eJournals lendemains 39/154-155

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Narr Verlag Tübingen
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2014
39154-155

Netart. Créativité, culture critique et positionnement socio-professionnel dans l’art numérique

2014
Christian Papilloud
Geneviève Vidal
ldm39154-1550135
135 DDossier Christian Papilloud / Geneviève Vidal Netart. Créativité, culture critique et positionnement socio-professionnel dans l’art numérique * Considéré comme un champ de création artistique, le netart est une nébuleuse qui se caractérise par un usage prédominant de l’Internet et des technologies informatiques pour produire des œuvres artistiques ouvertes à la participation du public. Souvent inclus dans l’appellation arts numériques, le netart rejoint certains des principes fondateurs de l’Internet comme la possibilité de disposer du code ayant permis la conception de l’œuvre afin de le modifier et de le réutiliser, le partage des données et des compétences, la gratuité de l’accès aux productions artistiques. Les projets netart contiennent une dimension critique. 1 Ils visent à déstabiliser les usages ordinaires des technologies informatiques et plus généralement des médias numériques dans le cadre d’une expérience et d’une expérimentation esthétique avec ces technologies. Ces projets sont portés par des artistes de l’Internet et du numérique, dont certains sont également ingénieurs, scientifiques ou enseignants, tous ne revendiquant pas obligatoirement la dénomination netartistes. Leur objectif est de susciter la réflexion des utilisateurs sur leurs usages des médias numériques et de contribuer ainsi à la diffusion d’une culture critique des médias numériques dans la société. Quel en est l’enjeu? Pour le savoir, nous avons mené une enquête à Paris en France sur quatre projets d’artistes du numérique (revendiquant ou non l’appellation netart) et d’auteurs ne se revendiquant pas artistes mais rejoignant la critique des codes du numérique: 2 Hyperolds, Fablabs d’artistes/ Artlabs (de l’association iMAL interactive Media Art Laboratory et de l’entreprise Digitalarti), Machinima, Muséomix. 3 Hyperolds est un projet d’atelier Internet et multi-média initié par l’artiste Albertine Meunier qui s’adresse aux femmes âgées de plus de 77 ans. L’organisation du projet sous sa forme d’atelier l’ouvre à des partenariats avec des villes, des régions, des entreprises, ou des associations soutenant les arts numériques, partenaires susceptibles de valoriser et de financer les projets d’Hyperolds. Le Fablab d’artistes ou Artlab de l’association iMAL se présente comme un atelier de fabrication numérique dans le cadre de projets de toute nature mis en oeuvre par des populations locales ou des développeurs informatiques. Les créations d’artistes débouchent sur des prototypes matériels - par exemple des objets réalisés avec des imprimantes 3D ou de la découpe laser. Les projets sont organisés en réseau aussi bien en amont du projet pour rassembler les idées qu’en aval pour documenter, diffuser, exposer les créations artistiques, ou pour organiser des performances. Les Machinima sont des animations numériques qui allient cinéma et jeux vidéos. Le matériel des projets provient de contributions trouvées sur l’Internet et agencées en réseau. Peu connu en France, le projet Machinima est soutenu par une commissaire d’expositions et critique d’art indépendante. Elle contribue à la recon- 136 DDossier naissance de ce projet, assimilé au monde des joueurs et à l’industrie des jeux vidéos. Elle s’appuye sur cette économie via les réseaux de joueurs, de designers, de graphistes, de comédiens, d’autres artistes et amateurs associés au projet. Muséomix se présente comme un réseau entre des professionnels situés à l’intérieur et à l’extérieur des musées. Les acteurs de Muséomix conçoivent et réalisent des dispositifs expérimentaux de médiation dans une dynamique de co-création afin de promouvoir les innovations numériques dans le secteur muséal. A l’instar des Fablabs/ Artlabs, Muséomix propose des dispositifs techniques prototypiques publiés sous licence creative common réutilisables et adaptables. Les résultats de notre enquête suggèrent que la diffusion d’une culture critique des médias numériques existe au sein des projets suivis, même si elle s’y manifeste de manière différente selon les projets. Mais cet objectif n’est pas un enjeu en soi. Il sert une stratégie transversale à l’ensemble des projets qui consiste à augmenter leur visibilité pour favoriser le positionnement socio-professionnel de leurs initiateurs. Cette stratégie suppose la mobilisation d’un public de participants aux projets proposés, public dont la composition peut varier d’un projet à l’autre (amateurs, spécialistes, participants, visiteurs, spectateurs). Elle consiste également à convertir ces usages des médias numériques en innovations à destination des institutions publiques, des entreprises et des industries du numérique au profit du positionnement socio-professionnel des porteurs de ces projets dans les secteurs institutionnels ou économiques. 1. Méthode La méthode utilisée pour le recueil des données puise à trois sources différentes: l’entretien en perspective narrative avec les principaux porteurs des quatre projets, l’analyse de la documentation mise en ligne relative à ces projets, l’observation des ateliers 4 et des événements organisés par les porteurs de projets. 5 Nous avons entrepris cette étude qualitative dès le début de notre enquête au printemps 2013 afin de recueillir les témoignages des artistes et principaux porteurs de projets, à l’issue ou en cours de projets. Nous les avons contactés par courrier électronique afin de fixer un rendez-vous donnant lieu à un récit enregistré puis retranscrit. 6 Les entretiens (7 entretiens pour 4 projets) durent d’une heure à deux heures. Le guide d’entretiens a été organisé autour de quelques thèmes généraux susceptibles de couvrir le cycle production-réception des projets, à savoir: - le porteur de projet et son travail: définition des rôles d’artistes, d’informaticiens, d’amateurs, leur place dans l’organisation du travail sur les projets, la formation d’équipes/ de communautés; - le projet: la conception des projets, la démarche artistique, la critique; - le public: la représentation du public au sein des projets, les publics des projets; 137 DDossier - la diffusion: la mise en exposition et la réception du projet, la valorisation du projet/ la carrière des œuvres; - la réutilisation: les usages et les déplacements subis par le projet; - le financement du cycle de production-réception: les connaissances préalables, les connaissances acquises durant le projet, le démarchage de nouvelles connaissances pour assurer le financement ou le soutien institutionnel du projet, la recherche d’aides/ de subventions. Nous avons effectué un entretien pour chacun des projets Hyperolds et Machinima, deux entretiens pour les Fablabs d’artistes / Artlabs (MCD / Digitalarti et iMAL), trois entretiens pour le projet Muséomix. Ces entretiens pouvaient, selon le choix de l’interlocuteur, se dérouler dans un café (Fablabs d’artistes, Machinima), un atelier d’artiste (Hyperolds), une institution (deux musées pour Muséomix), une entreprise (Noda, entreprise rattachée à Muséomix). Les observations non participantes se sont déroulées dans trois ateliers Hyperolds (deux à la Gaité Lyrique, un dans l’espace MCD / Digitalarti à Paris), un atelier Machinima (BPI au Centre Pompidou-Paris), un événement Muséomix (Musée des Arts Décoratifs, Paris). 7 A l’instar de ce que nous avons fait pour les entretiens, nous avons établi une grille d’observation pour nos observations en terrain, susceptible de couvrir le cycle production-réception des projets, avec: - la production du projet: la mise en œuvre du projet et les modalités de création collective; - la place de la technologie: le temps accordé à la technologie lors de la conception/ production du projet, le type de technologie utilisée (outils/ logiciels/ objets-acteurs), les usages de la technologie par l’artiste et les autres acteurs impliqués dans le projet; - les publics; - les collaborations: les démarches, la planification du cycle production-réception du projet, les contributions ad hoc au projet, les connivences et les compétitions au sein et autour des projets; - les rythmes de vie du projet: le temps de la réalisation, de la diffusion, de la réception. L’analyse que nous proposons s’appuie principalement sur les entretiens effectués auprès des acteurs responsables de ces projets. Ces entretiens offrent le matériel le plus riche - c’est-à-dire couvrant les dimensions de l’expérience personnelle, professionnelle et collective des personnes interrogées - pour dégager des pistes interprétatives permettant de comprendre les enjeux liés à la pratique de ces artistes et de ces acteurs dans le cadre des projets suivis. Les documents mis en ligne relatifs à ces projets permettent d’enrichir l’analyse des entretiens ou d’en préciser l’interprétation en apportant des éléments contextuels supplémentaires. Cette démarche prend appui sur les résultats d’une analyse textométrique appliquée identiquement aux entretiens et aux documents mis en ligne. 8 Il s’agit dans 138 DDossier les deux cas de pouvoir mettre en évidence les principes généraux qui structurent les discours des personnes interrogées et la documentation récoltée sur l’Internet. L’objectif est de savoir si nos données sont comparables - c’est-à-dire si les discours des acteurs sont peu ou très contrastés, si les documents mis en ligne sont peu ou très différents selon les projets, et si l’on trouve des ressemblances entre le discours récolté des entretiens et la documentation disponible en ligne caractérisant les projets suivis. Nous avons effectué cette analyse en recourant à trois méthodes de classification appliquées au contenu des entretiens et des documents en ligne - la classification hiérarchique des contenus, la classification des contenus basée sur leur occurrence moyenne et la classification des contenus par le modèle génératif probabiliste LDA (Latent Dirichlet Allocation). 9 La confrontation de ces trois analyses nous permet d’isoler les contextes sémantiques les plus pertinents, c’est-à-dire les réseaux sémantiques qui structurent au mieux les discours recueillis lors des entretiens et la documentation en ligne. Le résultat de cette procédure d’analyse indique que s’il y a des ressemblances entre les entretiens et la documentation des projets mise en ligne, les entretiens apparaissent comme une source plus diversifiée et plus précise d’interprétation. La documentation en ligne, quantitativement plus importante que les entretiens et que les notes prises lors des observations des projets, s’est finalement révélée d’une utilité analogue aux notes de terrain, mais elle occupe dans la présentation de nos résultats une place moins prépondérante. L’application de cette méthode suppose un travail en amont sur les données recueillies. Puisqu’il s’agit de ne retenir que le contenu des entretiens et de la documentation mise en ligne, il faut supprimer de ces documents les éléments apportant le moins d’information sémantique - par exemple les conjonctions, les articles, de même que la ponctuation, les questions des enquêteurs ou encore les balises des documents mis en ligne (publicité, éléments hypertextes etc.). 10 De plus, nous ne désirons retenir que les termes évoqués susceptibles d’être les plus caractéristiques de tel entretien ou de tel document mis en ligne, à savoir non seulement les mots évoqués fréquemment, mais également les associations de mots les plus fréquentes. Pour éviter des biais dus à la longueur inégale des documents, nous les filtrons sur la base de la fréquence inversée des occurrences de termes. La fréquence inversée attribue une valeur à un terme et aux associations basées sur ces termes en tenant compte du nombre de ses occurrences dans un texte, du nombre total de mots dans ce texte et du nombre total de textes. Cette valeur a l’avantage d’éviter deux biais, le premier qui consisterait à dire qu’un mot est plus pertinent pour notre analyse parce qu’il apparaît très souvent dans un texte (et inversement), le second qui tend à attribuer plus d’information pertinente à un long texte/ à un grand nombre de textes et moins d’information pertinente à un texte court/ un petit nombre de textes. La préparation des données recoupe des assomptions que nous ne détaillerons pas, même si nous les mentionnons brièvement car ils indiquent les limites de notre méthode. En effet, les analyses textométriques partent en général de l’idée que les mots ne sont pas 139 DDossier choisis au hasard, et qu’ils ne sont pas associés par hasard non plus. Ils forment des structures dont certaines orientent le discours. Ce sont ces structures que nous recherchons ici - mais ces structures ne représentent pas un résultat en soi. Nous les traitons comme autant d’hypothèses que nous souhaitons mettre à l’épreuve en retournant à la donnée recueillie pour les y confronter. Cette méthode nous permet donc d’affermir notre interprétation, mais en aucun cas elle ne s’y substitue. En effet, comme n’importe quelle procédure de traitement qualitatif de données, cette méthode induit une manière de faire la science qui n’est pas neutre, qui véhicule des représentations construites par les chercheurs, des stéréotypes et des préjugés. Dans le contexte de cette étude, pouvoir confronter le résultat des différentes analyses effectuées et des différentes données de terrain disponibles nous permet donc de prendre conscience du caractère construit de notre démarche autant que de notre matériel pour problématiser cette construction. 2. Résultats L’analyse des entretiens permet de mettre en évidence trois principes transversaux ou trois structures qui se retrouvent dans l’ensemble des entretiens, et deux principes plus marginaux qui ne concernent que deux des sept personnes interrogées. Nous commençons par la description de ces deux derniers principes périphériques qui renvoient chez les répondants à leur volonté a) d’attirer une grande variété d’acteurs autour de leur projet et b) de faire participer ces acteurs à ces projets, idéalement de former une communauté pour favoriser le financement de leur projet. Nous passons ensuite à l’examen des trois structures transversales qui décrivent trois positions sur la question du lien entre création artistique et économie, avec a) la mise en évidence des difficultés à faire ce lien, b) la reconnaissance des opportunités économiques que représente une telle articulation, et c) le caractère d’évidence que représente ce lien entre création artistique et économie pour les personnes interrogées. 2.1 Deux principes périphériques: attirer et faire participer Le premier principe concerne de manière prépondérante le répondant du réseau d’artistes Hyperolds. 11 Il renvoie au travail en ateliers avec des femmes de plus de 77 ans qui est au cœur de ce projet. 12 Même si l’internet est au cœur de l’œuvre, le répondant considère Hyperolds comme relevant d’un défi qui consiste à montrer que tout le monde est capable de prendre en main les technologies numériques pour autant qu’on l’accompagne. 13 Partage et accompagnement sont les deux termes qui caractérisent le mieux aussi bien la trame générale du discours que nous livre le répondant d’Hyperolds que la description qu’il donne de la pratique des médias numériques des affiliés à Hyperolds dans les ateliers qu’ils mettent en place. 14 Le second principe concerne surtout un des répondants du réseau 140 DDossier Muséomix. La participation du public aux projets de Muséomix, la possibilité de former des communautés - les communautés de professionnels et d’amateurs -, ainsi que la recherche de sponsors sont les traits caractéristiques de ce second principe. Pour le répondant, les communautés collaboratives sont au cœur du projet Muséomix. Il s’agit de mobiliser des groupes de personnes - spécialistes de la culture, du musée ou des technologies numériques - sur la base d’un intérêt partagé pour le musée, le numérique et l’Internet, personnes susceptibles de contribuer à un projet culturel en le dynamisant par le numérique. 15 La dimension du sponsoring est également bien mise en avant. Pour le répondant en effet, si le projet Muséomix entre dans le cadre d’une démarche dirigée vers tous les citoyens, il devrait idéalement pouvoir être institutionnalisé à plus grande échelle. Il faut donc rechercher des sponsors, tout en multipliant les partenariats en impliquant aussi bien des institutions culturelles, des artistes que des amateurs. 16 Indépendamment des caractéristiques propres à chacun des principes structurant les discours des répondants de Hyperolds et de Muséomix, on peut remarquer une affinité semblable à un enjeu partagé. Dans les deux cas, cet enjeu est principalement lié à la dimension participative du projet (artistique ou culturel) et à son caractère ouvert à un public de non initiés qu’il s’agit de ne pas figer dans la position de participant aidant à la concrétisation du projet mais, au contraire, de l’engager dans la production du projet. C’est en même temps une façon de dénoncer les frontières que l’on établit ou que l’on pourrait établir entre l’initié et l’amateur, l’acteur et le spectateur/ récepteur. Dans le cas de Hyperolds comme de Muséomix, les répondants affirment vouloir mixer ou mélanger les personnes, moins pour produire une œuvre d’art ou pour réinventer le musée que pour favoriser l’échange entre tous les acteurs. Cet échange peut porter aussi bien sur le projet en construction que sur des questions que le projet suscite à propos des technologies utilisées, de leur manipulation, de leur influence sur la société, de leur valeur en tant que bien culturel. 2.2 Trois principes transversaux: les liens entre art et économie Les trois principes qui parcourent l’ensemble des entretiens se distinguent très nettement de ces deux principes périphériques dans la mesure où ils articulent la dimension artistique ou créative des projets soutenus par les répondants avec une dimension organisationnelle et économique. Le premier de ces trois principes illustre la difficulté à articuler création artistique et financement du projet artistique. Il est illustré au mieux par le discours du répondant du Fablab d’artistes. Pour lui, la dimension artistique ne s’implante que difficilement dans les différents laboratoires de fabrication (Fablabs) et les ateliers dédiés à la pratique artistique sur et avec des technologies numériques. Selon lui, cela remet en question l’identité de l’artiste. 17 L’artiste peut se voir circonscrit au rôle d’un designer, se sentir sous la contrainte de trouver des financements pour son projet, son produit artistique dans un contexte de pénurie, d’intégrer un Fablab 141 DDossier réputé pour sa stratégie de production, de maintenir une activité rémunératrice en école de beaux-arts ou de design. 18 Si ce répondant donne un exemple emblématique de la difficulté qu’il peut y avoir à harmoniser les exigences artistiques et la question économique, ce qui lui apparaît même contradictoire, d’autres répondants y voient une opportunité qui caractérise le deuxième des trois principes qui structurent les entretiens. Les répondants qui illustrent le mieux ce deuxième principe sont le répondant de l’association MCD qui promeut les arts numériques et un autre représentant du réseau Muséomix. Tous deux se décrivent comme des intermédiaires entre artistes, professionnels des technologies numériques et marché économique. 19 Le cas du deuxième représentant du réseau Muséomix est intéressant, car son discours est différent de celui de son collègue membre comme lui de Muséomix. En effet, pour le premier, „Muséomix c’est d’abord une communauté avant un événement“. Le deuxième répondant Muséomix considère en revanche Muséomix comme un événement et une communauté qui est un outil de transformation des musées et qui a pour but de transformer les musées en explorant ce que seraient les musées en mode écriture, qui ne soit pas un livre à lire mais plutôt à écrire pendant un temps donné. Le principe est que Muséomix change les musées parce que c’est une expérience qui est vécue par le musée et ceux qui gravitent autour du musée. La communauté renvoie pour ce deuxième répondant Muséomix à des professionnels, alors qu’elle peut impliquer tous types d’acteurs pour le premier représentant de Muséomix. Indépendamment de cette différence de point de vue sur la communauté, il y a également une façon différente de considérer la relation à l’économie. Pour le premier, il est certes important de trouver des sponsors, mais Muséomix est avant tout un projet citoyen qui fonctionne avec des amateurs et des bénévoles. Pour le second en revanche, il est plus important d’améliorer la structure organisationnelle de Muséomix de sorte qu’elle se professionnalise et puisse fonctionner indépendamment du bénévolat, c’est-à-dire se financer sur le long terme. 20 Enfin, le troisième principe se différencie du deuxième en raison de la prépondérance de la dimension économique qui inclut la dimension artistique et créative. Le lien entre art, culture et économie ne pose plus de question particulière aux répondants car il est évident. Le répondant, troisième représentant de Muséomix et chef de l’entreprise Noda, et la commissaire d’expositions faisant la promotion des Machinima, produisent les discours les plus affirmés sur cette dernière dimension. Le propos sur la communauté, le mixage des acteurs, s’estompe s’il ne disparaît pas complètement au bénéfice d’un discours en prise avec le lien entre leur projet et le financement économique. Noda s’est délibérément constituée en entreprise 21 de sorte à convertir de la valeur non marchande produite par les communautés travaillant sur et avec le numérique en valeur marchande. La commissaire d’expositions indépendante indique que Machinima est en prise avec tout un réseau économique impliquant des producteurs de jeux vidéo, des artistes et des 142 DDossier programmeurs afin de réaliser des films publicitaires où les amateurs sont de moins en moins représentés. 22 Pour Noda comme pour la commissaire d’expositions indépendante, la dimension artistique et créative d’un projet ne se pense pas sans lien avec la dimension économique, ni sans lien avec des partenaires économiques et institutionnels potentiels impliqués dans la mise en public et la valorisation du projet. 23 Y a-t-il des liens entre les discours des répondants et les sites Internet qui mettent en visibilité leurs activités? 2.3 L’analyse des sites Internet Avant de répondre à cette question, signalons d’emblée les difficultés et les limites de notre démarche. D’une part, nous avons sélectionné cinq sites Internet pour les quatre projets suivis, à savoir le site Hyperolds, le site Machinima, le site Muséomix et deux sites Internet pour les Fablabs d’artistes/ Artlabs. Ceci vient du fait que les Fablabs d’artistes/ Artlabs ont des documents qui se retrouvent sur les sites de l’association iMAL et de l’entreprise DigitalArti. Ces sites nous offrent une grande quantité d’informations sur les activités des personnes interrogées lors des entretiens. Ils montrent également de nombreux croisements entre les quatre projets directement visibles via les sites Internet retenus, et indirectement à travers les soutiens institutionnels et économiques communs que ces projets reçoivent. D’autre part, nous n’avons sélectionné pour l’analyse que les documents écrits publiés par ces cinq sites. Nous n’avons donc pas pris en compte les images et les vidéos disponibles sur ces sites. Il s’agit d’une limite importante de notre analyse. En effet, dans les domaines de l’art, le média d’expression n’est pas unique, et il ne se réduit pas à la documentation écrite. La documentation écrite n’épuise donc pas l’ensemble des significations que l’on peut dégager de ces sites Internet. En revanche, elle offre l’avantage d’accéder à un propos formalisé et moins difficile à interpréter qu’une image ou qu’une vidéo, tout en étant susceptible de nous donner un aperçu de ces projets et des motivations qui y prédisposent. Pour accéder à ces documents, nous avons procédé à leur téléchargement sous différents formats (html, pdf, doc etc.) sur les cinq sites. 24 Nous avons éliminé les documents ne contenant que des informations factuelles relatives par exemple à l’annonce de performances, aux contacts des organisateurs Sites internet Documents retenus Hyperolds 648 iMAL 198 DigitalArti 69 Machinima 559 Muséomix 187 Total 1661 Table 1: Documents retenus par site Internet 143 DDossier de ces performances etc. ce qui nous a permis de retenir un corpus de documents dont nous donnons les chiffres ci-dessous (cf. Table 1). Nous y avons ensuite appliqué nos analyses. 2.4 Structures transversales aux textes mis en ligne Nos analyses de classification des contenus textuels mis en ligne sur les cinq sites Internet considérés indiquent que ces contenus se classent d’une manière optimale selon les quatre principes structurants suivant: - principe 1: il concerne presque essentiellement les fonctions de communication et de diffusion d’information des sites Internet considérés; il n’a donc pas d’importance pour notre analyse; - principe 2: il regroupe l’ensemble des thèmes relatifs au travail des différents groupes d’acteurs, à savoir l’organisation d’événements artistiques, culturels, les collaborations autour de ces événements, les technologies mobilisées à l’occasion de ces événements; la dimension artistique, créative est fortement mise en évidence; ce principe renvoie à l’ensemble des sites Internet considérés, mais ce sont les sites iMAL, DigitalArti et Muséomix qui le mettent le mieux en évidence; - principe 3: il ne concerne que le site de Machinima et l’activité de Machinima autour du jeu vidéo; - principe 4: il ne concerne que le site Hyperolds et les activités d’Hyperolds avec les femmes âgées de plus de 77 ans. A l’exception du premier principe (diffusion d’informations et communication) que nous ne retenons pas dans notre analyse, les trois autres principes indiquent que les sites Internet considérés ont pour rôle essentiel la valorisation de l’activité artistique ou créative développée au sein des différents projets soutenus par ces sites Internet, valorisation qui passe avant tout par la mise en visibilité des événements publics (expositions, festivals, installations, performances) réalisés par les porteurs de projets. Machinima et Hyperolds précisent ce principe: Machinima en insistant sur le jeu vidéo, Hyperolds en mettant en avant les ateliers et les conférences ou les événements organisées par les femmes âgées qui contribuent à ce projet. En rapprochant les résultats obtenus des entretiens et l’information récoltée sur les sites Internet des différents projets, nous obtenons le contraste suivant: la dimension entrepreneuriale / économique présente au sein des entretiens cède le pas presque exclusivement à la dimension artistique ou créative sur les sites Internet. Autrement dit, l’art et la créativité sont utilisés sur les sites Internet pour attirer le public sur les projets mis en place et pour les encourager à participer aux événements organisés. La dimension économique sur les sites Internet survit à la marge sous forme de liens vers des partenaires ou des collaborations sur les 144 DDossier projets mis en place. Elle est clairement à l’arrière-plan de la documentation mise à disposition en ligne. En d’autres termes, les sites Internet reposent sur un principe que l’on retrouve dans les entretiens, principe relatif au recrutement d’un nombre si possible important et d’une grande variété d’acteurs autour des projets mis en place par la mise en visibilité de leur caractère à la fois créatif et critique. 3. Discussion Les résultats tirés des sept entretiens et de l’analyse des cinq sites Internet mettent clairement en évidence l’enjeu sous-jacent à la pratique artistique et aux usages créatifs (par) des technologies numériques, que l’on retrouve dans les quatre projets considérés dans notre enquête. Il s’agit de trouver des ressources économiques pour faire vivre ces projets et les personnes participant à ces projets en misant sur le recrutement d’acteurs si possible en grand nombre, provenant d’horizons très différents, ces acteurs pouvant aussi bien être des professionnels de l’art, de la culture et des technologies, ou des amateurs. 25 Cet enjeu est présenté différemment par les personnes que nous avons interrogées. Mais toutes en identifient les deux mêmes ressorts. Le premier de ces deux ressorts est celui de l’indépendance (Fablabs d’artiste / Artlabs, Hyperolds, Machinima) ou de la création des conditions d’une indépendance vis-à-vis du champ artistique ou des institutions culturelles (Muséomix) grâce à la recherche de sponsors et de partenariats avec des entreprises ou des industries pour payer des artistes (Hyperolds) ou financer un projet (Muséomix). Les artistes cherchent ces financements en s’appuyant sur un réseau de Fablabs d’artistes / Artlabs (iMAL, Digitalarti) ou sur des associations comme MCD (Hyperolds), une entreprise comme Orange, ou des villes comme Paris. Le bénévolat, le bricolage, puisés dans une multitude de collaborations amateurs, expertes et professionnelles renforcent l’assise de ces projets. La vente d’ateliers (Machinima) peut également relever d’une stratégie de financement, sans négliger le recours au soutien des institutions publiques (le ministère de la culture français par exemple). 26 S’il y a donc une volonté d’indépendance pour pouvoir vivre financièrement de ses créations artistiques et de ses activités en lien avec le numérique, c’est pour obtenir une reconnaissance professionnelle - le second de ces deux ressorts. 27 Le netart, les arts numériques ou la créativité fondée sur les technologies numériques doivent permettre non seulement de gagner sa vie, mais également de trouver les moyens de faire reconnaître cette pratique comme une pratique professionnelle. Voilà pourquoi les projets netart ont intérêt à s’ouvrir à un ensemble d’acteurs si possible nombreux et variés - il s’agit d’une ressource fondamentale pour stabiliser le positionnement professionnel des porteurs de projet, pour faire gagner cette position en légitimité et pour pouvoir espérer une ascension sociale et professionnelle. 145 DDossier Néanmoins, au carrefour du marché de l’art et de l’innovation, les porteurs de projets se trouvent dans une position délicate, où la pratique artistique ne se valorise que sur la base d’usages professionnels des technologies numériques susceptibles de dépasser les usages ordinaires de ces technologies, voire de les déstabiliser pour déboucher sur un produit innovant. A cette première difficulté s’ajoute celle de diffuser cette innovation. Cette diffusion de l’innovation numérique et de la culture critique présente un enjeu stratégique fondamental pour l’ensemble des porteurs de projets car elle leur ouvre ou leur ferme la porte des entreprises et des industries de l’innovation. Ces dernières sont susceptibles de présenter une alternative aux subventions publiques et aux galeries inscrites sur le marché de l’art - plutôt réticentes à accueillir des œuvres numériques -, tout en garantissant la poursuite des projets en cours. Enfin, les porteurs de projet se trouvent dans la nécessité de négocier la marchandisation de leurs innovations, en particulier lorsqu’ils s’adressent à des entreprises et des industriels qui veulent une correspondance entre les productions netartistiques et leur politique d’innovation. 28 Ces deux ressorts stratégiques d’indépendance et de reconnaissance, ainsi que la position délicate des porteurs de projets netart permettent de mieux comprendre les trois implications principales de cet enjeu de professionnalisation sous-tendant la culture critique que les projets netart revendiquent. Il faut mobiliser toutes les ressources financières et humaines possibles pour rendre le projet visible et convaincant. Il faut ensuite s’assurer de la diffusion du projet qui implique la conversion de cette culture critique en production innovante à destination de l’économie numérique et des institutions publiques. Enfin, il faut stabiliser les positions acquises pour espérer une éventuelle ascension sociale et professionnelle qui se fait principalement en direction des structures institutionnelles publiques ou des structures économiques. 29 4. Conclusion Dès lors, que reste-t-il de la culture critique que le netart revendique et de la créativité mise en avant dans les projets netart en lien, pour les artistes, avec l’esthétisation des médias numériques et de leurs usages? En provoquant une réflexion sur les usages des médias numériques, les projets netart contribuent à la prise de conscience des normes que les technologies nous font intérioriser. Ce ne sont pas seulement des normes ergonomiques ou cognitives que les artistes ou porteurs de projets créatifs interrogent en invitant à la déconstruction de ces technologies. Ce sont également des normes sociales d’appropriation non seulement des technologies, mais également du monde numérique sur lequel elles ouvrent. La culture critique que le netart défend consiste donc à aller de la mise en question des normes techniques à l’interrogation des normes sociales que les médias numériques contribuent à implanter dans le quotidien. Néanmoins, si l’on suit le cycle long de cette culture critique - de la production de l’œuvre ou du projet à sa conversion en innovations et à sa diffusion -, tout ne s’arrête pas là. Pour les por- 146 DDossier teurs de projets, il s’agit également de conquérir un prestige et une reconnaissance en dehors de l’art ou d’une institution artistique, que ce soit pour en vivre mieux ou pour changer d’orientation professionnelle. Ce désir d’indépendance et d’ascension sociales a un prix - la fonctionnalisation de la charge critique de la créativité des projets netart. Il s’agit d’une fonctionnalisation au sens technique du terme qui procède par multiplication des options techniques que l’on peut tirer d’une technologie numérique. Cette fonctionnalisation ouvre les technologies numériques à de multiples usages, y compris à des détournements d’usages comme nous l’avons vu. Mais elle a également pour effet de rendre le projet artistique ubiquitaire, de l’ouvrir à la récupération et à la valorisation auprès des instances susceptibles de le financer. Autrement dit, la diffusion de la culture critique netart que nous observons débouche sur sa propre relativisation qui trouve sa justification idéologique dans le fait que tout le monde y gagne - les artistes et acteurs de ces projets en terme socio-économique, le public qui participe à ces projets en terme de distance vis-à-vis des médias numériques, les instances associatives, politiques ou économiques en terme de débouchés financiers ou en termes de rayonnement d’image et de missions. Bourdieu, Pierre, Un art moyen. Essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Minuit, 1965. 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Thacker 1999: 1-5; également Fourmentraux 2013). 2 Il y a en France une riche histoire du développement des arts numériques qui commence dès les années 1965, et qui se concentre sur l’usage des ordinateurs pour créer des images en deux ou trois dimensions et des films d’animation (Welker 2013: 376-385; pour une histoire similaire mais relative aux laboratoires Bell en Amérique du Nord, voir Kane 2010: 53-58). 3 Ces différents projets sont accessibles sur Internet aux adresses suivantes: www.hyperolds.com, http: / / www.imal.org/ fr/ page/ a-propos-dimal - en particulier le premier Fablab d’artiste http: / / www.imal.org/ fr/ activity/ gobo-gobo-hey, http: / / www.isabellearvers. com/ category/ machinima, http: / / www.museomix.org. Excepté Hyperolds, les projets sont en relation avec des réseaux internationaux. 4 Nous avons pu mener ces observations pour Machinima à la bibliothèque publique d’information (BPI) du Centre Pompidou, et pour Hyperolds à la Gaité Lyrique et dans un bâtiment qui héberge l’association de promotion des arts numériques MCD (Musiques et Cultures Digitales) et l’entreprise Digitalarti. 5 Ce sont les événements organisés par Muséomix à Paris (cf. Vidal / Jauniau / Gagnebien 2013). 6 Nous avons choisi des entretiens en perspective narrative d’une part pour faire émerger des éléments biographiques relatifs à la pratique des répondants, à la manière d’organiser leur travail, aux rapports à la production et au financement de leurs projets. D’autre part, nous voulions également laisser de l’espace à la parole d’expert, le rôle dans lequel se sont parfois mis nos interlocuteurs, en particulier les personnes de Muséomix et des Fablabs d’artistes/ Artlabs, ou encore le répondant de Machinima qui donne un bon exemple des récits que nous avons recueillis, récits hybrides où les éléments biographiques se mêlent à la parole d’expert. 7 Nous avons choisi le mode de l’observation non participante car une observation participante exige un temps long d’apprentissage et d’immersion pour saisir l’ensemble des éléments du projet et pouvoir participer concrètement à un projet. Dans le cadre de cette recherche effectuée sur un court terme, cette posture semblait la plus adéquate. Nous l’avons communiquée aux porteurs de projets et aux participants des ateliers pour qu’ils n’aient pas l’impression de se sentir épiés, et afin de pouvoir recueillir nos données de la manière la plus efficace possible. 8 Ce type d’analyse à la frontière entre la linguistique et l’analyse qualitative de contenus textuels est encore peu documenté (cf. par exemple Ferrari / Legallois 2011: 31-50; Damon 2012). Mais elle tend à gagner en popularité avec l’accroissement de la digitalisation de textes (cf. Purnelle / Dozo 2006: 151-174), les analyses sémantiques de courriels (cf. Feinerer 2008) ou les analyses de messages postés sur les réseaux sociaux numériques (cf. Zhao 2012; Ikeda et al. 2013: 35-47). 9 Nous nous inspirons notamment des travaux de Feinerer (2008), Huang et al. (2013: 1748-1759), Jun et al. (2014: 3204-3212). Nous avons utilisé l’environnement de programmation R. Au plan théorique, cette démarche est proche de celle esquissée par Manovich (2007; 2011). 149 DDossier 10 Ce traitement des données préalable à leur analyse fait ainsi disparaître l’information qui n’est pas directement liée au contenu des textes recueillis. Cela ne signifie pas que cette information n’est pas importante, mais elle ne relève pas de cette procédure d’analyse de contenu, comme par exemple l’information relative aux partenaires ou aux sponsors des projets suivis. 11 L’association MCD (Musiques et Cultures Digitales) s’y retrouve également, mais de manière marginale, dans la mesure où cette association propose, en relation avec Hyperolds, des ateliers créatifs sur l’Internet: „On = c’est MCD qui est un modèle associatif qui travaille sur art et lien social, d’où les ateliers Hyperolds. On fait aussi des ateliers politiques de la ville avec d’autres artistes. Le principe est que ce ne sont que des artistes qui animent ces ateliers. Le formateur n’est pas un prof, il est lui même artiste et ça joue dans la transmission, dans l’apprentissage. On travaille avec des jeunes des cités, avec des femmes de plus de 77 ans et le principe c’est que ce ne sont pas des cours, c’est une transmission d’expression créative, et c’est ça qui fait la marque des ateliers MCD“. 12 C’est la marque de fabrique du projet Hyperolds, comme le précise la personne interrogée: „L’idée est de transmettre des connaissances internet à des femmes de plus de 77 ans pour dire qu’il y avait un au-delà“. 13 En effet, comme le précise le répondant: „L’objectif c’est plus une démonstration d’impossible avec Internet et femmes de plus de 77 ans. Ça montre que si tu veux le faire, il suffit de le faire. C’est une question de volonté. C’est par leur propre capacité qu’on veut montrer c’est l’incapacité de pas le faire. On entend le discours ‚la fracture, bla, bla ‘. Il suffit juste qu’il y ait un médiateur un moment, un passeur. ‚Faut oser‘, ce qu’on les engage à faire“. 14 Le répondant Hyperolds le mentionne à de nombreuses reprises: „C’était l’idée de partage avec d’autres, d’être au contact de femmes âgées. Les gens les plus à l’écart possible. Femmes différentes de différents niveaux professionnels, qui ont ou non travaillé“. Et le répondant de conclure: „Internet = partage, échange. C’est le modèle internet le cœur, pas internet, le modèle. Même dans les Fablabs“. 15 Pour un des répondants du réseau Muséomix, l’idée centrale de Muséomix „c’est d’impulser ça, au-delà des frontières internes ou externes, c’est se dire que toutes les personnes intéressées, y compris les visiteurs/ acteurs/ utilisateurs du musée, les communautés partie prenantes de ce lieu, on les invite à la table pour co-construire avec elles ce lieu de culture mais de façon très modulaire“. Et de conclure: „on a plus à gagner en contribuant à la communauté qu’en restant dans son coin tout seul“. 16 Le répondant résume ainsi: „J’aimerais que les musées s’emparent de Muséomix, qu’ils l’appellent comme ils veulent, et qu’ils fassent de temps en temps petit à petit et peut-être un jour tout le temps, qu’ils transforment leur musée en plateforme, peut-être plate-forme en ligne, où les gens peuvent rentrer et sortir comme ils veulent, comme une cantine, avec wifi, je passe après l’école Ce n’est pas un lieu où c’est un projet d’y aller, c’est facile, c’est un lieu ouvert, après je peux tester des petites choses, bidouiller, inviter mon association, etc. Et petit à petit je monte dans l’échelle participative jusqu’à co-créer des expositions béta, avec toutes ces compétences parce que je suis designer, parce que je connais un truc du coin ou parce que je suis un artiste, mais je fais ça avec les gens et l’intérêt pour moi Muséomix est de montrer que ça marche“. 17 Il s’interroge: „qu’est-ce qu’ils font? Des imprimantes 3D avec des imprimantes 3D et on n’en sort pas. C’est la boucle et ça tourne en rond. Et les artistes, on n’est pas forcément à l’aise, dans la mesure où notre but n’est pas de fabriquer des outils utilisables pour les autres mais où on utilise leurs outils pour fabriquer des choses qui après dans l’esprit ne 150 DDossier vont pas être réutilisables“. Puis, plus loin: „L’arrivée des artistes j’ai peur que ça ne change pas grand chose. Quand on voit les élèves des Beaux-Arts, ils n’ont pas d’états d’âme ni de scrupules. Par exemple j’avais un assistant élève des Beaux arts, qui lit les manuels, technophile, lui son but dans la vie, c’est gagner de l’argent, et s’il y a des trucs gratuits il les prend et après ça ne le gênera pas du tout de faire de l’argent avec un truc qu’il a eu gratuit. Dans les écoles on leur apprend à vendre“. 18 Cette difficulté met l’artiste en position de double contrainte - la contrainte d’intégrer des fablabs dont la dimension artistique n’est pas forcément au centre des préoccupations du fablab, et la contrainte de trouver des financements dans un contexte où la concurrence est désormais plus vivace: „je n’ai jamais demandé de l’argent à l’art contemporain. Moi les subventions que j’ai eues c’est Dicream, Ircam, après j’ai eu des prix à des festivals d’art numérique, Ars Electronica, Transmedia, etc. Cet argent se tarit, on est maintenant 30 pour se partager peu d’argent alors qu’avant on était 8 pour se partager deux fois plus. Tout converge vers des solutions qui seraient les Fablabs où il y a une manière de produire à moindre coût avec des logiciels libres, des gens libres et généreux, etc Quand il s’est agi de choisir avec le responsable du pôle numérique, en plus un gars qui vient du livre, on s’est demandé qu’est-ce qu’on fait. Si on leur met du raretrappe entre les mains, ils ne vont jamais s’en sortir. Donc on va prendre des machines qui marchent tout de suite, qui sont propriétaires, avec des logiciels propriétaires, on ne peut pas rentrer dedans, mais seulement ça va être plus facile avec des élèves des Beaux Arts qui sont incapables de changer de bobines, de plastiques, etc.“. 19 Ainsi, pour le répondant MCD, „On est des traducteurs entre les artistes et les développeurs, et transformation en monnaie sonnante et trébuchante. On signe 50/ 50 avec les artistes. Quand on a déduit nos coûts de prod, on fait 50/ 50 sur la marge avec les artistes“. Pour le deuxième répondant Muséomix, Muséomix favorise avant tout la rencontre entre les professionnels des musées, de la culture, et des technologies numériques. 20 Comme le dit le deuxième répondant Muséomix: „Nous on parle de ‚corps orga‘ qui gère la plateforme central et des ‚local orga‘ des organisations locales qui gèrent des Muséomix locaux. Il faut voir comment tout ça fonctionne, quelle modalité de gouvernance, et le rôle des différents fondateurs là dedans. Fondateurs: certains plus dans la production, d’autres dans l’animation de communautés, donc on essaie de converger pour faire vivre Muséomix. Donc, derrière ça y’a un problème de modèle économique puisque si on veut tenir dans la durée, faut un ‚corps orga‘ qui s’investisse au delà de ce que le bénévolat permet. Si on veut des gens qui viennent toute l’année ou si on veut investir plusieurs mois hommes pour monter l’événement, on ne peut pas le faire bénévolement“. 21 Le répondant de Noda (acteur du réseau Muséomix) explique ainsi: „on n’a pas monté une asso mais une boîte, parce qu’on a une activité marchande à côté parce que ça nous donne une grande agilité, faire ce qu’on veut, on peut financer ces projets, on peut s’investir dans ces projets là“. 22 En effet, pour la commissaire d’expositions indépendante „il faut savoir que finalement aujourd’hui les films qui vont être tournés le seront de moins en moins par des amateurs“. 23 Pour la commissaire d’expositions indépendante faisant la promotion Machinima par exemple: „Après avoir décidé de faire connaître les Machinima, j’ai aussi été proactive en essayant d’apprendre à faire des Machinima. Cela fait maintenant quatre ans que j’organise des ateliers pour cela. [ ] Les ateliers c’est très bien. Les ateliers rentrent dans les missions sociales de structures culturelles qui sans cela n’auraient pas des 151 DDossier budgets. C’est très différent des expositions, qui coûtent de l’argent, mais n’en rapportent pas. Alors, à tout cela il faut réfléchir, savoir si c’est bien ou pas bien. Mais moi très souvent aujourd’hui j’agis dans le cadre de ces missions sociales. Du coup, je suis allé aussi dans des collèges, pas forcément dans des structures sociales. Des collèges, des MJC, des centres socioculturels. C’est une des choses qui me fait vivre à l’heure actuelle. C’est un modèle économique. Mais au-delà de ça tu apportes quelque chose et tu n’es pas juste en train de coûter pour soi-disant apporter de la culture aujourd’hui“. Quant au répondant Noda, il décrit son modèle économique collaboratif de la manière suivante: „La posture que j’ai créée et ça suffit, je n’ai rien à donner ça ne marche pas sur une petite communauté, à part s’il y a un gourou. Ça veut dire qu’on doit donner. Y’a des Fablabs quand on arrive on donne 50 euro, à la fin on se dit ok est-ce que tu as documenté ton projet. C’est à dire que les autres peuvent prendre ce projet, le modifier. On peut dire non, ok. Est-ce que t’es prêt à faire une formation auprès des gamins, sur les machines. Non. Est-ce que t’es prêt Non. Donc on garde tes 50 euros. A l’inverse ok, on te rend tes 50 euros. C’est cet échange là qui doit être évident et tangible“. 24 Il existe de nombreux logiciels permettant de réaliser ce fastidieux travail de téléchargement. Dans notre cas, nous avons réalisé ces téléchargements au moyen de deux utilitaires gratuits et multi-plates-formes, wget et curl. 25 Notons que sur ce dernier point - le recrutement de participants aux projets mis en place, participants pouvant provenir de tout milieu et n’étant pas supposés détenir une compétence quelconque dans le domaine des arts ou de la technologie - aucune des personnes interrogées ne relève les éventuelles difficultés que cette rencontre peut poser pour la réalisation du projet, notamment le fait que des amateurs peuvent se trouver intimidés voire dépassés par la technologie utilisée dans le projet ou les étapes pratiques qui jalonnent sa mise en place (cf. Scott / Hinton-Smith / Harma / Broome 2013: 417-438). Ceci indique à quel point cet enjeu participatif est important pour les personnes interrogées qui ne problématisent pas cette participation, mais sont soit pour, soit contre. Le meilleur exemple de cette dichotomie nous est donné dans nos entretiens par les deux répondants de Muséomix. Un autre exemple un peu moins typique de cette attitude est celui du répondant Hyperolds qui pense que l’implication d’amateurs dans leurs projets n’est affaire que de volonté. 26 Dans une étude récente comparant l’art digital en particulier en lien avec l’industrie du jeu vidéo et l’art de la Renaissance, Sapsed et Tschang recoupent ces conclusions lorsqu’ils affirment: „Ainsi, à l’ère digitale, le moteur de la force créative est souvent explicitement économique, bien plus qu’à l’ère préindustriel de la Renaissance“ (Sapsed / Tschang 2014: 136). Non seulement le tissu économique est fondamentalement différent, mais la technologie apporte un élément supplémentaire d’une importance nouvelle en permettant la mise en collaboration instantanée des parties prenantes d’un projet artistique dans le contexte des arts numériques. Les auteurs vont jusqu’à dire que ceci contribue à orienter la production artistique qui „de nos jours est plus une question de savoir comment réduire le risque financier plutôt que de faire de l’expérimentation artistique“ (ibid.: 137). 27 Dans le contexte plus global de la diffusion des projets Machinima, Harwood a bien mis en évidence cette caractéristique qui doit orienter le développement à venir des Machinima dans le monde, à savoir l’acquisition de positions professionnelles dans les domaines de la culture, que l’on parle des institutions de la culture ou de l’économie du numérique (cf. Harwood 2011: 6-121; pour un propos similaire, voir également Ito 2011: 51-54). 152 DDossier 28 Cf. par exemple l’opération Muséomix qui attire des entreprises, des banques, des institutions à la recherche de nouvelles idées, dans le cadre d’innovations ouvertes mettant en relation des acteurs de la recherche, recherche et développement, et des usagers, dans le cadre de partenariats public/ privé et en s’appuyant sur la culture de l’open source pour un partage des fruits de la collaboration tout en assurant les droits des auteurs. Mentionnons également des entreprises comme Google qui a soutenu Muséomix via son institut culturel français. 29 Notons en effet que le ministère français de la culture continue de soutenir des productions artistiques de type netart via ses appels à projets, comme par exemple le Dicream Dispositif pour la Création Artistique Multimédia, ou les services numériques culturels innovants associant entreprises, associations, collectivités locales et artistes pour les secteurs du spectacle, de l’audiovisuel, des archives, du livre, du patrimoine.