eJournals lendemains 35/138-139

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2010
35138-139

La contrefaçon des produits culturels médiatiques: énonciation d’une mondialisation „par le bas“

2010
Georges Madiba
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90 Dossier Georges Madiba La contrefaçon des produits culturels médiatiques: énonciation d’une mondialisation „par le bas“ Introduction La propension actuelle des médias audiovisuels à diffuser des productions musicales contrefaites marque une profonde mutation dans les comportements de communication et dans la consommation des produits culturels locaux et étrangers au Cameroun. S’appuyant sur une philosophie de la „modernité“ et du libéralisme économique, la globalisation des flux communicationnels et des contenus culturels a généré des syncrétismes psycho-sociologiques dans la plupart des pays du Sud. En ce sens que la réception d’un produit culturel véhicule une vision du monde qui peut être en contradiction avec celle ancrée dans les mentalités locales. Mais accepté dans les pratiques culturelles au quotidien, ce métissage imperceptible induit, d’une certaine façon, des comportements nouveaux et des identités nouvelles. 1 Le mouvement de balancier déterritorialisation/ intériorisation/ appropriation des contenus culturels et leur marchandisation qui en découle est un élément central du système de la mondialisation de la culture. Par le fait que celle-ci tend à la globalisation, elle sécrète ses propres lieux de résistance. Comme l’a montré Michel de Certeau, cette interaction déterritorialisation/ appropriation/ territorialisation entre une culture importée et ses usagers subit des pratiques de contournement et des dispositifs réglementaires institués par „l’homme ordinaire“. 2 Ainsi, mener une réflexion sur le piratage et la contrefaçon des produits culturels médiatiques s’apparente à une analyse des conséquences culturelles de la globalisation, après le colonialisme, 3 en quelque sorte comme une globalisation à pas forcés des pauvres et dominés. Ce qui exige qu’on s’affranchisse, malgré tout, d’une lecture néomarxiste pour comprendre quels sont les déterminants sociaux, psychologiques et économiques de la contrefaçon et s’interroger sur le rôle du capitalisme transfrontière dans la constitution d’un „champ culturel“. D’ailleurs pourquoi quand on veut attirer l’attention des conséquences de la globalisation culturelle on pose le problème en ces termes marxistes, 4 Dominants versus Dominés? Essayons de retourner ces termes pour les reprendre au mot: „Dominants …sur quoi et qui? “ (Sujet et Objet de la domination) et „Dominés… par qui? “. Ce qui laisse entrevoir l’homme au cœur de ces deux notions: sujet et objet culturel. Sujet qui agit et sujet qui subit. Peut-on entrevoir la mondialisation à partir de cette dichotomie? Autrement dit, en dépassant les schèmes marxistes, peut-on penser le piratage et la contrefaçon 91 Dossier des contenus culturels médiatiques comme un espace de résistance culturelle à l’hégémonie du Nord et à la marginalisation croissante du Sud par le capitalisme intégré et global? A partir de ces deux notions nous interrogerons le positionnement des acteurs (sujet et objet) à l’intérieur du champ de la culture: comment, dans ce contexte de cristallisation économique imperceptible, s’énoncent les stratégies des acteurs et se construisent les „champs culturels“ du contrefait? Nous formulons l’hypothèse selon laquelle la globalisation des économies libéralisées n’étant ni intégrée, ni homogène, la situation des marchés culturels et des consommateurs présente des disparités criardes qui ne peuvent se corriger que par des dérégulations locales. Celles-ci passent par des entorses à la règle commerciale, au respect du droit d’auteur et surtout par des spécificités économiques locales. Autrement dit notre suggestion est que le piratage est un correcteur au „techno apartheid global“ 5 que créerait le capitalisme marchand de la connaissance; la demande d’une justice redistributive des biens culturels. Notre démarche privilégiera une méthode explicative en empruntant aux paradigmes de la modernité (par la communication) et de la globalisation afin de voir quels sont les facteurs psychologiques et socio-économiques qui motivent le piratage des phonogrammes musicaux occidentaux et africains, porteurs d’une tendance lourde d’homogénéisation. Elle s’appuie sur des entretiens semi-directifs avec des acteurs du système et des experts du piratage des œuvres culturelles. 6 Nous focalisons l’analyse sur la consommation des CD et clips vidéo des standards africains (musique congolo-zaïroise 7 et ivoirienne) et euro-américains (la Pop music, le rock’n’roll, le jazz, le Rythm’n blues, etc.). A partir des considérations sur la modernité et la globalisation, notre réflexion s’inspirera de la notion „d’institutionnalisation de l’imaginaire“ et de la théorie du flux-paysage (scape) développées par Arjun Appadurai. Pour l’anthropologue indoaméricain, l’imagination 8 est une force émancipatrice qui investit les pratiques quotidiennes des exilés „territorialisés“, 9 dans les manœuvres de résistance à l’hégémonie culturelle, en usant de tous les ressorts qu’offre les nouvelles technologies de la communication. La notion de Scape telle qu’employée par Appadurai représente une dimension des flux dans lesquels se déroulent les échanges au quotidien. On peut l’entendre ici comme étant un champ: culturalscape (champ des flux culturels) ou mediascape (champ des flux médiatiques). Nous discuterons dans un premier temps des notions qui ont présidé à la constitution de ce culturalscape mondialisé. Dans un second moment nous verrons quels sont les facteurs d’émergence de la contrefaçon des contenus culturels et le rôle des flux médiatiques dans la globalisation du pauvre. I. Modernité, mondialisation et contrefaçon des contenus culturels Une réflexion sur les conséquences de la mondialisation sur le piratage de certains contenus culturels passe nécessairement par une remise à plat de la notion de 92 Dossier modernité, relative à la philosophie, à la politique ou de celles de globalisation, de communication et de culture quant à elles liées à une philosophie de la modernité. 10 Ce qui nous permettrait d’établir un rapport entre la communication, la globalisation et la modernité. 1. Modernité, mondialisation et culture: des valeurs contemporaines Le concept de modernité qui a une connotation positive porte en lui les espoirs d’une vie meilleure, après la révolution industrielle. Même s’il est discuté et, à en croire certains auteurs, dépassé au point de parler de „fin de l’histoire“ 11 ou de „post modernité“, 12 il est pensé en Occident comme une révolution (de la mentalité, des mœurs économiques et politiques, de la science, de la raison, etc.) à travers le développement des technologies de production. 13 La modernité s’exprime sous plusieurs formes qui obéissent à des logiques aussi bien internationales que locales dans la façon dont les populations agissent, parlent occupent l’espace, communiquent etc. 14 Pour Alain Touraine, 15 on peut dégager trois valeurs philosophiques et politiques fondamentales pour caractériser la modernité: la révolution de la raison humaine contre la tradition, et les coutumes, la sacralisation de la société comme construction humaine gérée par la raison, la soumission à la loi naturelle de la raison. A partir de ces trois fondamentaux, il s’entend que la modernité est fille de la raison, „l’œuvre de la raison elle-même“(Alain Touraine). Par ailleurs, la modernité est liée à la construction d’une société rationnelle dans laquelle les lois sont naturelles, humaines et n’obéissent à aucune révélation ou décision „suprahumaine“. 16 Sur le plan socio-historique, la modernité est le tournant majeur d’une époque; elle désigne „le fait historique majeur qui affecte, à la fin du Moyen Age et à l’origine de la Renaissance, toutes les formes de culture et toutes les formes d’existence en Europe.“ 17 La modernité culturelle est donc par conséquent un tournant historique qui met en exergue l’aboutissement d’un lent processus libéral, d’ouverture des frontières physiques, commerciales et communicationnelles. L’ouverture étant ici la condition sine qua non pour la réussite de cette transformation culturelle, technique et politique des sociétés totalitaires („fermées“) aux sociétés libérales et démocratiques („ouvertes“). 18 L’ouverture est donc communication. Pourquoi faut-il articuler modernité, communication et globalisation? C’est que ces trois notions portent en elles et privilégient la revendication de valeurs contemporaines, „modernes“, de liberté, d’individualité et de droit à l’expression. Si la modernité est „fille de la raison“ et le libéralisme la philosophie qui promeut la liberté, l’individu et l’expression des droits, leur réalisation n’est possible qu’à travers la communication, car celle-ci porte en elle une „double hélice“ (D. Wolton), c’est-à-dire qu’elle a une capacité à être à la fois normative et fonctionnelle. Autrement dit, la communication est un élément central dans la culture démocratique occidentale, exprimant ainsi la prise en compte de l’altérité de l’Autre, tandis qu’elle constitue en même temps une valeur économique instrumentalisée. Par 93 Dossier cette complexité liée à son caractère double, elle constitue donc un élément central dans le fonctionnement des sociétés mondialisées. 19 Même si de prime abord on peut penser que mondialisation et globalisation sont synonymes, nous voulons y apporter une nuance. La globalisation relève davantage de la terminologie économique. Elle désigne une réalité de l’économie devenue mondiale par le fait de l’élargissement des marchés et l’ouverture des barrières douanières; mais surtout par la standardisation des productions de type marchande. Nous entendons par mondialisation à peu de choses près, une globalisation humaine caractérisée par la „fin des territoires“ et liée aux performances des technologies de communication. La communication est le socle du flux des contenus, tandis que la globalisation s’appuie sur les formes (standardisation) et moyens (financiers) de production. 2. Contrefaçon, Piratage: caractéristiques d’une économie de la précarité Caractéristique des économies structurellement inorganisées, fragiles et informalisées, la contrefaçon est une donnée importante de l’économie camerounaise. 20 Elle concerne les trois secteurs de l’activité économique et la plupart des produits. La culture n’en est pas une exception. Le législateur camerounais considère la contrefaçon comme une activité illégale pour laquelle les sanctions encourues sont à la fois pénales et financières. 21 Il la définit par rapport à la finalité et à l’intentionnalité téléologique (commerciale ou financière) de l’auteur de la reproduction. Est donc constitutive de contrefaçon: „toute reproduction, communication au public ou mise à la disposition du public par vente, échange, location, d’une interprétation d’un phonogramme, d’un vidéogramme, réalisés sans l’autorisation lorsqu’elle est exigée, de l’artiste-interprète, du producteur de phonogramme ou de vidéogramme, ou de l’entreprise de communication audiovisuelle.“ 22 La définition de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi) est plus complète: „dans le domaine du droit d’auteurs et des droits voisins, le piratage s’entend généralement [comme] la reproduction d’œuvres publiées ou de phonogrammes par tout moyen approprié aux fins de la mise en circulation, ainsi que de la réémission des émissions radiodiffusées d’autrui sans l’autorisation y relative.“ Ces définitions semblent ne pas trop s’éloigner de celle de la contrefaçon, plus juridique. Si la loi caractérise la contrefaçon dans sa généralité, s’agissant des œuvres phonographiques, la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) considère le piratage comme „la reproduction et mise en circulation d’une œuvre de l’esprit, sans autorisation de ses ayants droits“). Nous allons donc indistinctement employer contrefaçon et piratage, d’autant que ces deux termes ont des acceptions proches. Face à la multiplicité des définitions de la notion de culture et étant entendu que notre objet reste les „contenus culturels médiatiques“ nous ne nous attarderons pas sur la définition du concept de culture, car elle comporte en elle un préjugé 94 Dossier social qui s’exprime souvent dans la „culture de l’élite“ (respectable) et la „culture populaire“ (vulgaire) ou racial compris dans „culture primitive“. Nous focalisons notre réflexion sur l’adjectif „culturel“ qui renvoie au sens „d’œuvre“ et non au sens anthropologique qui mettrait l’accès sur les symboles, les représentations, les valeurs ou les styles de vie d’un peuple. Avec la forme adjectivale („culturel“) nous nous trouvons dans un monde de différences, entre le local et le global, dans une diversité qui s’éloignerait, a priori, de la thèse de Samuel Huntington sur le „choc des cultures et des civilisations“. 23 II. Médias, médiation et déterritorialisation 1. La contrefaçon culturelle, conséquence de la déréglementation libérale Le processus global d’intégration qu’est la mondialisation rime avec fluidité des échanges matériels, immatériels et symboliques transfrontières. Les dispositifs des technologies de communication ont précipité le processus au point que tout type de bien est sujet aujourd’hui à une circulation mondiale. Les biens immatériels (toute production intellectuelle qui se standardise) jouent un rôle central dans cette nouvelle économie qualifiée de „capitalisme cognitif“ ou de „capitalisme informationnel“ (Pierre Musso). Ce nouveau capitalisme de la connaissance émerge pour introduire dans le marketscape, 24 dans l’espace marchand, les loisirs, les œuvres de l’esprit contrairement au capitalisme industriel fordiste qui les ignorait. Ce processus d’industrialisation des contenus culturels par standardisation est un corollaire de la société de consommation de masse. Si la marchandisation de ce capitalisme convient aux biens matériels, il ne sied que peu à la culture (à la musique, au cinéma par exemple) quand elle tend à devenir le bien le plus consommé dans l’hypermarché planétaire. Car, explique Pierre Musso, une diffusion massive des produits culturels à une large échelle vampirise le sens de ce bien. 25 Devenu dominant dans les économies capitalistes post-industrielles, le capitalisme informationnel des biens culturels a pour avantage de ne pas nécessiter une mise initiale importante, dans la mesure où il procède par standardisation, par création de „prototypes“ qui sont démultipliés et diffusés à l’échelle mondiale. 26 La production d’exemplaires supplémentaires obéit à une „économie d’échelle“ qui ramène son coût à quasiment nul. Ce qui pourrait, à première vue, n’avoir que des répercussions minimes sur la rentabilité d’un produit culturel standardisé et mondialisé. La copie d’un logiciel sur internet, la contrefaçon d’un film ou d’un CD musical etc. n’ont pas une grande répercussion sur la marge bénéficiaire dudit bien culturel dès lors que son seuil de rentabilité est atteint. Ce type d’économie de production est devenu le modèle de la plupart des productions des œuvres de l’esprit: logiciel, film, livre, musique etc. Cette mutation philosophique et technologique qui marchandise les œuvres de l’esprit dans une sorte d’hypermarché planétaire ne peut que s’accompagner de piratage pour générer un système de contournement, des mécanismes de correc- 95 Dossier tion des déséquilibres financiers dans la consommation et la médiatisation des biens culturels. Conséquence de la déréglementation intervenue dans les industries de l’imaginaire et de l’information, la contrefaçon des biens culturels reconfigure, malgré lui, les schémas de production et de consommation de la culture mondiale. En banalisant la reproduction et la diffusion des biens culturels contrefaits, le Sud tend de plus en plus à être pris en compte non seulement pour ses productions, mais surtout par sa capacité à générer des syncrétismes culturels, par sa faculté à créer des voies de contournement, des voies d’arrimage par effraction à la mondialisation des contenus culturels et à la globalisation. 2. La contrefaçon: un arrimage à la mondialisation par „le bas“ Bien plus que la dérégulation des économies, au Cameroun, le développement de la contrefaçon des supports musicaux étrangers va de soi, si on peut dire. L’informalisation conjoncturelle et quasi structurelle de l’économie a induit des comportements peu amènes au respect de l’éthique commerciale au point de banaliser le piratage des œuvres phonographiques et vidéographiques. Le piratage se présente dès lors comme une alternative à la dérégulation des économies, au déséquilibre production/ consommation entre le Centre et la Périphérie, entre le Nord et le Sud. Pour les consommateurs du Sud, la contrefaçon est une voie d’intégration „par le bas“ 27 au monde globalisé de la consommation des biens culturels. Nous considérons ainsi qu’il existe deux types de consommateurs dans le paradigme d’oppositions (dominants/ dominés, élites/ populaires) qui régit la mondialisation. En nous référant aux analyses de Jean François Bayart, Achille Mbembè et Comi Toulabor nous pouvons considérer la consommation des produits contrefaits comme des formes de résistance des masses paupérisées à la domination culturelle des „aînés privilégiés“ (Pascal Bonnafé). Cette énonciation de la résistance prend des formes populaires d’action qui se présentent même comme une stratégie des „en bas du bas“; en ce sens que les acteurs de cette résistance disposent d’une marge de manœuvre sur les modes d’action des dominants. On explique souvent le développement du piratage par la paupérisation des masses liée à la crise économique des années 1980. Certes, par la standardisation marchandisation des œuvres de l’esprit, elle a accentué, par la marchandisation une tendance générale liée à la reproduction non commerciale des biens culturels: phonogrammes, vidéogrammes, photocopie de livres, logiciels, etc. Au Cameroun, la contrefaçon n’est pas seulement liée à un environnement économique défavorable, elle est le résultat d’un ethos de la gratuité enracinée dans les mœurs qui pousse même la tranche de la population aisée à consommer aussi les produits piratés. Cette habitude est relative à l’absence d’éducation des masses à la culture comme patrimoine et à une politique de valorisation de la culture nationale défaillante: 28 96 Dossier La contrefaçon (reproduction a but commercial) est facilitée dans un premier temps par l’ouverture des frontières, la „déterritorialisation“, la circulation des hommes, des biens immatériels et symboliques. Par la suite ce mouvement d’interpénétration des hommes et des biens marque l’aboutissement du processus de mondialisation, d’échange, de participation à un idéal commun: 29 Il se matérialise par un flux informationnel et culturel important à travers une médiatisation des global events (grands événements sportifs, politiques, artistiques) et le partage de la world music: 30 La contrefaçon des œuvres culturelles est aussi caractérisée par l’acquisition facile des technologies d´enregistrement, de production et d´édition des biens culturels. Ce qui a permis à un certain nombre de personnes de reproduire les contenus culturels et de les diffuser à une large échelle à travers les ondes hertziennes: 31 Les économies d’échelle pratiquées lors de la reproduction (ce qu’on nomme en économie „la fonction de production à coût fixe“) amènent le contrefacteur à proposer des prix à la portée des bourses les plus modestes. La modicité du prix de vente d’un CD et DVD contrefait, 10 fois moins que le prix officiel; 32 consacre ces comportements de résistance liés à l’imagination créatrice. 33 On peut aussi noter une inadéquation entre la demande solvable et la défaillance des circuits de distribution de l’offre des supports originaux. Le réseau de distribution agréé se cantonne pour l’essentiel dans les espaces historiques de commerce, (les marchés ou les quartiers populeux) lieux de trafic en tout genre; tandis que le réseau informel a mis en place un street marketing 34 qui n’a rien à envier aux multinationales de l’agroalimentaire ou des télécoms qui opèrent au Cameroun. Par ailleurs on observe lors des enquêtes une nette tendance à la généralisation de la „stratégie du générique“: 35 le distributeur agréé des rares produits originaux est en même temps à la tête d’une PME clandestine de distribution de vidéogrammes et phonogrammes contrefaits. Sous le couvert de la distribution de produits orignaux, il privilégie une activité illégale, plus rentable, en termes financiers. La paupérisation, l’informalisation accrue de l’économie camerounaise liée à la dérégulation internationale ou l’accès facile à la technologie du numérique ne peuvent être suffisants pour expliquer la prolifération de la consommation des supports contrefaits, tant pour un usage privatif que pour une diffusion à l’échelle médiatique. Une rapide sociographie des consommateurs de supports gravés dans la capitale économique montre que l’offre (tant les clips vidéo que les CD) des artistes nationaux à destination du marché local est loin de satisfaire les consommateurs camerounais. D’autant que, les médias transnationaux aidant (MTV, Trace Tv, MCM, LC2, etc.), le consommateur est écartelé entre les productions locales jugées médiocres et les sonorités qui semblent faire le tour des capitales africaines et occidentales. Exigeant, selon sa catégorie d’âge et socioprofessionnelle, le consommateur estime que les rythmes du terroir sont décalés et ne peuvent souffrir la comparai- 97 Dossier son avec la vague déferlante venue d’Afrique (Côte d’Ivoire ou des Congo Brazzaville et Démocratique), d’Europe et d’Amérique du Nord. Vecteur prioritaire des changements de style et grand consommateur de musique (vidéo ou son), les jeunes de 15-28 ans, pour la plupart élèves, étudiants, petits commerçants ou sans emploi préfèrent les sonorités africaines (Le Coupé Décale, musique ivoirienne inventée par les Disc Jokey avec des „sampler“; le Ndombolo, une espèce de Rumba Rock zaïroise, plus saccadée). A l’issue de nos entretiens, il ressort que 7 jeunes sur 10 se sentent proches des musiques africaines (3/ 7 pour la musique congolaise et 4/ 7 pour la musique ivoirienne), tandis que 2 sur 10 jettent leur dévolu sur les rythmes nationaux. En revanche, faisant preuve de lacunes sur le plan historique et culturel, ils ne s’attardent pas sur la musique occidentale à proprement parler, mais sur ce que nous avons considéré comme la world music (1/ 10). En l’absence d’originaux, les supports contrefaits, à la portée des bourses les plus modestes, sont donc très prisés par cette catégorie de consommateurs. En outre les contrefacteurs proposent des compilations (par genre musical ou par auteur) pour tenter de satisfaire les exigences de la demande en terme de contenu varié. La tendance s’inverse quand il s’agit des actifs appartenant, selon leur déclaration, à la catégorie socioprofessionnelle CSP+, c’est-à-dire, les cadres d’entreprise, les enseignants du supérieur et les propriétaires de commerces. L’âge variait de 26 à 39 ans. Sous influence d’un type de mondialisation par „le haut“, ils déclarent (4/ 10) écouter régulièrement la musique occidentale (Rythm’n’Blues, Rock, Variété française, World Music, Jazz etc.). Dans le même temps 3/ 10 déclarent préférer les rythmes congolo-zaïrois. 2/ 10 préfèrent les musiques camerounaises et seulement 1/ 10 écoute la musique ivoirienne. 36 Cette tendance peut s’expliquer par deux facteurs. D’abord la considération pycho-sociale des différents styles musicaux et l’image de soi qu’ont les interviewés. Même s’il convient de marquer une distance entre le dit et le fait, la catégorie des CSP+ se considère comme faisant partie de l’élite tant intellectuelle que sociale. Il est donc mal venu que les interviewés déclarent consommer des produits contrefaits qui font partie de la culture populaire, la culture des „cadets sociaux“ (Jean François Bayart). Les interviewés de cette catégorie mettent en avant la fiabilité et la qualité d’écoute du support original, par-delà les considérations éthiques. Certains parlent même de solidarité avec les artistes pour la promotion de l’industrie musicale. De cette enquête on peut tirer deux conclusions concernant la globalisation de la culture de masse. La première concerne la (dé) territorialisation des contenus culturels. On peut noter une sorte de Mc Worldisation des goûts musicaux des consommateurs: 9/ 10 des personnes interrogées disent préférer la „musique étrangère“ 37 dans leur acte d’achat. Il ressort clairement que le consommateur achète les produits culturels contrefaits pour satisfaire des attentes musicales qui 98 Dossier proviennent hors de ses frontières territoriales. Et pour l’essentiel, les originaux de ces produits culturels étrangers ne sont presque pas disponibles sur le marketscape camerounais. Alors, l’activité de piratage musical est considérée comme la seule voie pour accéder aux contenus culturels qui circulent dans le monde. Autrement dit, la contrefaçon est pour le jeune consommateur désargenté, la voie royale pour accéder à la culture de masse mondiale. La deuxième est relative à l’émergence d’une communauté humaine mondiale (autrement dit d’un „village planétaire“…). Si le mouvement de mondialisation culturelle se dessine à travers les échanges commerciaux et la diffusion transfrontière des informations et des contenus culturels, on peut néanmoins s’interroger sur la portée symbolique de l’émergence d’une communauté humaine liée aux pratiques culturelles identiques. La diffusion à l’échelle mondiale et l’écoute d’un genre musical particulier suffisent-elle à créer une communauté? La mondialisation des technologies de communication suffit-elle à créer une communauté humaine? Quel peut être le rôle des médias dans la diffusion d’une culture de masse mondiale? 3. Médias, médiation et déterritorialisation L’explosion des médias audiovisuels, grands consommateurs d’images et de sons, explique en partie la diffusion de la culture de masse mondiale. Par l’absence d’un circuit officiel de distribution, les médias camerounais sont contraints de s’approvisionner aussi chez les contrefacteurs. Ainsi, ils alimentent le marché culturel de l’illégal, en diffusant des clips vidéo ou simplement des phonogrammes contrefaits. 38 La mondialisation étant un processus, elle est sous tendue par une idéologie, celle de la modernité. Celle-ci trouve en la communication un vecteur du développement, de la modernisation dans le but de faire évoluer, de partager les informations, mais aussi et surtout les valeurs universelles de démocratie et de liberté économique. Cette croyance contemporaine aux vertus des médias (surtout ceux de l’audiovisuel) pour diffuser les images du modernisme renouvelle les théories du diffusionnisme. Pour elle la diffusion des innovations technologiques se réalise par étapes avec des minima. Vecteur des „conduites modernes“, cette perspective envisage les médias comme des agents privilégiés de l’innovation. Ainsi les innovations technologiques (dont les médias) sont au centre de la mondialisation par la communication. En empruntant la notion de mediascape que nous entendons comme champ de flux médiatiques (régi par les moyens de diffusion électronique, la radio et la télévision), nous voulons signifier que ces moyens de communication permettent de produire et de disséminer les contenus culturels à travers le monde grâce à un vaste réseau d’interactions des flux informationnels. Si la diffusion des images est généralement homogène, la réception, elle, dépend de l’intérêt des publics et de ceux qui possèdent ces médias. On se rend alors compte que le rôle de la communication médiatique dans la mondialisation n’est plus seulement d’assurer la diffusion et la traduction des images et des uni- 99 Dossier vers symboliques d’un espace déterritorialisé vers un autre; il contribue dans un premier temps à l’homogénéisation du monde avant de devenir un accélérateur de la pluralité des culturalscape. Plus la mondialisation des contenus culturels se met à l’œuvre, plus il est nécessaire de conserver les identités culturelles singulières. En somme plus le global prend le dessus, plus le local doit se singulariser, avec ses ruses. Cette contradiction consubstantielle à la mondialisation s’illustre mieux dans la mondialisation de la musique, en tant que art et en tant que production industrielle. Ainsi elle est par le côté artistique le symbole de l’ouverture à l’altérité („la musique n’a pas de frontières“, entend-on souvent), de la communication, de la créativité, de la manifestation de l’imagination; et par sa dimension industrielle elle est au cœur d’un important commerce mondial ayant engendré un capitalisme de l’imaginaire (détenu par un cartel de majors, Sony, TimeWarner, Disney, Bertelsmann) et des logiques de piratage. Conclusion Noyau dur de la mondialisation culturelle (après celle liée à l’économie et à la politique), le discours sur la communication comme facteur de modernité, d’ouverture et de liberté semble résister à la critique. 39 L’argumentation globalisante de la démocratisation et du „développement“ met en avant la suppression des barrières territoriales, le rapprochement des peuples, la multiplication des échanges et la création d’un culturalscape, sans pour autant créer un village global, à cause des inégalités socio-économiques et des différences socioculturelles. Aussi parce que la base de ces inégalités et de ces différences s’adosse sur l’activité de piratage et de contrefaçon, alors le piratage et la contrefaçon semblent consubstantiels à la mondialisation. Un peu comme si „plus les messages se mondialisent, plus les différences culturelles de la communication s’affirment“. 40 Le piratage et la contrefaçon sont donc l’expression de ces différences tant socio culturelle (ethos de la gratuité), politique (absence de politique de la culture) qu’économique (économie à structure informelle et précaire). L’idéal de globalisation pose en soit le problème de l’autre, sa culture et son identité. Car la globalisation est une réalité économique, tandis que la mondialisation est une réalisation des techniques qui, à elle seule, ne suffit pas pour créer une communauté. Contrairement aux discours techniciste et marxiste qui réduisent une infrastructure technique à un modèle de société, la technique dominante ne génère pas le modèle de société dominant. Question: comment respecter l’autre dans la mondialisation quand l’échange est inégal et les pratiques, par la force des réalités du capitalisme informationnel, peu enclines au respect des valeurs universelles de liberté et de d’ouverture? A croire que la mondialisation est une bête qui engendre des monstres sui generis. Si les pratiques de contournement et de résistance sont locales et singulières, celles qui 100 Dossier peuvent être intégrées se doivent d’être globalisantes afin de corriger les déséquilibres relatifs à „la République mercantile Universelle“. Dans le cas camerounais la „glocalisation“ syncrétique actuelle caractérisée par une banalisation généralisée de la diffusion et la consommation des contenus culturels médiatiques contrefaits pourrait être contournée par une politique publique de la culture qui inciterait à une production nationale de qualité. Celle-ci passerait par la création d’un code des investissements culturels, l´allègement de la fiscalité, afin d’éviter que les inégalités liées au libéralisme économique ne servent d’humus à une (dé)territorialisation durable des modèles de la culture de masse mondiale. Références bibliographiques Anderson, Benedict: L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 1996. Appadurai, Arjun: Après le Colonialisme: les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot, 2001. Bayart, Jean-François: Le gouvernement du monde. Une critique politique de la globalisation, Paris, Fayard, 2004. Bayart, Jean-François; Mbembe, Achille; Toulabor, Comi: Le politique par le bas en Afrique noire: Contribution à une problématique de la démocratie, Paris, Karthala, 1992. Bell, Daniel: Les contradictions culturelles du capitalisme (traduction), Paris, PUF, 1979. 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(Qui a peur des grandes méchantes musiques du monde? ), désir de l’autre, processus hégémoniques et flux transnationaux mis en musique dans le monde contemporain“, Cahiers de musiques traditionnelles n°9, Paris, 1996. Miège, Bernard et alii: Capitalisme et industries culturelles, Grenoble, PUG, 1984. Miège, Bernard: Les industries du contenu face à l’ordre informationnel, Grenoble, PUG, 2000. Tarrius, Alain: La mondialisation par le bas, Paris, Editions Balland, 2002. Tarrius, Alain „La mondialisation par le bas. Les nouveaux nomades de l’économie souterraine“, Cahiers d’anthropologie du Droit, Paris, 10/ 2005. Touraine, Alain, Critique de la modernité, Paris, Fayard, 1992. Tsambu Bulu, Léon „La musique populaire urbaine en RDC : le paradoxe d’un produit culturel national et marchand importé“ in La Fondation Paul Ango Ela: Les musiques d’Afrique centrale entre culture, marché et politique, Enjeux n° 20, Yaoundé, 2004. White W, Bob: Rumba rules: the politics of dance music in Mobutu’s Zaire, Duke University Press, 2008. Wolton, Dominique: Sauver la communication, Flammarion, Paris, 2006. 101 Dossier 1 Voir Denis-Constant Martin, „Who’s afraid of the big bad world music? (Qui a peur des grandes méchantes musiques du monde? ), désir de l’autre, processus hégémoniques et flux transnationaux mis en musique dans le monde contemporain“, Cahiers de musiques traditionnelles n°9, 1996, 3-21; „Le métissage en musique, un mouvement perpétuel, création et identité, Amérique du Nord et Afrique du Sud“, Cahiers de musiques traditionnelles n°13, 2000, 3-22. 2 Michel de Certeau, L’invention du quotidien.1 Arts de faire, Paris, UGE, 10/ 18, 1980. 3 Nous faisons là un clin d’œil à Appadurai, Arjun: Après le Colonialisme: les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot, 2001. 4 Il serait intéressant de dépasser la perception néomarxiste d’Antonio Gramsci qui considère que „l’idéologie dominante“ a un pouvoir incontestable sur la „culture subalterne“ (qu’on pourrait assimiler à la culture de masse). 5 Voir Ricardo Petrella, „Vers un techno apartheid global“, in Manières de voir, Paris, édition Le Monde Diplomatique, n° 18, Mai 1993. 6 Enquête réalisée en Mai 2008 et juillet 2009 auprès d’un échantillon de consommateurs de 40 personnes à deux points de vente (lieu dit „Carrefour Ndokoti“ et Marché „Congo“) à Douala. 7 On regroupe sous ce vocable les différents rythmes musicaux venus du Congo Démocratique (RDC) et du Congo Brazzaville. Qu’il s’agisse du Ndombolo, du Soukouss, du Mayebo ou du Tchoutchenguele, ce sont des rythmes bantous au tempo très cadencé, à la danse lascive et très exhibitionniste, en tout cas telles qu’elles sont présentées dans les clips vidéo. Elles ont une place prépondérante dans les pratiques culturelles de ces populations. Pour plus d’explications sur la place de la musique moderne dans les cultures bantoues, et particulièrement celles des deux Congo voir: Ginzanza u-Lemba, La chanson congolaise moderne: de la rumba fondamentale au ndombolo, Paris, L’Harmattan, 2005; Léon Tsambu Bulu „La musique populaire urbaine en RDC: le paradoxe d’un produit culturel national et marchand importé“ in La Fondation Paul Ango Ela, Les musiques d’Afrique centrale entre culture, marché et politique, Enjeux n° 20, Yaoundé, 2004; Bob W. White, Rumba rules: the politics of dance music in Mobutu’s Zaire, Duke University Press, 2008. 8 Nous distinguons „imagination“ collective et „fantasme“ individuel. Avec l’imagination on se projette dans l’avenir de manière rationnelle, en se réappropriant les informations diffusées par les médias dans le but d’influencer le comportement du récepteur. Ce dernier à travers l’imagination peut y résister en créant une „distance ironique“. Tandis que le fantasme reste au stade privé de l’inaccessible. En d’autres termes avec l’imagination, on est dans l’action collective, avec le fantasme on reste dans la passivité individualiste. Voir pour plus de détails Arjun Appadurai, idem, 66 et Benedict Anderson, L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 1996. 9 Nous considérons qu’on peut qualifier „d’exilé“ un consommateur d’une culture dominante, (américaine, par exemple) à l’intérieur d’une frontière territoriale déterminée. Ainsi pourrait-on dire d’un jeune Camerounais, urbanisé, adepte du hip hop américain, et pourtant ignorant des expressions musicales de son terroir. 10 Nous devons distinguer les travaux sur la mondialisation de la communication et de la culture comme une philosophie de la modernité de ceux sur la modernité comme une idéologie du progrès. Voir Jean Caune: Culture et communication: convergences théoriques et lieu de médiation, Grenoble, PUG, 1995; Daniel Bell: Les contradictions culturelles du capitalisme (traduction), Paris, PUF, 1979; Philippe Breton, et Serge Proulx: L’explosion de la communication, la naissance d’une nouvelle utopie, Paris, La Décou- 102 Dossier verte, 1996; Bernard Miège: Information, Communication, objets de connaissance, Paris, De Boeck, 2004; Patrice Flichy: Histoire de la communication moderne, Paris, La Découverte, 1991; Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes …, Paris, La Découverte, 1991; Jürgen Habermas, Le Discours philosophique de la modernité, (trad), Paris, Gallimard, 1988. 11 Voir Francis Fukuyama: La fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1993 12 Jean François Lyotard considère la postmodernité comme une „hypermodernité“, c’est-àdire la disparition de tout modèle de société. C’est donc une société dans laquelle le citoyen devient un consommateur narcissique où l’identité sociale est liée à ce qu’on consomme, et non à ce qu’on est. C’est ce que les marketers appellent „community of consumer“, la communauté de consommateurs. Voir pour plus de détails La Condition postmoderne, Paris, Minuit, 1979. 13 De nombreux théoriciens ont critiqué les „méfaits“ de la modernité, considérée comme une idéologie. Michel Foucault et les penseurs de l’Ecole de Francfort ont montré que les réalisations de la modernité sont contraires à son idéal de progrès et de bien être, en ce sens que les sociétés modernes ont engendré un „homme unidimensionnel“ (Herbert Marcuse), un „individu de masse“ (D. Wolton) aliéné par l’idéologie de la consommation de masse et de la modernité. La critique la plus radicale vient de Freud qui démontre que l’être humain, dans l’idéal des humanistes, n’est pas un être de raison, il reste guidé par l’inconscient. 14 Voir Arjun Appadurai: Modernity at large: Cultural Dimensions of Globalization, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1996. 15 Alain Touraine: Critique de la modernité, Paris, Fayard, 1992, 25. 16 Idem, 49. 17 Gérard Guest „Modernité“, in Encyclopédie philosophique universelle. Les notions philosophiques, vol 2, Paris, PUF, 1990, 1655. 18 Karl Popper: La société ouverte et ses ennemis, Paris, Le Seuil, 1979. 19 Dominique Wolton: Sauver la communication, Paris, Gallimard, 2006, 15-16. 20 L’économie camerounaise est composée à majorité par les activités de type informel, mais sujettes à l’imposition fiscale. Voir pour plus de détails Kengne Fodouop et Alain Metton: Economie informelle et développement dans les pays du Sud à l’ère de la mondialisation, Yaoundé, Presses Universitaires de Yaoundé, 2000; Kengne Fodouop, „Un antidote contre la crise économique en Afrique Sub-saharienne? “ Revue de géographie du Cameroun, vol XXII, n°2, Yaoundé, 1996, 1-13; Bruno Lautier: L’économie informelle dans le tiers monde, Paris, La Découverte, 2004; 21 L’article 82 alinéa 1 de la Loi n°2000/ 011 du 19 décembre 2000, relative au droit d’auteurs et aux droits voisins, prévoit une peine de 5 à 10 ans d’emprisonnement et une amende de 500.000 à 1.000.000 FCFA (soit de 750 à 1500 Euros). 22 Loi n°2000/ 011 du 19 décembre 2000, relative au droit d’auteurs et aux droits voisins, article 80, alinéa b. 23 Samuel P. Huntington: Le choc des cultures et des civilisations, Paris, Odile Jacob, 2000. 24 La notion de Scape renvoie ici à un champ irrigué par des flux informationnels. Le marketscape, renvoie donc à un champ où circulent de nombreux flux commerciaux et non commerciaux. 25 Pierre Musso „Culture et déréglementation libérale: diagnostic et alternative“, intervention lors des Etats Généraux de la Culture au Forum Social Européen, Paris, 13 Novembre 2003, 1. 103 Dossier 26 Voir au sujet de la marchandisation de la culture Bernard Miège et alii: Capitalisme et industries culturelles, Grenoble, PUG, 1984. 27 Jean-François Bayart, Achille Mbembe, Comi Toulabor: Le politique par le bas en Afrique noire: Contribution à une problématique de la démocratie, Paris, Karthala, 1992, 268. Par „politique par le bas“ Jean-François Bayart, Achille Mbembè et Comi Toulabor voulaient souligner le rôle des „petits“, des „sans importance“, des „en bas du bas“, dans une invention des formes originales de participation à la gouvernementabilité de l’Etat au sud du Sahara alors que prévalaient des régimes autoritaires. Le champ d’expression de cette politique par le bas est celui de la mobilité, de l’ambivalence, de l’allusif, du non-dit, de l’insaisissable, 40. 28 Si on compare au Congo Démocratique (RDC), où la banalisation de la contrefaçon des produits culturels est moins avancée, il est difficile de voir l’aficionado d’un musicien acheter le CD piraté de son „dieu“. Cela frise du blasphème aux yeux des autres membres de la communauté car les populations ont intégré un respect vis-à-vis des artistes. Cet ethos est lié à „la politique de l’authenticité“ mise sur pied dans les années 1970 par Mobutu. Voir Bob W. White: Rumba rules: the politics of dance music in Mobutu’s Zaire, Duke University Press, 2008, 12-27. 29 Voir Bernard Miège: Les industries du contenu face à l’ordre informationnel, Grenoble, PUG, 2000. 30 Au sens littéral du terme, „la musique du monde“ et non les musiques du monde, celles en marge des styles reconnus et acceptés par la culture occidentale. 31 Voir Alain Tarrius, La mondialisation par le bas, Paris, Editions Balland, 2002. Alain Tarrius „La mondialisation par le bas. Les nouveaux nomades de l’économie souterraine“, Paris, Cahiers d’anthropologie du Droit, 10/ 2005, 366-368. 32 Le prix officiel d’un CD varie de 3000 à 5000 Francs CFA, selon le statut de l’artiste, soit de 4,5 à 8 euros; tandis que sur le marché parallèle il varie à la tête du client entre 400 et 1000 Francs CFA soit de 0.60 à 1.5 euros. Celui d’un DVD oscille de 4500 à 8000 Francs CFA, soit de 7 à 12 Euros ; tandis que sur le marché parallèle on le trouve de 500 à 1000 Francs CFA soit de 0.80 à 1.5 euros. 33 Voir Alain Noah Awana „Contrefaçon: vente de CD piratés, le filon d’or“ (sic), Le Messager n° 2741 du 17 novembre 2008, 13. 34 Les vendeurs qui n’hésitent pas à parcourir des kilomètres, à la recherche du client potentiel, avec des centaines de CD/ DVD sur la tête, proposent toujours les offres à leur disposition, poussant même le client à se procurer un produit qui, d’emblée, ne semblait pas l’intéresser. 35 Elle consiste à proposer au client un CD ou DVD original à un prix au-dessus de la tarification officielle, pour le décourager de l’acte d’achat. Puis lui suggère d’acheter à moitié prix le produit contrefait, qu’il présente comme un générique de l’original, avec la même qualité en son et images. A la recherche du prix le plus compétitif, pas nécessairement de la qualité, le client s’en ira fier de son „affaire“. Et le tour est joué. 36 Enquête réalisée en Mai 2008 et juillet 2009 auprès d’un échantillon de consommateurs de 40 personnes à deux points de vente (lieu dit „Carrefour Ndokoti“ et Marché „Congo“) à Douala. 37 On peut la considérer comme tel jusqu’au moment où le processus d’appropriation génère une territorialisation psychosociologique du contenu culturel. Elle a pour effet de donner l’impression au consommateur qu’il est proche psychologiquement du contexte d création et des créateurs de cette musique qu’il partage au quotidien. 104 Dossier 38 Pour plus de détails sur les logiques, les dynamiques, les réseaux de distribution, les stratégies des acteurs du sous champ économique du piratage, voir Missè Missè et Georges Madiba „Logiques et dynamique du piraté dans l’économie camerounaise de la communication“, colloque international sur les „Piratages audiovisuels. Les réseaux souterrains de la mondialisation culturelle“, Paris II-Panthéon Assas, du 18 au 19 juin 2009. 39 Voir au sujet des principales critiques de la mondialisation et de ses effets pervers Jean François Bayart: Le gouvernement du monde. Une critique politique de la globalisation, Paris, Fayard, 2004; Zaki Laïdi: La grande perturbation, Paris, Flammarion, 2004; Riccardo Petrella: Démocratie forte contre mondialisation techno-marchande, Paris, Mille et une nuits, 2001; Ignaciot Ramonet „Médias et contrôle des esprits“, Manière de Voir, Paris, Le Monde Diplomatique, 1995. 40 Dominique Wolton: Sauver la communication, Flammarion, Paris, 2006, 17.