie théâtrale française autour de 1900

2013
Hélene Laplace-Claverie
ldm381520011
11 DDossier Hélène Laplace-Claverie Décadence et renaissance de la féerie théâtrale française autour de 1900 Contrairement à l’idée qui a longtemps prévalu, 1 le genre théâtral de la féerie n’a pas disparu à la fin du XIX e siècle. Il a connu vers 1900 en même temps - et non successivement - un déclin, voire une décadence, et un essor, une résurgence, une renaissance. L’objet de cette étude sera d’analyser le processus de métamorphose qui a permis le passage d’une forme traditionnelle de féerie à des avatars plus ou moins hétérodoxes et plus ou moins inventifs sur le plan esthétique. Mais pour prendre la mesure de ces transformations, et comprendre leurs causes, sans doute est-il nécessaire de rappeler ce qu’est une féerie à la fin du XIX e siècle à Paris, sur la scène du Châtelet ou de quelque autre théâtre spécialisé dans ce type de production. État des lieux Le genre, qui existe depuis la fin du siècle précédent, a certes subi diverses mutations, comme l’a montré Roxane Martin, 2 mais sa poétique s’est peu à peu fixée et elle comporte un certain nombre de constantes. Tout spectacle féerique se caractérise d’abord par son caractère non élitiste. Il s’agit d’un divertissement populaire, dénué de toute prétention intellectuelle ou artistique, dont la fonction première est de susciter l’émerveillement. Destinée à un large public, la féerie est, selon la belle formule de Patrick Besnier, une sorte d’„opéra du peuple“ 3 qui associe, à l’instar du théâtre lyrique, la présence d’éléments musicaux et chorégraphiques à l’utilisation massive d’effets spectaculaires. Apparitions surnaturelles, métamorphoses magiques et tableaux saisissants se succèdent, à la faveur de ‚clous‘, ‚trucs‘ et autres ‚apothéoses‘ devenus, au fil du siècle, de plus en plus sophistiqués, grâce aux progrès de la machinerie et de la technique théâtrale en général. Le public est tellement friand de ces ‚effets spéciaux‘ avant l’heure que le scénario d’une féerie n’a la plupart du temps d’autre intérêt ou d’autre justification que de permettre la multiplication de ces scènes à grand spectacle. Mais pour composer une féerie digne de ce nom, manquent encore deux ingrédients indispensables: le comique, qu’il soit visuel (gags, lazzi, etc.) ou verbal (jeux de mots, calembours, allusions à l’actualité politique, etc.), et une trame dramatique fondée sur l’affrontement de forces manichéennes et surnaturelles. Comme on a pu le suggérer précédemment, ce n’est pas la subtilité de l’intrigue qui compte ici, ni la complexité psychologique de personnages le plus souvent réduits à l’état de stéréotypes ou de caricatures. C’est l’efficacité scénique, l’impact spectaculaire d’un schéma dramatique immédiatement lisible qui constitue le principal objectif. 12 DDossier Et si la présence de fées n’est nullement obligatoire dans une féerie, le merveilleux est en revanche un ressort nécessaire. L’invraisemblable se conjugue au loufoque, ce qui rend indispensable le recours à des jeux de machinerie. Sur le plan dramatique, nombre de féeries convoquent le motif de l’épreuve initiatique: il y est souvent question de l’obstacle qui empêche deux jeunes gens de vivre leur amour. Mais ce schéma, qui pourrait être celui d’une comédie, est traité de façon singulière dans la mesure où l’obstacle qui sépare les jeunes premiers est de nature surnaturelle et s’incarne dans quelque sorcière ou mauvais génie. Le jeune homme ne pourra in fine conquérir sa bien-aimée qu’après avoir traversé toute une série d’épreuves, grâce à l’aide d’un talisman. Malgré le caractère quelque peu puéril de ce type de fable, il faut souligner que la féerie comporte un intérêt du point de vue formel, en ce qu’elle propose, tout au long d’un siècle qui voit le triomphe de la ‚pièce bien faite‘, un exemple de dramaturgie non aristotélicienne. Indifférent aux impératifs de la mimesis et de la vraisemblance, ce genre théâtral s’émancipe des règles traditionnelles que la révolution romantique n’a guère réussi qu’à ébranler un moment. Parce qu’elle n’affiche pas d’ambitions esthétiques et parce qu’elle est considérée comme subalterne, la féerie dispose d’une liberté qui lui permet d’innover. Ce genre mineur multiplie les expérimentations dramaturgiques, tandis que les formes théâtrales sérieuses sont tributaires de contraintes intangibles: construction non linéaire, juxtaposition de tableaux, enchaînements illogiques, personnages farfelus, telles sont quelques-unes des audaces propres à ce type de spectacle, dont Jean-Claude Yon a par ailleurs souligné l’extrême „transversalité“ et la capacité à „pratiquer le mélange des genres“, 4 mélange certes théorisé par Hugo mais mis en œuvre avec retenue par la plupart des grands auteurs jusqu’au XX e siècle. La féerie est donc un genre singulier dans le panorama théâtral - encore largement prisonnier des règles classiques - du XIX e siècle. Alors qu’elle est régie par des impératifs économiques et commerciaux qui auraient dû en faire une forme conventionnelle, voire stéréotypée, elle devient à sa façon un laboratoire de la modernité. Et les mutations qu’elle va connaître au tournant du XX e siècle vont manifester avec plus d’éclat encore son extrême plasticité, sa dimension intermédiatique et sa capacité à s’unir à d’autres formes littéraires ou dramatiques pour préparer certaines tendances de la scène contemporaine. Une période de crise À la fin du XIX e siècle, la féerie théâtrale évolue selon deux mouvements parallèles et opposés. On assiste d’une part au déclin du modèle qui s’est imposé tout au long du siècle. Même si le genre se maintient jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, les pièces qui attirent le public sont désormais des reprises ou des adaptations des grands succès du siècle précédent (Le Pied de mouton, Les Pilules du Diable, Rothomago, etc.). Proust, Cocteau, Céline et bien d’autres écrivains majeurs ont vu ces spectacles destinés aux enfants 5 et ont subi - de diverses ma- 13 DDossier nières - l’influence de leur esthétique spectaculaire. 6 Dans le même temps triomphait à Paris et en tournée un nouveau type de féerie, que l’on pourrait qualifier de „scientifique“, 7 et dont Jules Verne fut le principal maître d’œuvre. 8 Le Tour du monde en quatre-vingts jours et autres adaptations des Voyages extraordinaires du célèbre écrivain rencontrèrent un succès exceptionnel et semblèrent refonder un genre théâtral en perdition. Mais cette sorte de féerie était-elle conforme au génie du genre? Ou traduisait-elle au contraire l’extrême pointe de son industrialisation et de sa course à la démesure? À en croire Émile Zola, qui considérait la féerie scientifique comme une aberration, 9 Jules Verne fut le fossoyeur de la féerie plus que son sauveur. Et l’auteur de L’Assommoir ne fut pas le seul à dénigrer une dérive qui menait le genre à sa perte, en favorisant la surenchère spectaculaire au détriment de ce que la féerie traditionnelle pouvait avoir d’artisanal et d’émouvant. Mais d’autres facteurs expliquent le déclin du genre à l’aube du XX e siècle, parmi lesquels on retiendra le succès remporté par des formes de théâtre à grand spectacle comme les drames historiques de Victorien Sardou (Tosca, Madame Sans-Gêne) ou Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac, L’Aiglon). Parce qu’elles reposaient sur des histoires plus substantielles et sur le talent de vedettes de la scène (Sarah Bernhardt notamment), ces pièces étaient susceptibles de séduire un public certes friand de prouesses spectaculaires, mais également attentif à la bonne facture de l’intrigue. Parallèlement, l’essor du cinématographe allait lui aussi contribuer à frapper d’obsolescence la féerie: si les premiers trucages de Méliès s’inspirent à l’évidence de ceux qu’avaient mis au point les concepteurs de féerie, le septième art allait très vite disposer de moyens techniques propres, et infiniment plus étendus, pour susciter l’illusion ou créer le merveilleux. Toutefois, alors même qu’elle est menacée de toute part et semble condamnée à disparaître, la féerie se met à emprunter de nouveaux chemins. Un paradoxal renouveau Contre toute attente, le moins littéraire des genres théâtraux affiche à partir de 1880 des ambitions poétiques. La tendance, certes, existait depuis plusieurs décennies, puisque de Théophile Gautier à Stéphane Mallarmé, en passant par Gustave Flaubert et les frères Goncourt, le spectacle féerique avait intéressé, fasciné même, quelques-uns des plus grands écrivains du XIX e siècle. Au point que certains s’étaient essayés à l’écriture de pièces relevant de ce genre, en général sans grand succès. 10 Or, vers 1900, le rapprochement entre féerie et littérature se confirme, ce qui ne peut bien sûr qu’étonner quand on connaît la réputation de la première, sans cesse accusée de vulgarité et de mercantilisme. N’en déplaise à ses détracteurs, la féerie attire cependant des hommes de lettres qui vont métamorphoser le genre et lui donner une dignité esthétique. Parmi ces écrivains se distingue le poète Théodore de Banville, figure de proue du mouvement parnassien et auteur des fameuses Odes funambulesques. En 1884, Banville publie Riquet à la houppe, une ‚comédie féerique‘ qui sera re- 14 DDossier présentée pour la première fois en 1896. S’il prend soin de ne pas employer le terme „féerie“, désormais trop décrié, Banville inscrit bel et bien son œuvre dans ce cadre puisqu’il adapte un conte de Charles Perrault. Conte qu’il n’a pas choisi au hasard: Riquet, dont la laideur n’a d’égale que l’intelligence, devient sous sa plume l’incarnation du Poète capable, par sa maîtrise du langage, de transcender le réel. Comme Edmond Rostand le fera quelques mois plus tard dans Cyrano de Bergerac (1897), Banville fait le portrait d’une âme d’élite, prisonnière d’une enveloppe corporelle repoussante. Mais il existe un autre point commun entre les deux écrivains, plus important dans la perspective qui est la nôtre: tous deux parviennent à concilier, ou plutôt à réconcilier, l’enchantement du grand spectacle visuel avec la magie du verbe poétique. Comme pour en finir avec une défiance à l’égard de l’opsis - de la dimension matérielle du théâtre - héritée d’une longue tradition aristotélicienne, Rostand et Banville réunissent les deux facettes complémentaires de l’art théâtral, la facette littéraire et la facette scénique. Or la féerie, dans les deux cas, a été l’instrument privilégié de ce rapprochement. Ce genre longtemps cantonné dans les basses sphères du divertissement se voit en effet promu au rang de production artistique. Évolution majeure que vont confirmer, au tournant des XIX e et XX e siècles, des pièces signées par des écrivains aussi différents que Jean Richepin, Catulle Mendès et Maurice Maeterlinck, pour ne prendre que ces trois exemples. 11 Si Jean Richepin n’a plus aujourd’hui la place qu’il mérite dans l’histoire littéraire, 12 il fut en son temps un auteur célébré. Au-delà du succès de scandale de sa fameuse Chanson des gueux, il occupe une place centrale dans la vie théâtrale des années 1880-1900. Touche-à-tout talentueux, il compose en collaboration avec Henri Cain une ‚féerie lyrique en vers‘ intitulée La Belle au bois dormant, qui fut créée en 1907 au Théâtre Sarah Bernhardt. Si cette pièce est intéressante par rapport à l’évolution du genre, c’est qu’elle se caractérise à la fois par ses ambitions esthétiques - le texte est entièrement versifié et le spectacle se veut une synthèse des arts - et par un puissant esprit de dérision. Avec la désinvolture iconoclaste qui est la sienne, Richepin met à distance de façon ironique le genre de la féerie et souligne sa facticité en le confrontant à un univers réaliste: dans sa version du célèbre conte, il imagine par exemple que le Préfet de Police veille sur la sécurité des fées... Cette tendance parodique était déjà présente dans le Théâtre chimérique du même auteur, publié en 1896: ce recueil destiné à la seule lecture comporte une féerie intitulée Les Noces de Pierrot, qui s’ingénie à subvertir les fondements du genre. Non content de refuser tout recours au surnaturel, Richepin multiplie les allusions grivoises dans un langage volontiers trivial. Et si le schéma de base est bien un schéma féerique (la fable repose sur le motif du vœu exaucé), l’intrigue transgresse les canons du genre. On est loin de la mièvrerie qui est de mise, à la même époque, dans les féeries du Châtelet essentiellement destinées à un public enfantin. La féerie pour adultes est une féerie démystifiée, et démystificatrice. 15 DDossier On trouverait bien d’autres exemples de ce traitement irrévérencieux, notamment chez l’humoriste Alphonse Allais. En 1889, l’écrivain fait jouer au Théâtre des Mathurins une pièce en un acte intitulée Le Pauvre bougre et le bon génie. Le titre est un clin d’œil aux intrigues stéréotypées de tant de féeries, mais il suggère également un détournement du modèle. Comme dans Les Noces de Pierrot de Richepin, l’histoire se déroule à l’époque contemporaine et le culte de l’argent en est le ressort principal: un comptable au chômage formule le souhait de recevoir cent sous par jour jusqu’à sa mort. Un bon génie l’entend et lui remet la somme de sept francs cinquante. Le pauvre bougre fait alors un rapide calcul, et réalise qu’il lui reste très peu de jours à vivre. Et la féerie de se retourner en cauchemar Cette tendance à la noirceur et ce pessimisme seront très présents dans les féeries du XX e siècle, dans lesquelles les traits définitoires du genre seront le plus souvent caricaturés. Que l’on soit chez Ghelderode, Vitrac ou Gabily, l’esthétique féerique servira de support à une dénonciation des horreurs de la guerre ou des bassesses de l’âme humaine. Mais pour en rester à la période qui nous intéresse, il faut mettre en lumière une autre tendance récurrente: le goût pour les jeux métalittéraires. Ainsi dans telle adaptation du Petit Chaperon rouge, 13 l’héroïne est une jeune fille cultivée et pleine d’esprit, qui a lu le conte de Perrault dont elle est l’héroïne, et qui ne se prive pas de le commenter. On sait combien la littérature dite décadente, ou fin-de-siècle, affectionne ce type de variation spéculaire. 14 La féerie ne fait pas exception à la règle. La plus belle illustration de ce phénomène est sans doute Isoline de Catulle Mendès, ‚conte des fées en dix tableaux‘ créé au Théâtre de la Renaissance en 1888. Notons d’emblée qu’à l’instar de nombre de ses contemporains, l’auteur évite soigneusement d’employer le mot „féerie“, qu’il contourne avec habileté. Ce qui ne l’empêche nullement de jouer avec l’horizon d’attente de spectateurs coutumiers de ce genre de spectacle. Dans son conte théâtral, Mendès met en scène les mésaventures d’une princesse, victime d’un sortilège qui la condamne à se métamorphoser en homme le soir de ses noces. Par chance, sa fée marraine métamorphose symétriquement le fiancé de la jeune femme en jeune fille Avec une liberté toute shakespearienne et beaucoup de virtuosité, Mendès fait miroiter les vertiges de l’identité sexuelle, tout en mélangeant les registres les plus antinomiques: dans sa pièce, le sublime côtoie la scatologie, et la sophistication du style n’a d’égale que l’ironie avec laquelle sont traités les archétypes féeriques. Si cette veine ludique perdure au tournant du siècle, elle va néanmoins se voir concurrencer par une production d’inspiration plus philosophique. Ultime métamorphose? La pièce la plus emblématique de ce nouveau courant est à l’évidence L’Oiseau bleu de Maurice Maeterlinck, qui fut créé en 1908 au Théâtre d’art de Moscou, dans une mise en scène de Stanislavski. Cette „géniale méditation d’un grand visionnaire“ 15 , comme l’a écrit André Antoine, réussit le prodige de renouer avec 16 DDossier les principes fondamentaux de la féerie romantique 16 (structuration en tableaux, voyage initiatique de deux enfants, animaux doués de parole, objets animés, etc.), tout en dotant le genre d’une profondeur inédite et d’indéniables ambitions intellectuelles. L’Oiseau bleu peut en effet se lire à la fois comme un conte des temps modernes et comme une parabole peuplée de symboles polysémiques. Certains ont ainsi pu y voir une sombre plongée dans les gouffres de l’inconscient, là où d’autres préféraient décrypter un hymne au bonheur et à l’innocence. Comme l’a bien compris le critique Robert de Beauplan, L’Oiseau bleu est „à la fois féerie enfantine, apologue moral et poème philosophique“. 17 Mais l’essentiel réside sans doute dans la façon dont Maeterlinck exploite dans cette pièce l’incroyable potentiel du genre féerique. À un moment de l’histoire du théâtre où ce dernier semblait caduc, il a démontré avec éclat sa ductilité et sa capacité de renouvellement, sans pour autant rompre avec la tradition du XIX e siècle. Conscient de la souplesse dramaturgique de cette forme, il n’a pas hésité a en exalter les qualités poétiques, tout en modernisant sa scénographie spectaculaire: là où ses prédécesseurs abusaient du carton-pâte, l’auteur de L’Oiseau bleu tire parti des dernières innovations techniques en matière d’éclairage; ce qui lui permet, notamment, de mettre en valeur les moments forts du spectacle grâce à des effets lumineux d’une grande subtilité. Dans le tableau intitulé „Le Jardin des Bonheurs“ par exemple, une didascalie précise que règne „une clarté ineffablement pure, divinement rosée, harmonieuse et légère“. Tout se passe comme si le dramaturge faisait de la lumière un élément signifiant, au même titre que le décor, décor qu’il peut de ce fait épurer et alléger. Mais comme nous l’avons vu dans les exemples précédents, ce qui frappe le plus dans le travail de Maeterlinck est la recherche d’une alliance harmonieuse entre le grand spectacle scénique et la poésie du verbe, entre l’opsis et la littérature. Et sans doute est-ce là la caractéristique majeure de ces féeries de la fin du XIX e et du début du XX e siècle qui ont régénéré un genre sclérosé. À la fois démodée et avant-gardiste, la féerie apparaît à cette époque comme un espoir pour des dramaturges encore prisonniers de principes de composition hérités du classicisme. Parce qu’elle refuse le réalisme et s’affranchit des règles de la ‚pièce bien faite‘, la féerie incarne à leurs yeux „le moyen d’une libération du théâtre et un modèle de théâtre poétique“. 18 À travers quelques exemples, nous avons tenté de mettre en lumière la complexité de l’évolution d’un genre qui a connu dans le même temps une crise et un renouveau. Résolument populaire au XIX e siècle, la féerie devient à l’orée du siècle suivant un terrain d’expérimentation volontiers élitiste. Rompant avec le seul primat du spectaculaire, elle se rapproche de la littérature et affiche des ambitions tantôt poétiques, tantôt satiriques ou philosophiques qui ouvrent la voie à des dramaturges comme Cocteau, Giraudoux ou Audiberti. Au XX e siècle en effet, nombre d’auteurs s’empareront de ce genre d’une incroyable plasticité pour continuer d’en déployer les velléités. 19 Travail qui n’eût vraisemblablement pas été possible sans 17 DDossier les initiatives prises à la fin du siècle précédent par certains de leurs prédécesseurs. Resümee: Hélène Laplace-Claverie, Décadence et renaissance de la féerie théâtrale française autour de 1900 untersucht die grundlegende Transformation der féerie, die während des gesamten 19. Jahrhunderts erfolgreich auf den Pariser Bühnen aufgeführt wurde, an der Wende zum 20. Jahrhundert. Das Genre durchläuft eine ganze Serie von Veränderungen, die zu einer Hinterfragung, aber auch zur Erneuerung der Gattung führen. Die Analyse einiger Beispiele, von Théodore de Banville über Catulle Mendès und Jean Richepin bis Maurice Maeterlinck, gibt Aufschluss über dramaturgische und ästhetische Aspekte dieser Entwicklung, die mit dem Aufkommen des Kinematographen zusammenfällt. 1 Voir notamment l’ouvrage de Paul Ginisty qui a longtemps fait autorité: La Féerie, Paris, Louis Michaud, 1910 (rééd. Paris, Éditions d’aujourd’hui, coll. Les Introuvables, 1982). 2 Roxane Martin: La Féerie romantique sur les scènes parisiennes (1791-1864), Paris, Champion, 2007. Il s’agit aujourd’hui de l’ouvrage de référence sur le sujet. 3 Patrick Besnier: „L’Ancienne Féerie“, in: Histoires littéraires, 7, 2001, 47. 4 Jean-Claude Yon: „La Féerie ou le royaume du spectaculaire“, in: Isabelle Moindrot (ed.), Le Spectaculaire dans les arts de la scène du romantisme à la Belle Époque, Paris, CNRS Éditions, 2006, 127. 5 La féerie, au XIX e siècle, n’était pas réservée au jeune public. C’est à la Belle Époque que se produit cette évolution, qui est l’un des signes de la dégradation du genre. 6 Voir par exemple les nombreuses occurrences du terme „féerie“ dans À la recherche du temps perdu et le chef-d’œuvre de Céline: Féerie pour une autre fois. 7 Sur la notion de „féerie scientifique“, voir l’article d’Anne-Simone Dufief: „Le Tour du monde en quatre-vingts jours, une féerie scientifique“, in: Jean-Pierre Picot (ed.), Jules Verne, cent ans après, Rennes, Terre de Brume, coll. Terres fantastiques, 2005, 139- 158. 8 Voir mon article „Jules Verne au théâtre: de la page à la scène, de l’illustration au spectacle, de la deuxième à la troisième dimension“, in: Mireille Hilsum, Hélène Védrine (ed.), La Relecture de l’œuvre par ses écrivains mêmes, t. III: Se relire par l’image, Paris, Kimé, coll. Cahiers de Marge, 2012, 289-300. 9 „[...] ces deux mots hurlent d’être rapprochés“, note l’écrivain naturaliste dans Nos auteurs dramatiques (Paris, Charpentier, 1881; Œuvres complètes, t. XI, Paris, Cercle du livre précieux, 1968, 755). 10 Le cas du Château des cœurs, de Gustave Flaubert, est bien connu. Marshall C. Olds lui a consacré une étude intitulée Au pays des perroquets: féerie théâtrale et narration chez Flaubert (Amsterdam, Rodopi, coll. Faux titre, 2001). 11 Pour un panorama complet de l’épanouissement du genre féerique à la fin du XIX e siècle, voir la thèse de doctorat de Sophie Lucet: Le „Théâtre en liberté“ des Symbolistes: dérives de l’écriture dramatique à la fin du XIX e siècle, sous la dir. de Jean de Palacio, Université Paris IV-Sorbonne, 1997. 18 DDossier 12 Cette injustice est en passe d’être réparée, grâce à une équipe de chercheurs réunie autour de Sylvie Thorel-Cailleteau, qui prépare une édition des œuvres complètes de Jean Richepin. 13 Henri Lefebvre: Chaperon rouge, conte en trois actes, en vers, Paris, Fasquelle, 1900. La première représentation de cette pièce eut lieu le 7 avril 1900 sur la scène de l’Odéon. 14 Sur ce point, voir les travaux de Jean de Palacio, et notamment son ouvrage Les Perversions du merveilleux, Paris, Séguier, 1993. 15 L’Information, 26 décembre 1927. 16 Pour reprendre la terminologie établie par Roxane Martin. 17 L’Illustration, 26 décembre 1923. L’article cité a été écrit à l’occasion d’une reprise de la pièce de Maeterlinck. 18 Lucet, op. cit., 26. 19 Je me permets de renvoyer sur ce sujet à mon livre, Modernes féeries. Le Théâtre français du XX e siècle entre réenchantement et désenchantement, Paris, Champion, coll. Littérature de notre siècle, 2007.