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2010
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La Querelle du mariage et la Querelle des femmes dans la pièce anonyme La Fille sçavante (1690)

2010
Valentina Denzel
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104 Arts & Lettres Valentina Denzel La Querelle du mariage et la Querelle des femmes dans la pièce anonyme La Fille sçavante (1690) Deux grands débats concernant la position de la femme dans la vie publique, ainsi que dans la vie privée ont marqué la littérature du Moyen Age jusqu’au XVIII e siècle et encore au delà: la Querelle du mariage et la Querelle des femmes. Ces querelles, dont l’écho se fait encore sentir de nos jours, déploient des discours philogynes, misogynes et misandres qui ont plusieurs points en commun. La dispute pour et contre le mariage inclut bien évidemment le débat sur la supériorité du sexe féminin ou masculin. La dispute pour la culotte 1 - sujet iconographique sur le rôle des sexes dans le mariage - n’est qu’un exemple parmi d’autres des thèmes que partagent la Querelle du mariage et la Querelle des femmes. La fusion de ces deux débats se manifeste ainsi dans la comédie française La Fille Sçavante, représentée pour la première fois, le 18.11.1690 par les Comédiens Italiens du Roy auprès de l’Hôtel de Bourgogne. 2 Nous voudrions analyser cette pièce anonyme sous une double problématique: premièrement, nous nous intéressons à la représentation de la Querelle du mariage, à partir d’un point de vue masculin et féminin. Deuxièmement, nous voudrions tenir compte de la relation entre l’image des deux protagonistes, Angélique et Isabelle, et le discours de la Querelle des femmes. Ces héroïnes, qui incarnent dans la pièce deux sœurs d’un tempérament différent, sont également deux personnages féminins du Roland furieux, épopée écrite par Ludovico Ariosto et publiée dans sa forme définitive en 1532. Dans cette œuvre italienne, Angélique représente la femme fatale, tandis qu’Isabelle incarne la fidélité féminine. 3 Cependant les héroïnes du Roland furieux subissent de notables transformations dans la pièce La Fille sçavante: la belle Angélique y devient une femme savante, négligeant son aspect extérieur. La douce Isabelle de l’épopée italienne se métamorphose en amazone misandre. Toutes deux refusent le mariage à cause de leur caractère insolite: les sciences et les armes ne se marient pas avec le foyer conjugal. L’argumentation misogame Le premier personnage à exprimer son dédain envers l’hyménée est le père d’Angélique et d’Isabelle, Monsieur Tortillon. Celui-ci tient au début de la pièce un propos misogame: Je pense que c’est pour tourmenter l’homme qu’on a inventé le mariage, Hé ventrebleu! 4 La raison pour laquelle Tortillon maudit le mariage n’est curieusement pas liée à sa femme, mais à ses deux filles, dont les intérêts extravagants pour les armes et 105 Arts & Lettres pour le savoir, sont la cause de son malheur. Tortillon, étant un bourgeois simple, n’a rien en commun avec elles. Angélique ne parle que de livres: Isabelle ne se plait qu’avec des gens d’épée. Quel diantre de rapport tout cela a-t-il avec moi, qui n’ai ni cœur ni étude (…).5 L’argument misogame, lié à la procréation, est également prononcé quelques répliques plus loin par le personnage d’Angélique. Nous en reparlerons de façon plus détaillée. Monsieur Tortillon, incarnant les perspectives patriarcales de la bourgeoisie, s’explique les intérêts inhabituels des ses filles non par un désir d’échapper à la condition féminine, mais plutôt par leur caprice et leur volatilité. Tortillon a de ce fait recours aux topoï misgoynes, quand il évoque les contradictions du caractère féminin. 6 Or, Tortillon est lui-même sujet à des palinodies: son attaque contre le mariage se transforme, au cours de sa réplique, en défense de l’hyménée. Le motif de ce changement d’opinion réside principalement dans un aspect financier, dont le soucie manifeste l’une des caractéristiques principales de Tortillon et son rôle comique de bourgeois. Son frère défunt a laisse à Angélique en héritage cinquante mille écus, à condition qu’elle se marie. C’est justement cette conditio sine qua non de l’héritage qui donne lieu à la diatribe misogame d’Angélique. Contrairement à la critique peu précise de Tortillon vis-à-vis de l’hyménée, les propos misogames d’Angélique sont plus véhéments et leur argumentation est plus convaincante. Ce déséquilibre dans le raisonnement de Tortillon et d’Angélique semble confirmer leur caractère antithétique: l’un est un homme sans esprit, l’autre est une femme lettrée et érudite. La réplique de Tortillon semble de ce fait servir plutôt comme introduction au discours d’Angélique. Cette dernière s’exprime contre le mariage, en donnant des raisons exactes - la violence conjugale, la grossesse, ainsi que les unions inégales quant à l’âge et à la couche sociale des partenaires. Dans sa diatribe contre le mariage, Angélique exprime premièrement les topoï misandres, présents dans les discours de la Querelle du mariage: A moi, un mari! Un mari brutal comme tous ceux d’aujourd’hui! Un yvrogne, un jaloux, un joüeur, un debauché! 7 Angélique reprend les arguments, évoqués dans l’œuvre de Nicole d’Estienne Les misères de la femme mariée, où se peuvent voir les peines et tourmens qu’elle reçoit durant sa vie (ca. 1600). Cette écrivaine 8 dénonce dans son ouvrage entre autres, les maris cruels, débauchés, dépensier et jaloux. Ces caractéristiques négatives représentent les topoï de la Querelle du mariage, dont la condamnation de la violence conjugale figure comme l’un des arguments les plus cités. Nous voudrions ajouter que le Roland furieux fournit également une critique contre la violence conjugale, prononcée par la voix narrative. Les époux violents sont opposés aux animaux, dont l’entourage bucolique empêche la frénésie. 9 Dans la suite de sa diatribe, Angélique blâme les inégalités entre les sexes, en reprenant l’image du monde animal. Mais contrairement à la représentation du Roland furieux, les ani- 106 Arts & Lettres maux ne symbolisent pas une idylle mais justement la brutalité des hommes. Curieusement, Angélique reprend dans son discours misogame également des arguments misogynes. (…) je ne veux point me marier. Moi, je ne me soûmettrois aux inégalites d’un bourrou, qui me regarderoit comme un secours à sa fortune, ou un obstacle à son plaisir! (…) Si les filles m’en vouloient croire, nous verrons tous ces animaux-là ramper à nos pieds, & nous demander misericorde. Mais la facilité de nôtre sexe les a rendus si insolens, qu’on leur en doit de reste, quand ils s’abaissent jusques à nous épouser.10 Il est intéressant de noter qu’Angélique n’inclut pas seulement des propos misandres dans son argumentation, mais qu’elle blâme les femmes elles-mêmes de leur manque d’opposition au pouvoir masculin. Cette critique nous semble assez originale, elle est absente dans l’œuvre de Nicole d’Estienne et dans celle de l’Arioste. 11 Il est vrai que d’autres ouvrages, comme celui de Louise Labé, 12 contiennent une invitation aux femmes de surpasser les hommes dans leurs disciplines. Toutefois cet appel est moins véhément que la critique d’Angélique dans La Fille sçavante. En outre, Labé n’impute pas aux femmes leur propre suppression. Cela est également vrai pour l’un des premiers textes de la Querelle des femmes, à savoir Le livre de la Cité des Dames de Christine de Pisan. Certes, la protagoniste s’étonne du fait que les femmes ne s’opposent pas à leur sort injuste. 13 Toutefois ce manque de défense de la part des femmes dans leur propre cause n’est pas montré par Dame Droiture comme signe d’indifférence ou d’impuissance, mais comme simple destin. Car ce sera justement la tâche de Christine de riposter aux calomniateurs du sexe féminin. 14 Dans sa polémique contre le genre féminin, Angélique a recours au topos de la passivité qui, dans ce passage, n’est pas considérée comme vertu, mais comme vice. Il est vrai que Marie de Gournay évoque dans son traité Egalité des hommes et des femmes, publié de manière autonome en 1622, la faiblesse du sexe féminin. 15 Mais contrairement à Angélique, de Gournay ne blâme pas les femmes de ce trait. Elle critique plutôt la mesquinerie et la vanité des diffamateurs misogynes. La manière impétueuse avec laquelle Angélique exprime son dédain envers son propre sexe semble confirmer sa présentation parodique et effrénée. Comme nous le verrons dans la suite, ce ton burlesque envers Angélique et Isabelle traverse toute la pièce. D’ailleurs, Marie de Gournay a également été la cible de la moquerie misogyne, comme c’est le cas des deux protagonistes de la Fille sçavante. Dans le Grief des dames (1626), par exemple, de Gournay évoque le sarcasme envers sa personne et les femmes lettrées en général. 16 Il se peut que l’auteur anonyme de la Fille sçavante se soit inspiré, entre autres, de Marie de Gournay pour le personnage d’Angélique. Cette scène n’est pas la seule où Angélique blâme son propre sexe. Dans la Scène de la consultation, elle condamne également l’attitude du personnage d’Arlequin, incarnant le topos de la veuve débauchée, désireuse de se marier à un homme plus jeune et de déshériter ses propres enfants des biens de son mari défunt. 107 Arts & Lettres La diatribe contre le mariage s’élargit de ce fait de la couche bourgeoise, à la couche noble par l’introduction du personnage de la veuve Arlequin. Si Angélique méprise le côté bourgeois du mariage, 17 en incarnant par son amour du savoir la femme précieuse des salons érudits du XVII e et du XVIII e siècles, l’hyménée de la noblesse n’est pas épargné. En évoquant l’amour courtois des cours féodales au Moyen Age et en annonçant la coutume du cicisbeo dans la noblesse italienne du XVIII e siècle, le mariage d’Arlequin représente les mœurs corrompues: J’ai joué, j’ai fait des parties, j’ai écrit des billets, j’ai couru le bal, j’ai donné des rendezvous, j’ai fait des voyages, j’ai vu des hommes tant que bon m’a semblé, jamais monsieur de la Duppardiere n’y a trouvé à redire. Oh c’étoit un vrai homme pour une femme.18 Le mari cocu et, comme l’indique son nom suggestif, dupe des vices de sa femme, est tourné en ridicule ainsi que la débauche et la prodigalité de son épouse. Le personnage d’Arlequin est critiqué par deux dramatis personae: premièrement par le valet Pierrot qui blâme la fausseté des femmes. 19 Deuxièmement, par Angélique qui dénonce les traits de cupidité d’Arlequin, en voulant enlever l’héritage à ses enfants: Allez mere dénaturée, vous cacher pour jamais. Pierrot, ma sœur, quelqu’un, venez me délivrer d’une menagere si abominable.20 Ces critiques de la veuve Arlequin rappellent également les charivaris qui avaient lieu dans les villes et les campagnes pour tourner en ridicule un remariage, déviant des coutumes habituelles. Comme l’indique Sara F. Matthews Grieco, le charivari avait une fonction moralisatrice, c’était „le moyen de contrôle populaire, collectif et ritualisé de l’institution du mariage“. 21 Les relations prénuptiales d’une veuve, ou le remariage d’une femme à un homme de condition sociale inférieure - en vue de l’autonomie financière et professionnelle de la femme - étaient des comportements transgressant les normes établies. Ces deux critères non conformes aux coutumes en vigueurs se retrouvent chez Arlequin. Comme le constate Angélique, Arlequin veut épouser un jeune homme „pour l’engager à un joyeuse reconnoissance“, 22 en donnant à son époux une partie de ses biens. Dans Scène de la consultation, Angélique avance également un autre argument contre le mariage: la grossesse. Ce point est un topos qui remonte au temps des trobairitz, nous pensons par exemple à la tenso Na Carenza al bél còrs avenenz du XIII e siècle. Cette tenso représente un dialogue entre deux sœurs, Na Carenza et Alaisina Yselda, qui porte sur le mariage et la grossesse. Alaisina voudrait bien se marier, mais elle préfère ne pas avoir d’enfants: que far filhons non cuit que sia bos / e sens marit mi par tròp angoissós.23 Les raisons pour lesquelles Alaisina refuse d’avoir des enfants, sont d’ordre esthétique: ses seins tomberont et son ventre sera ridé et laid. 108 Arts & Lettres Na Carenza, penre marit m’agença / mas far infanz cuit qu’es gran penitença, que las tetinas pendon aval jos / e lo ventrilh es rüat e’nojós.24 Cette vision burlesque de la maternité est plus décente dans La Fille sçavante, mais nous trouvons la même représentation négative. Lorsque Arlequin évoque ses dix-sept grossesses, dont le nombre exagéré a certainement un aspect caricatural, Angélique s’écrie: „L’horrible fonction! “. 25 Angélique manifeste son dédain vis-à-vis de la grossesse également dans une deuxième réplique. A la question d’Arlequin de savoir si la procréation ne lui donne „point quelque peu d’appetit pour la nôce“, Angélique répond: „ Non, je vous assure. Cela m’en donneroit plûtôt de l’horreur.“ 26 Nous voudrions ajouter que la maternité est également utilisée comme argument misogame dans l’œuvre de Nicole Estienne. L’auteur ne développe pas ce point, mais elle le mentionne vers la fin de son ouvrage: Je laisse maintenant l’incroyable tristesse / Que ceste pauvre femme endure en sa grossesse Le danger où elle est durant l’enfantement / La charge des enfants si penible & fascheuse. Combien pour son mary elle se rend soigneuse / Dont elle ne reçoit pour loyer que tourment.27 Si Angélique condamne vivement le mariage, sa sœur Isabelle se démontre au début de la pièce moins récalcitrante. Le caractère antagoniste des deux sœurs ne se manifeste pas seulement par leurs intérêts antinomiques - la vie contemplative d’Angélique en tant que femme lettrée et la vie active d’Isabelle en tant que femme guerrière - mais il s’exprime également dans leur position envers la vie conjugale. Leur attitude envers l’hyménée est diamétralement opposée. Alors qu’Angélique refuse le mariage, la virago Isabelle en est favorable, en expliquant que „(…) quelque charmante que soit la guerre avec cela il faut encore se marier“. 28 Isabelle incarne de ce fait un personnage paradoxal: malgré ses inclinations belliqueuses, elle ne s’oppose pas à une vie traditionnelle et bourgeoise, symbolisée par l’hyménée. Pour Isabelle, la vie conjugale est signe de raison „puisque tout le monde se marie“. 29 Comparée au discours misogame d’Angélique, l’argumentation d’Isabelle est peu élaborée, ce que démontre la réponse de la première, car „tout le monde s’en repent“ de s’être marié. 30 Nous verrons qu’au cours de la pièce, les caractères d’Angélique et d’Isabelle seront renversés. Alors qu’au début de la pièce, Isabelle ne faisait pas preuve de traits belliqueux, elle se transforme ensuite en amazone. Dégoûtée de la mollesse de son sexe, Isabelle veut s’enrôler dans la guerre. (…) sachez, mon pere, que la molesse & l’oisiveté des femmes m’ont donné une telle aversion de mon sexe, que ne le pouvant changer, je tâche du moins de le déguiser par mes habits & par mes actions.31 Comme sa sœur, Isabelle reproche au sexe féminin la faiblesse et l’indolence, mais dans son argumentation, Isabelle est encore plus radicale. Son aspect extérieur, signe de sa féminité, n’est pas négligé, comme c’est le cas chez Angélique. 109 Arts & Lettres Isabelle désire la négation complète de son genre, en le camouflant sous un uniforme. Ce changement dans la conception envers son propre sexe comporte également un changement d’attitude envers le mariage. Quoi je passerois, comme les autres femmes, les deux tiers de ma vie devant un miroir? Je serois, toujours occupée d’enfans, de nourrices, de meubles, de juppes, de dentelle, de fichus, de parfums, & de toutes les drogues qui font la félicité, ou pour parler plus juste, la misere de nôtre sexe? Non, non, mon pere, non, j’ai l’ame plus élevée. Je ne blesse les hommes qu’à bons coups de pistolets. Je ne porte d’odeurs que celles de ma réputation et de peur de me mésallier, je n’épouserois jamais que la gloire des grandes actions.32 On peut se poser la question de savoir si ces deux répliques d’Isabelle ne font pas allusion aux mémoires de Madame de la Guette qui ont été publiés en 1681 à La Haye. Dans un passage de son roman, l’écrivaine, qui tient à souligner son caractère belliqueux, 33 se prononce ouvertement contre la faiblesse du sexe féminin. Cette critique n’est cependant pas liée à une attitude misogame. (…) cette fermeté d’âme qui m’était si naturelle et qui me fait même avoir de l’aversion pour celles de mon sexe qui ont trop de mollesse. En effet, j’ai toujours été d’une humeur plus portée à la guerre qu’aux exercices tranquilles de mettre les poules à couver et de filer la quenouille, quoique l’on dise qu’une femme ne doit savoir que cela.34 La proximité chronologique et thématique entre la pièce La Fille sçavante et les mémoires de La Guette pourraient témoigner d’une relation intertextuelle, même si en France, l’œuvre de Catherine de la Guette n’a pas connu un énorme succès et que les mémoires ont été uniquement publiées à La Haye. L’expression „misere de nôtre sexe“, utilisée dans la réplique d’Isabelle, pourrait très bien faire allusion à l’œuvre de Nicole d’Estienne, dont nous avons parlé plus haut. L’emphase de l’honneur, exprimée par Isabelle, ainsi que son refus des choses vaines et futiles - les jupes, les dentelles etc. - rappellent également deux autres œuvres: l’une est la tragi-comédie Bradamante (1582) de Garnier, l’autre est l’épopée Roland furieux. Ces deux ouvrages évoquent les femmes guerrières Marphise et Bradamante. Dans la Bradamante de Garnier, la héroïne éponyme exprime dans un soliloque son dédain envers son prétendant Léon, fils de l’empereur grec. Bradamante énumère les éléments caractéristiques de la vie guerrière qui font partie de son statut de virago. Elle blâme ensuite tout ce qui appartient à une vie oisive, négligeant l’engagement politique aux forces des armes. Le sueur du harnois est nostre commun baume. / Les combats, les assauts sont l’esbat du royaume. Les cuiraces d’acier, les armets bien fourbis, / Les brassarts, les cuissots sont nos [soulginé par l’auteur] riches habits. (…) Or vienne ce musqué [Léon], qui ne feit jamais rien / Et qui n’est renommé que pour l’Empire sien: A son dam apprendra qu’il n’est point de vaillance / Qu’on doive comparer à la valeur de France.35 110 Arts & Lettres Dans le discours de Bradamante, le terme „musqué“ incarne l’inaction contrairement à l’expression „sueur“, désignant les valeureux guerriers français. Isabelle reprend le personnage du „musqué“ entre autre par le „parfum & (…) toutes les drogues qui font la félicité“. Le mariage est de ce fait montré par Isabelle comme assujettissement de la femme, puisqu’il désigne la passivité féminine, tant reprochée par Angélique et Isabelle. Et pour Bradamante et pour Isabelle la vie militaire manifeste avec „la gloire des grandes actions“ l’accomplissement et le but de leurs existences. Le désir de réaliser ce telos et d’acquérir une renommée dans la vie militaire se trouve également dans le personnage de Marphise dans l’œuvre ariostéenne. On la nommait la vierge Marfisa; / Telle était sa valeur qu’avec l’épée Plus d’une fois elle avait fait suer / Les grands esigneurs de Blaye et Montauban; Le jour, la nuit, elle allait tout armée, / Cherchant de par les monts, de par les plaines, A rencontrer des chevaliers errants / Pour rendre illustre et immortel son sang.36 Isabelle démontre de ce fait des traits comparables aux femmes guerrières - la Marphise ariostéenne, ainsi que la Bradamante de Garnier. Nous verrons cependant dans la suite, que l’aspiration à la gloire, démontrée comme positive dans le Roland furieux, ainsi que dans la Bradamante de Garnier, n’est pas jugée de la même façon dans La Fille sçavante. II. La dérision de la femme savante et de la femme guerrière La dérision de la précieuse ainsi que de la guerrière s’inscrit dans le contexte de la Querelle des femmes. L’exagération de ces traits non-conformistes - l’amour pour la guerre et pour les sciences - figure comme source de parodie et représente en même temps le changement de la position des protagonistes par rapport au mariage. Comme nous l’avons vu dans le cas d’Isabelle, la décision de dédier sa vie aux armes a également provoqué un changement dans sa conception de l’hyménée. De défenseur du mariage, Isabelle s’est transformée en ennemi de l’institution conjugale. La parodie de la précieuse a cependant l’effet contraire sur le personnage d’Angélique. Dans la dernière scène de la pièce - La scène du Professeur d’amour - Arlequin incarne le personnage éponyme, le „Professeur d’amour“, qui blâme l’intérêt intellectuel d’Angélique ainsi que sa misogamie. Grâce à ses critiques, la précieuse est „guérie“ de sa fièvre studieuse et de sa misandrie. Ce dernier lui fait comprendre l’importance de la beauté et de l’ornement féminins, choses qu’elle considérait auparavant comme vaines et futiles. 37 Angélique qui à l’inverse de son homonyme du Roland furieux, avait négligé son apparence physique, devient la proie de la vanité. Arlequin la convainc de se mettre de beaux habilles et la conseille de la façon suivante: Arléquin: N’oubliez pas un colier, des bracelets, beaucoup de rubans de couleur. Angélique: Sans vanité, j’en ai des passables. 111 Arts & Lettres Arléquin: Il faut avec cela quelques mouches. Angélique: Fi, l’horrible chose! Arléquin: Croyez conseil. Mettez-en seulement sept ou huit. Les mouches n’offensent pas la bienséance, quand on en use moderément.38 L’exagération du soins de l’aspect extérieur met en évidence l’élément caricatural de cette scène: Angélique passe de la négligence de sa personne à l’affectation. Cette scène évoque également d’une façon ironique la tradition des traités sur la vie conjugale qui blâmaient l’usage d’ornement et de cosmétiques chez les femmes. La Civil Conversazione (1579) de Stefano Guazzo en est un exemple. 39 Les concepts misogames et misandres, 40 dont Angélique témoignait dès le début de la pièce, sont également convertis en leur opposé. Alors qu’Isabelle s’adonne à la guerre, Angélique décide de faire ce qu’elle méprisait au début de la pièce: Elle se marie et choisit comme époux Arlequin. Ce changement drastique d’Angélique de femme savante en femme amoureuse, est bien évidemment tourné en ridicule. La comédie finit avec la morale suivante, prononcée par Angélique: A ce que je voy, la vraye science d’une femme, c’est d’être belle; l’étude & les livres ne servent qu’à la rendre insupportable.41 Cette morale nous semble assez conforme au caractère qu’Angélique incarne dans le Roland furieux. Elle y est peinte comme vaniteuse et comme objet de désire des chevaliers errants. Quant au personnage d’Isabelle, elle est ridiculisée dans sa tentative d’échapper à sa condition féminine par la gloire militaire. L’exagération de ses traits belliqueux la rend proche du miles gloriosus. Dans une scène, Isabelle démontre sa „prouesse“ par l’excès d’alcool, ce que lui donne un aspect plutôt burlesque que valeureux. Monsieur Arc-en-Ciel, dont le fils Octave devrait épouser Isabelle, la dépeint comme „rude buveuse“. 42 Il n’est pas sans intérêt pour la conception du mariage de La Fille sçavante de noter que l’intégrité d’Octave est mise en question par son propre père. En effet, Octave est l’amant de la veuve débauchée, incarnée par Arlequin dans la Scène de la consultation. Octave est un garnement qui n’a ni raison ni conduite; il s’est amouraché depuis peu d’une veuve qui a déjà des enfans mariés. Le coquin! 43 Le désir de Tortillon de marier sa fille à un homme vicieux discrédite la conception du mariage. Les défauts d’Ocatve ne se limitent d’ailleurs pas à la luxure, son père le désigne également comme „fanfaron“. 44 Octave n’apparaît pas sur scène, mais il nous semble que son personnage est superposé à l’aspect vantard d’Isabelle qui incarne le topos du matamore. La représentation d’Isabelle en soldat n’est de ce fait pas considérée comme signe de vertu, mais comme déguisement carnavalesque. Lorsqu’Isabelle apparaît sur scène, habillée en uniforme, son père s’exclame: „Ma mie tu commences le carnaval de bonne heure; car il me semble que les masques courent guères pendant le Printemps“. 45 112 Arts & Lettres A l’image moqueuse de la femme guerrière s’ajoute la notion de la folie. Le comportement de l’héroïne - louée quelques répliques auparavant par son père comme „mouton (…) qui se fait un plaisir de m’obéir, & de suivre“ 46 - heurte la bienséance. A la fin de la Scène de l’enroullement, le père d’Isabelle remarque dans un à parte: Dieu me le pardonne, la cadette [Isabelle] est encore plus malade que l’aînée [Angélique].47 Cette représentation bouffonne d’Isabelle renforce la parodie sur la femme guerrière, déjà présente dans les pièces italiennes du XVI e et du XVII e siècles, comme par exemple dans l’Angelica (1582) de Fabrition de Fornaris, dans l’Olimpia (1590) de Giambattista Della Porta, ainsi que dans Lo Schiavetto (1612) de Giovan Battista Andreini. Dans cette dernière comédie, le personnage d’Isabelle incarne également une femme guerrière. Contrairement aux premières deux œuvres, la dérision de la femme guerrière dans Lo Schiavetto, ainsi que dans La Fille sçavante n’est pas uniquement liée au genre dramatique de la comédie. Selon Cioranescu, ce persiflage correspond également à l’esprit du XVII e siècle. Mais, à l’époque de Madame de Sévigné, le temps est révolu, où Montaigne préférait Bradamante à Angélique; malgré le grand nombre d’héroïnes du même type qu’avaient inventées les auteurs des poèmes épiques, cette sorte de personnage ne tarda pas à sembler ridicule.48 En outre, le lien intertextuel entre La Fille sçavante et les deux comédies de Molière - Les précieuses ridicules de 1660, ainsi que Les femmes savantes, représentée pour la première fois en 1672 - prouve cette affirmation de Cioranescu. La parodie sur la femme qui se donne l’air intellectuel sans vraiment l’être est dans ces trois pièces du XVII e siècle la cible de la moquerie. Dans ces trois comédies, la femme prend la place du faux savant de la commedia erudita et du docteur de la commedia dell’arte. La Fille sçavante élargit en plus le dépassement de la condition féminine par l’ambition militaire, une tentative qui est également brocardée par le rapprochement d’Isabelle du personnage du fanfaron. Le jugement de Montaigne sur la vertu de la femme virile semble de ce fait dépassé. Dans le chapitre xxvi De l’institution des enfants de ses Essays, Montaigne explique sa prédilection de la Bradamante ariostéenne envers la beauté d’une femme affectée comme Angélique par le mauvais choix de Pâris. En optant pour Vénus, lors de l’éléction de la déesse la plus belle, Pâris provoqua la guerre de Troie. Et quand il [le disciple] commencera de se sentir, lui présentant Bradamante ou Angélique pour maîtresse à jouir, et d’une beauté naïve, active, généreuse, non hommasse, mais virile, au prix d’une beauté molle, affétée, délicate, artificielle; l’une travestie en garçon, coiffée d’un morion luisant, l’autre vêtue en garce, coiffée d’un attifet emperlé; il jugera mâle son amour même, s’il choisit tout diversement à cet effeminé pasteur de Phrygie.49 Comme dans le passage cité auparavant de la Bradamante de Garnier, 50 la femme guerrière illustre pour Montaigne la vertu. 51 Il est certainement vrai que la référence de Montaigne à Bradamante témoigne d’une image positive de la femme 113 Arts & Lettres guerrière au XVI e siècle. Cependant il ne faut pas oublier que la dérision de ce personnage littéraire ne commence pas à la fin du XVII e siècle, mais qu’elle existait déjà avant, comme le démontrent entre autres les pièces de Della Porta et de De Fornaris. Nous pouvons donc dire en concluant que La Fille sçavante représente un fort intérêt pour la Querelle des femmes, ainsi que pour la Querelle du mariage. Cette pièce se place dans la longue tradition des discours misogynes et misogames, qui représentent dès l’Antiquité, l’institution du mariage, ainsi que l’image de la mariée comme croix pénible. 52 En outre, La Fille sçavante joue avec l’image de la femme guerrière et de la femme savante, en unissant ces représentations aux propos misogames. Certes, les personnages masculins subissent également une représentation parodique, comme par exemple Monsieur Tortillon, en incarnant la cupidité et l’ignorance de la petite bourgeoisie, ainsi que Octavian, qui symbolise la débauche et l’immoralité. Toutefois, ces drammatis personae ne se trouvent pas dans le centre de la trame. Ils servent plutôt aux spectateurs (masculins) comme mauvais exemples, car tous deux se trouvent dans une position inférieure par rapport aux femmes, avec lesquelles ils entretiennent des rapports familiaux ou amoureux. L’inculture de l’un et la dépendance financière de l’autre, placent Monsieur Tortillon et Octavian dans une situation défavorable. Quant au personnage du „professeur d’amour“, incarné par Arlequin, il souligne en premier lieu l’ingénuité des femmes et renforce de ce fait le côté misogyne de la pièce. Les tentatives d’Angélique et d’Isabelle de sortir de leur condition sont tournées en ridicules. Isabelle représente la vantardise et la grossièreté des femmes hommasses. Son image rappelle en outre le personnage du miles gloriosus. Elle n’accomplit aucun geste de prouesse, mais disparaît de la scène, peu après son enrôlement. Elle est déclassée par conséquent comme simple chimère. La punition d’Isabelle consiste dans la suppression de son existence. La comédie française qui adapte seulement au XVII e siècle l’image de la femme guerrière, situe la virago entre le personnage du fanfaron et du fou / de la folle. Le premier trait rappelle la commedia dell’arte, ainsi que la commedia erudita, le deuxième évoque entre autres l’épopée La Marfisa bizarra de Giovan Battista Dragoncino, publiée en 1531. L’héroïne éponyme de l’œuvre de Dragoncino perd sa raison à cause d’un amour malheureux, une ressemblance faisant allusion au destin du chevalier Roland dans l’épopée ariostéenne. La femme guerrière Marphise est dépeinte dans l’ouvrage de Dragoncino comme un personnage chimérique qui se situe entre le fantasme et la folie. Angélique est châtiée, comme sa sœur, par le biais de la moquerie. Mais contrairement à Isabelle, elle ne disparaît pas de la scène. Comme nous l’avons vu, elle se marie à Arlequin. Cet hyménée a à notre avis deux fonctions. Premièrement, il restitue l’ordre de la société, en remettant la protagoniste à sa place: Angélique quitte la bibliothèque pour s’occuper du foyer conjugal. Deuxièmement, le mariage avec Arlequin, encore plus qu’un rétablissement de l’ordre, est une punition de la protagoniste. Celle qui se croyait si perspicace à ne 114 Arts & Lettres pas tomber dans le piège d’un libertin, 53 devient vers la fin de la comédie si crédule, qu’elle fait confiance au personnage diabolique de la Commedia dell’Arte. Si l’image de la femme savante et de la femme guerrière est tournée en ridicule, il faut également constater que le mariage est critiqué de la même façon. L’hyménée entre Angélique et Arlequin, représentant la fin ironique de la pièce, ainsi que les arguments misogames, prononcés par les différents dramatis personae, nous semblent être une prise de position claire contre les noces. Cette représentation négative du mariage est renforcée par l’universalité des arguments misogames: la Fille sçavante regroupe des propos contre l’hyménée prononcés par des femmes, ainsi que par des hommes. Une scène intéressante à cet égard est la Scène de l’Enrollement qui met en parallèle des discours misogames manifestés par les deux sexes. Dans cette scène, plusieurs épouses paient Isabelle, incarnant le capitaine d’une armée, pour qu’elle ne donne pas de congés à leurs maris pendant qu’ils sont en guerre: Eschalotte [tambour]: Voilà la femme de ce fripier qui a fait enrôler son mari. (…) Elle vous apporte vingt pistoles, pour ne lui pas donner son congé. Isabelle: Encore trois femmes comme celle-là; je mettrai ma foi ma compagnie à cent hommes.54 Dans la même scène, quelques répliques plus tard, Monsieur Arc-en-Ciel confie son malheur conjugal à Isabelle: Isabelle: (…) combien y a-t-il que tu es marié? L’Arc-en-Ciel: Trop pour mes pechez! Isabelle: Ta femme a la mine d’être un peu diablesse, oui? L’Arc-en-Ciel: Tout l’enfer ensemble n’est pas si méchant.55 Le mariage est de ce fait montré comme un fléau universel qui châtie les deux sexes. Cependant les femmes ne sont pas dépeintes comme victimes. Cela est étonnant, car ce sont justement les arguments, prononcés du côté féminin, qui sont non seulement plus nombreux, mais également plus élaborés que ceux des hommes. La force de persuasion du logos féminin est cependant anéantie par le moyen de plusieurs éléments: la Scene de l’Enrollement montre d’un côté que le vrai souffredouleur du mariage sont les maris, délivrés à la guerre par leurs épouses „diablesses“. En outre, la dérision des personnages féminins - Angélique, Isabelle, ainsi que Arlequin en tant que veuve - annihile l’élément compatissant de leurs plaintes. Elles sont de ce fait représentées comme figures extravagants et burlesques. Si La Fille sçavante s’éloigne de ce fait du ton de l’œuvre de Nicole Estienne sur la misère féminine, la pièce semble toutefois confirmer la position infortunée de la femme, dépeinte dans l’ouvrage d’Estienne. Il n’existe aucune évasion du foyer conjugal qui en outre est représenté sous une lumière assez négative. Le personnage d’Isabelle semble montrer qu’il n’existe aucune fuite de la condition féminine, sauf la non-existence, c’est-à-dire la mort. Les domaines masculins - les armes et les sciences - restent infranchissables aux femmes et ne représentent de ce fait pas un dépassement de leur statut établi. 115 Arts & Lettres Le véhément réveil de la diatribe misogyne et misogame - en France, présente depuis le XIV e siècle avec l’ascension du clergé - demande peut-être quelques éclaircissements. Pourquoi une époque, qui a connu la participation des femmes aux mouvements importants - comme la guerre des religions et la Fronde - montre-t-elle une réaction si négative concernant le changement des rôles du genre? S’agit-il justement d’un mouvement contraire à une telle „progression“ de la condition féminine? Il est tout à fait probable que la misogynie soit liée à une crise du pouvoir. Comme l’indiquent les études de Pierre Ronzeaud, la monarchie absolue sous le règne de Louis XIV a connu un certain affaiblissement qui s’exprimait par une peur continuelle de séditions. 56 Le XVII e siècle a été bouleversé par plusieurs révoltes contre le pouvoir monarchique - la Fronde, à laquelle participèrent également des aristocrates comme la „Grande Mademoiselle“ n’est qu’un exemple. Peu de temps avant la représentation de la Fille sçavante, ont été publiées deux œuvres, prédisant une insurrection du peuple, dont la conséquence serait la fin de la monarchie: Le vrai intérêt des Princes Chrétiens (1686) et L’Histoire de la décadence de la France prouvée par sa conduite (1687). En 1690, l’année de la mise en scène de la Fille sçavante, le sujet de l’insurrection du peuple fut repris par Le Noble dans son œuvre La pierre de touche politique, ainsi que dans l’ouvrage anonyme Le véritable tableau de la France attaquée par les puissances, sous le règne de Louis XIV, avec les présages de sa fin. Tout en laissant la question ouverte, si cette peur latente d’un renversement du pouvoir politique était justifiée ou un topos littéraire, il semble qu’elle ne se référa pas uniquement au peuple en général, mais qu’elle fut également provoquée par la peur du sexe féminin. Ronzeaud suggère un possible lien entre le renforcement de la misogynie et l’angoisse croissante de l’insurrection du pouvoir patriarcal. Cette menace devait être empêchée par l’accentuation de la loi salique. 57 Ainsi Bossuet insère-t-il dans son œuvre Politique tirée des propres paroles de l’Ecriture Sainte, tout un chapitre sur l’exclusion des femmes du pouvoir politique. Selon Bossuet, le rôle inférieur que la femme occupe dans le mariage écarte toute position dominante dans les affaires d’états. 58 Ce faisant, il se range dans la langue tradition de la défense de la loi salique, qui n’était pas seulement appuyée par le pouvoir ecclésiastique, mais également par les juristes. 59 La peur du peuple commun s’unit avec la misogynie par l’opinion répandue, que ces deux groupes n’appartiennent pas au monde raisonnable, mais bien à une catégorie, où dominent les émotions et les sensations. Cette idée crée une image paradoxale de ces deux groupes sociaux. D’un part, ils sont considérés comme une force démoniaque et incontrôlable - Jean de Marconville définit les présumées capacités magiques des femmes comme „vénéfiques“. 60 De même lors des Révoltes des Camisards (1702-1705), les couches sociales inférieurs sont décrites par le maréchal de camp Villars comme „canaille furieuse, fanatique et remplie de prophétesses“, 61 justement à cause de leur capacité latente de se soulever. D’autre part, c’est exactement cette incapacité de se soumettre au raisonnement - nous renvoyons à la notice dans le Dictionnaire de l’Académie d’Antoine Furetière, 116 Arts & Lettres concernant le mot „crédulité“ 62 - qui facilite la domination du peuple dans le sens élargi, 63 et des femmes dans le sens plus étroits. L’ignorance, dans laquelle doivent rester le peuple 64 et les femmes, est précisément la conditio sine qua non de la suprématie patriarcale des couches supérieures. Cela se manifeste également dans le monologue d’Arnolphe dans la pièce Ecole des femmes (1662) de Molière. 65 L’écrivain Paus Hay du Chastelets tire de ce fait la conclusion logique d’un rapport analogue entre la domination du peuple et la domination des femmes: Le Roy a une puissance absolue et souveraine dans son royaume, comme le père de famille dans sa maison.66 Comme l’indique Ronzeaud, la représentation misogyne de la femme comme intellectuellement et physiquement inférieure à l’homme semble toujours liée à une peur de l’insurrection féminine. Le renversement des rôles des genres se trouve, sous forme philogyne, par exemple dans la lettre dédicatoire de la Gallerie des Femmes Fortes (1647) de Le Moyne, adressée à Anne d’Autriche. Selon l’auteur, la reine pourrait faire fléchir n’importe quelle loi - aussi dure soit-elle - grâce à sa finesse. 67 Pourrait-il s’agir d’une allusion à la loi salique? Selon Le Moyne, la première souveraineté n’était pas masculine, mais féminine. 68 Cette vision reflète également le mythe répandu du pouvoir „occulte“ des femmes, un pouvoir qui ne se définit pas par la raison et par la légitimation, mais bien par les sensations et par les émotions. 69 Et c’est justement la grâce de ce pouvoir occulte qui soumet le peuple „qui obeït plus par le sens que par la raison“ 70 - ce qui renforce encore une fois le lien entre ces deux groupes. Toutefois même les hommes raisonnables ne sont pas insensibles à ce pouvoir occulte des femmes. La comédie La coquette et la fausse prude (1687) de Michel Boyron, dit Baron, met en scène cette influence indirecte des femmes sur le pouvoir symbolique, dominé par le côté masculin. 71 Il est d’autant plus frappant, que la cible de cette comédie fût Madame Maintenon, qui croyait justement de se reconnaître dans le personnage de la fausse prude. La comédie de Baron montre de ce fait l’ampleur de la crainte d’une prise de pouvoir par les femmes, si cette peur était également représentée dans des œuvres littéraires et satiriques. Il nous semble que l’intention de La coquette et la fausse prude n’est pas seulement l’amusement du public, mais également une mise en garde d’une menace tout à fait imminente. Le côté inouï d’une telle usurpation du pouvoir par les femmes s’explique entre autres, par l’opposition dialectique entre homme / femme, seigneur / esclave, transcendance / immanence - une opposition qui ne doit pas être franchie. 72 Si la comédie La coquette et la fausse prude met en scène des „manœuvres“ stéréotypés d’une possible prise de pouvoir par les femmes - manœuvres, qui incitent obligatoirement la critique des représentants du système patriarcal - la pièce la Fille sçavante dépeint une transgression encore plus prononcée des normes établies. Les personnages de l’amazone et de la précieuse manifestent un péril immédiat de la sphère symbolique du pouvoir patriarcal. Au XVII e siècle, ces deux personnages ne représentaient pas seulement une utopie littéraire, mais égale- 117 Arts & Lettres ment une réalité tout à fait tangible. Nous pensons par exemple à Marie de Scudéry, ainsi qu’à Gabrielle de Suchon comme exemples des femmes lettrées. Anne Marie Louise d’Orléans et Alberte-Barbe de Saint-Baslemont, dont le comportement belliqueux ont fait date, représentent les viragos de la vie réelle. Les références de la Fille sçavante à cette réalité concrète pourraient de ce fait expliquer la misogynie de cette pièce. La mise en péril du pouvoir patriarcal par la précieuse et par l’amazone signifiait par conséquent également une menace de l’institution conjugale, car le pouvoir du souverain était mis sur le même plan que le pouvoir du pater familias. La destitution du monarque symbolise de ce fait également le renversement comique des rôles des genres dans la vie conjugale. Dans la Fille sçavante, ce renversement est justement évoqué par le topos du monde à l’envers. Malgré la représentation parodique de l’hyménée et du renversement des rôles des genres, la pièce la Fille sçavante manifeste quand même la constance et la légitimité du mariage. Aussi comique et ridicule que cette représentation de l’hyménée puisse sembler, l’institution du mariage a malgré toute sa raison d’être et n’est pas vraiment mise en question. Il faut bien tenir compte du fait que l’hymen entre Angélique et Arlequin renforce le modèle traditionnel des rôles des genres. Ainsi peuton conclure avec les mots de Pierre Ronzeaud, qui décrivent aussi bien l’image du peuple au XVII e siècle, ainsi que celle des femmes et de l’institution du mariage. Mais espérée ou redoutée, la révolte générale du peuple de France n’aura pas lieu, et son exhibition textuelle a plus une valeur polémique qu’un sens politique véritable, à une époque où, si l’„impensé“ de tous trahit une véritable peur du peuple, raison et expérience s’associent pour dénier toute efficacité aux séditions uniquement populaires.73 1 Voir Françoise Borin, „Arrêt sur image“, in: Histoire des femmes en Occident, sous la direction de George Duby et Michelle Perrot, Paris, Plon, 1991, vol. 3, 228-243. 2 Le texte de cette pièce anonyme se trouve in Le Théâtre italien ou le Recueil de toutes les comédies et scènes françoises qui ont été jouées sur le Théâtre italien par la troupe des comédiens du Roy de l’hôtel de Bourgogne à Paris, Paris, Brisson, 1741, tome III, 49-112. 3 Bien entendu, le nom Isabelle n’est pas seulement lié au personnage de l’épopée du Roland Furieux. Il se réfère en outre à la grande comédienne Isabella Andreini. Celle-ci s’est également inspirée de l’épopée ariostéenne, lorsqu’elle composa sa pièce La Pazzia d’Isabella, représentée pour la première fois en 1589. Le personnage d’Isabelle apparaît également dans beaucoup de pièces de la Commedia dell’Arte, où elle incarne le rôle de la „prima donna innamorata“. 4 „La Fille sçavante“, op.cit., 49. 5 Ibid., 50. 6 „Ah, (…) l’étrange machine qu’une fille! Si on la tient de court, elle s’échappe. A-t-elle de la liberté, elle en abuse. La veut-on marier, la voilà religieuse. Qu’un galand-homme la recherche, elle se rend la proye d’un faquin. Toujours gâtée de son mérite; jamais traitable sur ses défauts: se figurant sur tout, qu’un peu de jeunesse répare à coup sûr & sa naissance & sa fortune. Enfin vous diriez que la tête d’une fille est le rendez-vous de l’impertinence, du caprice, & des contre-temps.“ Ibid., 50-51. 7 Ibid., 56. 118 Arts & Lettres 8 Nous utilisons la forme au féminin, proposé par la SIEFAR (Société Internationale pour l’Etude des Femmes de l’Ancien Régime). http: / / www.siefar.org/ Mots-feminins.html. 9 „ Les animaux qui vivent sur la terre / Ou bien vivent tranquill’ et sont en paix, / Ou, s’il leur prend de se faire la guerre, / Le mâle à la femelle ne la fait: / L’ourse avec l’ours erre paisible au bois; / La lionne auprès du lion se vautre et gît; / La louve avec le loup vit sans malice, / Et du taureau n’a point peur la génisse. / / Quelle Furie, ah! quelle affreuse peste, / S’en est venue troubler les cœurs humains? / (…) / / C’est non point seul un grand mal, ce me semble, / Mais c’est contre nature, à Dieu rebelle,/ Que d’en venir à frapper un visage / De jolie femme ou lui rompre un cheveu. / Et cil qui l’empoisonne ou chasse l’âme / A l’aide d’un lacet ou d’un couteau / Je ne crois pas qu’il soit homme normal, / Mais, sous des traits humains, être infernal.“ Ludovico Ariosto, Le Roland furieux, Paris, Editions du Seuil, 2000, chant V, 1-3. 10 Ibid., 57. 11 L’Arioste ne critique pas la faiblesse des femmes, mais plutôt l’ignorance ainsi que la malveillance des poètes qui font passer sous silence les capacités des femmes dans les domaines, considérés typiquement masculins. Ludovico Ariosto, op.cit., XX, 2. 12 „Estant le tems venu, Mademoiselle, que les severs loix des hommes n’empeschent plus les femmes de s’appliquer aus sciences & disciplines: il me semble que celles qui ont la commodité, doivent employer cette honneste liberté que nostre sexe ha autrefois tant desiree, à icelles apprendre: & montrer aus hommes le tort qu’ils nous faisoient en nous privant du bien & de l’honneur que nous en pouvoit venir.“ Louise Labé, „A.M.C.D.B.L“, in: Œuvres de Louïze Labé, Lyon, J. de Tournes, 1556, 3. 13 „Je m’étonne donc que tant d’excellentes femmes, si savantes, si cultivées, et qui furent des modèles d’éloquence dans tant de si beaux livres, aient toléré jusqu’à aujourd’hui que les hommes disent toutes ces horreurs contre elles sans les reprendre. Car elles savaient bien que ce n’étaient que mensonges“.Christine de Pisan, Le livre de la Cité des Dames, Eric Hicks/ Thérèse Moreau (eds.), Paris, Stock / Moyen Age, 1992, II, 53, 209. 14 „D’après tout ce que je t’ai dit jusqu’ici à la louange de ces femmes remarquables, il est clair qu’elles ont appliqué toute leur intelligence à divers ouvrages, fort différents les uns des autres, puisqu’elles n’ont pas toutes traité le même sujet. C’est toi qui étais destinées à bâtir cette Cité et non pas elles. En effet, pour faire estimer les femmes aux gens intelligents et de bonne foi, leurs œuvres étaient suffisantes, sans qu’il y eût besoin d’en écrire d’autres. Mais quant à tout ce temps qui s’est écoulé avant que l’on ne confonde leurs accusateurs et ces mauvaises langues, je te dis que chaque chose vient en temps et en heure au regard de l’éternité.“ Ibid., loc.cit. 15 „Qui croira cependant, que ceux qui se veulent relever et fortifier de la foiblesse d’autruy, doibvent pretendre, de pouvoir se relever ou se fortifier de leur propre force? Et le bon est, qu’ils pensent estre quittes de leur effronterie à vilipender le sexe feminin, usans d’une effronterie pareille à se louer ou plustost à se dorer d’euxmesmes (…)“ Marie de Gournay, „Egalité des hommes et des femmes“, in: Idem, Œuvres complètes, sous la direction de Jean-Claude Arnould, Paris, Honoré-Champion, 2002, tome I, 966-967. Nous voudrions ajouter à cet égard que l’argument de la passivité féminine a également été utilisé par certaines femmes lettrées en leur faveur. Ainsi la comédienne Isabella Andreini utilisa-t-elle dans sa lettre dédicatoire au Duc de Savoie, Carlo Emanuele, l’image de la femme, dédiée à ses besognes domestiques, justement pour se distinguer d’un tel mode de vie. „(…) & essendo per avventura questo desiderio di sapere nato in me più ardente, che in molt’altre donne dell’età nostra, lequali come che scuoprano in virtù de gli studi molte, e molte esser divenute celebri, & immortali, nondimeno vogliono solamente atten- 119 Arts & Lettres der ( e ciò sia detto con pace di quelle, che à più alti, & à più gloriosi pensieri hqnno la mente rivolta ) all’ago, alla conochia, & all’arcolaio (…)“. Isabella Andreini, „Al Serenissimo Don Carl Emanuele Duci di Savoia“, in: Idem, Lettere, Venetia, presso Giovan Battista Combi, 1617, sans numérotation des pages. 16 „Mais afin de taire pour ce coup les autres griefs de ce sexe; de quelle injuste façon est-il ordinairement traicté, je vous prie, aux conferances, autant qu’il s’y mesle? Et suis si peu, ou pour mieux dire si fort glorieuse, que je ne crains pas d’advouer que je le sçay de ma propre experience.“ Marie de Gournay, „Grief des dames“, in: Idem, op.cit., 1075. 17 „(…) je hais votre argent, je hais la noce, je hais les hommes, je hais l’attirail du ménage: tout m’en rebute, tout m’en effraye, tout m’en fait horreur. L’étude au contraire, n’a pour moi que des charmes. Adieu mon pere, je vous quitte pour aller faire une experience de mathematique.“ „La Fille sçavante“, op.cit., 60. 18 Ibid., 71. 19 „Le trompeur animal qu’une femme! Je croyois, ma foi, que cette carogne-là pleuroit son mary“, ibid., 69. 20 Ibid., 74. 21 Sara F. Matthews Grieco, „Corps, apparence et sexualité“, in: G. Duby/ M. Perrot, Histoire des Femmes en Occident, Paris, Plon, 1991, 86. 22 „La Fille sçavante“, op.cit., 73. 23 Cité d’après Angelica Rieger, Trobairitz. Der Beitrag der Frau in der altokzitanischen höfischen Lyrik, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 1991, 155. 24 Ibid., 156. 25 „La Fille sçavante“, op.cit., 72. 26 Ibid., loc.cit. 27 Nicole Estienne, Les misères de la femme mariée, où se peuvent voir les peines et tourmens qu’elle reçoit durant sa vie, Paris, chez Pierre Menier, ca.1600, sans numération des pages. 28 „La Fille sçavante“, op.cit., 62. 29 Ibid., 63. 30 Ibid., loc.cit. 31 Ibid., 82. 32 Ibid., 84. 33 „J’avoue que je n’avais point plus de satisfaction que lorsque je tenais le fleuret en main. En exerçant ce métier avec mon maître, le poignet me devint assez ferme.“ Madame de La Guette, Mémoires de Madame de La Guette. 1613-1676 écrits par elle-même, (Den Haag, 1681), Micheline Cuénin (ed.), Paris, Mercure de France, 1982, 48. 34 Ibid., 64. 35 Robert Garnier, „La Bradamante“, in: Bradamante, Les Juifves, Marcel Hervier (ed.), Paris, Bordas, 1991, acte III, scène 6. 36 Ludovico Ariosto, op.cit., vol. I, chant XVIII, 99. 37 „Voilà le desespoir d’une folle, qui ne prend conseil que de son miroir: qui passe les jours entiers à sa toilette, & qui laisse les beautés de l’ame en friche, pour cultiver celle du corps avec idolatrie.“ „La Fille sçavante“, op.cit., 63. 38 Ibid., 107. 39 „Dobbiamo anco credere che dispiacciano a Dio, alterando l’imagine sua, e agli uomini, cercando d’ingannarli, e non conosco io persona di buon gusto a cui non aggradino più le maniere schiette che le artificiose; e doverebbono pure questi volti smaltati, calcinati e porporati, ravvedersi delle beffe che si fanno gli uomini in disparte delle loro sconcie bel- 120 Arts & Lettres lezze.“ Nous devons également penser qu’elles [les femmes qui se maquillent] déplaisent à Dieu, en altérant leur image, ainsi qu’aux hommes, en essayant de les tromper, et je ne connais point des personnes de bon goût qui ne préfèrent pas les façons pures à celles qui sont artificielles; et pourtant ces visages d’émail, calcinés et pourprés devraient bien se rendre compte que les hommes se moquent en cachette de leurs beautés obscènes. [Traduction de notre main], Stefano Guazzo, La civil conversazione, Amedeo Quondam (ed.), Ferrara, Franco Cosimo Paninini Editore, 1993, 184-185. 40 Avant de recevoir Arléquin, le professeur d’amour, Angélique s’exclame: „Quelque antipathie que j’aye pour les hommes (…)“. „La Fille sçavante“, op.cit., 99. 41 Ibid., 112. 42 Ibid., 93. 43 Ibid., 78. 44 Ibid., 80. 45 Ibid., 81. 46 Ibid., 80. 47 Ibid., 83. 48 Cioranescu, L’Arioste en France. Des origines à la fin du XVIII e siècle., Paris, Les Editions des Presses modernes, 1939, vol. II, 79. 49 Michel de Montaigne, „De l’institution des enfants“, in: Essais, (1580), Paris, Pocket Classiques, 1998, livre I, chapitre xxvi, 84-85. 50 Robert Garnier, op.cit., acte III, scène 6. 51 Comme nous l’avons vu, cette conviction est parodiée dans La Fille sçavante. Contrairement à l’héroïsme de la Bradamante de Garnier, la diatribe d’Isabelle contre le luxe relève plutôt des rodomontades, que de l’audace. 52 Nous pensons par exemple à l’Ars amatoria ovidienne, dont l’auteur évoque - en antithèse avec l’homme vertueux - le topos de la femme débauchée („Parcior in nobis nec tam furiosa libido: legitum finem flamma virilis habet.“) „Ars Amatoria“, in: Ovide, Ecrits érotiques, Paris, Actes Sud, 2003, I, 281-282), de la femme avide („(…) invenit artem / Femina, qua cupidi carpat amantis opes.“ Ibid., I, 417-418), ainsi que de la femme inconstante („Ludite, si saptiis, solas impune puellas: / Hac magis est una fraude pudenda fides. / Fallite fallentes: ex magna parte profanum / Sunt genus: in laequos, quos posuere, cadant.“ Ibid., I, 643-644). Le mariage y est dépeint comme une dispute éternelle („Lite fugent nuptaeque viro nuptasque mariti / Inque vicem credant res sibi semper agi, / Ho decet uxores: dos est uxoria lites; / Audiat optatos semper amica sonos.“ Ibid., II, 153-155. 53 „Angélique: N’y a-t-il pas que la solitude qui puisse garantir notre sexe de l’importunité des hommes? Ah, le maudit état que celui d’une fille! A chaque pas, à chaque moment, se voir exposée aux fades & langoureux discours d’un tas d’étourdis, qui n’ont que l’amour pour étude, & l’oisiveté pour emploi! Quand le malheur veut qu’on soit abordée par ces sortes de gens, vous n’entendez auprès de vous qu’un ramage de soupirs, une grêle de plaintes: Ma chere, mon aimable, ma reine, est-il possible que ma douleur… Quoi? ma perseverance & ma tendresse… Ah, si jamais mon martyre… Et puis on soupoudre toutes ces sottises d’un peu de desespoir; & voilà les hameçons où se prennent la plûpart des filles, qui sont assez sottes pour prêter l’oreille aux bagatelles. Quant à moi, je suis si rebutée de la fadaise; j’ai une telle horreur de l’amour, & une si forte aversion pour les hommes, que jamais… Non jamais…“, „La Fille sçavante“, op.cit., 97-98. 54 Ibid., 88. 55 Ibid., 89. 121 Arts & Lettres 56 Pierre Ronzeaud, Peuple et représentations sous le règne de Louis XIV. Les représentations du peuple dans la littérature politique en France sous le règne de Louis XIV, Aixen-Provence, Publications / Diffusion, 1988, 196. 57 „Et pourtant elle [l’hypothèse d’un pouvoir féminin] fut envisagée sur le plan théorique dans les lourds traités juridiques et politiques, à l’occasion des justifications de la loi salique qui, par leur accumulation et leur renouvellement, parachèvent au XVII e siècle l’exclusion féminine du trône tout en trahissant la crainte fondamentale d’une subversion de l’ordre masculin.“ Pierre Ronzeaud, „La femme au pouvoir ou le monde à l’envers“, in: XVII e Siècle, Paris, publiée par la Société d’Etude du XVII e Siècle, 1975, N° 108, 9. 58 „XI. Proposition: ‘C’est un nouvel avantage d’exclure les femmes de la succession’: Par les trois raisons alleguées [1. la monarchie est le gouvernement le plus naturel qui se perpétue de lui-même, 2. le prince qui travaille pour son état travaille pour sa famille, 3. dignité de la maison qui règne: le peuple s’attache à cette maison], il est visible que les royaumes hereditaires sont les plus fermes. Au reste le peuple de Dieu n’admettoit pas à la succession, le sexe qui est né pour obéïr; & la dignité des maisons regnantes ne paroissoit pas assez soûtenüe en la personne d’une femme, qui après tout étoit obligée de se faire un maître en se mariant. Où les filles succedent, les royaumes ne sortent pas seulement des maisons regnantes; mais de toute la nation: or il est bien convenable que le chef d’un état ne luy soit pas étranger (…).“ Jacques Bénigne Bossuet, Politique tirée des propres paroles de l’Ecriture Sainte à Mgr le dauphin, Paris, P. Cot, 1709, livre II, 75. 59 Pierre Ronzeaud mentionne deux des principaux juristes, Guillaum du Var et Pierre Ayrauld, qui considèrent le patriarcat comme ordre naturel et légitime. Pierre Ronzeaud, „La femme au pouvoir ou le monde à l’envers“, op.cit., 14, note de bas de page 25. 60 Jean de Marconville, De la bonté et mauvaistié, Paris, J. Dallier, 1564, 68r°-69v°, cité d’après Linda Timmermans, L’accès de la femme à la culture (1598-1715). Un débat d’idées de Saint François de Sales à la Marquise de Lambert, Paris, Honoré Champion, 1993, 24. 61 Pierre Ronzeaud, Peuple et représentations sous le règne de Louis XIV. Les représentations du peuple dans la littérature politique en France sous le règne de Louis XIV, op.cit., 128. 62 „Qui croit facilement et de léger. Les enfants, les femmes, les peuples sont crédules, ont l’esprit crédule.“ Antoine Furetière, Dictionnaire de l’Académie, (1694), cité d’après Pierre Ronzeaud, Peuple et représentations sous le règne de Louis XIV. Les représentations du peuple dans la littérature politique en France sous le règne de Louis XIV, op.cit., 129. 63 „Les peuples sur qui nous régnons, ne pouvant pénétrer le fond des choses, règlent d’ordinaire leur jugement sur ce qu’ils voient au dehors, et c’est le plus souvent sur les préséances et les rangs qu’il s mesurent leur respect et leur obéissance.“ Louis XIV, Mémoires, (écrit entre 1661-1668) cité d’après Pierre Ronzeaud, Ibid., 133. 64 „Les efforts d’éducation constatés ça et là au XVII e siècle, ou bien ne visent que des classes aisées, ou bien n’ont en vue que le recrutement du clergé, avec quelques exceptions et quelques désirs de ‘promotion’ par l’instruction dans la France du Nord. Il est nécessaire que le peuple soit ignorant [souligné par l’auteur.]». Pierre Goubert, L’Ancien Régime, Paris, A. Colin, 1979, t. I, 245, cité d’après Pierre Ronzeaud, Ibid., 133. 65 „Je ne puis faire mieux que d’en faire ma femme. / Ainsi que je voudrai je tournerai cette âme / Comme un morceau de cire entre mes mains elle est. / Et je lui puis donner la forme qui me plaît.(…)/ Toute personne simple aux leçons est docile; / Et si du bon chemin on l’a fait écarter, Deux mots incontinent l’y peuvent rejeter. / Mais une femme habile est bien une autre bête, Notre sort ne dépend que de sa seule tête / De ce qu’elle s’y met rien ne la fait gauchir, Et nos enseignements ne font là que blanchir; / Son bel esprit lui 122 Arts & Lettres sert à railler nos maximes.“ Molière, L’Ecole des femmes (1662), éd. Par Eugène Despois et Paul Mesnard, Paris, Hachette, 1876, acte III, scène 3. Linda Timmermans décrit la peur de la femme lettrée dans son excellente œuvre L’accès des femmes à la culture (1598-1715). Un débat des idées de Saint François de Sales à la Marquise de Lambert, Paris, Honoré-Champion, 1993, 25 sq. 66 Hay du Chastelet, Traité de la Politique de France, 1677, 19, cité d’après Pierre Ronzeaud, „La femme au pouvoir ou le monde à l’envers“, op.cit., 15. 67 Pierre Le Moyne, La Gallerie des Femmes Fortes, (1647), Paris, chez Gabriel Quinet, 1663, sans numérotation des pages. Dans son œuvre De l’égalité des deux sexes, discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire des préjugés, Poullain de la Barre traite également de la grâce et de la beauté innées des femmes, qui les rendent les vraies souveraines. De l’égalité des deux sexes, discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire des préjugés, Paris, J. Du Puis, (1673), 1676, 182. 68 „Nous sçavons l’Histoire de la premiere domination que le Monde a veuë, & sçavons par consequent, que ce furent les Graces qui apprivoiserent la fiereté des premiers hommes; qui leur mirent le joug sur la teste; qui leur firent aymer la servitude & les chaisnes.“ Ibid. Pour une meilleure compréhension du texte, nous avons distingué les lettres „u“, „v“, „i“ et „j“. 69 „Ainsi existe-t-il deux pouvoirs, paradoxaux. L’un réel, solitaire et symbolique, s’exprimant au nom de principes, social, apanage du père et donc des hommes; l’autre, socialement inexistant, concret, affectif, erratique et sans règles, illogique et caché: le pouvoir occulte et sexuel des femmes.“ Michelle Coquillat, „Femmes, Pouvoir, Influence“, in: Femmes de pouvoir: mythes et fantasmes, Paris, L’Harmattan, 2001, 26. 70 Hay du Chastelet, op.cit., 16. 71 La quatrième scène du premier acte représente le pouvoir occulte féminin: „Ses [Céphise, la tante de la protagoniste Cidalise] deshors affectez, ses discours eternels de morale & de vertu, son déchaînement contre touts les plaisirs, dont elle sçait gouster jusqu’aux moindres delicatesses, luy donnent un empire absolu sur l’esprit de Monsieur votre oncle“. Baron, La coquette et la fausse prude, comédie en cinq actes, Paris, T. Guillain, 1687, acte I, scène iv, Marton. 72 „Car, s’il est illégitime, le pouvoir occulte a la réputation de se mettre facilement hors la loi, par un simple système d’évidence et de logique perverse. C’est donc plutôt par une maîtresse ou par un favori que l’être de pouvoir légitime est apparemment manipulé: ils sont déjà dans l’illégitime et dans l’illégitimité de la chair, circonstance, nous l’avons vu, aggravante puisqu’elle éloigne le pouvoir du symbolique, elle l’assujettit à la sexualité dont, précisément, il a pour mission d’être dépourvu.“ Michelle Coquillat, op.cit., 21. 73 Pierre Ronzeaud, op.cit., 196. Resümee: Valentina Denzel, Die Querelle du mariage und die Querelle des femmes im anonymen Theaterstück La Fille sçavante (1690). In diesem Artikel untersuchen wir die Darstellung der Querelle des femmes und der Querelle du mariage im Zusammenhang mit dem anonymen Theaterstück La fille sçavante (1690). Die zwei Protagonistinnen, Angélique und Isabelle, verkörpern zum einen die weibliche Gelehrte, welche die Ehe verabscheut, zum anderen die kampflustige Amazone. Beide tragen abwechselnd Argumente für und gegen die Ehe vor, in denen zum Teil auch ein gewisser Männerhass hervortritt. Ihre subtile Argumentationsweise wird jedoch durch die parodistische Darstellung der beiden un-weiblichen Figuren entkräftigt. Das Stück stellt den Mann als den wahren Leidtragenden der Ehe-Institution dar, die am Schluss der Komödie nicht nur als notwendiges Übel beschrieben wird, sondern auch als Mittel, die patriarchalische Gesellschaftsordnung zu erhalten