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2010
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Jean Nicolas Démeunier et L’Esprit des usages et des coutumes des différents peuples (1776): une approche scientifique de l’Afrique

2010
Mechtild Gilzmer
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13: 09: 14 6 Discussion Mechtild Gilzmer Jean Nicolas Démeunier et L’Esprit des usages et des coutumes des différents peuples (1776): une approche scientifique de l’Afrique 1) Jean Nicolas Démeunier: fondateur de l’anthropologie sociale et homme politique Avec son étude L’Esprit des usages et des coutumes des différents peuples paru en 1776, Jean-Nicolas Démeunier (1751-1814) a contribué de manière tout à fait originale à une systématisation du savoir sur l’Afrique. Cet homme politique et intellectuel français, auteur de plusieurs essais historiques, politiques et moraux et de nombreuses traductions de l’anglais de livres de voyage, fit une carrière politique importante pendant la période révolutionnaire. 1 Si l’originalité de son œuvre a été longtemps méconnue voire oubliée, c’est que ses fonctions et ses activités politiques pendant la Révolution française avaient davantage contribué à sa renommé que ses mérites et son apport original au discours scientifique. Tout au long du 19 e siècle, l’œuvre de Jean-Nicolas Démeunier fut mis au second plan. Pendant longtemps, on a ainsi réduit l’influence et l’importance de Démeunier à son rôle considérable pour la politique révolutionnaire et on a négligé son travail d’écrivain et sa contribution à une approche scientifique de l’homme. Claude Lévi- Strauss, le fondateur de l’ethnologie moderne française, caractérise cette œuvre de Démeunier, de „premier manuel d’ethnographie paru en France“. 2 Mais „L’Esprit des usages… sera sans lendemain dans l’existence de Démeunier: désormais il ne s’occupera plus d’anthropologie sociale, ne sera pas membre de la Société des Observateurs de l’Homme (1799-1804) fondé par Louis François Jauffret, et qui se proposait ‘l’étude de l’homme des points de vue physique, moral et intellectuel’. Degérando ne fera pas mention de lui dans son mémoire ‘Considérations des méthodes à suivre dans l’observation des peuples sauvages’, 1800, écrit pour préparer l’expédition scientifique du capitaine Nicolas Baudin vers le continent austral. Le livre de Démeunier, offert à Voltaire par Panckoucke dès sa parution, commenté dans la Correspondance littéraire, traduit en allemand quelques années plus tard, et largement cité dans son éloge funèbre prononcé à l’Académie des Jeux Floraux en 1818, sera peu diffusé au 19 e siècle. C’est au début du 20 e siècle seulement que le grand folkloriste Arnold van Gennep tirera de l’oubli son nom et son ouvrage“. 3 Si l’importance et l’originalité de Démeunier n’ont pas été prises en considération et jugées à leur juste valeur par les acteurs de l’anthropologie naissante au 19 e siècle, cela tient probablement aussi à l’attitude résolument objective dévelop- 7 Discussion pée par Démeunier et qui ne correspondait pas à l’esprit de l’époque. Contrairement à d’autres, il ne cherche pas à prouver la supériorité de la civilisation européenne ou à poser la question de l’origine des races humaines. C’est ce que souligne Edna Lemay à qui revient le mérite d’avoir redécouvert et analysé son œuvre: „Démeunier n’adoptera pas une attitude moralisante envers le déroulement des événements historique, et ne dira pas non plus qu’une époque a été meilleure qu’une autre“. 4 C’est grâce à l’invention de l’imprimerie et à la publication d’un nombre considérable de récits de voyage, que le savoir sur l’Afrique et l’Amérique, continents découverts et explorés depuis peu, avait considérablement augmenté. Démeunier avait pris connaissance de cet héritage de données ethnographiques à travers son activité de traducteur de récits de voyageurs anglais. 5 Une autre source importante constituent pour lui les nombreuses collections de récits de voyage des 16 e et 17 e siècles. 6 Il semble évident, selon Edna Lemay, que l’Histoire générale des voyages de l’Abbé Prévost l’ont largement inspiré dans son travail, surtout les premiers tomes concernant l’Afrique: „Prévost est toujours à la tête de ses sources car, soit Démeunier se réfère directement à lui, soit la plupart des récits de voyageurs qu’il cite sont dans cette collection“. 7 Sur la base de son expérience de traducteur de récits de voyage et grâce aux informations qu’il en a tirées, Démeunier compile rapidement les trois volumes de son Esprit des usages et des coutumes des différents peuples paru en 1776 et réédité en 1784. „Moins un recueil ou un dictionnaire des usages qu’une nouvelle histoire de l’homme, cet ouvrage met à profit, de façon originale, la masse des connaissances acquises, soit d’un passé lointain (sources classiques), soit et pour la plus grande part, d’un passé récent (récits de voyages).“ 8 L’originalité de Démeunier est due à son souci inlassable d’observer, sans porter de jugement, et en se débarrassant, dans toute la mesure du possible, de ses préjugés. Il est très conscient des mécanismes qui déterminent la perception, la description et le jugement des pays et des cultures non-européens. Il dénonce l’eurocentrisme qui empêche de prendre du recul par rapport à la culture européenne et de la relativiser comme étant une parmi d’autres. Ainsi il met le lecteur en garde dès son avertissement: „Un secret amour-propre nous séduit; il semble que nos Coutumes et nos Loix doivent servir de modèle à toutes les contrées; mais on sait que les pays les plus polis de l’Europe ont des usages qui nous surprendraient si nous les trouvions en Amérique ou parmi les Nègres.“ 9 Démeunier est également l’un des auteurs de l’Encyclopédie Méthodique, 10 monument et aboutissement de l’encyclopédisme au 18 e siècle. Dans son importante contribution à l’Encyclopédie méthodique, il a su avec une remarquable lucidité souligner les innovations juridiques venues de l’autre côté de l’Atlantique. L’étude de la pensée que Démeunier y développe peut servir à la compréhension de la genèse des deux principaux modèles théoriques en jeu lors des débats à la Constituante: le modèle anglais et le modèle américain. Il envisage la constitution de la jeune république américaine comme une forme régénérée des institutions anglai- 8 Discussion ses, alors que d’autres, à l’instar de Condorcet, analysaient les premières comme une rupture par rapport aux secondes. 11 Démeunier qui était responsable des articles portant sur l’Amérique profita de ses relations étroites avec les hommes politiques influents aux Etats-Unis tel Thomas Jefferson, qui en 1784 arriva à Paris en remplaçant Benjamin Franklin à la Cour. En 1786, quand Démeunier préparait son article sur „Les Etats-Unis“ pour l’Encyclopédie Méthodique, il lui envoya une liste de questions concernant les différents Etats de l’union. Pour la version définitive de son article, il tint compte des corrections et propositions que Jefferson lui renvoya. During the summer of 1786, the ‘Etats-Unis’ article appeared in volume two of Economie politique et diplomatique. […] Démeunier subsequently reprinted all the entries on America in pamphlet form as l’Amérique Indépendante, ou Les différentes constitutions des treize provinces … sous le nom d’Etats-Unis de l’Amérique. […] This pamphlet, and the original Encyclopédie articles, would prove to be important resources in the course of debates over constitutional reform in the National Assembly in the early years of the Revolution in France.12 Démeunier s’inspire donc de tout ce qu’il peut apprendre sur l’évolution des Etats- Unis pour les débats politiques en France. Mais son rôle de médiateur ne se limite pas à cela. Nous allons voir comment sa manière de rassembler et d’ordonner les connaissances sur le monde extra-européen est originale et suggère aux Européens une vision nouvelle des régions inconnues et/ ou récemment découvertes de la terre. Il se distingue de la plupart des descriptions de ses contemporains par sa perspective qui loin de tout préjugé essaie de trouver des explications rationnelles à tout ce qu’il observe ou décrit. Contrairement à d’autres commentateurs parlant de contrées récemment découvertes, Démeunier cherche à comprendre ce qui lui semble surprenant voire étrange. Son attitude est neutre, objective et scientifique face à l’objet de ses études. „Les Ecrivains ne présentent guères les usages étrangers que sous un point de vue bizarre ou ridicule; on change ici de méthode, & en cherche l’esprit.“ (Vol. I, v). „Chercher l’esprit“ cela veut dire pour Démeunier essayer de trouver une explication logique ou spéculer sur l’origine d’un comportement qui peut sembler a priori bizarre, mais qui cache une raison propre, un principe particulier. Démeunier procède en vrai scientifique avec une méthode bien définie qui consiste à regarder et à traiter ses sources avec précaution et esprit critique. 2) L’Esprit des usages et des coutumes des différents peuples: une approche scientifique nouvelle et originale du monde „Voilà l’homme sur la terre“. C’est avec cette phrase que Démeunier commence son étude. C’est l’homme dans son existence sur terre et tout ce qui touche à sa vie individuelle et sociale qui sont analysés par Démeunier. Son ouvrage entier est „destiné à faire connaître l’homme par les mœurs et les coutumes des diverses nations.“ 13 Il en résulte une série „d’Observations tirées des Voyageurs et des His- 9 Discussion toriens“, comme le dit le sous-titre, concernant „tous les usages et coutumes des différents peuples“ dont Démeunier tâchera, en les comparant les uns avec les autres de faire ressortir „l’esprit“. En cela son approche est résolument moderne et on le considère à juste titre aujourd’hui comme le père de l’anthropologie sociale. Il fait preuve d’esprit critique et d’une grande lucidité par rapport à ses sources. Il essaie de distinguer le faux du vrai, de cerner les exagérations, de rectifier les erreurs, car „Les Voyageurs ne donnent que les faits; on doit rectifier ce qu’ils voient mal, & comme ils se trahissent presque toujours, il y dans leurs récits des contradictions à débrouiller.“ (Vol. I, ix). Le défi particulier de Démeunier consiste à extraire de ces récits ce que leurs auteurs ont oublié ou simplement écarté de leur champ de vision. „Ils ne font pas une étude approfondie des usages des peuples; & ils négligent ordinairement cette partie de leur relations.“ Démeunier sait pertinemment ce qu’il faut pour une approche anthropologique telle qu’il l’envisage: „Il faut du temps, des recherches, du discernement, un esprit observateur, de la constance & de l’opiniâtreté pour juger les mœurs.“ (Vol. I, ix). Sa démarche méthodologique nécessite une attitude critique par rapport aux sources qui sont souvent tributaires de l’attente des lecteurs cherchant dans ces récits plus le sensationnel que la réalité. „Les coutumes s’altèrent en passant de livre en livre; & des Ecrivains les ont défigurées pour les rendre plus piquantes: on observe ces changement et on remonte à la source.“ (Vol. I, vij). Démeunier part du principe, que chaque usage ou coutume peut être expliqué, si l’on tient compte du contexte social et historique et si on analyse son fond symbolique: „Un usage se dénature bientôt, mais communément il est raisonnable dans son origine; plusieurs sont le résultat de l’expérience des peuples; & pour mieux en découvrir les causes physiques ou les causes morales, on étudie les idées dominantes à cette époque.“ (Vol. I, vj). Il souligne à juste titre que les particularités dans les habitudes, leur origine et leur contenu symbolique nous renseignent sur le fond culturel d’un peuple, le „patrimoine“ spécifique d’une nation. „Cette influence des idées sur les coutumes, apprend à l’Observateur qu’elle est la Métaphysique des diverses nations, & on explique très bien ensuite de ce qu’il y de singulier dans leurs mœurs.“ (Vol. I, vj). Quant au travail concret d’analyse des manifestations, Démeunier procède comme un ethnologue moderne, en formulant d’abord des hypothèses à vérifier par la suite: „On donne quelque fois les premières explications qui se présentent à l’esprit: on ne prétend pas que le lecteur les adopte toutes; on montre par un essai ce que peuvent faire des Ecrivains plus habiles.“ En même temps, il est conscient des limites de son entreprise étant donné que l’on ne trouve pas toujours des explications convaincantes et que certaines coutumes relèvent de l’arbitraire ou du despotisme: „En cherchant des raisons plausibles, on n’oublie point que cette méthode est sujette à des erreurs, & que la folie, le caprice et la corruption établissent un usage, ou le confirment par une loi, sans aucun motif.“ (Vol. I, vj-vij). Le titre de son ouvrage fait délibérément référence à Montesquieu et son étude „De l’Esprit des Lois“, qui est son modèle. Sa détermination déclarée de vouloir le dépasser prouve une certaine audace étant donné son jeune âge et son peu 10 Discussion d’expérience. „On ne pouvait pas omettre les Loix qui établissent des coutumes et on cite celles qu’a oubliées M. de Montesquieu; on n’envisage pas toujours les autres de la même manière que cet illustre Ecrivain, & la suite de cet Ouvrage en explique plusieurs dont il ne donne point la raison.“ (Vol. I, ix). Son œuvre suit une logique propre. Elle est structurée autour d’une chronologie qui retrace les différentes étapes de la vie humaine et se divise en fonction des sujets qui en résultent: naissance, enfance, âge adulte, vie en couple, famille, vie sociale et puis la fin de la vie. A l’encontre de sa source primordiale, l’abbé Prévost qui traverse le monde continent par continent, Démeunier le saisit globalement par une analyse thématique selon la vie biologique de l’homme. De la naissance à la mort, la vie humaine se divise en grands chapitres (alimentations, mariage, enfants, vie sociopolitique, vie quotidienne, maladie et médecine) qui font sa propre histoire naturelle.14 Démeunier ne s’intéresse pas à ce qu’il y a avant ou après cette existence et cela peut surprendre. A ce propos il prévient le lecteur sans ambages: „On ne parle point des usages religieux; on s’est interdit ces recherches.“ (Vol. I, viij). L’œuvre est composé de dix-huit livres répartis sur trois tomes. Chaque livre contient plusieurs chapitres. Sa table des matières se présente comme un large éventail de tous les sujets imaginables liés à la vie des humains: leurs existences physique et sociale. En cherchant l’Esprit des Usages et des Coutumes des différents Peuples, on a réuni en corps d’histoire tout ce qu’ont pensé les hommes sur les Alimens et les Repas, les Femmes, le Mariage, la Naissance et l’Education des Enfants, les Chefs et Souverains, la Guerre, la distinction des Rangs, la Noblesse, et l’insociabilité des Nations, l’Esclavage et la Servitude, la Beauté, la Parure et les Manières de se défigurer, la Pudeur et la Continence, l’Astrologie, les Usages cabalistiques etc., […] les Usages Domestiques, les Lois pénales, les Epreuves, les Supplices, le Suicide, l’Homicide et les Sacrifices humains, les Maladies, le Médecine et la Mort, et enfin les Funérailles, les Sépultures et les Enterrements. Les idées naissent en foule sur une matière aussi vaste, et l’art de l’Ecrivain consiste à présenter des résultats. (Vol. I, Xiv-Xv). Il s’agit pour Démeunier non pas de comparer les autres et nous-mêmes, mais les autres dont nous faisons aussi partie. Il s’efforce constamment de replacer les Européens dans le lot commun et de relativiser leurs coutumes. Dès le premier chapitre, où il traite des différentes sortes d’aliments, il note qu’il est bien naturel de manger des cadavres si l’on n’a rien d’autre à se mettre sous la dent et que cela peut arriver aussi bien à des „Sauvages“ qu’à des soi-disant „Civilisés“: „Pourquoi donc a-t-on contesté l’existence des anthropophages? & quelle est cette raison puérile qui nie des faits très naturels parce qu’on n’en est pas témoin? Les auteurs anciens & modernes citent en vain des peuples qui mangent de la chair humaine; on a répondu que cela est impossible, & ceux même qui accusaient l’homme de quelque méchanceté, le croyaient incapable de cet excès de dépravation. Mais l’origine de cette habitude n’annonce aucune perversité, & l’on a fait sur cette matière de bien mauvais raisonnements. […] Que des sauvages qui n’ont pas d’autre 11 Discussion nourriture, mangent des cadavres humains, il n’y a rien là d’étonnant. Sept Anglais se trouvèrent sans secours en pleine mer, & tirèrent au sort, pour savoir qui servirait de pâture aux six autres. Ils se partagèrent le malheureux que condamna le coup de dés“ (Vol. I, 13). Ce jugement rompt avec une vision générale selon laquelle le cannibalisme est une particularité des peuples non-européens et l’anthropophagie une preuve de leur état de non civilisé. Chez Démeunier, l’acte lui-même est décrit de manière sobre, sans le dégoût habituel. Le cannibalisme est considéré comme conséquence sinon logique mais au moins naturelle d’une situation extrême qui peut arriver à tout un chacun. Démeunier ne connaît pas de tabou dans ses considérations de la réalité. Il cherche des explications à toutes les „bizarreries“ comme il les appelle: „Le climat, la stérilité du pays, l’âpreté du ciel, l’organisation physique, les besoins et la position des peuplades, établissent d’abord des coutumes très différentes: la Politique, les lois & la Morale, les idées fausses & les préjugés, la liberté, l’esclavage & mille autres circonstances achèvent de les varier, & on examine ces circonstances.“ (Vol. I, vv-vj). Même si certains usages ou coutumes semblent révoltant au premier abord, ou aller contre nature, il faut tenir compte du fait: „[qu’]un usage se dénature bientôt, mais communément il est raisonnable dans son origine; plusieurs sont le résultat de l’expérience des peuples; & pour mieux en découvrir les causes physiques ou les causes morales, on étudie les idées dominantes à cette époque.“ (Vol. I, vj). Pour illustrer cette idée, Démeunier donne des exemples de cas extrêmes qu’il soumet à une réflexion inhabituelle. Penser les choses autrement, montrer l’ancrage culturel de certains comportements, dévoiler ce qui peut se cacher derrière une habitude, c’est ce qui l’intéresse. Il illustre sa position en prenant l’exemple de l’infanticide, acte particulièrement odieux. Mais il dit à ce propos: „Lorsqu’on agite des questions de politique et de morale, il semble qu’on veut empêcher les hommes de remonter aux véritables principes, et les égarer par des sophismes. En traitant celle-ci, pourquoi ne pas demander si les gouvernements peuvent mettre des bornes à leur population? S’il est permis de sacrifier tant de guerriers pour des raisons d’utilité publique, les administrateurs ne peuvent-ils pas aussi faire mourir des enfants, et cet usage est-il plus révoltant que les massacres de la guerre? “ (Vol. I, 274). Le fait que certains africains ont une préférence pour la viande pourrie provoque chez Démeunier le simple constat „ainsi que nous ne mangeons certains fromages que quand ils sont avancés.“ (Vol. I, 10). Tout est question de perspective: Ce qui nous semble particulièrement répugnant, peut-être une friandise pour quelqu’un d’autre. Au lieu de porter tout de suite un jugement négatif quand quelque chose ou un comportement nous semble bizarre, il faut en chercher la raison. Démeunier part du principe que chaque usage peut s’expliquer si l’on analyse de près ce qui nous échappe d’abord. C’est en rapprochant les observations, en les regroupant et en comparant le fond d’un rituel ou d’une habitude que l’on peut distiller leur fond commun, dégager leur signification. Une des conditions pour cette démarche, c’est 12 Discussion que l’on doit considérer l’acte „bizarre“ comme une manifestation culturelle à caractère universel. Quel que soit un usage, il y eut une cause pour principe; & s’il s’introduisit par une loi, les législateurs s’applaudirent sûrement d’une si belle découverte. En étudiant les circonstances, on est surpris de la simplicité des coutumes les plus extraordinaires: les uns renferment des allégories grossières et des moralités que nous n’entendions point, & qui ne seraient plus ridicules à nos yeux, si nous les connaissions; & d’autres enfin ne nous paraissent étranges que parce que nous n’y sommes point accoutumés. (Vol. I, 33) Démeunier en donne comme preuve le cas spécifique d’hommes qui se mettent à „couver“: Marco Polo & les Jésuites ont observé cet usage dans la province de Kardan & chez plusieurs Tartares; il était presque universel dans la partie septentrionale et dans la partie méridionale de l’Amérique, & même dans quelques-unes des îles. Enfin il est connu dans le Béarn, & il porte le nom de couvade. (Vol. I, 256-257) Le fait que les hommes prennent parfois la place de la femme après l’accouchement trouve chez lui une simple explication. Après avoir énuméré les raisons donnés par d’autres (il s’agit d’une sorte de pénitence, cela sert à réchauffer le nouveau-né, ou les maris veulent apprendre qu’ils ont eu autant de part à la génération que leurs femmes), il cherche „à cette coutume des raisons de santé“ (258). Démeunier trouve toujours des comparaisons surprenantes voire saugrenue. Il explique les danses des africains dans leur dimension religieuse et symbolique et il les compare avec un bal organisé par le roi d’Espagne lors d’un concile: „L’âme du Sauvage le plus actif est dans la torpeur & l’engourdissement, & il essaye de l’en tirer par la musique & la danse. L’homme recherche toutes les agitations violentes, & il a besoin d’être remué fortement. […] Les Hottentots s’accroupissent en rond: plusieurs couples se présentent pour danser; mais on n’en laisse entrer que deux à la fois dans le cercle: la plupart de leur pas sont des sauts accroupi à la manière des coqs. […] Enfin, jusqu’à ce que la danse fasse une partie des beaux arts, elle n’offre que des sauts, des contorsions & des mouvements puérils. Elle se mêle quelque fois à la religion, & l’on ne s’avise que fort tard de la blâmer. Les pères du Concile de Trente donnèrent un bal à Philippe II, roi d’Espagne, toutes les dames de la ville y furent invitées: le cardinal de Mantoue ouvrit le bal, & Philippe II & tous les pères du Concile y dansèrent.“ (Vol. II, 55-56) Ramener le fait étonnant à ce qui est familier et l’expliquer par ce rapprochement, est une des stratégies principales de Démeunier. Il pratique ainsi une méthode fondamentale de l’ethnologie moderne. Dégager le mystérieux, l’invraisemblable, le sensationnel d’un fait observé, le ramener aux expériences universelles qui sont le lot commun des humains, est une des conditions nécessaires pour le comprendre. Ne pas interpréter ou juger, ce sont les principes de Démeunier, car c’est le jugement moral qui nous empêche de comprendre. Il suffit de lire la 13 Discussion définition de l’ethnologie donnée par Germaine Tillion pour avoir une confirmation de la modernité et de l’originalité de Démeunier qui appliquait au 18 e siècle ce qu’elle pratiquera au 20 e . Pour elle „L’ethnologie est donc d’abord un dialogue avec une autre culture. Puis une remise en question de soi et de l’autre. Puis, si possible, une confrontation qui dépasse soi et l’autre (n’oublions pas que ce fut seulement après que les premiers ethnologues eurent entrepris ces confrontations que commença à s’imposer la notion de l’unité de la race humaine: unité pas seulement physique, mais aussi sociale).“ 15 3) La voie/ voix cachée de l’„Autre“ dans le discours européen ou comment un récit peut en cacher un autre Quand Démeunier analyse et interprète un phénomène, il met les Européens sur le même pied que les Africains ou d’autres peuples de la terre. Il a le mérite d’avoir pour la première fois procédé à une systématisation du savoir en considérant son objet d’étude sans préjugés. A travers son ouvrage, le monde extra-européen fait son entrée dans un discours scientifique européen. L’„Autre“, l’étranger, est considéré et analysé selon le même principe que l’Européen. L’existence humaine est universelle, elle obéit au même principe partout. Elle produit des règles et habitudes dans la vie quotidienne, organise la vie sociale avec les autres et tous les événements qui marquent une vie. Il s’agit-là pour lui d’un principe universel. Son „Esprit des usages“ met à la disposition du public européen une foule de connaissances du „Nouveau-Monde“ provenant de sources très diverses mais systématisées. A travers ses réflexions, l’Europe et le reste du monde sont pris dans un jeu de miroirs qui renvoient des images à l’un et à l’autre pour se rendre lisible mutuellement. La découverte de l’„Autre“, de l’inconnu des autres continents, a élargi le savoir des européens sur eux-mêmes et les connaissances sur le monde en général. Et l’existence de cet autre lointain provoque chez certains - tel un Démeunier - la prise de conscience de la propre relativité. Penser l’„Autre“ comme pareil revient à se penser autrement. Mais quelles sont les connaissances sur l’Afrique dont dispose l’Europe au 18 e siècle et d’où les tient-on? L’Afrique dans son ensemble reste au début du 18 e siècle un „continent à découvrir“, une „terra incognita“. 16 C’est au milieu du 16 e siècle que les lecteurs européens ont pu découvrir pour la première fois une description de l’Afrique qui dépassait les textes des anciens (Pline, Strabon et Hérodote) à travers un texte tout à fait original d’un personnage hors du commun. Son auteur, Leo Africanus, un musulman converti au christianisme, avait fait dans sa jeunesse plusieurs voyages qui l’ont amené à l’intérieur du continent africain. 17 Sa Descrittione dell’Africa mêlant le savoir et l’érudition d’une cosmographie au style vivant et anecdotique d’un récit de voyage, a été pour la première fois publiée en 1550 dans le recueil de tex- 14 Discussion tes les Navigazioni e Viaggi, réunis par Giovanni Battista Ramusio. Le texte vedette du premier tome est la Descrittione dell’Africa, qui „est d’une très grande richesse documentaire, mais aussi textuelle. Son organisation simple et rigoureuse n’empêche pas la diversité des styles et des discours. Passage informatifs et passages plus littéraires coexistent sans se nuire les uns aux autres, et visent concurremment à transmettre un savoir sans ennuyer.“ 18 Le recueil des Navigazioni connut un grand succès en Europe et fut traduit en plusieurs langues: en français en 1556 par Jean Temporal, qui édite une belle, mais parfois infidèle traduction de la Descrittione séparément cette même année. Toujours en 1556, paraît une traduction latine, signée Jean Florian. Cette version est très fautive: elle omet de nombreux passages et elle comporte beaucoup de contresens et de confusions. Le texte latin, malgré sa qualité douteuse, a été la base de deux traductions: l’anglaise publiée en 1600 et une néerlandaise publiée en 1665. Cette première vague d’éditions n’est que l’aspect le plus visible du succès et de l’influence de l’ouvrage de Leo Africanus. Le philosophe Jean Bodin fait des éloges dithyrambiques de la Descrittione „Nous dirons donc qu’il est le seul historien à avoir découvert l’Afrique ensevelie depuis mille ans dans une triste barbarie […] à l’avoir révélée à la conscience universelle.“ 19 La Descrittione a joué un rôle considérable dans la transformation de la vision européenne de l’Afrique, surtout de l’Afrique du nord, dans la mesure où elle en présentait une image essentiellement différente de celle qui prévalait auparavant. On ne pouvait plus voir en cette région un désert habité par des peuples primitifs. Il a aussi apporté une masse de renseignements sur les paysages, les villes, les habitants, leurs coutumes, leurs croyances, leurs vêtements, leurs activités. Cette foule de précieuses informations a été reprise par les auteurs européens durant plusieurs siècles. En effet, rares sont les textes sur l’Afrique écrits en Europe jusqu’au 19 e siècle qui ne portent pas peu ou prou la trace de l’influence de ce texte. Certains en sont même littéralement imprégnés, pour ne pas dire qu’ils en constituent de presque exactes copies. En fait à partir de la Descrittione se constitue un fond commun de savoir sur l’Afrique, ses pays et ses peuples, qui va peu à peu devenir quasiment anonyme. D’une certaine manière la Descrittione va se dissoudre dans le savoir européen sur l’Afrique. Ce mot n’est pas trop fort quand on considère qu’après quelques décennies, bien des auteurs citent ce texte sans rappeler son origine exacte. Assez rapidement, font écran entre lui et ses lecteurs des œuvres qui le reprennent sans toujours reconnaître ce qu’elles lui doivent. C’est en particulier le cas de „L’Afrique“ de l’Espagnol Luis de Marmol Carvajal. Pour la partie du continent que décrit Léo Africanus, cet ouvrage reprend très largement la Descrittione sans presque jamais citer son auteur. Par cet intermédiaire, et d’autres encore, l’œuvre de Léo Africanus est devenue une propriété commune du savoir européen. Elle a apporté un fonds de connaissances qui, au fil des années, est devenu quasiment anonyme, un bien commun à tous ceux qui veulent parler de l’Afrique. 15 Discussion Parmi les sources qui ont servi principalement à Démeunier pour ces exemples africains il y a plusieurs auteurs qui ont traduit la Descrittione ou s’en sont largement inspiré: l’Espagnol Luis de Marmol Carvajal, qui - comme je l’ai dit plus haut en a publié un plagiat dans une traduction espagnole; Olfert Dapper, médecingéographe hollandais a „écrit à partir de sources devenues rares, notamment Leo Africanus“ 20 et puis la version anglaise de John Ogilby est „en grande partie une traduction de Dapper“. Elle contient donc également le texte de Leo Africanus. Il y a aussi la traduction française de Jean Temporal „que Démeunier semble avoir emprunté“. 21 Puisque Dapper et Ogilby fournissent à Démeunier le maximum de renseignements sur le continent africain, en particulier „l’Afrique noire et les chefs“, 22 et que leurs textes sont - comme je viens de le montrer largement inspirés par Leo Africanus, nous pouvons conclure, que Démeunier se fonde pour la partie africaine de son œuvre indirectement et sans le savoir sur le texte de Leo Africanus. S’il ne se réfère pas explicitement à la Descrittione, c’est peut-être tout simplement dû au fait, qu’il ne lisait pas l’italien et qu’il avait préféré se pencher sur des textes en anglais ou autres. Même si le texte original de Leo Africanus n’est qu’en partie cité par Dapper (et que par conséquent la traduction anglaise d’Ogilby n’est donc pas exclusivement basé sur le texte de Leo Africanus), il n’en reste pas moins que l’influence de ce dernier est sensible aussi bien dans la structure du texte que dans les faits rapportés. On est d’ailleurs frappé par la place que Dapper accorde à Leo Africanus dont il cite explicitement à plusieurs reprises le nom, comme pour souligner son autorité et l’authenticité des faits racontés. En comparant les tables de matières des différentes traductions et adaptations de la Descrittione on peut constater facilement que la structure que Leo Africanus avait donnée à son ouvrage est plus ou moins reprise par ses adeptes. Cela concerne la division géographique et la toponymie ainsi que l’ordre des sujets abordés. Démeunier reprend également certains éléments de la présentation générale telle que Leo Africanus l’avait proposée dans sa Descrittione. Il y distingue les „africains blancs“ qui vivent dans le nord („Africani bianchi cioè di quelli, che habitano nella Barberia & nella Numidia“), des “africains noirs“ („Gli Africani veramente della terra negra“). Dans son article sur „l’Afrique“ que Démeunier rédige pour l’Encyclopédie Méthodique, il reprend d'ailleurs cette vision de l’Afrique: „Les modernes divisent l’Afrique en deux parties générales, qui ont le pays des Blancs et le pays des Noirs.“ Même si Démeunier a utilisé par ailleurs d’autres sources et qu’il a pu s’appuyer sur des récits publiés plus récemment, on trouve dans son texte une quantité d’exemples qui rappellent le texte de référence que représente La Descrittione dell’Africa de Leo Africanus. Cela concerne des usages vestimentaires, de rôle des femmes, les hiérarchies (politiques) et surtout l’image pittoresque, comique et „bon enfant“ des Africains qui sont par ailleurs caractérisés comme des êtres de mœurs légères. Certains passages semblent inspirés directement de la Descrittione. Cela concerne par exemple la coutume des Touaregs de porter un cache-bouche que Démeunier commente ainsi: „Les Azanaghis, Nègres de la Côte d’Arguim, regar- 16 Discussion dent le nez et la bouche comme des canaux forts sales: ils les cachent soigneusement avec un mouchoir, comme on cache ailleurs d’autres parties du corps.“ (L’Esprit, vol. I, 26) 23 Le passage dans lequel Démeunier décrit les rituels de mariage et le fait que la virginité est prouvée et exposée lors du mariage, ressemble également à la description de Leo Africanus: „… on crut devoir punir ou renvoyer l’épouse qui n’aurait pas été chaste tandis qu’elle était fille. […] plusieurs peuplades Nègres portent en procession les draps de son lit, afin de montrer au public des marques de sa virginité, & les maris chassent ignominieusement celles qui l’ont perdue.“ (Démeunier, L’Esprit, vol. I, 157) 24 Selon Démeunier „dans les pays chauds le besoin des sens est très ardent“; promiscuité et sexualité débridée sont décrit comme l’apanage naturel des noirs qui par ailleurs sont dépeint comme des êtres gais et naïfs, image qu’en donne déjà Leo Africanus: „Les Nègres du royaume de Loanda conviennent entre eux de changer de femmes; & quand les missionnaires leur font des reproches, ils répondent qu’il est impossible de se borner toujours au même aliment.“ 25 ou encore „Le besoin des sens est quelquefois une frénésie, & la passion de l’amour se manifeste avec le caractère de la violence.“ (Tome II, livre X, 306) 26 On trouve chez Démeunier la même vision négative et ambivalente des Africains que chez Leo Africanus: „La plupart des Nègres sont trop barbares pour mettre de la discipline dans leur armées“ (Démeunier, Tome II, livre VI, 34), ou encore „Leurs hommages ont un caractère particulier de grossièreté & de bassesse.“ (Démeunier, Tome I, livre V, 353) 27 Tout comme sa source d’inspiration, Démeunier semble par moments perdre sa lucidité et son esprit critique dans la description des Africains. L’attitude négative de Leo Africanus envers l’Afrique peut surprendre - si on prend en considération qu’il est lui-même Africain - comme son nom l’indique. Mais en fait, il appartient aux deux cultures: européenne et africaine. Né en Espagne dans une famille musulmane, il a dû s’enfuir au Maroc avec ses parents après la chute de Grenade. Il a été élevé à Fès mais il a voyagé beaucoup dès son plus jeune âge. Son séjour forcé à Rome comme otage du Pape Leo, sa conversion au christianisme prouve sa faculté de changer de perspective et de vision du monde. Sa vie est marquée par cette double appartenance, sa position entre les cultures. Pour illustrer cette attitude Leo Africanus raconte une fable qui parle d’un oiseau pouvant à la fois vivre dans les airs et sous les eaux. Grâce à cette double faculté, il réussit à ne jamais payer d’impôt: si le roi des oiseaux lui réclame son tribut, il s’enfuit dans une rivière; et il s’envole quand le roi des poissons veut qu’il s’acquitte de son paiement. Et Leo Africanus d’ajouter: ‘Je veux en conclure que partout où l’homme voit son avantage, il y court quand il le peut. Par suite, si on dénigre les Africains, je dirai que je suis né à Grenade et non en Afrique. Et si c’est mon pays natal que j’entends critiquer, j’allèguerai en ma faveur que j’ai été élevé en Afrique et non á Grenade’.“ 28 17 Discussion Pour Nathalie Zemon Davis, cet animal mi-poisson, mi-oiseau, ressemble aux personnages malins des contes qui se faufilent et s’en sortent toujours avec ruse. Ce „trickster“ représente tout refus de position figée, au sens concret et figuré: il est nomade, pour lui, pas de norme, ni de vérité toute faite. C’est cette attitude qui se dégage de la Descrittione dell’ Africa et qui peut avoir influencé Démeunier dans sa démarche qui est d’éviter tout jugement rapide et cliché. Tout comme Leo Africanus, Jean-Nicolas Démeunier utilise une ruse. Sa critique des comportements négatifs des Africains, lui permet d’en dénoncer les causes qui sont selon lui l’esclavage auquel il consacre tout un chapitre. Démeunier prend très clairement position dans cette question; s’il dresse parfois un portrait stéréotypé des africains ce n’est que pour prouver ainsi la nécessité de les éduquer et de les „civiliser“. Conclusion Comme j’ai tenté de le montrer, l’œuvre de Démeunier présentée dans cet article, témoigne sous différents aspects du croisement culturel en Europe et plus particulièrement à Paris vers la fin du 18 e siècle. Premièrement, l’approche anthropologique de Démeunier fait entrer les connaissances sur les différentes cultures glanées à travers le monde dans le discours scientifique européen. La confrontation avec l’„Autre“, les pays et peuples récemment découverts, déclenche et fait avancer une réflexion critique et nouvelle sur la condition humaine, sur l’identité culturelle. Puisque comme j’ai essayé de le montrer dans un deuxième temps une partie des informations qui ont servi de sources à ces réflexions, sortent de la plume d’un non-européen, Leo Africanus en l’occurrence, c’est un regard ambiguë, critique et insolite qui influence cette vision et qui est peut-être même à l’origine de cette capacité que nous avons constatée chez Démeunier de relativiser les usages analysées et de les intégrer dans une vision universelle dépassant le cadre européen. 1 Né à Nozeroy le 15 mars 1751 et mort le 7 février 1814, Démeunier a participé à la Révolution française d’abord en tant que député du Tiers Etats aux Etats généraux de 1789, puis comme président de l’Assemblée Nationale constituante, du 22 décembre 1789 au 3 janvier 1790, enfin comme administrateur de la Ville de Paris en 1791. Démeunier se réfugia aux Etats-Unis pendant la Terreur. De retour en France, il fut membre du Tribunat, dont il devint président en 1800. Il fut nommé sénateur en 1802 et continua sa carrière politique sous le Premier Empire. Pour ses services, il fut fait comte d’Empire. Démeunier fut élu mainteneur de l’Académie des Jeux floraux en1804 et intégra la franc-maçonnerie. Il repose au Panthéon à Paris. 2 Claude Lévi-Strauss, „Réflexions sur la liberté“, La Nouvelle Revue des Deux Mondes, 1976, 338. 3 Edna Lemay, „L’Amérique et l’enfance des sociétés dans l’ouvrage de Jean-Nicolas Démeunier, précurseur au XVIII e siècle de l’anthropologie sociale en France“, Cahiers des Amériques latines, n° 5, 1970, 79. 18 Discussion 4 Ibid. 5 Parmi ces voyageurs figurent, à côté de James Cook, des hommes moins connu aujourd’hui tel Constantine John Philipps, Patrick Brydone, Robert Wood, George Vancouver, Thomas Forrest et Williams Bolt. 6 Pour plus de détails, voir Edna Lemay, L’Amérique et l’enfance des sociétés, op. cit., 76, note 9. 7 Edna Hindie Lemay, „L’image de l’Africain chez Démeunier“, in: Daniel Droixhe/ Klaus H. Kiefer (eds.), Images de l’Africain de l’Antiquité au XX e siècle. Frankfurt a.M./ Bern/ New York/ Paris, Lang, 1987, 87. Voir également Edna Hindie Lemay, „Histoire générale des voyages: Démeunier et l'abbé Prévost“, in Richard A. Francis/ Jean Mainil (eds.), L’Abbé Prévost au tournant du siècle. Oxford, 2000, 345-353. 8 Edna Lemay, L’image de l’Africain, op. cit., 85. 9 Jean-Nicolas Démeunier, L’Esprit des usages et des coutumes des différents peuples [1776], Paris, vol. I, XIV-XV. Je cite le texte d’après la nouvelle édition des trois tomes, Paris, 1988. Toutes les citations qui suivent dans le texte se réfèrent à cette édition. L’orthographie suit l’original. 10 Démeunier a publié sa partie séparément en 4 volumes (entre 1784 et 1788). 11 Cf. Edouard Tillet, Modèle anglais et modèle américain de l’Ancien Régime à la Révolution: L’exemple de Jean-Nicolas Démeunier, Revue française d’histoire des idées politiques, n° 12, 2000, 265-286. 12 Martin J. Burke, Encyclopédie, http: / / www.americanforeignrelations.com/ Co-Eu/ Encyclopdie.html, 20.11.2007. Voir aussi George B. Watts, Thomas Jefferson, the Encyclopédie and the Encyclopédie Méthodique, French Review 38 (1965), 318-325. 13 Jean-Nicolas Démeunier, L’Esprit, op. cit., 44. 14 Edna Lemay: L’image de l’Africain, op. cit., 85. 15 Germaine Tillion, Le harem et les cousins, Paris, 1966, II. 16 Voir à ce sujet Catherine Coquéry-Vidrovitch, La Découverte de l'Afrique, l'Afrique noire atlantique des origines au XVIIIe. Paris, 2003 (rééd.). [1965]. 17 Voir pour plus de détail: Nathalie Zemon Davis, Léon l’Africain. Un voyageur entre deux mondes, Paris, 2007. 18 Oumelbanine Zhiri, L’Afrique au miroir de l’Europe: Fortunes de Jean Léon l’Africain à la Renaissance. Genève, 1991, 49. 19 Cité d’après Oumelbanine Zhiri, Les sillages de Jean Léon l’Africain, du XV e au XX e siècle. Casablanca 1995, 51. 20 Edna Lemay, L’image de l’Africain, op. cit., 93. 21 Ibid. 22 Ibid, note 6. 23 I gentili huomini di questo popolazzo portano pure in capo, com’io ho detto, un drappo negro, & con una parte di quello cuoprono il viso, ascondendo ogni sua parte, eccetto gli occhi: & cio portano continuamente la onde quando mangiar vogliono, per ogni volta, che gli mettono il mangiare in bocca, scuoprono la bocca, & mangiato che hano, se la tornano a coprire adducono esser di queso uso la ragione, che si come è vergogna all’uomo di mandare il cibo fuora, cosi è vergogna, quando lo mette dentro.” (Leo Africanus, Descrittione, Navigazioni, 6), cité d’après la version du texte dans Gallica.fr) 24 „[...] se per aventura la sposa non fusse trovata vergine, il marito la rende alla madre & al padre & è loro grandissima vergogna, senza che gli invitati tutti senza mangiare si dipartono.“ (Leo Africanus, Descrittione, Navigazioni, 38) 19 Discussion 25 Leo Africanus: „tutti adunque questi paesi sono habitati da huomini, che vivono à guisa di bestie, senza Re, senza Signore, senza republiche& senza governo & costume alcuno [...] il loro habito è di pelle di pecore, ne alcuno ha propia o particolar moglie [...] la notte s’accompagnano insieme dieci o dodici huomini & donne in una capannetta, et ciacuno si giace con quale che piu gli piace, dormendo & riposando sopra qual che pelle di pecora.“ (77 b) 26 Leo Africanus: „Nella terra negra sono le vite molto piu corte di quelle dell’altre generationi, ma gli huomini stanno sempre robusti & i lor denti sono sempre fermi & a un modo: ma sono huomini di gran lussuria.”(10) 27 „gli habitatori sono piu tosto huomini senza intelletto, che no massimamente quei che habitano nè montiquali vanno la state nudi et scalzi, eccetto, che pur cuoprono le vergone concerte mutande di cuoi. (80) „le femine usano portare anella del detto ferro nelle dita & ne gli orecchi: & peggio vestono, che gli huomini: questo vanno di continuo ne boschi si per far legna, come par colar le bestie, quivi noè civilità, ne alcuno che sappia lettere, & sono, come le pecore, nelle quali non è, nè guidicio nè intelletto.“ (55sq) 28 Cité d’après Zhiri, L’Afrique au miroir de l’Europe, op. cit., 48. Resümee: Mechtild Gilzmer, L’Esprit des usages et des coutumes des différents peuples (1776) von Jean Nicolas Démeunier: eine wissenschaftliche Annäherung an Afrika. Mit der 1776 erschienenen Studie von Jean Nicolas Démeunier (1751-1814) wurde das Wissen über außereuropäische Länder erstmalig in umfassender Weise systematisiert. Die dreibändige Darstellung der Lebensgewohnheiten, Sitten und Gebräuche der Bewohner fremder Kontinente, die der Ethnologe Claude Lévy-Strauss als „erstes ethnologisches Handbuch“ bezeichnete, beruht auf der Auswertung zahlreicher Reiseberichte, die Démeunier in seiner Eigenschaft als Übersetzer rezipiert hatte. Seine europäischen Quellen beruhen wesentlich - was die Beschreibung Afrikas betrifft - auf einer 1556 erstmals veröffentlichten Beschreibung Afrikas, die von Leo Africanus verfasst wurde, einen zum Katholizismus konvertierten, gebildeten und weit gereisten Moslem. Auf diesem Umweg und ohne, dass dies dem Autor Démeunier selbst bewusst war, fand eine um Verständnis bemühte Sicht und Deutung Afrikas durch einen Nicht-Europäer Eingang in die europäische Wissenstradition.