eJournals lendemains 35/138-139

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2010
35138-139

Progrès/retards des objectifs du Millénaire en matière de développement

2010
Alain Bienaymé
ldm35138-1390114
114 Dossier Alain Bienaymé Progrès/ retards des objectifs du Millénaire en matière de développement 1 Une question essentielle concentre l’attention aujourd’hui: celle des moyens pertinents et efficaces de réduire la pauvreté dans les pays en développement. Elle engage quatre axes de réflexion: - Le bilan de réalisation des OMD à mi-parcours d’ici l’échéance de 2015 incite à recommander que tous les efforts soient déployés pour en accélérer la mise en œuvre. - Le rôle des Etats africains doit être significativement renforcé. - Les avantages de l’économie de proximité sont méconnus et doivent être valorisés. - L’entrepreneuriat doit être encouragé. I. Les OMD: bilan et perspectives Les huit objectifs reconnus comme prioritaires sont le fruit d’un consensus international qui a été consacré par un accord auquel quelque 180 pays ont apposé leur signature en 2000. Ces objectifs ont plusieurs caractéristiques qui en font tout le mérite: ils sont concrets; ils soulignent que le développement a d’abord pour fin la satisfaction des besoins essentiels de tout être humain; ils sont complémentaires et générateurs de synergies; ils sont assortis de cibles précises et d’indicateurs permettant d’en suivre la réalisation ainsi que d’une échéance finale fixée à l’année 2015; enfin chaque pays reste libre de choisir la stratégie qui lui paraît le mieux convenir à la réalisation des OMD. Le bilan fondé sur les statistiques collectées à mi-parcours a concerné le Mali et plus généralement l’Afrique sub-saharienne. Il a été présenté sans complaisance. Il en est ressorti des progrès inégaux selon les objectifs, ce qui est difficilement évitable. Mais il accuse aussi des retards plus marqués qui imposent de renforcer les actions concernant au Mali respectivement la protection de la santé des mères, la réduction du taux de malnutrition et du taux de pauvreté. Le rapport Ramsès 2010 que l’Institut Français des Relations Internationales vient de publier indique que les Maliens disposent en moyenne d’environ trois dollars par jour, ont une espérance de vie de 54 ans; le taux d’alphabétisation des femmes y est de 18% (34% chez les hommes). Quatorze habitants sur cent bénéficieraient de l’électricité. La question s’est évidemment posée de savoir s’il convient de revenir sur les ambitions initiales exprimées en 2000 et de réviser en baisse les OMD ou au contraire de mettre les bouchées doubles pour rattraper les retards signalés. 115 Dossier Il est vrai que le contexte international dans lequel se déroule la poursuite des OMD a singulièrement changé depuis 2000. La crise financière sans précédent que subissent les pays occidentaux pourrait tenter certains esprits de réviser en baisse ces objectifs. Cette crise dont l’une des origines est imputable au défaut de vigilance des Etats concernés, n’est pas finie. Les remèdes que les mêmes Etats lui apportent remplacent un encours considérable de dettes privées par le gonflement non moins considérable des dettes publiques. Celles-ci prennent des proportions qui menacent la conjoncture des cinq prochaines années. Leurs modalités de résorption font régner un climat d’incertitude sur l’économie mondiale (taux de change, volume des aides au développement et des remises des travailleurs migrants, déséquilibres budgétaires, etc.). D’ores et déjà, la charge de la dette publique des principaux pays approche de 100% du PIB: ce qui signifie que, à un taux d’intérêt de 5%, les intérêts versés représentent environ le double du surplus de PIB engendré par la croissance anticipée des nations concernées. L’ouverture des pays à la concurrence internationale a bouleversé la donne concernant les proportions relatives du travail et du capital. La main-d’œuvre augmente chaque année de plusieurs dizaines de millions de travailleurs dans le monde. Cette tendance n’a pas manqué de retentir sur les rémunérations respectives des facteurs de production, comme sur l’emploi et le chômage ainsi que sur le déroulement de la crise économique de 2008-2009 dans les économies avancées. En arrière-plan de la crise financière et des aspects classiques de la crise économique, un certain modèle de gouvernance des entreprises capitalistes se trouve remis en question. Il est en effet trop exclusivement centré sur la satisfaction des intérêts à court terme de ceux des actionnaires qui ne s’investissent pas durablement dans les firmes de leur choix. La crise révèle avec force les aspirations de la société à une gestion moins unilatéralement actionnariale des entreprises, plus particulièrement des plus grandes d’entre elles. Ce qui est en jeu à cet égard concerne un meilleur respect pour les „ressources humaines“ et un plus grand souci de concertation avec les partenaires. La transformation des méthodes de gouvernance et de management sera délicate à opérer. Enfin et surtout, le développement appelle un autre regard que celui de sa traduction en un seul chiffre - le taux de croissance du PIB. A ce sujet, on remarquera que le mot français „richesse“ et sa traduction en anglais „wealth“, ne dégagent pas les mêmes connotations; la richesse vient de la langue franque (rik, reich) et évoque la puissance avant d’évoluer vers la fortune patrimoniale et vers le PIB qui en est à la source. Il est tentant de voir dans son équivalent anglais une probable contraction de well et health. L’acception anglaise correspond mieux à cet autre regard sur le développement dont le choix des OMD est le reflet. Ces différences méritaient d’être soulignées dans une époque qui remet en cause la nature, l’intensité et l’évolution des liens entre le taux de croissance du PIB et le bien-être des populations concernées. Les politiques de développement doivent enfin reconnaître la nécessité que les actions à entreprendre pour préserver les intérêts des 116 Dossier générations à venir en termes de protection de la nature soient soutenables en termes d’équité sociale pour les générations présentes. Dans ces conditions, à la question de savoir s’il fallait accélérer les progrès dans la voie des OMD et du renforcement du partenariat mondial pour le développement plutôt que de battre en retraite, il a été clairement et fermement répondu par l’affirmative. Le directeur du CEDIMES - Bamako s’est appuyé sur les remarquables progrès accomplis au Malawi, en Tanzanie, au Sénégal et les a attribués à la détermination de leurs dirigeants africains et à l’aide efficace de la communauté internationale. Il a insisté sur la nécessité pour les pouvoirs publics de manifester leur volonté politique en ce sens. Ce de différentes manières: en améliorant la collecte de l’impôt, en accroissant la part des recettes publiques dans le PIB de manière à renforcer la contribution du secteur privé à la réalisation des OMD et en accordant à leur réalisation la toute première priorité. Il a été rappelé que les engagements pris à Monterrey en 2007 par les pays développés de porter l’aide totale à 0,7% de leurs PIB ne sont toujours pas tenus, sauf quelques exceptions. Une baisse des niveaux d’aide serait de nature à mettre en cause les progrès obtenus. Un meilleur management du partenariat devrait rendre les aides plus efficaces en les orientant vers les cibles déterminées par les gouvernements africains grâce à une meilleure planification budgétaire. Le signataire de ce rapport rappelle que les grandes difficultés financières dans lesquelles se débattent les Etats américains et européens limiteront probablement leurs contributions; ce qui devrait pousser les Etats de l’Afrique subsaharienne à s’unir afin d’élargir l’éventail des aides à obtenir du côté des pays émergents et des groupes multinationaux présents sur leurs territoires. II. Les Etats africains: des faiblesses auxquelles il faut remédier A la suite de la révolution keynésienne, les économies de marché du monde industriel se sont efforcées de corriger les imperfections et les défaillances des marchés par un renforcement du rôle de l’Etat et du secteur public. La doctrine dominante établissait une comparaison entre les marchés imparfaits et les interventions supposées parfaites de l’autorité publique, jugée a priori compétente, honnête et impartiale. Cette mode intellectuelle régressa à partir des années 1980 pour resurgir à la faveur de la crise actuelle. L’expérience montre qu’un juste équilibre entre un secteur privé dynamique et un Etat fort doit être trouvé pour conduire le développement d’un pays. Car, paradoxalement, plus le poids économique de l’Etat augmente dans le PIB, plus ses ressources et ses dépenses dépendent de la conjoncture générale et du bon vouloir des marchés financiers. S’agissant de l’Afrique, le colloque a ouvert une piste de réflexion sur „la souveraineté des Etats faibles“. L’Etat africain, si tant est qu’on puisse en parler au singulier, reste relativement faible par comparaison avec les Etats occidentaux. 117 Dossier Plusieurs faiblesses ont été relevées. Faiblesse de l’appareil statistique, cet outil indispensable pour orienter efficacement les actions publiques. Précarité des recettes publiques qui sont vulnérables par rapport aux fluctuations de prix et des exportations de matières premières. Comptent au nom de ces handicaps les difficultés que rencontrent les Etats bénéficiaires des rentes minières, pétrolières et gazières à les affecter au développement de leur pays, au bien-être de leur population. Citons encore la faible légitimité et le déficit de considération entourant les Etats dont les dirigeants n’ont pas su se comporter en arbitres impartiaux, tout simplement parce que les qualités requises pour exercer le pouvoir ne sont pas exactement celles dont ils ont éventuellement fait preuve lors de sa conquête. Il leur manque un solide sens de l’intérêt général et de la solidarité sociale. Ce débat sur l’autorité des Etats souverains se déroule dans un contexte géopolitique mondial qui a profondément changé depuis leur accession à indépendance. Les relations eurafricaines ont évolué et se sont quelque peu relâchées depuis l’avènement du Marché Commun européen et l’ouverture des marchés. Elles se sont certes renforcées de nouveau grâce à la conclusion du partenariat stratégique conclu en 2007.Pour autant et comme il est normal, les pays africains ont diversifié leurs relations internationales en s’ouvrant aux échanges et à la coopération notamment avec les pays du Sud. Or, leurs relations se déploient en ordre dispersé. La „conquête“ de l’Afrique par la Chine illustre d’un exemple, mais non le seul, la faiblesse des Etats africains qui manquent des ressources nécessaires pour se permettre ce luxe d’agir indépendamment les uns des autres. Il est résulté de ce constat un plaidoyer pour que, à l’invitation de l’Union Africaine, les Etats sub-sahariens intègrent fortement leurs diplomaties et leurs économies. Une intégration qui devrait déboucher sur une souveraineté certes partagée mais globalement renforcée. Ainsi, avant que n’advienne cette République Fédérale de la Terre qu’un intervenant appela de ses vœux tout en en pronostiquant la naissance dans …500 ans, une recommandation majeure a été proposée: que les pays concernés regroupent leurs atouts, leurs compétences, leurs moyens d’influence et d’action selon un modèle qui doit leur être propre. L’enjeu d’un tel accord entre Africains est tout simplement de ne pas se laisser évincer de la recherche des opportunités ni voler son avenir. Il est de gérer avec plus de rigueur les budgets publics, de ne pas laisser rogner la souveraineté des Etats par le gonflement des dépenses inutiles et des dettes en découlant. III. Des avantages de la proximité à redécouvrir et à revaloriser La mobilisation des structures institutionnelles et productives resterait un slogan bien abstrait si l’on ne voyait pas derrière ces entités des hommes et des femmes qu’il faut motiver pour les mobiliser au service de la réduction de la pauvreté. Mais un chef n’entraîne pas ses partenaires seulement en vantant la rationalité économique de ses choix. Encore faut-il que les animateurs et les dirigeants fassent 118 Dossier comprendre et admettre leurs décisions par tous ceux dont le concours est nécessaire à leur bonne exécution. Une décision absolument rationnelle reste inefficace et inefficiente si elle incomprise, et/ ou si elle est récusée par tout ou partie des partenaires coopérants. Ce constat suggère que la recherche de compromis s’impose parfois aux dépens d’une rationalité absolue; ce peut être le prix à consentir si l’on veut progresser efficacement sur la voie choisie. Tout l’art du décideur est de trouver le bon dosage entre les trois ingrédients d’une décision efficace. Nous renvoyons sur ce point à la rationalité procédurale d’Herbert Simon. Dans cet esprit, l’exaltation des bienfaits des économies d’échelle et de la mondialisation et l’illusion créée par le slogan du village planétaire ont longtemps éclipsé les avantages du développement par la „base“, à la périphérie: un développement fondé sur la proximité, la promotion des initiatives locales. Ces avantages fort utiles pour amorcer un processus qui tarde à s’enclencher sont de plusieurs ordres. La proximité géographique et culturelle dont des territoires transfrontaliers peuvent notamment profiter met en contact des populations travaillant à la réalisation d’objectifs concrets. Ce avec des informations de première main, directement vérifiables et compréhensibles. Les initiatives lancées au plan local peuvent ensuite mieux exploiter les ressources du site en vue de satisfaire des besoins locaux sur des marchés à échelle humaine. Des marchés locaux du travail peuvent alors se créer et inciter les parents à envoyer leurs enfants s’instruire à l’école, plutôt qu’à les faire travailler sur l’exploitation familiale. Enfin, les marchés ne fonctionnent pas de manière optimale sans confiance entre leurs différents acteurs; la répétition des transactions à intervalles courts permet aux acteurs de mieux se connaître. Le micro-crédit, semble-t-il moins répandu en Afrique qu’en Asie et en Amérique Latine, se fonde sur ces avantages de la proximité. Toutefois, son bon fonctionnement suppose qu’un minimum de conditions soit respecté pour assurer la viabilité du système. Il ne s’agit bien entendu ici que d’une première étape d’un processus de développement. Celui-ci exigera par la suite une maîtrise croissante de la complexité et de l’abstraction des outils de gouvernance et de management tels que la comptabilité, l’approche commerciale de clients éloignés, la sophistication des matériels d’équipement. Mais cette première étape recouvre les multiples sources du long fleuve qui anime et parcourt le développement d’un pays. Le couple individu et/ ou famille - village est la cellule clé de la phase initiale. Les organisations paysannes et artisanales ont un grand rôle à jouer, ne serait-ce que pour mobiliser les talents et faciliter l’apprentissage de pratiques plus efficaces. Plus généralement la mobilisation recherchée exige une plus forte implication des collectivités locales, une coopération systématique des autorités publiques et des universités, le renforcement du rôle du secteur privé et un investissement massif dans la formation des enseignants des classes des écoles primaires. 119 Dossier IV. Un entrepreneuriat à encourager Le colloque de Bamako a évoqué l’entreprise par les deux bouts. Celui de la très petite entreprise, par exemple l’exploitation agricole familiale qui est un acteur central du développement local. Celui de la grande entreprise. Deux écueils menacent cette dernière. Le danger, devenu patent de nos jours, d’être asservie aux seuls intérêts de ceux des actionnaires qui, ne s’investissant pas durablement dans leur affaire, sont uniquement animés par l’appât du dividende et de la plus-value vite gagnée. Le danger d’un écart grandissant entre la structure formelle d’organisation et la réalité. Cette évolution discordante est à l’origine de bien des dysfonctionnements et des conflits. Elle révèle que trop d’individus tentent de s’attribuer des pouvoirs sans en assumer les responsabilités correspondantes. Il en résulte que la bureaucratie de la très grande entreprise la rend peu à peu indifférente aux aspirations des partenaires qui la font vivre: fournisseurs et sous - traitants, clients, employés et collectivité locales des sites d’implantation. Quand et comment former les jeunes à l’esprit et à la création d’entreprises? Ce thème a fait l’objet d’enquêtes qui s’en tiennent malheureusement au stade des aspirations. Combien de jeunes étudiants qui manifestent aujourd’hui le désir de créer leur entreprise ou d’y prendre des responsabilités importantes persévèrerontils dans leur projet? Pour notre part, nous pensons que les entrepreneurs autodidactes, et il y en a, méritent aussi l’attention; que mener une entreprise exige autant de caractère que de connaissances; que l’appétit d’entreprendre est indissociable d’un goût du risque, lequel n’est pas donné à tout le monde. En outre et surtout, les entreprises africaines de demain auront besoin non seulement de comptables, de commerciaux et de gestionnaires, mais d’ingénieurs et de techniciens dans de nombreuses spécialités impliquant la connaissance des métaux, des moteurs, des composants chimiques, de l’électricité et de l’électronique, du béton, de la conservation des aliments, etc. Enfin, les formations au management en Afrique posent, selon l’avis du signataire de ce rapport, une question qui n’a pas été abordée en profondeur faute de temps. En effet, les techniques du management occidental et pour être plus précis, à l’américaine, semblent aller aux antipodes d’une culture africaine qui a ses particularités et ses richesses. La temporalité imposée par la trésorerie, l’équilibre du compte d’exploitation, la nécessité d’être compétitif à l’échéance de quelques années impose des disciplines dont la rigueur s’est accrue ces derniers temps. La sécheresse des comptes, la technicité et l’opacité des rapports d’activité des grands groupes, la froideur des relations humaines, voire l’incommunication des personnes paraissent incompatibles avec certains des traits de la culture que nous avons pu observer au Mali avec l’ensemble de nos collègues africains. Le développement selon le modèle dominant exige-t-il que les acteurs se plient aux mêmes disciplines imposées par les calendriers, les échéances, la régularité des rendez-vous, la planification des décisions? Implique-t-il le refroidissement des rela- 120 Dossier tions entre individus, l’effritement des solidarités ancestrales? Cette question mériterait d’être sérieusement étudiée. L’économiste européen sort de l’expérience de ce colloque si riche avec une impression: celle de la complexité croissante des affaires du monde, des intérêts à concilier. Il en tire aussi la conclusion que s’agissant du développement conçu comme un fleuve, ses sources méritent autant d’attention que son cours et son estuaire. 1 Le colloque Mobilisation des structures productives et institutionnelles et dépassement des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) mesurant les progrès/ retards des objectifs du Millénaire en matière de développement a été organisé 26-28 octobre 2009 par le Professeur Issa Sacko, directeur du CEDIMES - Mali, en partenariat avec le réseau CEDIMES du Cameroun, du Congo, de Madagascar et l’Institut CEDIMES de Paris (France) à l’Université de Bamako. Ce texte constitue une synthèse intéressante, dans laquelle pourrait s’insérer l’économie des médias. Cette manifestation a rassemblé 200 participants appartenant à 10 nationalités différentes, dont trois Ministres et le responsable du PNUD. Elle a fait l’objet de 50 communications dont 4 thèmes principaux successivement exposés donneront lieu à des débats dans les séances plénières inaugurale et terminale et dans les ateliers. Ils seront successivement exposés.