eJournals lendemains 35/138-139

lendemains
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Narr Verlag Tübingen
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2010
35138-139

Usages, usagers des TIC

2010
Firmin Gouba
ldm35138-1390078
78 Dossier Firmin Gouba Usages, usagers des TIC La problématique de la gouvernance démocratique au Burkina Faso Le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC) a été présenté par les promoteurs comme une réelle opportunité qui va considérablement modifier les modes de production, les services aux consommateurs/ usagers, les relations entre les individus au sein des sociétés. C’est ainsi que très tôt, les grandes entreprises du monde se sont largement investies à intégrer ces technologies dans leurs structures de production et semble tirer un meilleur profit. Mais si le processus d’intégration des TIC semble plus aisé à mettre en place et à exploiter dans le secteur privé, au niveau des Etats, c’est-à-dire du secteur public, les choses se présentent différemment. A ce sujet, nombre de questionnements sont posés et débattus au nombre desquels celui relatif à la gouvernance. La question de la gouvernance électronique (e-administration ou e-gouvernance) est à l’ordre du jour en Afrique comme dans les autres continents étant donné ses avantages théoriques mais, au-delà des considérations d’ordre général, la nécessité d’une réflexion plus poussée s’impose sur le rapport TIC et gouvernance. Une réflexion davantage légitimée par les types de questions suivantes: les technologies de l’information et de la communication (TIC), nous font-elles entrer dans un nouvel âge de la citoyenneté, allant jusqu’à permettre l’éclosion de nouveaux citoyens? Favorisent-elles un épanouissement de la démocratie, en instaurant une cyberdémocratie? Ou bien peut-on dire qu’il n’y a vraiment rien de nouveau et que les mêmes pièces se répètent à l’identique, le décor seul ayant changé? Depuis la fin des années 1980, de nombreuses études ont cherché à analyser les liens entre Internet et démocratie et plus spécifiquement les effets de l’outil sur la relation gouvernants gouvernés. Mais, il reste que le débat n’est pas encore épuisé et donc engager la discussion sur le thème, „usages, usagers des TIC, la problématique de la gouvernance démocratique au Burkina Faso“ n’est pas une opération superflue. Le Burkina Faso (comme d’ailleurs la plupart des pays africains) présente une situation d’étude assez intéressante en ce sens que nous sommes conduit à prendre en compte dans l’analyse deux composantes majeures de ses caractéristiques à savoir: la faiblesse du développement des TIC et la „jeunesse“ de son processus démocratique. Notre réflexion va prendre appui sur les points de questionnements suivants: quels usages des TIC sont faits par les gouvernants et les gouvernés? 79 Dossier quelle relation peut-on établir entre ces usages et la gouvernance? quels sont les dispositions ou mécanismes mis en place par l’Etat pour faciliter la gouvernance électronique? quelles sont les attitudes des citoyens qui témoignent de leur engagement ou de leur volonté à s’approprier les TIC pour assurer leur participation à la gouvernance? au regard du profil des usagers des TIC au Burkina, ne serait-on pas dans une situation où on créerait des citoyens de seconde zone à la marge du processus de la gouvernance électronique? Notre démarche méthodologique a consisté essentiellement à observer et analyser les discours et les pratiques d’e-gouvernance au Burkina. Pour ce faire, nous nous sommes beaucoup intéressé aux sites Web des institutions et ministères ainsi qu’au document de Politique Nationale de Bonne Gouvernance (PNBG). L’exploitation documentaire a été complétée par l’observation et des entretiens avec quelques acteurs intervenant dans la construction de la démocratie électronique (institutionnels, citoyens et acteurs de la société civile). Notre grille d’analyse des sites est constituée des quatre dimensions de l’action politique (information, débat, mobilisation et participation à la prise de décision publique). Pour chacune de ces dimensions, les indicateurs retenus sont: la nature des informations diffusées, l’accessibilité, l’interactivité du site, la mise à jour. Bien entendu, cette démarche a aussi pris en compte la culture politique ambiante et le fonctionnement des institutions en place. Avant d’en venir aux résultats de nos investigations et pour bien situer notre cadre d’analyse, il est fondamental de s’arrêter un moment sur les concepts de gouvernance et de e-gouvernance dans les démocraties et le lien avec les TIC. En effet, le concept de gouvernance se présente à bien des égards comme une notion abstraite difficile à saisir mais, en même temps, certaines pratiques des gouvernants et des gouvernés correspondent à des traits caractéristiques de ce qu’on désigne par ailleurs de gouvernance. 1. La gouvernance: mythe et réalité Depuis quelques années, les concepts de gouvernement et de gouvernance ont considérablement évolué. Ce phénomène est dû aux attentes et aux pressions croissantes (France, Etats-Unis, Canada, FMI et Banque Mondiale) qui exigent des gouvernements africains d’utiliser des méthodes modernes d’efficience et d’efficacité afin d’être plus ouverts à la responsabilité démocratique. Les réflexions sur le sujet s’inscrivent plus largement dans un ensemble de débats portant sur les évolutions des sociétés démocratiques occidentales notamment en matière de modes de participation politique. Les différentes formes de démocratie représentative qui caractérisent les sociétés occidentales n’apparaissent pas toujours très satisfaisantes en termes de parti- 80 Dossier cipation citoyenne. De nombreux auteurs, se référant à un idéal de démocratie participative tel qu’il aurait existé en Grèce antique (confère aussi la déclaration d’Al Gore à Buenos Aires au sujet du GII, l’Infrastructure Globale de l’Information „The GII will not only be a metaphor for a functioning democracy, it will in fact promote the functioning of democracy by greatly enhancing the participation of citizens in decision-maketing. And it will greatly promote the ability of nations to cooperate with each other. I see a new Athenian Age of democracy forged in the fora the GII will create“), prônent alors une association plus étroite du citoyen à la prise de décision politique. Du côté de la société civile, les demandes se font également plus pressantes, le citoyen n’hésitant plus à intervenir à tous les niveaux décisionnels: local, national, européen. La notion de gouvernance, un concept nouveau pour des réalités anciennes, vient alors s’inscrire dans une nouvelle problématique: celle de l’efficience et de l’efficacité de l’action publique. Face à la crise de gouvernabilité, l’Etat doit appliquer le „concept de bonne gouvernance“. La „bonne gouvernance“ est alors celle où l’État se met en retrait, travaille en réseau en qualité de partenaire. Au niveau du Burkina Faso, le document de Politique Nationale de Bonne Gouvernance (PNBG) fait mention de la définition et des principes directeurs. La bonne gouvernance, comprise comme l’exercice de l’autorité politique, économique et administrative garantissant la participation populaire, la stabilité politique, le développement institutionnel et le respect des droits de l’homme, requiert les principes de bases suivantes: - „la participation des citoyens à la prise de décision, soit directement, soit par le biais d’institutions légitimes et reconnues, articulant leurs intérêts, ce qui implique la liberté d’opinion, d’expression et d’association; la transparence fondée sur la libre circulation de l’information, condition indispensable à la compréhension et au suivi des questions d’intérêt général; la responsabilité, qui implique que les titulaires des postes de responsabilité, à quelque niveau que ce soit (appareil politique, administration, économie, société civile), rendent des comptes et, qu’en corollaire, les citoyens soient en mesure de leur en demander; etc. “. En somme, la gouvernance ou plus spécifiquement la bonne gouvernance serait un cadre, une pratique démocratique qui permet une transparence de la gestion des affaires publiques par les gouvernants et une participation effective des gouvernés aux précises de décisions et actions en rapport avec la vie communautaire. Quant à l’e-gouvernance, elle fait généralement référence à la gestion de la relation gouvernants-gouvernés au travers d’une utilisation des TIC. En d’autres termes, l’e-gouvernance ou gouvernance électronique est l’utilisation récurrente des TIC au service de la bonne gouvernance. C’est une sorte d’espace virtuel où gouvernants et gouvernés se retrouveraient pour discuter des affaires de la cité; avec une spécificité qui est que dans cet espace, les différences de statut n’ont 81 Dossier plus cours et que par conséquent la contribution de chaque acteur est d’une importance égale à celle de tous les autres. L’e-gouvernance a pour principaux objectifs: appuyer et simplifier la provision des services publics pour tous (gouvernement, citoyens et entreprises); soutenir et faciliter la gouvernance au-delà des frontières temporelles, géographiques, départementales, provinciales et communales. Il apparaît donc évident que l’e-gouvernance ne consiste pas simplement à mettre des publics en ligne et à améliorer leurs prestations. Il s’agit également d’un ensemble de pratiques (dispositions) utilisant la technologie qui pourrait changer les grands modes d’interactions entre les citoyens et le gouvernement et améliorer la qualité globale de la prise de décision. A partir de ces considérations, on peut noter que les TIC ouvrent des possibilités, mais ils génèrent également de nouveaux risques qui pourraient avoir une conséquence profonde sur la compréhension et l’exercice de la citoyenneté, la fracture numérique et la qualité de la participation (le risque de banalisation de la participation en réduisant les questions complexes en simples questions de type oui ou non pour les votes par exemple). L’application de la gouvernance électronique au contexte burkinabè ne manque pas de faire ressortir de façon marquée l’importance de ces préoccupations et conséquences. D’où la dimension ambivalente de cette pratique caractérisée d’une part par un mythe qui consiste à croire que grâce aux TIC, on aurait une situation de gouvernance parfaite où les citoyens et la société civile occuperaient une place privilégiée à côté du gouvernement pour gérer les affaires de la cité; ce que traduit la vision de l’agora moderne. D’autre part, c’est aussi une réalité que les technologies de l’information et de la communication peuvent considérablement augmenter la transparence du gouvernement et ouvrir de nouvelles voies de participation citoyenne. 2. Les usages des TIC Ici, nous distinguons les usages qui sont faits par les gouvernants et ceux qui sont faits par les gouvernés. Du côté gouvernemental, il s’agit d’apprécier l’offre aux populations en termes de: accueil, accessibilité, nature des informations, interactivité et de mise à jour. Pour les citoyens l’analyse va se focaliser sur leurs centres d’intérêts en matière d’information, la nature de leurs pratiques récurrentes sur le Web et les sites visités. 2.1. Les institutions burkinabè et l’exploitation des TIC La création de sites Web constitue la principale stratégie d’exploitation des TIC par l’administration burkinabè pour communiquer avec les citoyens. Ainsi tous les grands démembres de l’administration (institutions et ministères) disposent chacun d’un site dont l’analyse permet de relever ce qui suit: 82 Dossier - Accueil: la présentation générale des sites n’est pas harmonisée; ce qui, en plus de ne pas contribuer à donner une identité homogène de l’administration, rend difficile la recherche d’informations sur ces sites par le citoyen moyen. Par ailleurs, la plupart des sites ne sont pas dynamiques (ils manquent de créativité donnant l’impression d’une simple reprographie de plaquettes institutionnelles) et ont une attractivité faible. Cette insuffisance limite la visite de ces sites. Il faut noter qu’un des atouts de l’Internet par rapport aux autres médias réside dans sa dimension fascinante, sensationnelle qui fait qu’on peut y rester connecté durant des heures sans sentir le poids de la lassitude. - Accessibilité: bien que d’apparence facile pour les habitués du Web à cause de la simplicité des rubriques, l’accessibilité aux contenus des sites reste tout de même difficile pour les néophytes qui manquent d’expérience dans l’utilisation du Net. La grande majorité des internautes burkinabè s’inscrit dans le lot des néophytes en ce sens qu’ils ont des contacts rares et irréguliers avec Internet. A l’handicap de la maîtrise technique s’ajoute l’existence de nombreuses rubriques sans contenu (portant la mention „en construction“). - Contenus: ils se composent pour une large part d’informations générales (organisationnelle et juridique), une petite proportion d’informations relatives à l’actualité de l’institution ou du service et quelques documents en ligne sur les grands projets ou des orientations politiques. On note cependant une absence de sujets de débats portant sur les grandes problématiques liées à la vie de l’institution et pouvant nécessiter une contribution des citoyens. Il en est de même pour les formulaires et autres documents pouvant être exploités à distance pour améliorer/ faciliter le service rendu aux citoyens. - Interactivité: aucun des sites institutionnels n’offre une possibilité d’interaction aux usagers-citoyens. Quelques rares sites présentent une fenêtre pour écrire au 1er responsable mais sans garantie de réception effective par le destinateur et de réponse retour. Or les deux principales caractéristiques de la gouvernance électronique, ce sont l’instantanéité, l’immédiateté de la réaction dans les deux sens et l’établissement d’un lien direct entre gouvernants et gouvernés. - Mise à jour: un nombre important de sites ne sont pas mis à jour. Les informations contenues sont obsolètes et souvent en déphasage avec l’évolution des institutions. C’est ainsi que les fréquents réaménagements institutionnels et organisationnels décidés en conseil des ministres ne sont pas toujours pris en compte sur les différents sites Web pour coller aux données de la réalité du terrain. Toutes choses qui sont de nature à désorienter les citoyens internautes par rapport à l’identité des services et institution et surtout pour l’obtention des prestations adéquates. En plus des sites Web, l’Etat burkinabè a développé d’autre initiatives telles la formation des directeurs de la communication et de la presse ministérielle (DCPM) à l’animation des sites, l’institution d’une semaine national de l’Internet et des NTIC, le système intégré de gestion administrative et salariale des personnels de l’Etat (SIGASPE), le Trade Point, le système douanier automatisé (SYDONIA), le 83 Dossier circuit intégré de la dépense (CID), l’autorité de régulation des télécommunications (ARTEL), le centre des guichets uniques, le GATEWAY, le projet info routes communales dans le cadre de sa politique de bonne gouvernance et de modernisation de son administration pour davantage rapprocher qualitativement l’administration des administrés. Mais là aussi, la pratique révèle de nombreuses insuffisances majeures qui limitent la pratique d’une réelle e-gouvernance. 2.2. Les usages chez les citoyens Les usages observés chez les citoyens sont multiples et multiformes mais quelques traits peuvent être dégagés et concernent entre autres les points suivants: Centres d’intérêt: à l’évidence, la recherche des informations émises par les services et institutions publics ne constitue pas la première préoccupation des internautes burkinabè. Les rencontres, l’évasion, la découverte, la culture générale et scientifique composent par ordre d’importance décroissant les centres d’intérêt privilégiés des citoyens qui vont sur le Net. Pratiques: à ce niveau on a par ordre d’importance de fréquence, la messagerie, le divertissement, le chat et la recherche d’informations de tous ordres. On note que les pratiques ne s’orientent pas vers l’établissement de relations avec les gouvernants ou vers une quelconque participation à des débats voulus ou initiés par les services et institutions publics sur des problématiques d’intérêt général. Sites visités: les sites d’ailleurs occupent les premières places par rapport aux sites locaux. Il en va de même pour les sites non institutionnels par rapport aux sites institutionnels. Ce qui témoigne de la faible attractivité (en termes de contenus et de présentation) des sites gouvernementaux mais aussi, ce désintérêt pourrait traduire, dans une certaine mesure, une crise de confiance des gouvernés par rapport aux gouvernants quant à leur capacité ou leur disponibilité à discuter et à fournir des éléments de réponses pertinentes aux multiples questions sur le fonctionnement des institutions et la gestion des affaires publiques de façon plus large. 3. Les usagers des TIC - Niveau gouvernemental: l’utilisation de l’Internet est plus l’apanage des techniciens et autres adeptes des TIC que des premiers responsables qui, dans nombre des cas, se classent parmi les analphabètes du 3 ème millénaire. Ce qui laisse entrevoir la faible probabilité de l’établissement d’un lien communicationnel direct entre citoyens et autorités politiques ou administratives. Toute chose dont la perspective pourrait donner une autre dimension aux relations gouvernants-gouvernés par une meilleure connaissance mutuelle et l’orientation vers une vision partagée des grandes problématiques de la cité. On observe dans l’administration publique, malheureusement, que beaucoup de cadres se font installer dans leur bureau un ordinateur avec connexion qu’ils utilisent comme simple objet de décoration voire de divertissement (écouter de la musique par exemple). 84 Dossier En d’autres termes, les usagers des TIC au niveau gouvernemental relèvent de la catégorie des professionnels du domaine ou de la catégorie des cadres moyens et agents publics qui n’ont aucune emprise sur les orientations stratégiques du gouvernement en matière de e-gouvernance et qui plus utilisent les TIC pour des besoins personnels et privés. - Niveau citoyen: au-delà des individus qui se recrutent principalement en milieu urbain parmi les personnes instruites, on a les utilisateurs communautaires à travers l’exploitation des centres polyvalents multimédias à vocation sociale (commune de Ouagadougou, Yam Pukri, le point d’accès des jeunes aux inforoutes de l’information et de la communication (PAJE), les initiatives Burkina-NTIC, etc. Dans tous les cas, les usagers de l’Internet au Burkina sont des privilégiés par rapport à la grande masse de la population qui ne peut y accéder faute de moyens financiers et de formation. Le profil général de ces usagers (élèves et étudiants pour la grande majorité) suscite, à l’évidence, des réserves sur la qualité de leur participation dans un processus d’e-gouvernance. Et ce, d’autant plus que les pratiques habituelles observables sur le terrain démontrent une très faible contribution des élèves et étudiants aux débats portant sur des sujets liés à la gouvernance démocratique. 4. L’expression de la gouvernance électronique Au regard du contexte décrit à travers l’analyse des usages et des usagers, nous observons que la pratique de la e-gouvernance au Burkina se présente comme suit: - Information: il y a un effort de fait pour donner de la visibilité aux institutions publiques sur la toile et donc des connaissances (relatives) institutionnelles offertes aux citoyens en tout lieu et en tout temps. Mais on ne peut pas assimiler cette visibilité des structures publiques à une transparence dans la mesure où les informations contenues dans les différents sites ne révèlent pas le processus de gestion des affaires. En d’autres termes, la visite d’un site d’une institution donnée de la république ne change en rien la connaissance de l’internaute burkinabè sur le traitement des affaires de celle-ci. Du côté des citoyens, Internet n’est pas utilisé comme une opportunité pour chercher à découvrir et comprendre la gestion des affaires de la cité par les autorités publiques. La petite place de l’information publique par rapport à leurs plus grandes préoccupations sur le Web que sont les rencontres, l’évasion et la découverte témoigne de ce désintérêt manifeste pour la chose publique. Un des fondements de la communication publique repose sur le principe du devoir de communiquer (de mise à disposition de l’information publique) pour les gouvernants et du droit à l’information pour les citoyens; partant de là, on peut en convenir que ce principe n’a de sens, en matière de gouvernance, que si le droit 85 Dossier du citoyen s’exprime à travers des besoins en informations réellement manifestés au quotidien dans les rapports avec les services publics et les gouvernants. - Débat: dans la mesure où les sites institutionnels ne sont pas interactifs et que leurs contenus portent sur des informations d’ordre général alors, aucune opportunité de débat public n’est offerte par les pouvoirs publics aux citoyens. Mais en même temps, nous notons que nombre d’internautes burkinabè participent à des forums de discussions, sur des sites non institutionnels, portant sur des sujets d’intérêt national (affaire Thomas Sankara, affaire Norbert Zongo, la révision de la constitution, etc.). Les TIC apparaissent ici comme une opportunité de prise de parole, d’intervention des citoyens dans le débat public national ou local. Cependant, ce débat qui se veut direct, dans le cadre de l’e-gouvernance, nécessite la coprésence des principaux acteurs que sont les gouvernants et les citoyens. Autrement, on aboutit à une sorte de délocalisation de débats d’ordre national dans un espace virtuel où l’acteur principal (l’Etat à travers ses représentations) est absent de la scène. mobilisation: elle paraît difficile voire impossible à réaliser au regard de la nature et de la construction des informations diffusées sur les sites. Les informations ne sont pas incitatives ni suffisamment valorisantes pour susciter un sentiment de solidarité ou de soutien des citoyens à une quelconque politique / projet de l’Etat. Le processus de mobilisation est composé de plusieurs étapes dont, d’une part la compréhension de l’objet en question et, d’autre part l’explication, la perception et la mise en perspective valorisante (de même objet) de la part contributive de chaque acteur concerné, en constituent des fondamentaux. L’architecture un peu trop simpliste des sites donne l’impression qu’il s’agit tout juste de sacrifier à un phénomène de mode sans une ambition réelle associée. Internet, tout comme les médias classiques, est perçu comme un outil de mobilisation à cause de sa capacité à toucher et à mettre en réseau une quantité importante de personnes à la fois. Dans ce cas, les TIC peuvent contribuer à la réalisation des objectifs de la gouvernance à la condition que les messages qu’elles véhiculent soient suffisamment motivants pour les citoyens. Autrement, elles restent un simple moyen de communication sans plus. participation à la prise de décision: cet aspect de la gouvernance implique la reconnaissance et la légitimation de la décision gouvernementale par les citoyensacteurs. La participation du citoyen à la prise de décision trouve son fondement dans l’idée qu’en matière de gouvernance, gouvernants et gouvernés sont des partenaires engagés et ont de ce fait une responsabilité partagée par rapport à la gestion des actes majeurs de la vie de la communauté. La participation des citoyens suppose leur accès, avec possibilité de discussion, aux politiques, programmes et projets initiés par les gouvernants; elle traduit une ouverture de ces derniers vers les citoyens. L’analyse des données contenues dans les sites et des dispositifs d’exploitation des TIC mis en place par les administrations ne laissent entrevoir aucun signe 86 Dossier d’invitation des citoyens à participer aux prises de décisions dans la démarche des gouvernants. Nous sommes en présence d’une reproduction sur le Web des mêmes schémas relationnels de la gouvernance classique, ordinaire, observable sur le terrain, avec forte démarcation des rôles d’acteurs actifs pour les gouvernants et d’acteurs passifs pour les citoyens. En cela, il nous semble qu’Internet n’apporte rien de nouveau sauf que de façon indirecte l’expression des citoyens sur la toile peut influencer par d’autres voies (la pression des organisations internationales ou des bailleurs de fonds) la prise de décision des gouvernants. 5. Les facteurs limitatifs et les perspectives Bien que les avantages liés à l’exploitation des TIC dans la gouvernance soient nombreux et perceptibles dans différentes situations, il reste que les conditions requises pour ce faire ne sont pas toujours réunies dans nombre de pays en développement comme le Burkina Faso. Ainsi dans le pays, un certain nombre de facteurs limitatifs d’importance handicapent les ambitions des autorités locales. a/ . Les facteurs limitatifs - La faiblesse des équipements et d’accès des populations: ce facteur est tributaire du sous-équipement des zones rurales en infrastructure de base (électricité et moyens de télécommunication), du taux élevé de l’analphabétisme et de la pauvreté des populations; l’outil informatique n’est pas à la portée du citoyen moyen dont le revenu mensuel couvre à peine les besoins nutritionnels de la famille. Ici, apparaît le problème de la fracture numérique qui pose en débat les modalités de la participation concrète à la gouvernance des populations qui n’ont pas accès aux TIC. Des initiatives diverses de solutions palliatives, comme les télécentres centres polyvalents (TCP) ou les centres communautaires polyvalents, etc., ont été expérimentées par des ONG ou des organisations internationales mais, dans l’ensemble, les résultats obtenus sont mitigés. Les offres proposées par les sociétés de téléphonie restent pour une large part hors de portée du plus grand nombre des citoyens-consommateurs. le manque de culture du Web: une des caractéristiques des sociétés modernes d’aujourd’hui, c’est qu’elles sont marquées par l’omniprésence des TIC avec pour conséquence, des environnements de travail qui recèlent de plus en plus d’abstraction, où la matière grise devient déterminante. Être citoyen à part entière dans ce nouveau contexte implique un bon niveau de culture générale, scientifique et technique, qui doit s’acquérir au cours de la scolarité, car l’objectif demeure de mettre les uns et les autres à égalité. Sur ce plan, les inégalités sont profondes et observables à tous les niveaux du système d’éducation dans le pays. Ajouté à la faiblesse des équipements et à l’analphabétisme, on aboutit au constat que la grande masse de la population Burkinabè manque de culture du Web pour une 87 Dossier exploitation optimale et judicieuse des potentialités qu’offrent les TIC. Beaucoup manquent de pratique et d’attitudes adaptées à la réactivité, à l’interactivité et à l’instantanéité, caractéristiques de l’efficacité des TIC. De fait, on est amené à s’interroger sur le jugement et l’intervention dans le débat citoyen de celui qui ignore tout des autoroutes de la communication, qui ne dispose ni des connaissances ni des représentations nécessaires. Ne se trouve-t-il pas dans la situation de l’interlocuteur de Lacan qui ignore les nombres complexes? En d’autres termes, participer sereinement au débat citoyen, sur un pied d’égalité, suppose de s’être approprié des connaissances de nature scientifique et technique en matière de TIC. Sinon le risque est bien réel de créer des citoyens de seconde zone. les faiblesses structurelles de la gouvernance: un certains nombre d’attitudes et de comportements observables dans la mise en œuvre du processus démocratique témoignent du fait que des responsables administratifs et des agents publics sont en général peu enclins à l’ouverture démocratique, à la transparence et au partage des savoirs. Toute chose sans laquelle l’e-gouvernance n’a pas de sens. Par ailleurs la grande majorité de la population méconnaît les principes de base et les règles d’application de la gouvernance. La promotion du concept n’est pas suivie de dispositifs d’éducation et de formation des citoyens en la matière. Ainsi, alors que la symbolique du concept est forte pour les gouvernants; ce qui explique son utilisation dans la plupart des discours institutionnels, le citoyen ordinaire comprend à peine son sens et situe difficilement sa place et son rôle à l’intérieur du système. Les nombreux problèmes rencontrés dans la mise en œuvre de la décentralisation dans le pays témoignent, entre autres, de cette réalité de la situation sur le terrain. la difficile synergie entre les principes de bonne gouvernance et les décisions des autorités publiques: bien que la volonté gouvernementale, à travers les discours, soit manifeste par rapport à la création de conditions pour l’application effective de l’e-gouvernance, on se rend vite compte à l’analyse qu’il ya un grand décalage entre les principes (magnifiés) et les faits. Dans nombre de cas, si les structures et/ ou dispositifs idoines sont toujours en attente d’être créés, on note que ceux qui existent ne sont, souvent, que des coquilles vides sans intérêt majeur dans la pratique. Par exemple, le Comité Sectoriel de Pilotage „e-gouvernance“, préconisé dans le cadre de l’opérationnalisation du plan de développement de l’infrastructure nationale de l’information et de la communication du Burkina, n’a toujours pas d’existence formelle. Il en est de même pour d’autres comités comme: „e-éducation“, „e-santé et protection sociale des pauvres“, „création d’un environnement propice à la mobilisation du potentiel des NTIC et au développement des e-emplois“; etc. b/ . Les perspectives La possibilité d’informer était autrefois le privilège de quelques uns. La banalisation d’outils comme le traitement de texte, les messageries électroniques, Internet, dé- 88 Dossier mocratise la production de l’information ainsi que sa circulation. Il y a des millions d’auteurs et de créateurs sur le Web. D’évidence, le citoyen dispose désormais de moyens concrets pour intervenir dans la vie de la cité: il peut débattre, donner son avis, agir pour faire triompher son point de vue. Encore faut-il qu’il puisse se servir de tous ces outils nouveaux et qu’il soit à même de percevoir et de comprendre les enjeux sociétaux issus de la place de plus en plus grande occupée par les réseaux et leurs outils dans tous les secteurs des sociétés modernes. Comme le disait Hubert Beuve-Méry (cité par Archambault, Jean-Pierre): „un citoyen responsable est un citoyen informé“. Le nouveau paysage est fait d’une multiplication vertigineuse des sources d’informations disponibles associée à une logique nouvelle de services interactifs. Cela suppose de nouveaux savoir-faire et de nouveaux réflexes, la capacité à intervenir pleinement dans le débat citoyen dans lequel les TIC s’immiscent inéluctablement. Par ailleurs, dans le pays, les interventions, de plus en plus remarquées, du secteur privé, en termes de formation, prestations de services informatiques et de télécommunication (opérateurs téléphoniques, télécentres, cybercafé, vente et maintenance de matériels), offrent des opportunités aux populations de s’approprier les TIC pour une participation citoyenne à la gestion de la cité. Conclusion Au terme de notre analyse, nous retiendrons l’idée incontestable que les TIC offrent de réelles opportunités pour le développement de la gouvernance dans les Etats. En effet, la fascination actuelle dont elles jouissent, ses dimensions spécifiques (instantanéité, interactivité et connectivité multiple) placent aujourd’hui les TIC au premier plan des moyens modernes utilisés par les managers des administrations publiques pour, informer, promouvoir, susciter le débat et l’implication des divers publics sur les différentes activités relatives à la gouvernance locale et nationales. De fait, on entre de plain-pied dans un nouvel âge de la citoyenneté marqué par une plus grande accessibilité à l’information publique, une plus grande facilité d’intervenir dans la vie de la cité (débattre, donner son avis, agir) et une relative proximité (étant donné qu’il s’agit d’une relation virtuelle) entre gouvernants - gouvernés. Dans cette optique, les notions de transparence, d’implication et de participation citoyenne deviennent réalité conduisant à un épanouissement de la démocratie. En faisant le point sur ce croisement des perspectives théoriques sur la gouvernance d’une part et de l’analyse des pratiques technologiques et sociales d’autre part, nous arrivons au constat que la situation au Burkina Faso, bien que s’inscrivant dans la dynamique nouvelle créée par le développement des TIC, reste tout de même caractérisée par une certaine faiblesse structurelle, organisationnelle et conceptuelle de sa e-gouvernance qui se présente la façon suivante: 89 Dossier - Une fracture numérique qui s’observe à différents niveaux (entre villes et campagnes et entre les différentes couches socioprofessionnelles); - Une faible culture du Web chez nombre des utilisateurs du fait du faible taux de scolarisation et de la formation aux TIC; - Des attitudes et des comportements de certains agents publics peu favorables à l’ouverture démocratique, à la transparence et au partage; - Des volontés et des décisions politiques qui ne sont pas adéquation avec les pratiques sur le terrain. 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