eJournals lendemains 39/154-155

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Narr Verlag Tübingen
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2014
39154-155

Pour un réexamen de la notion d’usage: la dimension culturelle de l’expérience

2014
Marie-Christine Bordeaux
ldm39154-1550076
76 DDossier Marie-Christine Bordeaux Pour un réexamen de la notion d’usage: la dimension culturelle de l’expérience En sciences de l’information et de la communication, l’usage est la notion par laquelle est abordée la question de l’agir. Mais contrairement aux théories de l’agir en sociologie, la notion d’usage n’étaye pas une large théorie de l’action destinée à éclairer l’ensemble des rapports entre l’individu et la société. Elle se centre sur un agir particulier, celui qui met en prise des individus, des technologies et des contenus ou ressources. Toutefois, son emploi à des fins scientifiques est peu interrogé et couvre un éventail assez large de postures et de modes d’action, dont le recours à une technologie est le dénominateur commun. Des travaux récents (Vidal 2012a, 2013; Jauréguiberry / Proulx 2011; Proulx 2005) ont pris le relais de travaux plus anciens (Jouët 1993, 2000; Vitalis 1994; Lacroix / Moeglin / Tremblay 1992) pour mettre en évidence les impensés de l’usage de la notion d’usage, les avancées et les apories de la sociologie des usages, puis, dans une lignée moins critique, l’intérêt de recourir à cette notion pour désigner des actes d’information et de communication médiatisés par une technologie. En ce sens, la notion d’usage permet aux SIC de se distinguer de la sociologie classique centrée sur la notion de pratique. Il y a là cependant deux risques. Tout d’abord, se spécialiser dans l’étude des actes d’information et de communication tels qu’ils sont médiatisés par la technique, alors que le point de vue communicationnel proposé par les SIC ne se réduit pas à l’usage ou à la présence de technologies, comme le montrent les travaux en information-communication consacrés aux institutions culturelles, notamment aux musées, aux bibliothèques et aux festivals. Ensuite, se priver de l’apport des recherches sur les pratiques culturelles en sociologie de l’art et de la culture ou en esthétique, alors qu’une grande part des usages étudiés en SIC sont culturels: médias, outils interactifs culturels, ressources culturelles numériques, échanges de données culturelles, expressivité. En effet, la dimension culturelle des usages ne doit pas être écartée de l’analyse, bien au contraire, parce que c’est dans cette dimension, à forte valeur symbolique, que les individus élaborent le sens de leurs activités. Le fait que, dans les outils et interfaces, les contenus sont issus des industries culturelles et circulent par des supports contrôlés par des entreprises monopolistiques internationales conduit certes à relativiser le degré d’autonomie et de liberté des individus dans l’élaboration de ce sens, car leur participation se joue aussi sur le mode du renoncement (Vidal 2010). Mais liberté restreinte ne signifie pas créativité restreinte au même degré, comme l’a montré Michel de Certeau à propos des „arts de faire“ et de l’„invention du quotidien“ (Certeau 1980). Or, Certeau est considéré, notamment par Proulx (Proulx 1994), comme un des auteurs majeurs de référence pour les études d’usages, permettant de comprendre, par l’opposition devenue clas- 77 DDossier sique entre stratégie des dominants et tactiques des pratiquants, comment une liberté et une créativité peuvent, dans une certaine mesure, s’exercer au sein d’environnements relevant de systèmes de domination économiques, sociaux et culturels. Certes, la culture peut être analysée comme un élément de contexte afin de comprendre les difficultés ou les atouts en matière d’implantation et d’appropriation sociale des innovations technologiques. Au sens large, la culture est un environnement culturel; au sens restreint, c’est une culture technique (Frau-Meigs 2005). Mais si les SIC s’en tenaient à cette seconde définition de la culture, elles pourraient être questionnées sur leur capacité à appréhender l’ensemble des éléments mobilisés dans les usages, comme l’a été la sociologie des pratiques culturelles, fondée sur de grands appareils statistiques et mettant l’accent sur les actes de consommation plus que sur le sens de l’expérience vécue (qui est pourtant le moteur principal de la fréquentation des œuvres et de la culture). Cette critique avait été apportée notamment par Passeron et Pedler lorsqu’ils avaient analysé les „actes sémiques de réception“ des visiteurs du Musée Granet d’Aixen-Provence (Passeron / Pedler 1991). En adoptant un parti-pris radical (s’en tenir à la mesure du temps passé par les visiteurs devant les tableaux), ils avaient démontré que les caractéristiques intrinsèques des œuvres dans leur singularité sont au moins aussi importantes, pour l’analyse des comportements des visiteurs, que leurs catégories socioprofessionnelles ou l’identification, par ces mêmes visiteurs, des auteurs des œuvres et de leur degré de notoriété et de légitimité. C’est pourquoi il nous parait nécessaire de recourir à la notion d’expérience pour compléter la notion d’usage et relier celle-ci à une théorie des pratiques qui prenne en compte la dimension culturelle des usages. Il y aurait certes de bonnes raisons de maintenir à distance cette notion. En premier lieu, le fait que l’expérience désigne des états mentaux éprouvés ici et maintenant dans l’actualité d’une situation, états qui peuvent donner, à tort, l’impression que l’expérience est ‚immédiate‘, surgissant dans une conscience actuelle, et qu’elle est ‚primitive‘, c’est-à-dire sans la médiation d’une connaissance ou d’un dispositif matériel ou conceptuel. En second lieu, le fait que l’expérience est en grande partie incommunicable dans la mesure où elle est, plus que privée, intime, mêlant des états de corps et des états de conscience. Dans les deux cas, l’expérience relève d’une phénoménologie de la perception du monde, ou d’une approche psychologisante de la perception sensorielle et mentale. Cette fusion de la perception et de la connaissance ‚immédiates‘ dans le contact direct avec la matérialité du monde est à l’opposé de la manière dont la sociologie et les SIC construisent leurs objets et leurs démarches d’analyse: la sociologie, en révélant les déterminismes sousjacents et inconscients qui expliquent les conduites humaines dans une société donnée; les SIC, en analysant les phénomènes de communication par la mise en évidence des multiples opérations de médiation et de médiatisation qui assurent la production, la diffusion, la transformation et l’appropriation des contenus. Cependant, inclure l’expérience dans l’analyse des communications médiatisées permet 78 DDossier de considérer l’individu non seulement comme un récepteur et comme un acteur de la communication, mais également comme un sujet, mû par le besoin de vivre des expériences autant que par des motivations économiques et instrumentales (en tant que destinataire d’une intensive politique de l’offre). Cela permet aussi de donner une forme de profondeur à l’analyse de la pragmatique des communications. Ne pouvant aborder l’ensemble du spectre de comportements et de productions de significations relevant de la notion d’expérience, nous reconsidèrerons dans un premier temps la notion d’usage en lien avec les travaux sur les pratiques culturelles et les réceptions des œuvres. Ce choix est motivé de deux façons. Tout d’abord, par le poids des industries culturelles et créatives ainsi que des contenus culturels dans les biens symboliques qui circulent par les technologies de l’information et de la communication; ensuite, parce qu’aujourd’hui, la fréquentation de la culture dans ses lieux traditionnels (musée, concert, cinéma, etc.) et les pratiques numériques tendent à se confondre, se compléter ou s’hybrider (musées virtuels, applications conçues autour des expositions-événements, présence des institutions culturelles sur les réseaux sociaux, retransmission d’événements culturels en direct et en différé, art numérique, événements culturels collaboratifs à distance, etc.). Nous aborderons ensuite la dimension expérientielle des usages des technologies à partir d’études réalisées dans le domaine culturel, notamment l’expérience de visite patrimoniale et touristique. Nous envisagerons enfin la dimension culturelle de l’expérience à partir de travaux portant sur la médiation culturelle. Nous proposons donc de montrer comment la notion d’expérience peut reconfigurer le regard porté sur les pratiques et les usages dans le domaine de la culture. 1. La dimension culturelle des pratiques et des usages Les études d’usages, au-delà des attentes des institutions et des entreprises commanditaires, présentent, selon Eric George (George 2012: 28), l’intérêt de redonner une ‚épaisseur‘ à la figure du consommateur, figure trop déterminée par rapport à une offre économique pour pouvoir servir de cadre à une analyse des processus d’appropriation. Dans l’article définitoire „Usages“ du Glossaire critique de la ‚société de l’information‘, Divina Frau-Meigs indique que, bien que les études d’usages soient commanditées dans un esprit qui relève le plus souvent du déterminisme technique, ces études ont permis de mettre en évidence qu’un usage ne relève pas d’un mécanisme simpliste de satisfaction d’une demande par une offre. Ce qui caractérise l’usage, c’est l’adaptation voire la réivention (Frau-Meigs 2005: 139), et le fait que parfois les utilisations les plus créatives ou les plus efficaces n’ont été ni prescrites ni même prévues. L’usage se situe dans une pensée „(post)lazarsfeldienne“ par la „prise en considération des phénomènes et des situations sociales de réception“ (Frau-Meigs 2005: 141) au-delà de la question des effets, des impacts et de l’influence. Toutefois, la notion d’usage, même si elle 79 DDossier permet de décrire un utilisateur actif, voire collaboratif et créatif, est techno-centrée dans la mesure où ce qui intéresse l’analyste se situe dans le temps et le cadre d’un individu en prise avec une technologie. Certes, le contexte socioculturel d’utilisation n’est pas oublié (Frau-Meigs 2005: 139), pas plus que l’existence d’une culture technique élaborée au fil des usages successifs, qui permet de passer d’une technologie à une autre, et dont tiennent de plus en plus compte les concepteurs. Sans en être le pendant, cette culture technique peut être rapprochée de la culture de consommation que l’on voit se développer notamment au sein des jeunes générations. De même que la culture de consommation, la culture technique se caractérise par une attitude à la fois d’acceptation, de „renoncement négocié“ au sens où l’entend Geneviève Vidal (Vidal 2010) et de prise de distance, la consommation et l’usage devenant une activité portant en soi sa propre finalité, au-delà du besoin ou de la nécessité. Sans utiliser le terme ‚usages‘, dont l’emploi est postérieur à ses écrits, Michel de Certeau avait de longue date décrit les interstices dans lesquels l’individu peut affirmer sa liberté et sa créativité, quelles que soient la force et l’emprise des espaces définis et imposés par les institutions et la culture légitime. La distinction entre tactiques (des pratiquants) et stratégies (des dominants) est un grand classique des études en information-communication et est considérée à juste titre comme annonciatrice de recherches à venir sur les usages. Redéfinissant le consommateur comme un producteur culturel, certes silencieux et discret, certes dépourvu de la possibilité d’inscrire ses traces d’usages et ses productions de signification dans des espaces contrôlés par les institutions et les acteurs dominants, Certeau proposait une théorie des pratiques permettant de penser la „production des consommateurs“ (Certeau 1980: XXXVI) et plus largement la possibilité de prise de distance des individus au sein de systèmes fondés sur la domination culturelle: „l’extension de plus en plus totalitaire de ces systèmes ne laisse plus aux ‚consommateurs‘ une place où marquer ce qu’ils font de ces produits“ (Certeau 1980: XXVII). Revendiquant l’étude du „phrasé“ des pratiques (Certeau 1980: XLV) face aux taxinomies homogénéisantes des grandes enquêtes statistiques, Certeau a en effet préfiguré les études d’usages, car la notion d’usage permet de nommer ce que font les individus confrontés à la technologie, notamment leurs modalités singulières d’appropriation, de résistance, de négociation, de détournement et d’invention de procédures. Cet apport majeur a été relevé et commenté par Serge Proulx (Proulx 1994), notamment la dimension de quotidienneté, qui signe chez Certeau le caractère humble des pratiques qu’il entend réhabiliter et qui, dans les études d’usage, permet de prendre en compte le caractère cumulatif et individualisé des processus d’appropriation. Jeanneret (Jeanneret 2007: 13), dans le sillage de Proulx, note que la catégorie du média n’est pas centrale dans les analyses de Certeau, mais que le terrain médiatique offre des objets privilégiés pour mettre en œuvre ses analyses. Cependant, alors que Certeau s’inscrivait dans une posture critique par rapport à la sociologie de Bourdieu, Jeanneret constate que l’hétérogénéité constitutive 80 DDossier des dominants et des dominés et la bipolarité des positions (producteurs vs récepteurs) restent néanmoins une figure majeure de sa pensée (Jeanneret 2007: 14). Le Marec, dans le même esprit, note que la grande fortune critique de la figure des usagers-braconneurs ne fait au fond que reproduire la structure bipolaire des rapports sociaux (Le Marec 2004: 141), les dominés étant réduits à attendre l’occasion offerte par les interstices du système, sans pouvoir anticiper le temps de cette occasion ni le contrôler. Le binôme espace / temps est en effet une des dimensions du couple notionnel stratégie / tactique. Or, Le Marec (2004: 143) relève que le contexte culturel a beaucoup changé entre l’époque de Certeau et la nôtre, notamment l’affaiblissement du poids et du pouvoir de la culture légitime (Fabiani 2007) et que le contexte actuel n’est plus celui de la culture légitime, mais celui du marché. Se référant à l’importance des temporalités historiques et à la lenteur de l’appropriation sociale des techniques mises en évidence par Jacques Perriault (1989), elle relève également un point essentiel pour la notion d’usage: Le registre des tactiques suppose, sinon un espace propre, du moins un temps qui peut permettre à l’usage de se développer et de construire des récits. Le temps, qui crée l’occasion, joue en faveur de l’usager. Or, le marché des Tic impose un cadre temporel qui est celui de la succession des technologies dernières nées. Il devient difficile de produire des récits qui mettraient en forme le lent procès d’une technologie travaillée par les pratiques sociales (Le Marec 2004: 143). En revanche, au-delà de l’apport de Certeau pour les études d’usages, les figures de pratiquants qu’il dessine préfigurent, selon Le Marec, une „théorie complexe de la pratique“ (Le Marec 2004: 144), théorie qui caractérise la posture spécifique des SIC par rapport à la sociologie, car elle fait intervenir, au-delà du couple acteur / société, un troisième élément: le champ médiatique. Nous pouvons ajouter que l’apport de Certeau consiste aussi dans une vision profondément culturelle des pratiques du quotidien (déambuler, se nourrir, regarder la télévision, lire, faire la „perruque“ 1 etc.), qui peut s’appliquer sans difficulté à l’analyse des usages des technologies, qu’elles soient ou non culturelles dans leur contenu ou par destination. Cette vision est fondée sur l’idée que toute consommation est une production, mais pas une production qui serait en miroir par rapport aux forces de production ou qui se situerait sur le même plan: une production de sens, élaborée par un pratiquant en prise avec un sens élaboré par un producteur et inscrit dans un support (émission télévisée, livre, œuvre d’art, espace urbain, espace de travail), intégrée au sens de sa vie. Le consommateur-producteur n’est pas seulement producteur de menues différenciations et de microrésistances, mais est, plus largement, un acteur réflexif capable de donner sens et unité à son action. Relisant les textes fondamentaux de Jouët (1993, 2000), de Lacroix (1994) et de Pronovost (1994) sur les notions d’usage et de pratique, on trouve énoncée à leur propos une définition assez classique de la culture au sens anthropologique. 81 DDossier Ainsi, chez Jouët, la notion d’usage est d’abord renvoyée à la simple utilisation de la technique tandis que la pratique est une notion plus élaborée qui recouvre non seulement l’emploi des techniques (l’usage), mais les comportements, les attitudes et les représentations des individus qui se rapportent directement ou indirectement à l’outil (Jouët 1993: 371). Quelques années plus tard, se référant aux travaux sociologiques de Pierre-Alain Mercier, elle relève que [l]a problématique des modes de vie traverse en effet les études qui se penchent sur la façon dont les TIC réarticulent les relations entre l’espace privé et l’espace public, le travail et le hors travail, les loisirs et la vie domestique, la sociabilité en face à face et l’échange social à distance, dans une optique qui réfute la sectorisation et considère le mode de vie comme un tout (Jouët 2000: 495). Elle ajoute que „l’appropriation dans la construction de l’usage se fonde [ ] sur des processus qui témoignent d’une mise en jeu de l’identité personnelle et de l’identité sociale de l’individu“ et repère une „réalisation du moi“ aussi bien dans les usages domestiques que dans certains usages professionnels des TIC (Jouët 2000: 503). Certes, c’est auprès des usagers intensifs des TIC que se développent le plus clairement „une mise en scène de l’individu et un fort investissement émotionnel“ (Jouët 2000: 504), mais ces caractéristiques sont applicables à des usagers dépourvus d’une culture technique aussi poussée que celle des usagers experts. De manière plus explicite, Lacroix (cité par George 2012: 34) développe une définition culturelle des usages sociaux des TIC: des modes d’utilisation se manifestant avec suffisamment de récurrence et sous la forme d’habitudes suffisamment intégrées dans la quotidienneté pour s’insérer et s’imposer dans l’éventail des pratiques culturelles préexistantes, se reproduire et éventuellement résister en tant que pratiques spécifiques à d’autres pratiques concurrentes ou connexes (Lacroix 1994: 147). Enfin, Pronovost (également cité par George 2012: 45) recommande de placer l’étude des pratiques médiatiques dans le cadre plus large des pratiques culturelles, en tenant compte des pratiques quotidiennes et du système culturel de référence: La formation des usages sociaux correspond aux différents processus par lesquels les acteurs en viennent à structurer leurs rapports aux médias [ ] dans le contexte de l’ensemble de leur pratiques culturelles et en interaction avec les logiques industrielles dominantes (Lacroix 1994: 379). 82 DDossier 2. Usages des technologies et expérience de l’usager: la dimension expérientielle de l’usage des technologies numériques dans le domaine culturel Nous venons de voir à travers cette rapide revue de littérature que la dimension culturelle des pratiques et des usages se lit à plusieurs niveaux. Un premier niveau, proche de l’interaction homme machine est celui de la culture technique en tant qu’ensemble de connaissances techniques, d’habiletés dans la manipulation, d’adaptabilité et de créativité permettant de passer d’une technologie à une autre en accédant à des degrés de complexité plus importants quelles que soient les améliorations portées à l’ergonomie des interfaces. Un deuxième niveau est celui des cadres (notamment domestiques, professionnels, liés aux loisirs) dans lesquels les opérations mobilisées par les usagers permettent à ceux-ci de se définir en tant que sujets et acteurs sociaux. Leurs pratiques médiatiques se situent dans des contextes socioculturels, se réfèrent à des systèmes culturels de référence et s’insèrent dans un ensemble plus large de pratiques que l’on peut qualifier de culturelles. Un troisième niveau, que nous n’avons pas abordé faute de pouvoir le faire avec l’ampleur nécessaire, est celui des contenus: si les TIC fonctionnent et se développent sans cesse dans les espaces de communication, ce n’est pas seulement en raison de stratégies d’imposition au nom des intérêts puissants des grandes organisations économiques, mais aussi parce qu’elles accélèrent la circulation de contenus culturels au sens strict, autrement dit savants et populaires (musique, images, films, œuvres numériques, récits, informations, connaissances) et au sens large, autrement dit anthropologiques (échanges informels, présentation de soi, liens communautaires, rumeurs, opinions, etc.). L’usager, comme nous l’avons également vu, n’est pas un acteur limité et envisagé du seul point de vue de sa confrontation à la technique. C’est, plus largement, un pratiquant et un auteur (ou à tout le moins un co-producteur) du sens de sa pratique, doté d’une culture technique accumulée au fil des usages et évolutive. Il est également doté d’une capacité d’appropriation, entendue comme une „intériorisation progressive de compétences techniques et cognitives à l’œuvre chez les individus et les groupes qui manient quotidiennement ces technologies“ (Proulx 2005: 5). L’usage participe de l’invention du quotidien, des arts et manières de faire. Paquienséguy, situant l’analyse des usages dans l’actualité plus récente de ce qu’il est convenu d’appeler l’ère numérique, rappelle que Proulx, dans une conférence prononcée avec Bardini en 1999, posait déjà la question de la convergence et du déploiement de nouvelles pratiques, qu’elle nomme les „pratiques intermédiales“ (Paquienséguy 2012: 198). Elle mentionne que ces deux auteurs formulaient alors l’hypothèse que des évolutions technologiques majeures peuvent entraîner des changements significatifs dans les univers de pratiques des usagers. Faisant référence à la théorie interactionniste de Goffman, Paquienséguy postule que le niveau de complexité qui caractérise l’ère numérique, en raison de la multiplicité des acteurs économiques, des formats de communication, et du phéno- 83 DDossier mène de l’intermédialité pousse l’individu à la „gestion permanente d’un holding de personnalités“ (Paquienséguy 2012: 200). Elle ajoute que les usages participent de l’expérience, dans le faire, le savoir-faire, le développement d’habiletés, la mise en œuvre des compétences au carrefour des pratiques communicationnelles et des technologies qui s’y rapportent. Ils partagent avec la consommation le fait de „s’appu[yer] sur l’expérience au travers des affects, des émotions et des sensations qu’elle apporte“ (Paquienséguy 2012: 206). Paquienséguy rappelle que partager son expérience (intime, culturelle, de consommation, etc.) est devenu une part importante des contenus échangés sur le web, et pose l’hypothèse que le partage lui-même engendre une expérience spécifique. Elle conclut que [l]es deux figures de l’usager et du consommateur sont encore plus liées qu’il n’y paraît, [car] la consommation de biens culturels (dont l’émotion et les sentiments sont les moteurs), comme des biens intangibles (dont certains ne sont pas réels, mais virtuels), repose sur une appropriation de l’expérience qui doit devenir personnelle, individuelle pour être identitaire (Paquienséguy 2012: 207). Dans cette perspective, l’usager serait, autant que le consommateur, marqué par la dynamique d’un désir que la consommation ne peut assouvir. La notion d’expérience ne ressortit donc pas uniquement de la psychologie, mais peut être mobilisée dans la sociologie des usages. Ainsi, Jauréguiberry et Proulx définissent l’usage comme „une expérience individuelle et sociale dans laquelle l’usager est engagé à titre de sujet“ (Jauréguiberry, Proulx 2011: 9). Cette définition va au-delà des distinctions habituelles entre utilisations (ponctuelles), usages (en tant que pratiques sociales inscrites dans le temps et ayant intégré une forme de culture technique) et pratiques (notion qui intègre les déterminismes sociaux et comporte une composante symbolique et culturelle plus accentuée que les deux précédentes). 2 Ces trois distinctions se présentent comme des degrés dans l’appropriation individuelle et sociale des techniques, ce qui n’est pas le cas de l’expérience, qui ouvre vers d’autres dimensions. En particulier, mettant en évidence les trois logiques d’action situées en amont des usages (logique d’intégration, logique stratégique et logique de subjectivation), Jauréguiberry et Proulx présentent les dimensions de réflexivité et de liberté individuelle qui relèvent de la logique de subjectivation (Jauréguiberry / Proulx 2011: 106-110). Dans le sillage de Simmel, ils rappellent que l’individu moderne est caractérisé par une tension constitutive entre l’objectivité des statuts et des rôles sociaux qui lui sont assignés et la subjectivité du sens que chacun tente de trouver en lui-même et de donner à sa vie, sous la double forme d’un „contentement et d’un sentiment de vérité“ (ibid.: 111). En ce sens, être présent et actif sur les réseaux sociaux numériques et dans les communications médiatisées peut être un jeu d’apparences plus ou moins fictives. Mais c’est aussi, comme dans le cas du „bloggeur expressif“ (ibid.: 112), une possibilité d’exposition et d’expression de soi par le biais de réalisations et d’écritures personnelles, ouvrant la voie vers un dépassement des rôles et statuts cadrant l’expressivité ordinaire. L’expérience, selon ces 84 DDossier deux auteurs, peut être vécue lorsque l’individu n’est pas aspiré par les logiques d’intégration et les logiques stratégiques. Elle est „un décalage constant aux définitions de soi comme objet social“ (ibid.: 122). Au-delà du champ relativement restreint de la sociologie des usages, la notion d’expérience est mobilisée plus largement en sociologie. Le sociologue de l’éducation François Dubet, dans un ouvrage de sociologie générale, affirme que „les conduites sociales n’apparaissent pas réductibles à de pures applications de codes intériorisés ou à des enchaînements de choix stratégiques faisant de l’action une série de décisions rationnelles“ (Dubet 1994: 254). Dubet construit sa thèse en faisant de l’expérience sociale une notion structurante pour penser une nouvelle théorie de l’action. L’expérience sociale permet en effet de décrire „l’hétérogénéité des principes constitutifs“ des conduites individuelles et collectives ainsi que „l’activité des individus qui doivent construire le sens de leurs pratiques au sein même de cette hétérogénéité“ (ibid.: 15). En ce sens, le recours à la notion d’expérience permet de dépasser certaines limites attachées à la notion d’usage, qui s’est développée dans l’étude des technologies, et à la notion de pratique, qui s’appuie sur une tradition sociologique d’étude critique du „faire“ des individus inscrits dans un système qui les agit et dans lequel ils agissent. Bien que Dubet n’y fasse pas allusion, sa proposition théorique fait écho aux analyses de Certeau sur la „fabrication culturelle“ des sujets confrontés aux objets et aux institutions de la culture. En effet, chacun, dans la conception que propose Dubet, est l’auteur de son expérience: „La distance critique et la réflexivité des acteurs participent pleinement de leur expérience sociale“ (ibid.: 18). Être acteur, ce n’est pas seulement jouer un rôle ou poursuivre des buts stratégiques et rationnels, mais „gérer simultanément plusieurs logiques d’action“, et cette combinaison de logiques n’a pas de „centre“. L’unité de l’action n’est pas donnée a priori, elle repose sur l’activité du sujet, sa capacité critique et de distance à soi-même (ibid.: 91-92). La notion d’expérience réfère à deux phénomènes en apparence contradictoires, mais qui sont articulés: d’une part, l’expérience est une manière d’éprouver, d’être envahi par un état émotionnel suffisamment fort pour que l’acteur ne s’appartienne pas vraiment tout en découvrant une subjectivité personnelle; [d’autre part, c’est] une activité cognitive, [ ] une manière de construire le réel et surtout de le ‚vérifier‘, de l’expérimenter. L’expérience construit les phénomènes à partir des catégories de l’entendement et de la raison (ibid.: 92-93). Nous avons eu nous aussi recours à la notion d’expérience pour étudier les usages d’outils technologiques développés dans le champ culturel, notamment lors de deux enquêtes réalisées sur les applications de réalité augmentée dans les visites patrimoniales de sites et de villes, en collaboration avec Lise Renaud (Bordeaux / Renaud 2012; id. 2014). La première enquête s’est attachée aux applications de réalité augmentée sur tablettes mobiles au cours de visites de villes, et la seconde a porté sur les reconfigurations de l’expérience culturelle des territoires touristiques par le développement de la réalité augmentée. Ces deux enquêtes 85 DDossier avaient pour dénominateur commun et pour déclencheur une étude partenariale menée en 2011 avec le CCSTI (Centre de culture scientifique, technique et industrielle) de Grenoble, l’office municipal du tourisme et l’Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique) sur une application expérimentale, Grenoble, ville augmentée. 3 Cette application avait pour but de prendre place dans l’exposition du CCSTI Tous connectés? et d’établir un lien entre le dedans de l’exposition et le dehors de l’expérimentation. Il s’agissait de tester, en grandeur nature, une technologie dont les développements concrets étaient alors encore très récents. Il est important de préciser que la notion d’usage ne convenait que partiellement dans l’enquête menée à Grenoble, car l’outil était expérimental, mis ponctuellement à la disposition de publics répondant à une invitation diffusée dans les réseaux de la culture scientifique, et les usages ont été observés au cours de phases-tests, précédant une mise à disposition dans le domaine public qui ne s’est pas encore concrétisée. Les ‚usagers‘ étaient donc des utilisateurs-testeurs occasionnels. Néanmoins, si ceux-ci découvraient pour la première fois la technologie de réalité augmentée, ils étaient représentatifs de catégories socio-professionnelles disposant d’une bonne culture technique, ou à tout le moins d’une évidente ouverture à ces nouvelles technologies. La notion d’expérience, qui n’était pas mobilisée a priori en amont et au cours des enquêtes de terrain, s’est dégagée lors de l’exploitation des résultats: nous nous sommes attachées, en particulier, à l’expérience de la mobilité et à l’expérience culturelle de la visite de ville. En effet, le recours à la notion d’expérience nous a permis de prendre en compte non seulement les usages observés et déclaratifs, mais également l’ensemble des paramètres, des motivations, des imaginaires et des références mobilisés par les visiteurs dans le temps de cette visite appareillée. Ainsi, à propos de l’usage de la réalité augmentée pour les visites patrimoniales de villes instrumentées par des tablettes numériques, nous avons montré comment les qualités associées à la notion de mobilité sont à rechercher, pour ce type d’application, non seulement dans les contenus culturels, mais surtout dans le mode d’expérience qui est proposé aux utilisateurs, en mettant l’accent sur l’expérience corporelle: appareillage, gestes, déplacement, exposition de soi dans l’espace public . À propos des applications de réalité augmentée dans le domaine du tourisme culturel pour smartphones, nous avons également mis en évidence les différentes représentations de l’expérience de visite et de l’expérience touristique. Nous avons notamment montré comment l’immersion, le flux et la mobilité sont des expériences qui transcendent les oppositions couramment admises entre médiation muséale (par le dispositif d’exposition) et médiation technologique (par les outils numériques). Les caractéristiques techniques des applications étudiées dans l’expérimentation de Grenoble Ville Augmentée, puis dans un état des lieux des principales applications culturelles de réalité augmentée disponibles à cette époque, méritent d’être rappelées car elles forment le soubassement des conditions de l’expérience. Que l’interface soit simplifiée (consistant en un simple portfolio d’images et de 86 DDossier textes) ou complexe (scénarisation, angles de vues faisant coïncider images virtuelles et paysages perçus, possibilité de conserver une trace de sa visite et d’adresser des images à des correspondants), il s’agit, dans le temps de la visite, de repérer des ‚points d’intérêt‘ dans le paysage, et de les activer à partir du signe qui les matérialise sur l’écran. C’est une différence notable avec des applications touristiques ou culturelles purement informatives, ou proposant une géolocalisation basique (savoir où l’on se trouve, se repérer sur un plan): dans la réalité augmentée, les ressources ne sont pas seulement sur la tablette, mais aussi, en quelque sorte dans le territoire, car elles ne peuvent être activées que par un geste effectué en présence de points d’intérêt concrets, disséminés tout au long du parcours de visite. Pour y avoir accès, il faut pratiquer physiquement le territoire, ce qui fait de ces consultations une expérience engageant le corps (Bordeaux / Renaud 2014: 167). La consultation à distance d’applications de ce type, telle que Streetmuseum (Museum of London), Clunyvision (Ville de Cluny) ou Jardins de Versailles (Établissement public du Grand Versailles) qui comportent une possibilité de consultation ‚dans son fauteuil‘, permet de comprendre la différence qu’il y a entre feuilleter les ressources sur son smartphone et se mettre en chasse des lieux remarquables qui pourront déclencher ces ressources en situation de visite. C’est une expérience singulière, qui ne peut s’effectuer que dans le déplacement (ibid.). Ainsi, contrairement aux craintes souvent exprimées par les médiateurs culturels, les applications de réalité augmentée ne sont pas interchangeables (et donc substitutives) par rapport aux visites guidées, car elles proposent une expérience particulière dans laquelle le visiteur est par définition acteur non pas de sa visite mais du déclenchement et de la gestion des ressources culturelles nécessaires à cette visite. Nous avons pu établir, lors de l’observation des visites appareillées, à quel point les discours promotionnels sur la réalité augmentée et les prévisions d’usages peuvent être éloignés des pratiques effectives. L’expérience vécue, telle qu’elle peut être observée, et telle qu’en parlent les visiteurs enquêtés, est assez différente de l’expérience dont les concepteurs font la promotion. Ceux-ci mettent l’accent sur la liberté de choix, la fluidité et la facilité dans les fonctionnalités, les gestes et le déplacement, ainsi que le caractère ‚sur mesure‘ de visites que chacun peut agencer à sa guise. Ils formulent également une promesse de transparence: de nombreux visuels promotionnels montrent des superpositions par transparence qui permettent de voir, dans un même regard, l’état actuel du paysage et des vues anciennes ou des reconstitutions numériques. Ces promesses sont démenties par le poids de l’appareillage (que révèlent les photographies d’usagers prises lors des visites), le temps passé visuellement sur l’écran (donc sans regarder le paysage), l’impossibilité technique de superposer paysage réel et paysage reconstitué dans les interfaces proposées, et la gestion du renoncement (une fois réalisée l’ampleur des ressources culturelles mises à disposition par rapport au temps réellement disponible pour la visite et à la fatigue causée par le va-et-vient entre paysage, itinéraire et ressources numérisées). La promesse la moins tenue 87 DDossier fut la liberté dans le cheminement et la trajectoire, car le fait de chercher les points d’intérêt dans le paysage et de ne pas perdre ceux-ci de vue (combiné au fait que les visiteurs étaient conscients de participer à une expérimentation et manifestaient une évidente bonne volonté culturelle dans leur participation) a rendu les visiteurs particulièrement obéissants et attentifs au ‚bon‘ trajet dans la ville, s’interdisant tout pas de côté, même dans des lieux intéressants de toute évidence sur le plan patrimonial. Alors que dans le cas des visites guidées de groupe, il existe toujours une proportion plus ou moins importante de visiteurs qui vagabondent, usent de la visite comme d’un prétexte pour regarder ailleurs, ou qui décrochent au bout d’un certain temps pour se consacrer à d’autres activités, nous avons constaté que les utilisateurs-testeurs étaient tous particulièrement concentrés sur les tablettes, et les échanges lors des focus groups ont corroboré ce constat. Ils ont fait apparaître, au cours des échanges, que le „plaisir de la technique“ (Vidal 2014) peut être supérieur au plaisir généré par les contenus culturels, car une grande partie de l’attention était portée à la technologie innovante plutôt qu’aux contenus culturels. Il est difficile d’avancer davantage dans les conclusions car, ayant participé aux réunions de conception de l’interface, nous avons pu nous rendre compte que l’attention portée aux potentialités techniques l’emportait largement sur celle portée à la création de contenus ou à la transposition de contenus préexistants sur d’autres supports. Dans le cas de l’enquête menée à Grenoble, à part quelques contenus originaux (vision de Grenoble dans le futur à la manière de la scène finale de la Planète des singes, dialogue imaginaire entre Stendhal, l’écrivain, et Barbara, la chanteuse), les ressources culturelles constituaient le point faible de la réalisation. Malgré ces réserves, nous savons, par les études menées sur les visiteurs de musées (Goldstein et al. 1996; Vidal 2012b), qu’après un moment de surprise, de découverte des potentialités techniques et d’attention aux contenus, les usagers des dispositifs interactifs ou numériques se lassent vite de l’accès aux contenus et font usage de la technologie pour ellemême, en tant que production culturelle à part entière faisant le lien entre la culture du musée et la culture technique inscrite dans la vie quotidienne. Le patrimoine, les musées et l’art numérique sont les secteurs les plus étudiés du point de vue des usages culturels du numérique, car les institutions patrimoniales et artistiques ont largement fait appel aux nouvelles technologies au fur et à mesure des avancées de leurs potentialités afin de multiplier les formes d’expérience proposées aux visiteurs et aux amateurs d’art. D’autres domaines culturels doivent néanmoins être cités, dans la mesure où ils se sont historiquement structurés autour de la notion d’expérience esthétique, refusant la médiatisation, valorisant le rapport hic et nunc entre scène et salle comme la seule forme légitime de réception de l’art, au point, pour de nombreux artistes, de refuser toute captation technique de leurs créations. Ainsi, Philippe Le Moal (1998) rappelle combien cette attitude a été répandue dans la danse contemporaine, au point de fragmenter sa mémoire, fondée essentiellement sur une transmission orale et la mémoire corporelle des danseurs, ainsi que sur des traces partielles telles que les arguments de 88 DDossier ballets, les musiques de ballets enregistrées, quelques rares et complexes notations des mouvements dansés et les photographies prises lors de représentations ou sous forme de pose devant l’objectif. Les réticences dans le domaine du théâtre sont plus importantes encore. Certes, l’histoire du théâtre, de même que l’histoire de l’opéra, se confond avec le développement du cinéma, 4 mais il s’agit essentiellement d’œuvres portées à l’écran et faisant l’objet de réécritures multiples, avec un statut auctorial qui privilégie souvent le rôle du réalisateur, plus rarement de captations, de retransmission en direct ou d’autres formes de médiatisation: tout se passe comme si ces réalisations gagnaient en popularité et en nombre de spectateurs ce qu’elles perdent de lien avec l’expérience fondatrice des arts du spectacle vivant. Malgré cette culture professionnelle hostile aux industries culturelles, on peut observer de nombreux liens avec les médias, les innovations technologiques et les TIC. Dès 1992, Philippe Bouquillion faisait remarquer que les retransmissions et créations télévisuelles font partie des stratégies des institutions théâtrales en matière de communication et de développement des publics. En effet, Bouquillion indique que les causes de la baisse de la fréquentation du spectacle vivant sont moins à rechercher dans une concurrence de la télévision que dans le déclin des publics traditionnels de la culture légitime et l’incapacité relative de cette culture à constituer un enjeu de distinction sociale pour les nouveaux groupes dominants, et cela, bien que la rentabilité immédiate soit aléatoire et que le second marché des films de spectacle n’existe que pour les grandes productions internationales généralement musicales ou lyriques. Plus récemment, l’exemple des pratiques développées dans les musées, le patrimoine, l’art numérique, l’injonction politique et économique à entrer dans l’ère numérique, ainsi que la demande sociale (notamment de la part du secteur éducatif en quête de ressources permanentes pour l’éducation artistique en milieu scolaire) ont démultiplié la présence du spectacle vivant dans les supports et réseaux de communication. Un des points communs entre ces formes de médiatisation est le fait de se tenir au plus près de l’expérience esthétique originelle, ou au contraire de proposer une expérience nouvelle, inédite, correspondant à des besoins sociaux spécifiques. Dans la première catégorie, on peut citer les retransmissions en direct d’opéras et de ballets par les réseaux Pathé-Gaumont (en lien avec le Metropolitan Opera et le Bolchoï) et par le réseau UGC (en lien avec l’Opéra de Paris et ses partenaires parmi d’autres maisons d’opéra françaises ou étrangères). Les spectateurs des opéras retransmis par Pathé-Gaumont peuvent entrer à l’avance dans la salle de cinéma et bénéficient d’une feuille de salle comme à l’opéra. Ils le font en même temps que les spectateurs newyorkais, dont l’installation, les bavardages et autres marques de sociabilité sont filmées avant le début de la représentation. Durant les entractes, ils ont le choix, comme à l’opéra, de rester dans la salle ou d’en sortir. Une médiation spécifique est néanmoins proposée au cinéma dans ces temps de pause: à l’image des retransmissions télévisées, une commentatrice (Renée Fleming) présente l’intrigue et interviewe en direct les artistes; après les commen- 89 DDossier taires et interviews, les spectateurs peuvent assister aux changements de décor effectués derrière le rideau baissé. Les incidents techniques et musicaux sont donnés à vivre en même temps, événements auxquels s’ajoutent les incidents de transmission qui constituent une perte irrémédiable pour les spectateurs de cinéma: aucun différé ne leur permet de ‚rattraper‘ les séquences perdues. Dans la seconde catégorie, on peut citer le site Numéridanse de la Maison de la Danse de Lyon, qui met en ligne des vidéos de spectacles chorégraphiques (plus de 1600 lors d’une consultation effectuée le 1 er août 2014). Le site, qui s’adresse en principe à un large public curieux de différentes formes de danse, mais avant tout de danse contemporaine, est structuré de manière à répondre prioritairement aux importants besoins de ressources éducatives numériques pour l’éducation artistique dans les établissements scolaires et pour l’enseignement de l’histoire des arts initié en 2008 en France et intégré dans les programmes scolaires de l’école et du collège. Il comporte en effet trois volets principaux: le catalogue complet des vidéos disponibles; la liste des collections permettant de regrouper les contributions de chaque institution culturelle partenaire du site; l’onglet „apprendre et comprendre“, organisé en plusieurs sous-parties qui sont actuellement en développement (plusieurs figurent à l’état de chantier en cours ou de projet), telles qu’une carte interactive de la danse dans le monde, une frise chronologique de l’histoire de la danse ou les „thémas“ organisés autour de sujets transversaux („le corps et les conflits“, „féminin / masculin“, „danser dehors“, etc.), des activités ludiques et des play-lists à élaborer. Il s’agit donc d’un dispositif orienté vers un besoin social spécifique et structuré comme une offre éducative de musée ou de bibliothèque, à l’image des ressources pédagogiques de la Cité des Sciences ou de la Bibliothèque nationale de France, alors que les ressources disponibles sont de nature artistique et peuvent aussi être utilisées dans un objectif plus immédiat de plaisir (voir de la danse). Dans le cas de Numeridanse, le référent n’est pas l’expérience esthétique, mais un environnement éducatif préparant à l’expérience esthétique par la diffusion de connaissances, de ressources audiovisuelles et de points de vue culturels, en amont ou en aval d’une rencontre et d’une pratique artistique. On peut également citer Opérabis, projet mené en 2010-2011 par l’Opéra de Rennes. Des opéras choisis dans la programmation de Rennes sont recréés en 3D dans les mondes virtuels SecondLife et Opensimulator et diffusés gratuitement à l’intention d’un public d’internautes. Pour assister aux représentations, les internautes devaient créer un avatar sur l’une des deux plates-formes 3D hébergeant le projet, puis réserver leur place sur le site dédié. Ce projet-phare du programme Services numériques culturels innovants 2010 du ministère de la Culture français était fondé sur la promesse d’une offre innovante, décalée, induisant des usages présentés comme inédits: permettre aux internautes de ne pas rester isolés derrière leurs écrans et de partager une expérience culturelle. Il avait aussi pour but d’étendre les publics de la musique lyrique en offrant la possibilité à des publics éloignés géographiquement des opéras ou démunis financièrement d’assister à une série de représentations, comme l’indiquait le dossier de presse 90 DDossier de l’Opéra de Rennes en 2010. 5 Malgré la modernité affichée et le caractère original de l’offre (vivre à distance un événement relevant en principe de la co-présence et de l’émotion collective), on peut observer que les ‚vies‘ proposées aux avatars sont en bien des points conformes à l’expérience ordinaire de spectateur: sortir de chez soi, aller voir un opéra, profiter des entractes pour échanger ses impressions, jusqu’aux ‚activités post-représentations‘ par le biais des réseaux sociaux numériques, qui sont la transposition dans ces réseaux des processus classiques de formation et de diffusion d’opinions publiques sur les spectacles, tels que les a analysés Emmanuel Ethis à propos des spectateurs des festivals d’Avignon et de Cannes (Ethis 2001, 2002). Dans les différents cas présentés, le secteur de la culture s’approprie les technologies pour faire face aux difficultés d’un secteur confronté au pouvoir de diffusion et captation d’audience caractérisant les industries culturelles et créatives, pour témoigner de leur insertion dans la modernité et pour répondre à la demande sociale suscitée par la généralisation des outils informatiques et numériques. Il le fait aussi pour préparer, reproduire, amplifier ou renouveler l’expérience esthétique des œuvres. Si, dans le cas des expositions, nous avons pu relever plus haut des comportements privilégiant le plaisir de la technique sur le plaisir de la connaissance, de la contemplation ou de la délectation, si la dimension ludique des avatars accueillis dans l’espace virtuel de l’opéra de Rennes est présentée comme l’attrait principal du dispositif Operabis, dans les arts du spectacle l’expérience esthétique reste centrale. La notion d’expérience esthétique peut être éclairée par les travaux de Dewey sur l’expérience de l’art (1934) et de J.-M. Schaeffer sur les conduites esthétiques (1996). Chez Dewey, il s’agit de restaurer une continuité entre les formes les plus raffinées ou légitimes de l’art et les formes ordinaires de l’expérience esthétique, déclenchées par des objets ou des situations extérieures au champ de l’art (Dewey 1934: 21). Il s’agit également de reconnaître la dimension esthétique de l’existence dans „la matière brute de l’expérience, les événements et les scènes qui captent l’attention auditive et visuelle de l’homme, suscitent son intérêt et lui procurent du plaisir“ (ibid.: 23). Face à un art académique mis artificiellement sur un piédestal et nécessitant, de la part des publics des compétences et dispositions spécifiques, Dewey s’intéresse aux formes et scènes ordinaires qui suscitent émotions, plaisir et attention. Mais l’expérience esthétique ne se résume pas, selon lui, à l’addition de ces caractéristiques. L’expérience est „le résultat, le signe et la récompense [d’une] interaction entre l’organisme et l’environnement qui, lorsqu’elle est menée à son terme, est une transformation de l’interaction en participation et en communication“ (ibid.: 43), elle résulte d’un acte régi par un sens aigu des relations qu’il entretient avec une situation donnée. En somme, c’est la plénitude de l’expérience qui la révèle en tant que telle: Il est des choses dont on fait l’expérience, mais pas de manière à composer une expérience. [Celle-ci] est conclue si harmonieusement que son terme est un parachèvement et 91 DDossier non une cessation. Une telle expérience forme un tout: elle possède en propre des caractéristiques qui l’individualisent et se suffit à elle-même (ibid.: 59). A cet égard, Dewey ne relève pas de différence de nature entre l’expérience esthétique vécue dans la rencontre avec une œuvre d’art et celle qui résulte d’une activité sociale accomplie comme une conversation ou un dîner réussis. Si Dewey s’intéresse plus particulièrement à l’art, c’est que celui-ci procure des situations d’expérience esthétique qui sont la forme la plus aboutie de l’expérience pleine et authentique, de l’expérience en quelque sorte à l’état pur si l’on suit Dewey jusqu’au bout de son raisonnement. Nous utilisons la notion de „conduite esthétique“ dans le sillage des travaux de Schaeffer (1996), pour qui „esthétique“ désigne un des modes de relation que nous pouvons avoir avec l’art, mais également avec des objets ou des événements dépourvus d’intentionnalité artistique (Schaeffer 1996: 16). Proposant, à l’instar de Nelson Goodman, 6 un renversement de posture (de la question ontologique „qu’est-ce que l’art? “ vers la question pragmatique „quand y a-t-il art? “), il définit l’œuvre d’art non comme une essence, c’est-à-dire une qualité en soi des objets, mais comme la rencontre entre deux intentionnalités esthétiques, en production (les artistes) et en réception (les publics), rencontre médiatisée par des formes, des techniques et des genres communément associés à l’art: „une œuvre d’art naîtrait ainsi de la rencontre entre un certain type d’objet (un objet issu d’une causalité Intentionnelle) et un certain type d’usage de cet objet (l’usage esthétique)“ (ibid.: 109). Il est difficile aujourd’hui de reprendre intégralement à notre compte la théorisation de Dewey, qui attribue à l’expérience de l’art une dimension d’accomplissement particulièrement poussée, qui ne correspond guère aux formes ordinaires de fréquentation de l’art et de la culture dans une société où cette fréquentation s’est massifiée. Notamment, Passeron (1991) a montré comment l’expérience des œuvres se fait le plus souvent sous la forme de papillonnages perceptifs, de réceptions limitées et partielles au cours du feuilletage ou de la déambulation, à l’opposé du modèle cultivé de la relation à l’art, fondé sur la contemplation et l’aspiration à une expérience pleine des œuvres. Ces considérations sont développées dans le chapitre 12 du Raisonnement sociologique, intitulé „L’usage faible des images“ (Passeron 1991: 399-442). Mais bien que les comportements culturels décrits par Passeron reflètent sans doute, sur le plan statistique, l’ordinaire de la relation aux œuvres, on peut postuler que, même s’ils n’en accomplissent que rarement la promesse, ils sont motivés par un idéal de relation à l’art que la notion d’expérience esthétique permet de nommer. Expérience dont Passeron rappelle lui aussi la valeur universelle, au-delà des variations socioculturelles (ibid.: 409). En revanche, la théorie de l’art développée par Schaeffer, dans laquelle la notion de conduite esthétique joue un rôle majeur, convient mieux à un réexamen de la notion d’usage. En effet, nous pouvons déduire des travaux de Schaeffer, pour le sujet qui est le nôtre, l’idée que les biens culturels ne sont pas seulement culturels de par leurs caractéristiques opérales (ils s’inscrivent dans des domaines 92 DDossier et des genres identifiés: musique, peinture, sculpture, etc., c’est-à-dire le plus souvent en relation avec une forme artistique), mais qu’ils le sont aussi en raison des usages culturels qui en sont faits, notamment celui qui consiste à vouloir éprouver une émotion, vivre une expérience. Les biens culturels ne sont pas seulement des contenus, mais également des ressources dont se sert l’individu pour vivre une expérience particulière qui l’engage au-delà d’usages ponctuels et récréatifs des musées, expositions et autres offres culturelles, qu’elles soient ou non médiatisées. Dans les travaux de Dewey, Schaeffer et Passeron que nous venons de citer, qui sont loin de représenter l’ensemble des recherches menées en philosophie de l’art et en sociologie de l’art et de la culture, mais comptent parmi les plus fortes contributions scientifiques, l’art est présenté comme l’élément déterminant et central des comportements culturels, sous la forme d’une recherche ou d’un accomplissement d’une expérience esthétique. Cette vision mérite d’être discutée dans la mesure où il existe une distinction couramment admise entre art et culture. Pour le dire rapidement, l’art est relatif à l’élaboration d’une forme, qu’elle soit traditionnelle ou d’avant-garde, inscrite dans les catégories des beaux-arts ou fusionnée avec le social au point de sembler disparaître en tant que forme spécifique. 7 Tandis que la culture désigne l’expérience que fait l’individu en lien avec l’art ainsi que la mise en relation de cette expérience avec d’autres expériences et avec les autres champs de la culture (non artistique) et du savoir. 8 Jusqu’à présent, nous avons développé l’idée que la culture est une activité motivée et en quelque sorte définie par l’art et par la recherche d’une expérience esthétique. Nous allons maintenant développer davantage la dimension culturelle de l’expérience en nous appuyant sur des recherches menées sur la médiation culturelle. 3. La dimension culturelle de l’expérience Grâce au développement continu des possibilités techniques offertes par les TIC et, plus récemment, par l’économie numérique des signes, les institutions culturelles modifient et complètent leur offre de médiation culturelle à destination des publics. 9 Sans se substituer aux formes traditionnelles (médiation humaine et présentielle), cette offre se développe par le biais d’outils informatiques et d’interfaces numériques, conjuguant ainsi médiation et médiatisation. Ces outils sont conçus pour se prêter à des usages multiples: in situ ou à distance, dans le temps du contact avec les œuvres ou en différé, de manière complémentaire ou bien substitutive par rapport aux médiations humaines. Dans son sens courant, la médiation culturelle désigne l’activité des agents de médiation (humains, comme les guides-conférenciers et les animateurs, ou techniques, comme les ressources numériques, les audioguides, les processus de mise en exposition). Dans son acception scientifique, la médiation se présente d’abord comme une extension des réflexions menées en information-communication sur les médias et sur les usages 93 DDossier (Bordeaux / Caillet 2013). Les médiations s’inscrivent entre les pratiques sociales et les techniques, matérielles et symboliques de la communication. Beaud (1985), cité par Miège (2008), décrit une société de médiation, dont les acteurs essentiels ne sont pas les seuls professionnels des médias, mais tous ceux dont l’activité consiste à produire, diffuser ou traduire dans la pratique sociale des représentations et des savoirs normatifs. À l’époque où Beaud formulait ces réflexions, les médias n’étaient pas encore informatisés, mais sa réflexion reste d’actualité, car elle ouvre la possibilité de contenus coopératifs ou alimentés en contenus à des niveaux divers dans des interfaces conçues par des institutions culturelles qui ont plutôt pour habitude de contrôler les contenus culturels qu’elles éditent ou concourent à faire circuler. La médiation a ensuite été définie comme un concept permettant d’analyser les modes de diffusion, de circulation et d’appropriation de la culture, notamment dans les travaux de Jean Davallon, Yves Jeanneret et Bernard Lamizet. Nous nous fonderons plus particulièrement sur Lamizet (Lamizet 1999: 270- 275). Rappelons d’abord comment Lamizet définit la médiation culturelle: le terme désigne l’articulation entre singulier et collectif, entre individu et social, articulation qui permet à la culture d’assurer les médiations symboliques qui la fondent ellemême en tant que culture. La médiation culturelle consiste, pour le sujet, dans l’articulation consciente de [...] deux instances de la culture. D’un côté, il y a l’ensemble des représentations symboliques qui donnent du sens à une société ou à un système d’appartenance [ ] et de l’autre, il y a ce que fait chacun des sujets de cette société, dans son expérience propre, de ces manifestations et de ces représentations (ibid.: 271). Présentant l’expérience de la culture comme l’ensemble des pratiques par lesquelles la médiation culturelle s’inscrit dans le réel de la sociabilité, Lamizet propose une catégorisation de l’expérience culturelle selon cinq modes: l’expérience sociale (fréquentation), qui est l’expérience de l’usager; l’expérience esthétique (plaisir), qui est l’expérience du spectateur; l’expérience didactique (connaissance), qui est l’expérience de l’acquisition du savoir, tel qu’il est structuré par la culture; l’expérience symbolique (interprétation), en tant qu’expérience du langage, des codes et des pratiques de représentations par lesquelles nous manifestons notre appartenance à une forme de culture; l’expérience politique (adhésion), qui est l’expérience de la citoyenneté, notamment dans les activités de reconnaissance et de critique. À partir de ces catégories, en prenant en compte tout le spectre des attitudes et activités des individus lorsqu’ils sont en contact avec l’art et la culture, nous proposons de développer les pistes ouvertes par Lamizet afin de prendre en compte une plus grande variété d’attitudes et d’usages de la culture, que nous rassemblons sous le vocable d’‚expérience culturelle‘. Pour cela, nous dissocierons ce qui relève des modes d’expérience, des modes d’agir et des statuts des acteurs. 94 DDossier En premier lieu, nous conserverons la notion d’expérience sociale (dans un sens tout à fait différent de celui de Dubet, présenté plus haut), dont le mode d’agir est la fréquentation. Le statut d’acteur est celui de l’usager. Cela dans plusieurs sens: usager du service public culturel, destinataire et consommateur d’une offre culturelle, ou plus simplement individu en contact épisodique ou fortuit avec un lieu, une œuvre, un processus artistique, une manifestation de culture scientifique. L’usager représente un niveau d’implication dans la culture ou un niveau de conduite esthétique qui peuvent être très faibles: c’est le cas lorsque les médiateurs culturels se donnent pour objectif de faire ‚pousser la porte‘ de l’institution culturelle par des publics éloignés, en difficulté ou empêchés, ce qui représente pour eux un effort important ou à tout le moins une expérience singulière. Ce niveau d’implication peut être à peu près nul, si on prend pour exemple une situation bien connue des agents d’accueil dans les bibliothèques: la présence de jeunes venus se retrouver dans un lieu qu’ils considèrent comme public, sans s’intéresser aux livres, revues ni aux supports audiovisuels, ou bien celle d’adultes en grande difficulté y cherchant un refuge temporaire. La seconde expérience, l’expérience esthétique confère à l’individu le statut de spectateur, au sens où l’entend Goffman lorsqu’il évoque les personnes qui vont au théâtre, mais connaissent déjà la pièce. Elles jouent intérieurement à ne rien savoir jusqu’à ce que, „belle victoire du spectateur sur l’amateur“, elles parviennent à l’état d’enthousiasme ou de plaisir de celui qui la voit pour la première fois (Goffman 1991: 142). 10 Le plaisir n’étant pas un mode d’agir, et l’art fonctionnant aussi sur le mode du déplaisir, nous substituons à la notion de plaisir avancée par Lamizet l’idée que les spectateurs éprouvent l’œuvre d’art ou de l’esprit, c’est-àdire qu’ils en font l’‚épreuve‘: ils s’y confrontent, tentent de la vivre et d’en saisir le sens, mais l’œuvre, par sa nature propre, résiste à cette tentative et ne se livre pas tout entière, en tout cas pas dans les nombreuses épaisseurs de significations qu’elle peut receler. La troisième expérience peut difficilement, selon nous, être qualifiée de didactique, en raison du sens étroit du terme dans les pratiques éducatives. De plus, le didactisme s’exerce en production, non en réception. Nous proposons donc la notion d’expérience éducative (ou cognitive), qui est celle de l’apprenant dans la relation d’apprentissage. Cette expérience est largement sous-estimée dans le champ culturel, qui valorise le choc esthétique, la rencontre avec les œuvres, l’intensité des états de conscience provoquée par cette rencontre. Elle est pourtant présente dans les conférences, écoles du spectateur, ateliers de présentations des œuvres et diverses autres médiations qui se sont multipliées depuis plus de vingt ans, dans le sillage de l’éducation populaire et des apprentissages culturels en contexte non formel. La quatrième expérience est celle sur laquelle la médiation culturelle (au sens commun du terme) joue un rôle essentiel: c’est l’expérience symbolique, dont le mode d’agir est l’interprétation. Nous utilisons ce dernier terme dans l’esprit de Certeau et des „fabrications culturelles“ décrites dans L’invention du quotidien. 95 DDossier C’est en effet l’expérience du langage, comme la définit Lamizet, mais en termes de statut d’acteur, nous dirons que l’individu y agit en tant que sujet de l’énonciation. Toutes les médiations qui sont fondées sur une interaction langagière avec les visiteurs ou les spectateurs instaurent ceux-ci non en simples récepteurs des œuvres, mais en êtres de langage, porteurs d’interprétations spontanées ou conscientisées qui fournissent au médiateur un matériau pour rebondir, rectifier, enrichir, etc. L’expérience politique, chez Lamizet, nous semble suivre un peu rapidement et un peu schématiquement les quatre catégories précédentes, c’est pourquoi nous allons proposer, à ce stade, d’autres types d’expérience. Ainsi, en complément de l’expérience éducative, nous définissons une expérience qui semble proche dans son principe, mais diffère par ses résultats. Il s’agit de l’expérience autodidactique, notion qui désigne les processus d’auto-apprentissage dans la culture ou par le biais de la culture, ainsi que les processus de spécialisation et d’acquisition d’expertise qui se font par d’autres voies que les voies professionnelles: ce sont les amateurs d’art, qualifiés par exemple de ‚grands amateurs‘, ‚mélomanes‘, ‚ballettomanes‘ ou désignés par l’expression ‚passions privées‘ dans les expositions d’art contemporain qui valorisent les collectionneurs privés. Dans une acception plus populaire, c’est aussi l’expérience des cinéphiles, des collectionneurs d’objets modestes, des fans de vedettes de cinéma décrits par Edgard Morin dans Les stars en 1957. L’expérience expressive consiste en une expérimentation, occasionnelle ou non, de l’expressivité. Les SIC ont opéré récemment une promotion de l’amateur, par le biais des pratiques collaboratives et contributives en ligne. 11 Mais elles avaient déjà abordé ces pratiques par le biais des travaux de Roger Odin et Laurence Allard sur le cinéma amateur et sur les conduites expressives dans les supports numériques et les réseaux sociaux numériques. 12 D’autres pratiques occasionnelles peuvent être observées lorsque des ateliers de théâtre, de danse, de musique, de développement personnel sont fréquentés occasionnellement par des individus, ou proposés à des professionnels hors champ de la culture, en vue de développer leurs compétences relationnelles ou de prise de parole en public. Des pratiques plus intensives se sont également développées, encouragées par les possibilités offertes par les TIC. L’expressivité n’y est pas dans tous les cas de nature artistique, et consiste en commentaires, like et autres signes liés à l’expression de jugements, d’opinions, en reroutages de contenus sous divers formats, et en fonctions phatiques d’énoncés divers. L’expérience artistique diffère de l’expérience précédente dans la mesure où elle se rapporte à la création artistique, qu’elle soit professionnelle ou développée dans les milieux amateurs. Pour ces derniers, on peut se référer aux travaux d’Olivier Donnat et de Marie-Madeleine Mervant-Roux sur les amateurs, 13 qui révèlent combien cette pratique est ancrée dans la vie sociale, et passée sous silence au bénéfice des ‚bons‘ comportements culturels, tournés vers la consommation d’œuvres et objets légitimes. C’est l’expérience par laquelle des amateurs 96 DDossier et des professionnels s’approprient les langages de l’art en pratiquant celui-ci et en en faisant une activité autonome, dont les enjeux sont majoritairement dans le champ de l’art et non prioritairement dans le champ des interactions sociales. L’expérience politique de la culture telle que la propose Lamizet nous semble devoir être scindée en trois catégories. Tout d’abord, l’expérience civique du bénévole, qui n’est pas nécessairement corrélée à une grande proximité avec la scène de l’art, lorsque les bénévoles, tout en étant motivés par la nature culturelle de l’action, sont plutôt du côté de la technique, de la gestion, de la sécurité des publics et de l’accueil des artistes. L’économie des festivals doit beaucoup à cette expérience qui est à la fois culturelle (par destination) et non culturelle (dans ses modes concrets d’action). Ensuite, l’expérience participative, qui se développe depuis quelque temps dans le champ de la création par le biais des œuvres participatives, des programmes de type Nouveaux commanditaires de l’art et du courant de l’esthétique relationnelle, où les œuvres n’existent que par les activités des publics. Souvent qualifiés d’‚amateurs‘ par les artistes, ces participants ont plutôt le statut de figurants ou d’acteurs éphémères, dans la mesure où ils ne peuvent acquérir, au cours de l’expérience, des compétences qu’ils pourront réinvestir plus tard dans le champ de l’art ou de la culture. Enfin, l’expérience politique proprement dite est celle du militant qui agit dans et sur la vie culturelle, par son rôle dans les mouvements sociaux et d’éducation populaire, sa participation aux débats publics, sa contribution à des groupes de contre-expertise, son implication dans des groupes de pression. Nous avons ainsi défini une large palette de modes d’expérience qui caractérisent le contact avec l’art et la culture, et forment autant de dimensions de l’engagement des individus dans des activités culturelles. Elle permet de compléter et de détailler la dimension culturelle des expériences vécues par les sujets, au-delà des notions d’usage et de pratique. Elle permet aussi de saisir non seulement le ‚phrasé‘ des pratiques, mais le sens que les individus donnent à leurs actions. Conclusion Ces différents modes d’expérience de l’art et de la culture sont des variations de la dimension culturelle de l’expérience. Ils relèvent d’une catégorie générique que nous proposons de nommer ‚expérience culturelle‘, dans laquelle les enjeux des actions à caractère culturel des individus se jouent ou non dans le champ de la culture. Ils peuvent compléter, par la prise en compte de l’expérience du sujet, l’analyse des rôles et usages prescrits, assignés, ou assumés et co-élaborés par les acteurs. Ils permettent de décrire ce que les enquêtes sur les pratiques culturelles ne peuvent saisir en raison de l’impératif d’homogénéisation des données dans ces grandes enquêtes quantitatives. La notion d’expérience, qui met en relation des situations, des actions et des significations produites au cours de l’action, peut également étayer un réexamen de la notion d’usage, qui porte encore la 97 DDossier marque des premières études d’usages, envisagées du point de la vue de la technique et souvent polarisées sur deux pôles opposés: les usages inscrits dans l’outil et les usages déviants ou créatifs. En cela, notre proposition se présente comme une contribution destinée à compléter l’étude de ce que font les individus lorsqu’ils sont impliqués dans des activités culturelles. Elle permet en effet de formuler autrement les objectifs des études sur les pratiques ou les usages de la culture en prenant comme point de départ, non l’offre culturelle à diffuser ou l’outil à ancrer socialement auprès de publics plus ou moins indifférenciés, mais les modes d’expérience qui sont proposés à des sujets co-producteurs du sens de cette expérience. Nous avons, dans un ouvrage récent 14 utilisé ces catégories pour analyser les dispositifs d’éducation aux arts et à la culture en milieu scolaire (art cinématographique et éducation aux médias, théâtre, danse, patrimoine et autres domaines artistiques et culturels), ce qui nous a conduit à mettre en évidence, au-delà des discours dominants sur les meilleures voies de diffusion et d’appropriation de la culture contemporaine en milieu scolaire, le fait que ces actions relèvent d’une médiation particulière, car elles se caractérisent par une combinaison originale de trois expériences: esthétique, artistique et symbolique. Recourir à la notion d’expérience conduit ainsi à se situer du côté du sujet dans l’épaisseur et la complexité de ses conduites culturelles. Beaud, Paul, Médias, médiations et médiateurs dans la société industrielle, Thèse de Doctorat de Lettres et Sciences Humaines (Sciences de l’Information), Université de Grenoble 3, 1985. Bordeaux, Marie-Christine / Elisabeth Caillet, „La médiation culturelle: pratiques et enjeux théoriques“, in: Culture & Musées. La muséologie: 20 ans de recherche, 2013, 139-163. Bordeaux, Marie-Christine / Lise Renaud, „Patrimoine ‚augmenté‘ et mobilité. Vers un renouvellement de l’expérience culturelle du territoire“, in: Interfaces numériques, 2, 2012, 273- 285. Bordeaux, Marie-Christine / Lise Renaud, „La reconfiguration symbolique des territoires touristiques par la réalité augmentée: nouvelles écritures des visites patrimoniales“, in: Les cultures du déplacement, Paris, L’Harmattan, 2014 [à paraître]. 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Vitalis, André (ed.), Médias et nouvelles technologies: pour une socio-politique des usages, Rennes, Apogées, 1994. 1 C’est-à-dire, pour les ouvriers, récupérer des matériaux de rebut pour en faire des réalisations pratiques ou esthétiques. 2 Breton et Proulx (2006: 255-258) proposent une autre distinction, mais qui répond à la même logique: consommation (décision d’achat, suivie ou non d’une adoption du produit); utilisation (conformité plus ou moins grande avec le mode d’emploi de l’outil); appropriation (maîtrise technique et cognitive de l’objet, intégration significative et créatrice de l’usage dans la vie quotidienne, possibilité de réinvention de l’usage). 3 L’étude portait non seulement sur les usages constatés lors de l’expérimentation de Grenoble Ville Augmentée, mais également sur le processus de conception de l’application. Elle a comporté trois phases: la participation aux réunions de conception, l’observation des usages en situation au cours de visites, et des questionnaires individuels complétés par des focus groups s’adressant aux visiteurs volontaires. Elle a été ensuite complétée par un état des lieux des applications culturelles de réalité augmentée en France, une typologie de ces applications à partir de leurs caractéristiques opérales et une analyse des discours d’accompagnement produits à leur sujet, notamment par les concepteurs. 4 Cf. Roger Icart, „Théâtre filmé“ in: Dictionnaire du cinéma mondial, Paris, Éditions du Rocher, 1992, ainsi que l’article „Film d’opéra“ du Dictionnaire de la Musique, Paris, Larousse, 2011. 5 L’expérimentation technologique n’a pas duré plus d’une année, et l’opéra de Rennes a depuis repris un projet initié en 2009: diffuser tous les deux ans un opéra sur grand écran, en direct et en plein air, sur la place de la mairie. 6 Cf. Nelson Goodman, Langages de l’art: Une approche de la théorie des symboles, Paris, Hachette, 2005. 7 C’est le cas dans le courant de l’esthétique relationnelle, théorisée par Nicolas Bourriaud dans Esthétique relationnelle, Dijon, Les Presses du réel, 1998 et de toutes les formes d’infusion et d’hybridation de l’art dans divers champs sociaux, qui prolifèrent depuis plus de vingt ans, et dont Yves Michaud a fait la critique dans l’Art à l’état gazeux. Essai sur le triomphe de l’esthétique, Paris, Stock, 2003. 8 Ces définitions sont restrictives par rapport aux définitions anthropologiques de la culture, telle celle de l’Unesco, qui recouvre l’ensemble des activités symboliques humaines et sociales. 100 DDossier 9 Pour ne prendre que l’exemple des applications mobiles développées en France, le site CLIC (Club Innovation et Culture) France recense, au 4 juillet 2014, 279 applications mobiles muséales, patrimoniales et culturelles: http: / / www.club-innovation-culture.fr/ applications-mobiles-museales-et-culturelles-en-france (consulté le 1 er août 2014). Ces applications sont, dans leur grande majorité, à vocation patrimoniale. 10 Cette unique référence à Goffman est justifiée par le fait que Les cadres de l’expérience sont une traduction française du titre original, Frame analysis, qui peut prêter à confusion dans la mesure où elle pose comme centrale la notion d’expérience alors que la notion centrale de l’ouvrage est la situation et les effets de sens que celle-ci génère pour les individus qui y sont impliqués. 11 Cf. notamment Patrice Flichy, Le sacre de l’amateur. Sociologie des passions ordinaires à l’heure numérique, Paris, Seuil, 2010. 12 Cf. notamment Roger Odin (ed.), „Le cinéma en amateur“, in: Communications, 68, 1999; Laurence Allard, „L’amateur: une figure de la modernité esthétique“, Communications, 68, 1999, 9-31; Laurence Allard, Olivier Blondeau (ed.), 2.0? Culture Numérique, Cultures Expressives, Médiamorphoses, 21, 2007. 13 Olivier Donnat, Les amateurs. Enquête sur les activités artistiques des français, Paris, La Documentation française, 1996; Marie-Madeleine Mervant-Roux (ed.), Du théâtre amateur. Approche historique et anthropologique, Paris, CNRS Édition, 2004. 14 Marie-Christine Bordeaux / François Deschamps, Éducation artistique et culturelle, l’éternel retour? Une ambition nationale à l’épreuve des territoires, Toulouse, Ed. de l’Attribut, 2013.