eJournals lendemains 35/138-139

lendemains
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Narr Verlag Tübingen
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2010
35138-139

Echanges Allemagne/Afrique

2010
Alain Cyr Pangop Kameni
ldm35138-1390036
36 Dossier Alain Cyr Pangop Kameni Echanges Allemagne/ Afrique Les transferts germano-camerounais à travers la presse écrite au Cameroun 1 De l’assimilation à l’adaptation La concordance de déformation qui produit la différence lors d’un processus de „transfèrement“ relève de l’adaptation. Cette différence qui touche aussi bien les discours que les formes, les matières et les techniques dans les pratiques culturelles et médiatiques en échanges, sert de repère dans l’ajustement d’un Etat aux nouvelles formes socioculturelles. Dans ce sens, l’adaptation signifie une économie d’efforts dans la standardisation des productions culturelles conçues, planifiées, prônées et même dictées. Les changements théoriques du concept d’adaptation qui traversent aussi bien les sciences sociales, les sciences humaines que les arts et les lettres depuis les études pionnières sur l’intertextualité, ont fortement marquée le structuralisme, la linguistique et la sémiologie de 1970 à 1990. La question de l’adaptation culturelle se pose avec acuité en Afrique où les problèmes d’intercompréhension dans le processus de communication en contacts interculturels sont souvent source de conflits inédits. Cette question s’insère dans une problématique plus large concernant la linguistique que Florian Coulmas rattache à la démocratie, à la crise des normes linguistiques et à la traduction. 2 Aujourd’hui, le concept d’adaptation investit non seulement le champ de l’intermédialité, mais surtout des transferts culturels et médiatiques, en raison d’importantes mutations consécutives au décloisonnement des arts. L’observation du cas des échanges entre l’Allemagne et le Cameroun permet de lever un pan de voile sur la dynamique d’appropriation productive et médiatique des items culturels germano-camerounais. Que des chercheurs allemands aient contribué à faire connaître l’Afrique au monde constitue en soi, et dans une large mesure, une réalité fondamentale dans les relations germano-africaines en général et germano-camerounaises en particulier. 3 Léo Frobenius, par exemple, après douze expéditions en Afrique au début du XX e siècle est l’auteur d’une histoire culturelle de l’Afrique vue d’Allemagne. Senghor dans son discours prononcé en 1968 à l’Eglise Saint-Paul de Frankfurt, lorsqu’il recevait le Prix de la paix de la Librairie allemande, déclara que l’œuvre de Frobenius était considéré comme une sorte de bible par les jeunes Africains qui, chez eux ou en Europe, menaient des recherches sur les échanges culturels entre les deux guerres. 37 Dossier Un autre exemple qu’on peut citer est celui de Dietrich Westermann qui, après avoir été d’abord facteur à Bremen, puis missionnaire au Togo, finit par devenir professeur d’ethnologie et d’histoire africaine à Berlin. Sa grammaire de la langue éwé, parue en 1907, était déjà à l’époque, l’expression de la coopération culturelle germano-africaine, car elle fut rédigée avec le concours de Jonathan Savi de Tove, jeune secrétaire africain du gouverneur allemand du Cameroun. De plus, son livre Histoire de l’Afrique-formations d’Etats au Sud du Sahara (1952) est l’une des premières publications sur l’histoire de l’Afrique subsaharienne avant la colonisation. D’ailleurs, L’Afrique et les Allemands de Senghor publié aux éditions Erdmann souligne l’attrait réciproque entre Allemands et Africains. Les œuvres des explorateurs tels que Heirich Barth, Gustav Nachtigal, Georg Schweinfurth, Friedrich Hornemann, Gerhard Rohlfs, Overweg, Vogel et bien d’autres, dénotent une certaine fascination pour l’Afrique. Parmi les pionniers des relations culturelles germano-africaines, on ne peut évidemment pas faire table rase des missionnaires. En dehors de la propagation de la foi chrétienne, les membres des missions comme ceux de Berlin, de Bâle, de Hermannsburg, de Leipzig, de Bremen, les missions de Bénédictins et les missions de Steyl ont toujours estimé que l’enseignement, l’apprentissage, les soins aux malades et l’introduction de nouvelles cultures agricoles (à l’instar du café au Kilimandjaro) faisaient partie de leurs tâches. Ils ont également substantiellement contribué à la promotion et à la diffusion de la musique africaine, à l’introduction de règles grammaticales, de langues écrites et de dictionnaires en Afrique. Au Cameroun, tout comme au Togo et en Afrique orientale, pendant les trente années de présence coloniale allemande, bien des infrastructures tels que les chemins de fer, les hôpitaux ont été construits. On peut aussi bien relever au plan strictement culturel, l’enseignement et la diffusion des langues locales. Lorsque dans les années 1960 la plupart des territoires africains devinrent des Etats indépendants, une nouvelle ère dans les relations culturelles germanoafricaines commence. Des contacts culturels vont alors multiplier avec les deux grands festivals culturels panafricains de Dakar (1966) et d’Alger (1969). Le relèvement économique de l’Allemagne après la guerre et le désir des anciens colonisés d’aller au-delà des liens unilatéraux avec les anciennes métropoles ont permis d’accroître les relations culturelles germano-africaines. 4 Autant une nouvelle image de l’Afrique commence à se structurer en Allemagne, en Afrique une nouvelle base des échanges culturels va se construire. En témoigne le nombre sans cesse croissant des institutions allemandes qui s’occupent des échanges culturels avec l’Afrique. On peut signaler en l’occurrence le „Deutsche Akademische Austauschdienst“ (service allemand des échanges universitaires), avec plusieurs bourses offertes aux Africains. L’Institut Goethe encourage les échanges culturels avec l’Afrique par la diffusion de la langue et de la culture allemandes, par des bibliothèques, expositions, tournées d’artistes, représentations théâtrales, conférences, concerts et cours de langue. Efforts que soutiennent les gouvernements africains. Les fondations Friedrich Ebert, Adenauer, Friedrich Naumann se 38 Dossier consacrent à la formation des adultes et des journalistes. La fondation Alexander Von Humboldt s’occupe des chercheurs africains de qualité depuis plus d’une vingtaine d’année. Plusieurs maisons d’édition accueillent la littérature africaine à Tübingen, Diederrichs, Nymphenburg, Bayreuth, Francfort, Berlin. Inversement, plusieurs auteurs allemands séjournent en Afrique pour promouvoir leurs œuvres, sans compter l’immense production de Janheinz Jahn dans le domaine de la lecture germano-africaine. 5 En ce qui concerne le film ou la musique, des interférences sont notables à plus d’un titre et méritent des analyses systématiques. Des équipes allemandes de cinéma et de télévision sont souvent les hôtes de l’Afrique et rendent le cinéma allemand accessible à de larges couches de populations africaines. Dans le domaine de la radio et de la télévision, la Deutsche Welle, „La voix de l’Allemagne“, diffuse quotidiennement des programmes en langues africaines, à partir de Köln où, souvent, plusieurs journalistes africains bénéficient des séminaires de formation. Cette chaîne a déjà opéré une grande percée en Afrique australe. Pareillement, l’image de l’Afrique se précise de plus en plus dans la presse allemande, avec des correspondants en Afrique. On peut multiplier les exemples avec la coopération culturelle au niveau des églises, mais il suffit de dire que l’Allemagne se constitue ainsi „partenaire du progrès“ de l’Afrique dans les domaines scientifique, touristique et culturel. D’ailleurs, lors de la Conférence d’Accra des ambassadeurs allemands en Afrique du 20 mai 1993, le ministre des Affaires étrangères Klaus Kinkel affirma que dans le travail culturel et les relations publiques, l’échange avec l’Afrique doit se faire dans un esprit de partenariat, contre la tendance à l’„afro-pessimisme“. On peut lire en substance: „La promotion des sports et la musique légère de haut niveau (rock, jazz) peuvent constituer les axes de notre coopération. Les ambassadeurs préconisent la poursuite illimitée des programmes Transtel (prêt de cassettes de films pour la télévision moyennant une redevance modeste) et l’augmentation des programmes pour visiteurs africains. Ce sont là des moyens particulièrement appropriés à la diffusion d’informations sur tous les aspects de la vie en Allemagne“. 6 Ces bonnes intentions sont à prendre avec nuances, surtout lorsqu’on observe le cas de la presse écrite camerounaise qui peut nous permettre ici d’ouvrir quelques perspectives d’analyse. Le quotidien Cameroon Tribune et les transferts germano-camerounais Le quotidien camerounais Cameroon Tribune a contribué à la construction d’une référence interculturelle germano-camerounaise. En une trentaine d’années, en effet, le journal quotidien Cameroon Tribune a joué un rôle majeur dans la redéfinition des enjeux de la culture camerounaise et dans la compréhension des liens culturels que le Cameroun établit avec le monde. Par exemple, la perception de l’Allemagne, de sa culture et de sa littérature dans Cameroon Tribune entre 1974 et 1990 a permis de renouer un contact historiquement rompu par les querelles 39 Dossier des puissances coloniales et, par la suite, de contrebalancer la lourde influence des cultures françaises, anglaises et américaines. Si l’Allemagne est de plus en plus présente dans la presse camerounaise contemporaine, c’est que des „passeurs culturels“ se sont employés à restaurer la médiation interculturelle rompue depuis la perte de l’emprise coloniale allemande sur le territoire camerounais. La synthèse des pratiques de coopération entre l’Allemagne et le Cameroun au niveau des contenus médiatiques montre que les premières années de cet organe de presse a consisté en la publication des nouvelles brèves provenant des agences de presse (Reuter, AFP, ADN, TASS), de la télévision (ZDF), de la presse écrite (Der Spiegel, Frankfurter Rundschau, Unsere Zeit, Afrique-Asie, Die Welt, Bild Am Sonntag, Parus sur l’Afrique, Stern, Paris- Match, Sunday Times, Panorama, In-Press, Xinhua, New York Times, Parus sur l’Afrique, Panorama, Zaïre Presse ), la radio guinéenne (La voix de la révolution) et de l’Ambassade de la République Fédérale d’Allemagne. Au cœur des catégories thématiques traitées par Cameroon Tribune, on relève la prépondérance de la politique nationale allemande, en passant par l’histoire politique, les institutions, la politique régionale et la politique économique des armes de la R.F.A. Le tournant de 1990 avec le processus de l’unification de l’Allemagne augmente la fréquence de traitement de l’Allemagne dans la presse camerounaise en général et dans Cameroon Tribune en particulier. Les aspects de la coopération germano-camerounaise accordent un regard attentionné à l’aide au développement, aux croisements de cultures, à la vie sociale en Allemagne, aux médias et au sport. Les publicités s’y affichent comme étant des lieux d’argumentation, où les stéréotypes qui surgissent au cours du transfert de l’Europe vers l’Afrique dévoilent les formes de perception de l’autre, relativement à la cible commerciale du label. On voit ainsi apparaître la publicité de la langue allemande („Apprenez l’allemand“), de l’aviation allemande, des produits de l’industrie allemande, des maisons d’édition. Toutefois, il est intéressant de saisir la présence et la circulation des valeurs dans les textes de la presse: appropriation économique et intégration dans l’unité sociale. Car, la presse est un lieu de production du discours visant à convaincre ou à orienter. Ce qui met en relief, selon certaines recherches sur la communication, l’illusion générée par la complexité des phénomènes d’influence: l’influence ne saurait être linéaire, car on ne conditionne pas n’importe qui, avec n’importe quoi, n’importe comment. Les processus de production et de circulation des messages doivent alors être placés dans leurs contextes sociaux pour en appréhender la portée. Recueillant et transmettant les nouvelles, Cameroon Tribune replace les annonces des agences internationales dans un contexte général où par une vue synoptique et une référence à l’histoire mondiale, il essaye d’apercevoir l’événement en construction. La projection vers les possibles de l’événement en provenance de l’Allemagne et l’attente de leur déroulement soulèvent des questions qui jettent les bases de considérations de géopolitiques. Toutefois, la tendance à vouloir penser l’événement n’y est pas encore fortement marquée, même si on écrit à propos des 40 Dossier changements possibles en Allemagne en particulier et dans les relations germanocamerounais en général. Ici sont offerts des panoramas synthétiques largement ouverts sur la suite des événements, sur la construction d’une cause devenue commune. De manière globale, plusieurs lois ici régissent l’événement: les différences de systèmes politiques, l’idée de changement, la violence des conquêtes militaires qui cède la place à l’intelligence diplomatique. L’opinion est façonnée à admettre que dans l’ensemble du paysage institutionnel des relations germano-camerounaises s’exerce de façon subtile la pression de possibles transformations. Bien mieux, le regard qui déploie l’événement en panoramas fait usage de certains instruments pour rendre compréhensibles les nouvelles. Il s’agit de prothèses dont dispose le journaliste pour explorer, pour recevoir et organiser l’information. Comme le dit Claude Labrosse analysant l’événement dans les gazettes du XVIII ème siècle, „l’incertitude, l’attente, l’anticipation, la confirmation, la formulation d’hypothèse, la recherche d’une interprétation sont sans doute lisibles dans tous les énoncés qui veulent traduire de l’événementiel“ 7 Pour lui notamment, ce phénomène est à la fois banal et universel, et forme le fond de ce qu’on appelle parfois „l’esprit public“. On peut donc le dire, dans Cameroon Tribune ce qui est incertitude simplement constatée, sans commentaire, pratiquement étalée sur une dizaine d’années, tend par la suite à devenir une incertitude plus analysée. En prenant la forme réflexive, l’événementiel gagne en proportion et se donne de moins en moins en forme brève, de „micro-récits médiatiques“. 8 De petits discours où l’information est localisée cèdent la place à des analyses et commentaires conjoncturels. De la sorte, une mise en mémoire de l’événement se conjugue en une dynamique d’action de l’énoncé médiatique. Le monde germanique représenté est converti en monde observé, en espace d’exploration, et en fin de compte en objet de réflexion. Sous un autre rapport, les mutations factorielles dans la presse provoquées par les événements reflètent les translocations et les enjeux en cours. Il s’agit d’assurer la survie des actions d’actualité qui le méritent, car toute crise d’adaptation peut déboucher sur „la mort de l’information“ dans des pages internationales hautement sollicitées. Cameroon Tribune utilise les agences d’information et les médias occidentaux qui donnent les faits selon les vues de leurs pays. Le matériau textuel qu’il publie n’est donc pas original, mais il lui est propre par le tri qu’il fait des sujets et des versions, les coupures et des fois, la recomposition des textes. De plus, la prétention à l’impartialité ne l’exempte pas des commentaires personnels dans des „chapeaux“, sortes d’avant-propos qui sont à la fois une amorce des principaux événements de la relation. Par ailleurs, chaque événement est traité pour luimême, distingué par un titre propre et séparé des autres par un espace. Les articles les plus variés se succèdent dans des pages et sont toujours rapprochés autour d’un même thème. Y chercher l’image de l’Allemagne, c’est chercher l’image d’une institution à travers ses manifestations événementielles. Ici, on note une im- 41 Dossier possibilité de dégager une représentation unique de l’Allemagne, mais dans ses incarnations multiples, dans des cadres géographiques et institutionnels variés. Si Cameroon Tribune met forcément en scène les hommes de la „High society“ qui sont, de droit et de fait, des acteurs essentiels de la vie politique, militaire et économique, la place qu’il leur accorde est loin d’être exclusive. L’identité des actes et la répétition des événements, sortes de „marronnage“, créent une image d’élite stable et cohérente, qui transcende largement la diversité ethnologique et coutumière des nations européennes et même celle des caractères personnels (voir 28% politique contre 9% faits divers). L’espace textuel met en scène des personnalités en petit nombre, à des moments chargés d’une forte valeur dramatique et les cérémonies publiques par essence conçues comme spectacles: célébrations diverses de l’événement, anecdote à l’occasion, rappels de précédents…Dans tous les cas de figure, il donne à voir ce qui est hors de portée du lecteur et fixe de brefs moments dont l’enjeu à l’échelle des relations germano-camerounaises en particulier et internationales en général, est essentiel. Pourtant, on dresse rarement des portraits. En l’absence d’événements officiels de grande portée, l’espace textuel est réduit à sa portion congrue. La présence quasi-permanente de l’Allemagne dans les rubriques souligne que la qualité diplomatique donne aux simples actes de la vie un caractère exceptionnel, bien au-delà d’être de simples curiosités comme on pourrait rapidement penser. Même si la lecture de l’événement n’est pas exhaustive, elle cherche à guider le lecteur. Ce dernier hiérarchise et organise son contenu et met en valeur de sujets. Les événements politiques y tiennent une place quantitativement importante, sans être hégémonique. Le pouvoir économique est le plus visible, alors que le pouvoir législatif est illustré par des exemples qui témoignent du bon gouvernement. L’essentiel de la perception s’organise donc autour de l’image cérémonielle, dans la mesure où le texte met l’accent sur le caractère spectaculaire, et s’efforce de restituer à la fois les discours et leur sens. Ce faisant, elle donne accès à des scènes qui généralement échappent au public. Les comptes-rendus se structurent comme des récits vivants, avec des descriptions protocolaires qui abolissent l’éloignement géographique. Presse entièrement asservie au régime en place, Cameroon Tribune ne pouvait qu’être une pièce maîtresse du système de propagande officielle. Dans l’urgence de l’actualité et dans la limitation des espaces d’expression, les rédacteurs de Cameroon Tribune effectuait un tri parmi les événements pour satisfaire au goût d’un lectorat constitué majoritairement de fonctionnaires, d’intellectuels et d’étudiants. Mais les contenus du journal pouvaient être connus, voire lus par un public moins nanti, par le biais des kiosques à journaux ou des colporteurs qui sillonnent les villes principales de toutes les provinces du Cameroun pour vendre à la criée. Dans le cas d’espèce, l’adaptation linguistique au niveau des médias passe par la traduction des informations par les agences de presse, avant de les faire parvenir aux salles de rédaction des abonnés dont Cameroon Tribune. 42 Dossier Il apparaît donc clairement que l’adaptation peut être une pratique „transpositionnelle“, pouvant permettre de remodeler des genres et offrant des possibilités de commenter des textes sources. Cela s’accomplit en livrant un point de vue différent du texte original considéré, en ajoutant une hypothétique motivation, en donnant voix à ce qui est mis sous silence ou marginalisé. Il s’agit aussi de simplement rendre un texte plus compréhensible à de nouvelles audiences par le processus d’approximation et d’actualisation. Le contrôle du journal est d’un enjeu fondamental dans la tentative des Etats à pouvoir façonner le regard du peuple, „l’éduquer“. Toutefois, on peut relever que cela se fait non point dans une optique de rupture révolutionnaire et d’éducation critique du citoyen, mais dans le sens de la continuité. De ce point de vue, Cameroon Tribune se montre souvent didactique, fournissant aux lecteurs des informations historiques et géographiques sur l’Allemagne. On peut noter en général, une oscillation entre rejet et fascination dans le regard de ces rédacteurs qui se constituent vecteurs de la médiation, avec une mise en place de quelques stéréotypes qui vont nourrir l’imaginaire des Camerounais sur l’Allemagne. Le déplacement des journalistes en Allemagne à partir des années 1980 modifie les perspectives de lecture et ajoutent des qualificatifs mélioratifs. Grosso Modo, ils vont de l’assimilation à l’imitation des grands quotidiens occidentaux, de l’imitation à l’adaptation aux poids des échanges entre les deux aires culturelles. Les formats médiatiques accordent de plus en plus de privilèges à l’Allemagne, même si la France occupe une proportion prédominante dans les colonnes, pour des raisons historiques bien connues. Les indices de favorabilité dans la comparaison des contenus sont plus visibles à la une, dans les illustrations et dans l’usage des qualificatifs. Dans le dialogue Allemagne-Afrique au départ, il n’a le plus souvent été question que de politique, d’économie et d’aide au développement. Les bases matérielles manquaient un peu partout à l’indépendance officielle des pays nouvellement acquise. Pourtant, la politique de développement s’intègre dans la politique sociale pour offrir une vue d’ensemble de la culture. On se rend dès lors compte qu’une véritable aide au développement présuppose la connaissance de la culture des partenaires intéressés. Aujourd’hui, l’Allemagne s’affirme comme „une puissance en mutation“ 9 sous l’effet de l’unification et dont le modèle, à la fois politique et social, se positionne bien par rapport au défi de la mondialisation. Perspectives: valorisation de la coopération germano-camerounaise L’amitié germano-camerounaise récemment revisitée lors d’une conférence de presse du Club des Amis d’Allemagne (CAA) 10 le jeudi 21 août 2008 à Yaoundé, a mis sur orbite la nouvelle orientation de la coopération entre l’Allemagne et le Cameroun. Il s’agissait en réalité du prolongement de la conférence de Bonn tenue du 5 au 6 novembre 2007 sur „Les stratégies de développement international“ et 43 Dossier d’où il ressort que le Cameroun est aujourd’hui le premier pays en Afrique au Sud du Sahara et le quatrième au monde parmi les pays ayant un grand nombre d’étudiants en Allemagne. La presse rapporte d’ailleurs une étude récente qui révèle que le Cameroun est le deuxième pays dans le monde dont les ressortissants sont des cadres dans les entreprises allemandes. 11 C’est pourquoi face aux journalistes, le président du Conseil d’administration du Club des Amis d’Allemagne (CAA) et Administrateur Directeur Général de la Société Internationale des Travaux ferroviaires, Jacques Bimaï fut interpellé sur le bilan des sept années d’existence de l’Association. Il ressort de son bilan que trois missions ont été menées par le club dans le double but de sensibiliser la diaspora camerounaise installée en Allemagne à s’impliquer dans le développement du Cameroun et à encourager les investisseurs allemands à venir s’implanter au Cameroun. Parmi les expertises allemandes en cours et bénéfiques pour le Cameroun, on peut citer l’exploitation minière, la construction du pont en eau profonde de Kribi et la réalisation des projets de construction des barrages. La dernière mission du CAA en Allemagne a permis la création de l’association des Amis du Cameroun en Allemagne (VFKD) dont le siège est basé à Düsseldorf. La CAA revendique également un partenariat avec une société installée à Hambourg, dénommée Africa Verein et qui rassemble 600 entreprises installées en Afrique. A travers ce partenariat, la STRAFER basé au Cameroun a pu céder des actions à Martin Rose Gmbh, une entreprise installée à Kassel (ville allemande) à hauteur de 20%. Ce même partenariat a permis de convaincre un consortium de six entreprises de génie civil à participer à la création au Cameroun, de la Société internationale des travaux publics (SITRAP sa) avec 51% de capital allemand. De plus, la coopération avec Martin Rose Gmbh et le soutien de la GTZ ont permis que les Allemands contribuent à hauteur de 500 millions au renforcement des capacités des Camerounais dans les métiers ferroviaires. Entre autre projets de grande envergure en cours de finalisation que brandit la CAA, on peut citer la création de la société DK Ölmuhlen Sarl dont le capital est à majorité allemande et qui veut opérer dans l’extraction de l’huile de palme et la création des palmeraies entre Douala et Edéa. En outre, dans le rôle d’interface que veut jouer la CAA entre le Cameroun et la République Fédérale d’Allemagne, il est question de s’impliquer dans l’organisation d’un forum économique en Allemagne, pour ainsi saisir l’opportunité d’arracher d’autres joint ventures entre les entreprises des deux pays. Dans cette optique, une experte allemande était censé être établie à Douala depuis octobre 2008, tout comme le ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire avait convenu de retenir le CAA comme un interlocuteur valable dans les consultations intergouvernementales Cameroun/ Allemagne. Au-delà du bilan des activités et des réalisations, quelques observations pertinentes retiennent l’attention: - Dans le domaine de la migration et développement, la diaspora peut avoir un impact sur le développement des pays d’origine, en termes de flux financiers et de potentiel technologique, cependant que le phénomène de la fuite 44 Dossier des cerveaux du Tiers-Monde vers les pays nantis est une entorse à l’Afrique. - Il est urgent de s’interroger sur le canal par lequel on pourrait rendre opérationnels les rapports diaspora-pays d’origine, à l’exemple des pays asiatiques. Dans ce sens, les Français, les Américains et les Chinois se bousculent au Cameroun, alors que l’Allemagne y est absente aujourd’hui. - Les investisseurs allemands souhaitent l’organisation de forums économiques germano-camerounais, soutenus par une tournée en Allemagne du chef de l’Etat camerounais Paul Biya. Toutefois, lorsque l’envoyée de la coopération allemande, Annette Rothfuss arrive au Cameroun en octobre 2008, elle affiche des ambitions „réalistes“ quant à favoriser les relations d’affaires. Venue multiplier le volume des échanges commerciaux entre le Cameroun et son pays, elle s’est attachée à bien connaître les mœurs locales. Avec le ministre de l’Economie, président de la commission de montage des projets dans le cadre de cette coopération, elle s’est engagée à un rendez-vous mensuel durant les deux ans à passer au Cameroun. Il s’agissait en fait des rencontres permettant d’évaluer l’avancement du grand projet de dynamisation des rapports économiques germano-camerounais. Il était également question de veiller, avec d’autres, à la bonne marche de la commission en charge de présenter les atouts économiques du Cameroun aux investisseurs allemands, et à celle qui devra promouvoir les accords bilatéraux entre les deux Etats. Face aux questions de la presse sur la corruption ambiante au Cameroun, sur les mauvaises expériences des investisseurs allemands au Cameroun, ainsi que sur les classements des agences de conseil à l’investissement qui font du Cameroun une destination relativement risquée, Annette Rothfuss avait révélé qu’elle était au courant de la situation et qu’elle connaissait les lourdeurs administratives et l’inertie ambiante. Cependant, elle avait fait observer que ce qui freine les investisseurs allemands, c’est la prudence, la réticence à prendre des risques. Ce faisant, elle demeurait d’un optimisme bien plus modeste quant aux performances proportionnelles à celles de son collègue du Ghana. Un tel optimisme était fondé sur des potentialités plus importantes que les problèmes soulevés, et surtout sur la motivation de personnes majoritairement du secteur privé camerounais. 12 Ainsi, l’objectif d’Annette Rothfuss précise les aspirations de l’Allemagne: avant de repartir du Cameroun, mettre en contact les nombreux investisseurs allemands qui recherchent des marchés nouveaux et les potentialités camerounaises. Au reste, on peut observer ici que la germanophilie des Camerounais ou alors la camerounophilie des Allemands n’est pas encore comparable au philhellénisme dont parle Michel Espagne. 13 45 Dossier 1 Nous remercions vivement la Fondation Alexander Von Humboldt et tous les collaborateurs de la Chaire de Romanistique et de Communication Interculturelle de l’Université de la Sarre qui nous ont offert un cadre de travail pour achever cette étude et coordonner ce dossier. 2 Lire Florian Coulmas (éd.): Language Adaptation, Cambridge, Cambridge University Press, 1989. 3 Pour plus de lumière sur les relations historiques entre l’Allemagne et l’Afrique, lire Kum’a Ndumbe III (dir): L’Afrique et l’Allemagne. De la colonisation à la coopération, Actes du Colloque International Cent ans de relations entre l’Afrique et les Allemagnes 1884-1984: le cas du Cameroun, Yaoundé 8-14 avril 1985. 4 Cf. Hans Georg Stelzer „Conférence faite à l’occasion des Journées d’Afrique à Tübingen, le 12 juin 1970“, Les Relations culturelles entre l’Allemagne et l’Afrique, Tübingen und Basel, Hort Erdmann Verlag für Internationalen Kulturaustausch, 1970. 5 Voir ses traductions et sa bibliographie de plus de 2000 tomes sur la littérature néo-africaine. 6 Botschafterkonferenz Afrika vom 17-21 Mai 1993 in Accra, Ghana. 7 Claude Labrosse „L’incertain et le virtuel. L’événement en perspectives dans les gazettes du 18 ème siècle“ dans Hans-Jürgen Lüsebrink et Jean-Yves Mollier (dir.), Presse et événement: journaux, gazettes, almanachs (XVIII ème -XIX ème siècles), Frankfurt, Peter Lang, 2000, 22. 8 Cf. Marie-Eve Thérenty, Guillaume Pinson (dir.), „Microrécits médiatiques. Formes brèves du journal, entre médiations et fictions“, Etudes françaises, 44, 3, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2008. 9 Voir Jean-Pierre Gougeon, Allemagne, une puissance en mutation, Paris, Gallimard, 2006. 10 Créé en mai 2001, le Club des Amis d’Allemagne (CAA) est une association camerounaise qui entend contribuer à la réinsertion des Camerounais étudiant en Allemagne et candidats au retour; au renforcement des échanges socioculturels pour une meilleures appréhension des différents contextes et à la promotion des projets de développement durable. 11 Nestor Nga Etoga, „La nouvelle orientation de la coopération entre l’Allemagne et le Cameroun“, http: / / www.camerounlink.net/ fr/ printnews.php? nid=40075 du 25.08.2008. 12 Voir Jean Baptiste Ketchakeng, „Annette Rothfuss: un sourire pour faire aimer le Cameroun“, in Mutations du 17 octobre 2008, Rubrique Economie. 13 Le philhellénisme désigne dans l’acception la plus stricte que lui assigne Michel Espagne, le mouvement spontané de sympathie et de soutien apporté aux Grecs lors des guerres de libération contre l’occupant ottoman dans les années 1820. Elle constitue de ce point de vue, l’un des premiers phénomènes d’ampleur européenne du XIX ème siècle. Plus largement défini, le philhellénisme désignerait l’élan de solidarité envers la nation grecque considérée comme l’une des dernières nationalités européennes opprimées de l’après- 1848. Il correspond également au mouvement scientifique, esthétique et philosophique qui, dès la fin du XIII ème siècle, réinvestit la Grèce antique de son ancien statut de référence culturelle. Lire à ce sujet, Michel Espagne (éd.), Philhellénismes et transferts culturels dans l’Europe du XIX ème siècle. Paris, CNRS, 2005.