eJournals lendemains 35/138-139

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Narr Verlag Tübingen
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2010
35138-139

Partage des savoirs avec l’Afrique

2010
Annie Lenoble-Bart
ldm35138-1390105
105 Dossier 4. Débats épistémologiques et perspectives Annie Lenoble-Bart Partage des savoirs avec l’Afrique 1 Pour introduire une table ronde sur un thème aussi vaste, le choix a été fait de poser quelques questions qui semblent résumer l’essentiel de certaines données factuelles. L’esprit général nous est fourni par un extrait de la préface de notre dernier livre: „les rédacteurs (…) démontrent que la fécondité de la coopération entre chercheurs français et africains peut être autre chose qu’un lieu commun pour conférence internationale“. 2 Nous tenons donc à revenir sur le fait qu’au-delà des discours officiels sur les occasions que les technologies de l’information offrent à l’Afrique pour entrer de plain-pied dans le III e millénaire et sa pléthore d’informations, il semble important de se pencher sur la réalité des partages de savoirs entre continents, tout particulièrement avec ceux qui sont avides d’avoir accès à l’intégralité de la Culture, sous tous ses aspects. Petit retour sur les définitions Le partage scientifique a toujours été un de nos objectifs depuis que nous avons enseigné en Afrique, assuré la direction de travaux d’Africains et dirigé des programmes de recherches sur l’Afrique. 3 Cette collaboration est d’ailleurs devenue nécessaire dans le montage de projets, forcément internationaux. Ce partage suppose une préoccupation d’instaurer une base égalitaire (contre les „échanges inégaux“), une humilité et une curiosité propres aux scientifiques. La question linguistique s’impose d’elle-même dès que les modalités pratiques sont envisagées mais le continent africain a des élites qui peuvent être des „passeurs“ tout trouvés tant les langues internationales leur sont familières. La co-construction est ainsi possible: „une problématique n’est pas forcément stable. Elle est elle-même issue d’un ensemble de circonstances dans lesquelles l’histoire de la situation a son importance. La problématique essentielle est émergente. La dynamique propre de toute situation de communication fait apparaître une succession de problèmes à résoudre par l’échange“. 4 De la confrontation naît un discours sans doute plus proche de la réalité, moins stéréotypé, qui donc a plus de chances d’être reçu et réapproprié. Plus difficile est de définir les savoirs, surtout pour un continent comme l’Afrique où l’on prend davantage en compte d’autres dimensions qu’en Europe. Quelques exemples: si, en France, le senior a souvent été dévalorisé dans les entreprises, 5 106 Dossier le vieil Africain (le mzee de l’Afrique de l’Est) est celui qui a accumulé un capital d’expériences et, de ce fait, devient incontournable pour toute décision à prendre. La formule, bien connue, d’Hampaté Ba („un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle“) résume l’état d’esprit… Dans la même veine, les „tradipraticiens“ sont souvent mieux considérés en Afrique que dans les pays du Nord. D’une façon plus générale, les savoirs oraux (avec un poids bien plus lourd des savoirs ruraux - coutumiers 6 ) doivent entrer dans les savoirs africains alors qu’au Nord on a tendance à se focaliser sur les écrits, sur la ville. Cette distorsion pose, en complément, la question de la transmission, inséparable de la notion de partage. Mais les données interculturelles, l’altérité intellectuelle sont biaisées, à l’heure actuelle, par la mondialisation des moyens de communication (médias) et donc de la diffusion des savoirs. On se targue d’être entré dans une société du savoir mais on pourrait discuter de ce que cela veut dire concrètement… La mondialisation, dimension désormais incontournable Les médias africains y sont rentrés de plain-pied grâce tout d’abord au développement des réseaux nationaux et internationaux. Ce phénomène n’épargne aucun type de média et le succès extraordinaire et planétaire du téléphone portable accentue encore le phénomène. Ainsi, en Afrique, par l’abonnement aux nouvelles par SMS, on sait, de plus en plus, ce qui se passe à l’autre bout de la planète, en temps réel, le bouche à oreille continuant à répandre les informations (non sans les déformer parfois). Les raisons en sont à la fois économiques, politiques, linguistiques, et culturelles, mais toutes s’insèrent dans une globalisation des sources de l’information et de la nécessité d’étendre le rayon d’influence (les grandes agences internationales et les multinationales cherchent sans cesse à élargir leur champ d’action). Le recours de plus en plus fréquent à Internet et aux nouvelles technologies est un second aspect de l’inscription des médias africains dans la mondialisation. C’est une porte ouverte sur le monde et en même temps un „marché“ sur lequel on apporte sa propre „marchandise“. La mondialisation des techniques impose, indubitablement, des formats contraignants, 7 quel que soit le média, depuis la presse écrite 8 jusqu’au téléphone portable, en passant par tous les autres supports de communication. L’insertion dans la mondialisation s’exprime par ailleurs par ce branchement sur l’actualité internationale alors que l’ancrage dans un territoire particulier, une communauté linguistique bien définie et même un groupe professionnel donné, demeure encore un besoin fondamental. D’où la nécessité d’arriver à concilier les différents niveaux d’information et de communication - local, régional, national, international -, et de résoudre la dialectique de l’affirmation de son identité propre et de l’acculturation induite par la dépendance vis-à-vis des formats du Nord, qui sont réappropriés voire détournés de leur conception première. Les exemples pourraient être nombreux… 107 Dossier Autre question liée à une mondialisation de type libéral: les savoirs ont longtemps eu une dimension humaniste (y compris pour des savants de disciplines „dures“) et la gardent dans de nombreux cas. Mais le triomphe des capitalismes et des TIC amène une „marchandisation“ et peut-être une déshumanisation peu compatible avec certaines valeurs répandues en Afrique (pour paraphraser un titre célèbre, il se confirme que le capitalisme n’est pas un humanisme). Cela semble particulièrement vrai pour la dimension de l’éducation (avec sa dimension d’investissement) même si la rédactrice en chef de Thot-Cursus est nuancée: „L’argent et l’éducation font plutôt bon ménage. Monsieur argent et madame éducation (ou l’inverse) se supportent plutôt bien, se séduisent régulièrement pour éviter l’ennui, s’adorent parfois, et se détestent de temps en temps, quand l’un des deux a dépassé les bornes. L’éducation a un coût, que l’on peut assez facilement calculer, et une valeur qu’on a coutume de dire inestimable. Car si l’éducation est un bien commun, relevant de l’intérêt général et, à ce titre, méritant une protection particulière, elle constitue également un marché, tant il est vrai que les pouvoirs publics ne peuvent (et peut-être, ne doivent) répondre à tous les besoins“. 9 Question qui sera certainement envisagée par ceux qui traitent des campus numériques. Au-delà, tout pose la question de la co-construction des savoirs quand les grands cerveaux sont repérés par des multinationales (hémorragie des élites, parfois suivie, il est vrai, de retours au pays et d’investissements à l’origine de success stories) avec les questions connexes des brevets. Mais la crise actuelle va-t-elle faire que les situations africaines et européennes seront moins inégalitaires face aux savoirs? Va-t-on partager la pénurie ou la pléthore d’informations via la Toile? Allons-nous retrouver les mêmes „fractures numériques“ entre les exclus d’ici et de là-bas? Les TIC au service du partage des connaissances? Nouvelle dimension du partage: le „blogging“ L’attrait des réseaux pour l’Afrique n’est plus à démontrer. 10 Sylvestre Ouedraogo, responsable de Burkina-NTIC, désigne les blogs comme l’„arbre à palabres mondial“. 11 Autre citation révélatrice: „créer son blog, c’est croire à la philosophie qui dit que donner c’est recevoir“. 12 On a beaucoup insisté sur le caractère volontiers nombriliste du phénomène mais, bien compris, il suscite l’interactivité et l’échange d’informations. Avec ses limites: il suppose un minimum de formation, de matériel et… de liberté de la part des gouvernants. Allons-nous vers une „africanisation de la blogosphère mondiale“? Un certain nombre de voix se font entendre pour ne pas „fétichiser“ 13 les TIC et les dérives ne sont pas exclues. En marge du phénomène, l’exemple d’envois massifs de newsletters de groupes religieux créationnistes ou fondamentalistes qui inondent nos boîtes à lettres ne biaisent-ils pas là bas l’accès aux savoirs? 108 Dossier Vers une moralisation des partages? Il est banal de dire que l’on s’enrichit dans des partages de connaissances, de savoirs, de découvertes 14 mais à l’heure où sur internet on trouve tout et son contraire, il est important d’humaniser les savoirs, de les confronter (versus „intelligence artificielle“). Le tri, la vérification, la hiérarchisation semblent plus que jamais nécessaires comme l’est également l’éducation qui apprend des méthodes pour l’accès aux connaissances et évite les dérives ou les dérapages. Il ne s’agit pas d’incantations mais de réalisme: savoir qui est derrière le blog; former au décryptage des émissions des télévisions du Nord, - reprises telles quelles par des chaînes du Sud - pour essayer d’approcher une image plus équilibrée d’une situation, l’inverse étant vrai bien sûr. Peut-on croire en une universalité de codes de conduite ou de déontologie pour accéder aux meilleurs savoirs? Ces valeurs sont très importantes pour le journalisme où une simple honnêteté est réclamée partout. Le partage des savoirs semble être une réponse à toutes les interrogations sur les technologies de l’information-communication et à leurs limites sans cesse dénoncées. Références bibliographiques succinctes Darbon, Dominique (dir.): La politique des modèles en Afrique. Simulation, dépolitisation et appropriation, Karthala-MSHA, août 2009. Espaces francophones. Temporalités et représentations. http: / / www.msha.fr/ msha/ archivesprogrammes/ recherche20032006/ prog5/ prog5cadretitre.php Internet en Afrique Subsaharienne. Acteurs et usages. http: / / www.msha.fr/ msha/ archives_programmes/ recherche1999-2002/ ia.php Netsuds, L’Harmattan (en particulier le n°4: Accès aux nouvelles technologies en Afrique et en Asie. TIC et service universel, sous la coordination d’Annie Chéneau-Loquay, août 2009). Lenoble-Bart, A. et Tudesq, A.-J. (dir.): Pour connaître les médias d’Afrique subsaharienne. Problématiques, sources et ressources, IFAS-IFRA-MSHA-Karthala, 2008. Observatoire de l’insertion et de l’impact des TIC en Afrique (CNRS-CEAN) http: / / www.africanti.org/ PANOS (dir.): Usages innovants des TIC [technologies de l’information et de la communication] en Afrique, Dakar, 2008. Thot Cursus: Newsletters. 1 Lors d’une table - ronde pour le grand public, organisée dans la Librairie Mollat à Bordeaux, le professeur Anne Marie Laulan a présenté la „piste africaine“ qu’entend fouler, parmi d’autres dimensions, l’antenne aquitaine de l’Institut des Sciences de la Communication. L’introduction a été prononcée par le professeur Annie Lenoble- Bart (texte cidessous du16 mai 2009). Depuis, d’autres rencontres ont été consacrées aux projets de recherches concernant l’Afrique, dans l’interrogation sur la nature et les sources des problèmes d’information, des difficultés de communication. 2 Claude Prudhomme in A. Lenoble-Bart et A.-J. Tudesq, (dir.): Pour connaître les médias d’Afrique subsaharienne. Problématiques, sources et ressources, IFAS-IFRA-MSHA- Karthala, avril 2008,3. 109 Dossier 3 Par exemple pour les programmes de la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine (MSHA: directrice de l’Axe „Représentations“ du programme Risques en Afrique (2006- 2010). Responsable de l’Axe 1 „Gouvernance et démocratie“ dans le programme Modèles et transferts dans la mondialisation des Afriques (2001-2004). Co-directrice du programme Internet en Afrique (1998-2001). 4 A. Mucchielli: Les sciences de l’information et de la communication, 1995, 122. 5 La situation démographique française, voire européenne, a tendance à inverser les pratiques cf. Vacarme, n°47, éditions d’Amsterdam, printemps 2009. 6 Même si la ville est en passe de devenir plus importante que les campagnes, les habitudes perdurent encore. 7 L’ouvrage qui consigne les conclusions du programme cité, Modèles et transferts dans la mondialisation des Afriques, est dirigé par Dominique Darbon (voir la bibliographie). 8 Cf. Brice Rambaud: Trajectoires africaines de modèles médiatiques occidentaux. Analyse comparative de la presse écrite au Burkina Faso et au Kenya, thèse, Université de Bordeaux 3, décembre 2009. L’auteur étudie combien les modèles du journalisme français et britannique ont influencé les productions burkinabè et kenyanes. 9 Christine Vaufrey, rédactrice en chef: Thot Cursus, 14 mai 2009. 10 Cf. La bibliographie est très riche (voir, par exemple, le site s’Africa’nti). Nous y avons modestement contribué avec, entre autres: François Bart et Annie Lenoble-Bart: Afrique des réseaux et mondialisation, Karthala-MSHA, 2003. 11 In „Sur les traces des blogueurs burkinabès“ in PANOS (dir.): Usages innovants des TIC en Afrique, Dakar, novembre 2008, 53. 12 Ibidem, 54. 13 Koffi Ametepe „les TIC ne sont pas un remède miracle“ in PANOS (dir.): Usages innovants des TIC en Afrique, op.cit., 135. 14 On pourrait rappeler, entre autres, de très nombreux extraits des discours de l’ancien Secrétaire Général de l’ONU, l’Africain Kofi Annan.