eJournals lendemains 39/154-155

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Narr Verlag Tübingen
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2014
39154-155

Ethnométhodologie des usages des TICs: recherches françaises

2014
Julia Velkovska
ldm39154-1550040
40 DDossier Julia Velkovska Ethnométhodologie des usages des TICs: recherches françaises Les recherches sur les usages des technologies de l’information et de la communication (TICs) se sont développées en France au sein de trois principaux courants: l’approche dite de „l’autonomie sociale“, la théorie de l’acteur-réseau et l’ethnométhodologie et ses développements dans le cadre de l’analyse conversationnelle (Jouët 2000). 1 Le présent article propose un aperçu des travaux français - avec en toile de fond les recherches internationales, notamment anglo-saxonnes - qui ont mobilisé cette dernière perspective à partir des années 1980. L’objectif de cette mise en perspective est double. D’une part, elle mettra en relief les principaux apports de ces travaux en les restituant dans la logique d’une tradition de recherche mobilisant une théorie particulière de l’action et de la communication. A la différence des travaux anglosaxons, les recherches françaises d’inspiration ethnométhodologique portant sur les technologies de la communication n’ont pas reçu pour le moment cette visibilité de démarche d’ensemble, n’étant pas réunies dans des ouvrages collectifs, à l’exception de quelques numéros thématiques de revues. D’autre part l’article explorera les continuités, mais aussi les spécificités, de la réception française de la tradition ethnométhodologique et les différentes manières dont celle-ci a pu être mobilisée pour l’étude de situations impliquant des objets de communication. Cette piste m’amènera à décrire les conditions d’émergence des recherches ethnométhodologiques sur les usages des TICs en France en lien avec les contextes académiques, institutionnels et industriels de leur développement, mais également avec l’apparition de technologies de communication ‚locales‘ comme le Minitel, ou encore le visiophone dans les années 1980. Si les traits distinctifs éventuels des travaux français dans l’ensemble des recherches d’inspiration ethnométhodologique portant sur les TICs restent à explorer, la sociologie des usages est bien une spécificité française. Elaborée à partir des années 1980, elle n’a pas d’équivalent direct dans d’autres pays où les pratiques de communication sont traitées - au-delà des disciplines traditionnelles telles la sociologie, l’anthropologie ou la linguistique - au sein de domaines spécialisés comme communication studies, media studies, internet studies, etc. En plaçant en son centre la notion ‚d’usage de ‘, la sociologie des usages a eu pour mérite de réhabiliter, dans le paysage de la sociologie française, les artefacts technologiques comme objets d’étude légitimes, de permettre leur prise en compte explicite dans les analyses et de mettre sous le projecteur les pratiques qui leur sont liées. Prenant le contre-pied du schéma causal du déterminisme technologique et de la ‚problématique des effets‘ du modèle de la consommation passive (selon lequel 41 DDossier les usages découlent de l’offre de produits et de services) la sociologie des usages a procédé à un double mouvement: la constitution des ‚usages‘ des TICs en objet de recherche autonome, puis leur inscription dans des contextes sociaux (à savoir familiaux, amicaux, professionnels, etc.). Ces deux notions centrales, usage et contexte, restent cependant insuffisamment définies et soulèvent une série de difficultés. Tout d’abord, la sociologie des usages a cherché fonder sa spécificité par une série d’opérations de décontextualisation, en creusant la différence entre la notion d’usage et les concepts centraux de la sociologie qui sont ceux de pratique, d’action et d’activité. Ce faisant, et à trop vouloir insister sur les entrées technologiques des recherches comme sur leurs aspects empiriques, la sociologie des usages a abouti à une posture difficile dans laquelle elle est à l’écart des problématiques classiques de sa discipline-mère tout en ne parvenant pas à élaborer un appareil conceptuel homogène propre. Concernant la notion de contexte ensuite, la sociologie des usages a insisté sur la nécessité d’inscrire ces derniers dans des contextes sociaux. Dans cette posture, activités de communication (à travers, entre autres, l’usage d’une technologie) et contexte sont posés comme des entités séparées qu’il s’agit de réarticuler ensuite dans l’analyse. Pourtant, à y regarder de plus près, il est difficile d’établir les usages comme une réalité autonome qu’on peut constituer en objet d’investigation sociologique, car il n’y pas d’usage en soi en dehors des activités et des situations sociales - activités de communication, de travail, de constitution de relations significatives à l’autre et à l’environnement. Il en ressort un ensemble de problèmes pour les enquêtes liés à la relative abstraction des ‚usages‘ qui se voient ainsi coupées des activités et des situations sociales pour être posées comme objet de recherche en soi. Les recherches d’inspiration EM, présentes dans le paysage intellectuel dès les débuts de la sociologie des usages française dans les années 1980, offrent des solutions à ces difficultés en proposant notamment un traitement différent des liens entre activité et contexte, ainsi que de la notion de contexte elle-même. L’originalité de ces travaux est de s’intéresser aux usages des TICs en situation naturelle, c’est-à-dire en observant les activités et les interactions en train de se faire. En conséquence la posture EM implique des méthodes d’enquête et d’analyse capables de rendre compte de l’action en situation: il s’agit notamment de différentes formes d’ethnographie de situations d’usage basée sur l’enregistrement des activités - audio ou vidéo - en temps réel. Organisé en deux parties, l’article s’attache à montrer en quoi l’approche ethnométhodologique des TICs propose un traitement différent des notions d’usage et de contexte et en quoi ces déplacements contribuent à faire émerger et à décrire des phénomènes nouveaux dans le domaine des interactions médiatisées. Une première partie théorique et historique, structurée en quatre paragraphes, introduit successivement les bases de la théorie de l’action en ethnométhodologie; le cadre analytique qui en découle pour l’étude des usages des 42 DDossier technologies de la communication; les relations avec le domaine du design technologique; l’émergence et la structuration du champ français des recherches ethnométhodologiques sur les interactions médiatisées. La deuxième partie de l’article rend compte de ces travaux sur les trois terrains principaux qu’ils ont investigués: la vidéocommunication, les interactions sur téléphone mobile et sur les différentes plateformes conversationnelles d’internet. 1. Une perspective pragmatiste sur les usages des technologies de la communication: la sociologie ethnométhodologique L’ethnométhodologie analyse les technologies et leurs usages du point de vue des actions et des interactions en train de se faire, c’est-à-dire depuis la perspective des membres. 2 Pour saisir pleinement cet angle d’analyse ainsi que le recours aux enregistrements vidéo et audio des interactions comme mode d’enquête privilégié, il est nécessaire de revenir à la théorie de l’action qui les sous-tend. 1.1 La théorie de l’action en ethnométhodologie En tant que théorie générale de l’action sociale, l’ethnométhodologie participe au tournant pragmatique des sciences humaines et sociales, enraciné dans les traditions philosophiques du pragmatisme américain (Peirce, James, Dewey), de la phénoménologie (Husserl, Merleau-Ponty, Schütz) et de la philosophie analytique de l’action (Wittgenstein). Ces déplacements dans le champ des théories de l’action consistent à substituer une problématique de réalisation de l’activité à une problématique de la décision et du plan. 3 Les deux aspects qui caractérisent ce changement de paradigme concernent la conception de l’action et de ses liens avec l’environnement. Premièrement, les activités, telles qu’elles se déroulent dans les situations quotidiennes, sont placées au centre de l’attention. L’idée principale est que leur sens est observable dans leur déroulement pratique et l’analyste n’a donc pas besoin de chercher des entités sous-jacentes ou cachées (en tout cas non accessibles à l’observation) qui sont censées gouverner l’action comme les structures sociales pour la sociologie ou les processus mentaux, les plans, les calculs rationnels pour la psychologie. Deuxièmement, le tournant pragmatique insiste sur la prise en compte de l’environnement dans l’analyse de l’action: pour comprendre l’action il faut tenir compte de son lien avec l’environnement. Dans cette conception, l’action est quelque chose de plus ou de différent du calcul rationnel puisque nous n’agissons jamais seuls: notre action est incarnée dans un environnement et les objets, les artefacts, les instruments de cet environnement structurent nos activités. 4 L’orientation pragmatiste propose donc d’abandonner le paradigme de l’acteur rationnel qui calcule son action en termes de pertes et profits et de le remplacer par celui de l’action située. 5 Dans le domaine de la sociologie, l’EM constitue l’entreprise la plus aboutie de la mise en œuvre du projet pragmatiste sur le plan des recherches empiriques. 43 DDossier Dans la prolongation du geste pragmatiste, le déplacement radical que propose l’EM dans le paysage des théories sociologiques de l’action est de considérer l’activité en tant que telle, depuis une perspective endogène. Ceci la distingue des autres approches en sociologie qui se donnent chacune une extériorité pour expliquer l’action, soit le contexte pour les théories déterministes (marxisme, fonctionnalisme, structuralisme), soit l’individu et la rationalité individuelle pour l’individualisme ou encore pour l’interactionnisme (Goffman, Strauss). 6 En effet, les activités en tant qu’elles sont méthodiquement organisées forment l’objet d’analyse de l’ethnométhodologie. Dans cette perspective, les activités se constituent ellesmêmes dans le cours de leur accomplissement comme ayant un début et une fin et comme ancrées dans une situation. C’est ce cours d’action qui définit son contexte et qui fait émerger des agents et des relations entre eux. La proposition de Garfinkel (2007) est donc d’étudier non plus les déterminants externes qui peuvent être derrière l’action (motivations, normes, structures sociales), mais les propriétés ordonnées des activités et du raisonnement pratique. Il s’agit de décrire les „méthodes d’analyse, de description et de détection des faits des membres“ (Zimmerman / Pollner 1996: 9). Selon Garfinkel, et on peut résumer ainsi l’orientation analytique de l’EM, il s’agit d’analyser comment les hommes isolés, et pourtant tous impliqués dans une communion curieuse, se débrouillent pour construire, tester, maintenir, altérer, valider, questionner et définir un ordre ensemble (Garfinkel cité dans Heritage 1991: 97). L’accent porté sur l’analyse des procédures mises en œuvre par les participants dans l’accomplissement pratiques des cours d’action définit l’EM comme une théorie procédurale de l’action en tant qu’irrémédiablement située, temporelle et incarnée dans un environnement. Garfinkel résume cet argument ainsi: L’ethnométhodologie insiste sur les procédures, mais cette insistance porte sur un travail. Par procédural, l’ethnométhodologie n’entend pas des processus. Procédural signifie travail (labor). [ ] L’obsession centrale des ethnométhodologues est d’esquisser un autre type de description procédurale des phénomènes d’ordre, en tant qu’ils peuvent être accomplis - donc mettre au jour des méthodologies - et cela sans sacrifier les questions de structure. [ ] C’est un intérêt pour la structure en tant que phénomène d’ordre réalisé (Garfinkel 2001: 33). Dans le domaine des théories de l’action, l’EM opère donc deux déplacements importants par rapport à la sociologie classique: 1) déplacement de l’objet d’analyse de la sociologie des structures sociales vers les activités organisées des membres qui les accomplissent; 2) déplacement de l’intérêt pour la motivation de l’action vers les „procédures par lesquelles les acteurs reconnaissent, produisent et reproduisent des actions et des structures sociales“ (Heritage 1991: 92). La coordination des actions ne se fait plus de l’extérieur (ni par des règles, des normes et des valeurs intériorisées, ni par des plans individuels) mais repose sur leur caractère intelligible, ‚observable et descriptible‘ (accountable) pour les 44 DDossier membres compétents. La notion de l’accountability des activités ordinaires est centrale dans la théorie de Garfinkel et renvoie au fait que les activités ont une intelligibilité incarnée pour ceux qui y participent. La coordination des actions est donc possible grâce aux compétences des membres à se conduire de manière appropriée et intelligible pour les autres. Ils accomplissent ainsi pratiquement la visibilité d’un certain type de situation, de règles, de relations, d’institution, d’ordre. Les structures de la situation sont alors appréhendées comme des structures, des traits observables de l’action. Cette conception de l’action sociale introduit un changement radical dans les rapports entre savoir sociologique et savoir du sens commun et a des implications méthodologiques importantes. Les éléments qui composent une situation sociale sont ceux rendus visibles, pertinents et disponibles dans l’accomplissement pratique. En conséquence, la perspective des participants - engagés dans une interaction et sélectionnant des éléments pertinents pour constituer la situation - doit être soigneusement distinguée du point de vue de l’analyste tenté d’inventorier tous les éléments à prendre logiquement en compte. La proposition de Garfinkel d’analyser l’ordre social (et les structures sociales) comme des accomplissements pratiques, et donc comme des propriétés observables des activités, introduit ainsi un déplacement fondamental dans les théories de l’action avec des conséquences importantes sur le plan empirique notamment le recours à des enregistrements vidéo et audio pour l’étude naturaliste des activités. 1.2 Les usages des TICs comme objet de recherche en ethnométhodologie: affordance, ajustement et artefact interactionnel Quelles sont les conséquences de la théorie de l’action en ethnométhodologie pour les études des usages des TICs? En tant que théorie sociologique générale avec une approche procédurale de l’ordre social, l’EM ouvre une perspective de recherche particulière dans ce domaine qui vise à saisir sur le vif le travail interactionnel dans les situations médiatisées. L’analyse ethnométhodologique des technologies et leurs usages est donc une analyse des activités technologiquement équipées. Précisément, il s’agit de décrire l’organisation pratique et les propriétés des activités et des interactions entre interlocuteurs distribués spatialement et parfois temporellement. Cette perspective épistémologique suppose d’adopter des focales spécifiques aussi bien sur le plan des concepts que sur celui des méthodes. Sur le plan conceptuel, la notion d’affordance, reprise des travaux de Gibson (1979) en psychologie de la perception, a joué un rôle central parce qu’elle offre une prise pour analyser les objets dans l’action et donc pour dépasser la séparation entre la technique et le social. En effet, les affordances désignent les propriétés de l’objet technique en termes de possibilités et de contraintes qu’il offre pour l’action. Dans ses développements pour l’étude des interactions médiatisées, cette 45 DDossier notion offre une ‚troisième voie‘ entre l’approche constructiviste et l’approche déterministe des technologies, comme l’observe Hutchby (2000, 2001): Cela implique de voir les technologies ni en termes de leur propriétés ‚interprétatives textuelles‘, ni en termes de leur propriétés ‚essentielles techniques‘ mais en termes de leurs affordances. [ ] les affordances sont des aspects fonctionnels et relationnels qui encadrent, mais ne déterminent pas, les possibilités d’action des agents (agentic action) en relation avec un objet. De cette manière les technologies peuvent être comprises comme des artefacts qui peuvent à la fois être modelées par et modeler en retour les pratiques que les humains mettent en œuvre pour interagir avec, autour et à travers elles (Hutchby 2001: 444). Le concept d’affordance permet de dépasser les oppositions entre le déterminisme technique et le déterminisme social dans les approches des usages des TICs. Il met au centre de l’analyse la relation entre la technologie et l’action et oriente l’attention - sur le plan de l’observation empirique - vers les processus d’ajustement, ces pratiques ordinaires qui s’approprient et font exister les objets techniques dans la vie quotidienne. 7 Ce geste accorde une véritable place dans l’analyse aux propriétés des artefacts technologiques, sans pour autant tomber dans les écueils du déterminisme technologique. La prise en compte des rapports entre l’action et l’environnement dans l’approche ethnométhodologique se traduit ici par un intérêt pour la description des liens entre les configurations concrètes des interfaces technologiques et les formats interactionnels observés. Cette posture offre une perspective originale pour la sociologie (des usages et des techniques) qui, basée sur les discours des acteurs (vs. observation des interactions en situation), a du mal à prendre empiriquement en charge la matérialité des artefacts technologiques. Configurés comme objets de discours, les aspects concrets des modes d’existence des technologies s’effacent derrière les descriptions des relations, de modes de vie ou encore de réseaux d’acteurs et sont traités soit comme transparents, soit comme opaques, comme des boîtes noires, en tout cas comme inaccessibles pour l’analyse sociologique. Articulé aux notions d’affordance et d’ajustement, le concept d’artefact interactionnel, développé par Fornel, constitue le troisième élément de l’approche ethnométhodologique des TICs. Fornel (1994: 126) souligne la distinction entre dispositif technique et artefact interactionnel en comparant le visiophone à la lunette d’approche analysée par Gilbert Simondon: A la différence de la lunette d’approche, un objet technique comme le visiophone ne suppose pas seulement l’action d’un individu mais l’action conjointe et continue de deux (ou plus) individus qui acceptent de coopérer pour créer et maintenir un espace interactionnel partagé. Un tel objet technique n’est donc pas un simple outil qui prolonge la perception en donnant un accès à un espace mais un artefact interactionnel. [ ] A la différence de l’outil qui ne fait qu’augmenter ou amplifier une capacité cognitive ou pratique, l’artefact interactionnel restructure l’activité interactionnelle elle-même, et, par voie de conséquence, la nature des tâches pratiques auxquelles doivent faire face les interlocuteurs (Fornel 1994: 126). 46 DDossier C’est ce lien de co-construction entre l’activité et l’artefact qui est au cœur des analyses de type EM / CA. Plus précisément, l’artefact interactionnel ne peut être saisi et analysé que dans les activités d’ajustement à la fois à l’objet et entre les partenaires (Fornel 1992b: 235). Les travaux pionniers de Fornel sur les usages familiaux du visiophone (cf. plus bas) permettent de formuler des consignes pratiques pour la conduite de ce type de recherche: Les participants à une interaction visiophonique ne sont pas d’emblée dotés des compétences interactionnelles permettant de réaliser une communication visiophonique. Ils doivent de façon locale et contingente découvrir les actions pratiques qui leur permettront d’ajuster leurs comportements réciproques, tout en s’ajustant au dispositif technique. C’est ce travail local et minutieux qui fait de l’objet technique un artefact interactionnel qu’il importait de décrire, non pas d’un point de vue externe aux participants, mais en tant qu’il est réalisé de façon visible pour ces derniers dans le cours de leurs interactions (Fornel 1994: 127) La présentation de ce cadre conceptuel permet maintenant de proposer une reformulation plus précise du questionnement que l’ethnométhodologie adresse au domaine des usages des TICs: Comment, dans leurs interactions médiatisées, les participants se saisissent des affordances des artefacts technologiques comme contraintes et comme possibilités pour l’action? L’analyse des objets techniques et de leurs usages devient alors une analyse des activités d’ajustement et de coordination des participants, ainsi que des compétences et savoirs-faire requis pour les mener à bien. Sur le plan méthodologique, les analyses de données enregistrées ‚en temps réel‘ - à l’origine audio pour les premières études sur la conversation téléphonique, mais de plus en plus vidéo ces dernières années - constituent la marque de fabrique de l’approche ethnométhodologique et conversationnelle de la communication médiatisée. 8 Il est important de souligner que l’usage des données vidéo est directement lié à la théorie procédurale de l’action élaborée par l’ethnométhodologie qui la conçoit comme située, temporelle et incarnée dans un environnement. Par conséquent, le film de recherche se distingue des autres usages de la vidéo en sciences sociales comme ceux en sociologie ou anthropologie visuelle ou encore en ethnographie. 9 L’objectif est d’enregistrer des activités dans leurs scènes naturelles par des plans-séquences ininterrompus et à rendre disponible pour l’analyse leurs dimensions constitutives: la temporalité, la matérialité, la contextualité, l’indexicalité, le format de participation d’origine dans des situations d’interaction ou d’activités collectives, et les différents détails des actions pertinents pour les participants. A la différence du film ethnographique, l’objectif poursuivi n’est donc pas la narration esthétique ou la reproduction d’évènements typiques, mais la préservation des dimensions essentielles des activités et la découverte de leur organisation située par un visionnage répété, la transcription et l’analyse séquentielle. 47 DDossier 1.3 Liens avec le design: les Workplace Studies L’orientation vers le design des technologies et la volonté de nourrir les pratiques de conception par les connaissances produites en sciences humaines et sociales sur les contextes et les activités réelles des utilisateurs est un trait distinctif des recherches sur les TICs qui s’inspirent de l’ethnométhodologie, mais aussi plus largement du paradigme de l’action située - par exemple, la cognition distribuée (Hutchins), la théorie de l’activité (Engeström), l’analyse des cours d’action (Theureau). Les études ethnométhodologiques des environnements de travail équipés en technologies ont donné naissance à un courant de recherche très actif aujourd’hui - les Workplace Studies (Heath et al. 2000, Luff et al. 2000, Llewellyn / Hindmarch 2010). Orienté vers la conception technologique, ce courant émerge à une double interface: entre sciences humaines et sociales et l’informatique; entre recherche académique et industrielle. Ce caractère hybride explique sans doute le fait qu’il reste mal connu dans ses disciplines d’origine (sociologie, anthropologie, sciences cognitives). En revanche, il a eu une grande influence sur des champs interdisciplinaires comme HCI (Human-Computer Interaction, en français IHM: interaction homme-machine) et surtout CSCW (Computer- Supported Cooperative Work). Le champ des Workplace studies a été développé dans le monde anglo-saxon en relation avec des problèmes pratiques liés à la conception des technologies et à leur introduction dans des environnements organisationnels. Le déploiement de nombreux dispositifs complexes et coûteux en milieu organisationnel se heurte au fait qu’ils s’avèrent souvent inopérants, au point d’être abandonnés au profit des techniques antérieures ou de demeurer sous-utilisés. Pour les tenants de Workplace studies ces difficultés s’expliquent en grande partie par une posture de ‚déterminisme technologique‘ considérant que l’introduction d’une technologie va modifier les pratiques professionnelles. Les tenants des Workplace studies estiment au contraire que l’intégration de systèmes informatiques dans les organisations n’est possible qu’à condition de prendre au sérieux les aspects situés du travail. A travers des études ethnographiques en situation naturelle les chercheurs de ce champ se donnent pour objet l’organisation située des activités collaboratives et les manières dont sont utilisés les instruments, les technologies, les objets et les artefacts. Les terrains d’enquête sont le plus souvent des environnements organisationnels complexes, équipés en technologies que Suchman nomme des „centres de coordination“ (salle de contrôle, salle de rédaction, institutions financières). Le programme de recherche des Workplace studies se donne explicitement pour tâche de contribuer à la conception de technologies qui tiennent compte de l’organisation pratique des activités de travail et des ressources que les personnes mobilisent. Pour autant, la mise en perspective des deux principaux recueils de textes publiés à dix ans d’écart (ibid.) fait apparaître une évolution des domaines d’étude. Si à leurs débuts ces recherches placent au centre de l’attention les systèmes 48 DDossier d’aide à la décision et les technologies du travail coopératif (workflow technologies, media spaces), les travaux plus récents élargissent les domaines d’étude à des situations de travail moins équipées en technologies et moins liées à des coordinations complexes: les interactions marchandes client-vendeur, les interviews de recrutement, le rôle des documents dans la relation de service, les interactions médecin-patient, etc. Cet élargissement progressif au-delà de la préoccupation pour le design des technologies constitue ce courant comme une approche novatrice - ancrée dans l’ethnométhodologie - des organisations et du travail qui propose un traitement pragmatiste et situé des questions centrales de la sociologie du travail et des organisations comme celles de l’acteur et de l’identité, de l’expertise, des compétences, des habitudes et des routines, de l’institution, des collectifs de travail, des relations professionnelles et du pouvoir, des rapports entre les règles formelles et les activités réelles et bien sûr la place de la technologie dans le travail. 1.4 Contexte français: circonstances pratiques d’une rencontre entre un objet et une approche analytique Après ces quelques repères sur la perspective ethnométhodologique, regardons quelle est la situation en France dans ce domaine. Si l’ouvrage inaugural de l’ethnométhodologie - Studies in Ethnométhodology de H. Garfinkel - parait en 1967 aux Etats-Unis, c’est seulement à partir des années 1980 et 1990 qu’on peut repérer les traces de sa réception française. A ces débuts, le champ français des recherches de type EM / CA sur les interactions se structure autour de deux pôles principaux: le Centre d’Etude des Mouvements Sociaux (CEMS) à l’EHESS et le Laboratoire des Usages Sociaux des Télécommunications (UST) 10 au Centre National d’Etudes des Télécommunications (le CNET, aujourd’hui Orange Labs). Il est marqué par un double mouvement: d’une part, la réception de la tradition ethnométhodologique et conversationnelle en France, la traduction et la discussion de ces travaux au sein d’un réseau de chercheurs transversal à l’EHESS (Quéré, Dulong, Conein, Ogien, Barthélemy) et au CNET (Fornel); d’autre part, les innovations importantes réalisées par le CNET dans le domaine des technologies de la communication - le minitel et le visiophone - et la création d’un laboratoire de sciences sociales pour étudier les pratiques de communication. La sociologie des usages apparaît à la même époque autour des questions d’appropriation de ces innovations technologiques avec pour épicentre le laboratoire UST du CNET. Ce laboratoire lance l’édition de la revue Réseaux en 1983 qui publie à la fois les premières recherches en sociologie des usages des TICs 11 et les premiers textes qui introduisent en France l’ethnométhodologie et l’analyse conversationnelle. 12 Les actes de la première manifestation scientifique en France consacrée à cette tradition de recherche (le colloque de Cerisy de septembre 1987) sont publiés dans la revue Réseaux sous forme de numéro thématique en deux volumes en 1993. A côté des travaux consacrés aux médias et aux usages, la revue Réseaux 49 DDossier publie des textes théoriques qui introduisent la pensée ethnométhodologique en France (par exemple, Quéré 1987, 1991b, Heritage 1991). La collection Raisons pratiques des éditions de l’EHESS et la revue Réseaux constituent ainsi les deux principaux lieux d’introduction et de diffusion de cette tradition de recherche en France. A la même époque, un laboratoire de recherches ethnométhodogiques est créé par Alain Coulon à Paris 8 et édite la revue Cahiers de recherche ethnométhodologique qui s’arrête après les deux premiers numéros (1993 et 1996). Quelques numéros de revues thématiques contribuent également à la visibilité de l’ethnométhodologie (Conein 1986, Barthélémy et al. 1999) 13 . Notons qu’en France ce type de travaux est plus facilement accueilli dans des revues relevant d’autres disciplines que la sociologie, notamment les sciences de langage. L’émergence d’une sociologie ethnométhodologique française des technologies et de leurs usages est ainsi contemporaine à la structuration du domaine plus large de la sociologie des usages francophone auquel elle contribue 14 et à la réception en France de la tradition ethnométhodologique américaine. Ce courant apparaît dans ce contexte particulier à la France dans la concomitance entre l’intérêt pour un objet de recherche - les usages des TICs élaborés par la sociologie des usages - et l’intérêt pour une perspective nouvelle d’analyse de l’action sociale ouverte par la réception de la pensée pragmatiste et ethnométhodologique américaine. Mais c’est surtout la dynamique d’un collectif de chercheurs partageant, malgré leurs ancrages institutionnels différents, un intérêt fort pour l’approche pragmatiste et située de l’ordre social qui rend possible la structuration de ce champ d’études en France. En effet, dans cette perspective, la technologie et ses usages ne sont pas des objets d’investigation en soi, mais constituent des „perspicuous settings“ (Garfinkel 2002: 181), des contextes pertinents et heuristiques, des terrains d’enquête propices à l’exploration des problématiques qui sont au cœur de l’ethnométhodologie: l’organisation située de l’action et de l’interaction, la coordination, les formes de relation et de règles; la construction de l’intelligibilité mutuelle des actions, bref, l’accomplissement pratique des phénomènes d’ordre social. Les interactions technologiquement médiatisées constituent surtout des terrains féconds pour l’analyse d’une des questions centrales des approches pragmatistes de l’action dont l’ethnométhodologie fait partie, à savoir les liens entre l’action et son environnement, les relations de co-constitution entre l’action et son contexte. Comparativement à la situation en coprésence, les médiatisations technologiques modifient les ressources dont disposent les participants pour rendre mutuellement intelligibles leurs actions et mener à bien leur interaction. En ce sens, ces situations constituent des observatoires naturels permettant d’étudier les processus d’ajustement entre les participants entre eux et avec l’environnement technologique, dans le cours même de leur action conjointe. En confrontant les participants interagissant à distance (par écrit, la voix ou l’image) aux problèmes d’un accès limité à l’environnement de l’autre, les situations sociales médiatisées radicalisent en quelque sorte les pratiques de production d’un contexte partagé indispensable à la 50 DDossier compréhension mutuelle. L’observation naturaliste permet alors de saisir les usages des TICs dans le vif du travail interactionnel par lequel les participants configurent et font sens d’une situation. Il est important de souligner cette spécificité de la perspective ethnométhodologique sur les usages des TICs dans le paysage général des approches en sociologie des usages: l’intérêt premier de ces travaux porte sur l’organisation de l’interaction en situation et la façon dont elle mobilise les ressources de l’environnement (matériel, technologique, mais aussi social et normatif), la médiatisation technologique n’étant qu’un des éléments de cet environnement. Cette préoccupation pour la fabrication située de l’ordre marque les travaux fondateurs de l’EM / CA dès leurs origines et s’exprime par l’intérêt porté à la conversation ordinaire (Garfinkel 2007, Sacks 1995) comme forme d’action sociale offrant un accès privilégié pour l’analyse. Le courant d’analyse de conversation, issu de l’ethnométhodologie, s’est par ailleurs entièrement structuré autour de cet objet. La technologie et l’intérêt pour les interactions médiatisées (une autre façon de nommer les usages des TICs) sont d’emblée présentes dans la structuration de ce champ de recherche: du côté des objets d’étude d’abord, puisque la conversation téléphonique est le terrain historique de l’analyse conversationnelle (Sacks, Schegloff), 15 du côté des dispositifs d’enquête ensuite, puisque les enregistrements audio des conversations téléphoniques, indispensables au type d’analyse pratiquée, sont utilisées dès les années 1960 et 1970. Aujourd’hui ils cèdent de plus en plus la place aux enregistrements vidéo. L’intérêt pour l’analyse des interactions médiatisées marque également les premiers travaux de type EM / CA en France. Mais l’arrivée plus tardive de cette tradition de recherche dans les années 1980 et les circonstances pratiques et institutionnelles de sa réception donnent lieu à une spécificité française, à savoir la contemporanéité des recherches sur des formes plus classiques d’interaction à distance (correspondance épistolaire, 16 téléphone 17 ) et des formes émergentes dans des environnements technologiques nouveaux (minitel, visiophone). Les liens tissés entre le réseau de chercheurs intéressés par l’ethnométhodologie et le CNET où ces technologies innovantes sont créées à la même période ouvrent des accès précieux aux terrains d’enquête sur les nouveaux usages dès leurs phases expérimentales (cf. Fornel 1991). Ce bref détour aux origines des recherches ethnométhodologiques sur les usages des TICs en France montre les dimensions situées de la constitution d’un champ d’étude, son ancrage dans des contextes intellectuels et institutionnels, l’importance des circonstances pratiques en termes d’accès aux terrains et de financement des projets. Mais il montre avant tout la force d’une dynamique intellectuelle collective et de l’implication d’un collectif de chercheurs pour la création de nouveaux champs d’investigation et de connaissance. 51 DDossier 2. Recherches Après ces remarques épistémologiques et historiques sur la sociologie ethnométhodologique des usages en France, la suite du texte offre une vue synthétique des enquêtes sur les trois principaux terrains qui ont été investigués couvrant des médiatisations technologiques diverses (image, voix et écriture): les interactions par vidéocommunication, par téléphone mobile et sur les plateformes de discussion sur internet. 2.1 La vidéocommunication: agir dans des „écologies fracturées“ Invention récente, la vidéocommunication fait partie des technologies qui marquent l’histoire des télécommunications du 20 e siècle, avec Internet et la téléphonie mobile. Pourtant avant l’arrivée récente des applications pour PC de type Skype, elle n’a pas vu ses usages se développer de manière aussi spectaculaire que les deux autres technologies. Néanmoins plusieurs enquêtes sur les usages de la vidéocommunication sont conduites depuis les années 1970 et constituent désormais un champ de recherche pour les sciences humaines et sociales. Au niveau international, les études sur la vidéocommunication ont été menées surtout dans le cadre de la recherche industrielle, parfois avec des collaborations universitaires, notamment lors d’expérimentations des systèmes conçus par les grandes entreprises de télécommunication. Ainsi les deux premières grandes expérimentations qui ont donné lieu à des suivis des usages ont été conduites par AT&T et les laboratoires Bell aux Etats-Unis dans les années 1970 avec une cible professionnelle et par la DGT (Direction Générale des Télécommunications) en France, à Biarritz, dans les années 1980 avec des cibles à la fois résidentielle et professionnelle (Fornel, 1994). 18 Depuis, plusieurs expérimentations de vidéocommunication ont vu le jour dans le cadre professionnel. Les systèmes de type Mediaspaces c’est-à-dire des systèmes qui assurent une liaison audio-vidéo continue entre plusieurs sites de travail - sont expérimentés depuis la fin des années 1980: VideoWindow à Bellcore et RAVE à Rank Xerox (Heath / Luff 1992); Téléprésence à Orange Labs (Bonu / Relieu 2006, Bonu 2007, Relieu 2007). Les usages de la visiophonie sur PC ont été étudiés dans plusieurs grandes entreprises et notamment à Microsoft et Hewlett Packard. 19 Au départ, l’intérêt est porté surtout sur les usages professionnels dans les domaines du travail collaboratif et des réunions à distance, ainsi que des relations de service (banques, commerces, hôpitaux). Les principales interrogations concernent les effets de la vidéocommunication sur la collaboration à distance et sur la performance dans la résolution de problèmes. Avant une époque très récente, peu d’occasions existaient pour étudier les usages non professionnels, à l’exception de l’expérimentation de Biarritz qui a permis de mettre au jour les 52 DDossier premières connaissances dans ce domaine qui reste largement à explorer aujourd’hui avec la généralisation de ces usages sur PC et sur mobile. L’histoire des études sur la vidéocommunication fait apparaître deux périodes qui se caractérisent par un déplacement de l’intérêt de l’interaction (comment interagit-on dans le cadre visiophonique? ) vers le type de relation (comment la vidéocommunication s’inscrit dans différents types de relations, les soutient, les modifie? ). Pendant la première période, depuis les années 1980 et jusqu’au début des années 2000, les travaux inspirés de l’ethnométhodologie ou plus largement du paradigme de l’action située se sont surtout focalisés sur les problèmes de l’interaction en contexte. Les publications de cette époque - essentiellement anglo-saxons à l’exception de celles de Fornel en France - portent d’abord sur les questions de l’intercompréhension liés aux propriétés du cadre visiophonique: visibilité mutuelle et environnement partagé réduits; modalités de la coordination et de l’orientation vers les objets, etc. Un intérêt particulier est porté à l’apprentissage de l’outil et de ce type de communication. Ces recherches ont produit un savoir important sur les caractéristiques de l’interaction visiophonique qui reste pertinent aujourd’hui indépendamment de l’évolution des systèmes et des interfaces. Pendant cette période, de nombreuses études ont analysé l’intérêt de l’image dans la communication à distance, ainsi que les transformations qui accompagnent ce type de communication sur le plan de l’interaction entre les participants et sur l’ensemble des activités lorsqu’il s’agit de situations de travail. Concernant l’intérêt de l’image dans la communication à distance, les études ont cherché à comprendre ce que peut apporter la vidéo par rapport à la communication audio sans image (par exemple, Chapanis et al.1972, Olson et al. 1995, Fussel et al. 2000). Cette question a été traitée du point de vue de la performance dans la réalisation de tâches (par exemple résolution de problèmes), le plus souvent dans des conditions expérimentales. Les résultats de l’ensemble de ces études font apparaître un bilan très contrasté (Whittaker 2003). Globalement, comparée à l’audio, l’image des participants ne semble pas améliorer ni la communication ni la performance. Dans certains cas, elle entrave même la communication. C’est un résultat important des études sur les contextes de travail collaboratif qui a conduit au développement d’une approche qui privilégie plutôt le partage de données et l’image des objets utilisés au cours de l’interaction plutôt que celle des personnes (ibid., Heath / Luff 1992). Du point de vue de l’analyse des caractéristiques de l’interaction visiophonique, les recherches ont examiné ses aspects séquentiels, ainsi que les modes d’engagement qu’elle implique pour l’ensemble des participants. Dans ce domaine, Heath et Luff (1992) se sont intéressés à la coordination entre les conduites verbales et non-verbales (regards, postures), Fornel (1992a, 1992b, 1994) a étudié les stratégies mises en œuvre par les participants pour adapter leur communication au dispositif visiophonique, Sellen (1995) et O’Connaill et al. (1993) ont analysé la capacité des systèmes visiophoniques à permettre aux participants de 53 DDossier gérer l’alternance des tours de parole, Kraut et al. (2003) ont examiné leur capacité à soutenir le processus de construction d’un cadre commun (common ground). De façon générale, ces études montrent que la communication visiophonique présente des caractéristiques propres qui la différencient nettement du face à face, bien qu’elle en partage certains aspects. Ce constat conduit certains auteurs à soutenir l’idée que l’interaction visiophonique implique un ‚travail‘ d’adaptation des pratiques interactionnelles aux propriétés du dispositif technique, un apprentissage (Fornel 1994, Sellen 1995). Ces études ont également permis d’identifier d’importantes limites interactionnelles inhérentes à la situation même de vidéocommunication, notamment la fragilité du cadre interactionnel. Ainsi Heath et Luff (1992) ont montré que les systèmes de vidéocommunication peuvent introduire des asymétries communicatives qui se traduisent par des ‚distorsions‘ des comportements non-verbaux des participants (par exemple, lorsque les changements posturaux fins ou de l’orientation des regards ne sont pas assez visibles), par une réduction de l’environnement visuel mutuellement accessible aux participants, réduction qui a comme conséquence une rupture du lien entre l’action et son environnement. Cette rupture dégrade la capacité des participants à produire des actions intelligibles et reconnaissables par leur partenaire. Les distorsions des comportements non verbaux rendent problématique la gestion de l’interaction par les regards, le changement de posture, les gestes (de pointage par exemple). Les problèmes interactionnels observés peuvent être également liés au fait que malgré ces limites du cadre visiophonique, les participants ont tendance à interagir comme s’ils étaient en face-à-face, alors que la co-présence visiophonique n’offre pas les mêmes ressources interactionnelles (également Luff et al. 2000). Ces analyses conduisent Luff et al. (2003) à introduire la notion d’‚écologies fracturées‘ pour désigner le fait que la perception des liens entre les actions et leur environnement, ainsi qu’entre gestes et paroles peut être problématique pour l’interlocuteur distant et conduire à des difficultés de compréhension du sens de ces actions. La perspective ethnométhodologique de ces travaux, sensible au rôle de l’environnement dans la constitution du sens des actions, rend possible l’identification de ces problèmes interactionnels dès le début des recherches sur la visiophonie. Ces travaux éclairent en creux le caractère irrémédiablement incarné des interactions ordinaires, la médiation technologique agissant comme une sorte „d’expérience perturbante“ (Garfinkel 2007) en cela qu’elle met entre parenthèses une partie des ressources disponibles en situation de coprésence. Les recherches de la période actuelle, depuis les années 2000 à nos jours, se caractérisent par un déplacement du centre d’intérêt à travers une ouverture de la problématique de l’interaction vers celle de la relation sociale. Au-delà des problèmes de fluidité de l’échange, de la coordination et de l’intercompréhension, se posent des nouvelles questions sur la place et les conséquences de la vidéocommunication dans différents contextes sociaux, institutionnels, professionnels, de service, ou encore amicaux, familiaux, intimes. L’analyse intègre alors non 54 DDossier seulement les dimensions interactionnelles proprement dites, mais de plus en plus les propriétés des relations au sein desquelles le système visiophonique est utilisé, qu’elles soient institutionnelles (Licoppe / Dumoulin 2007, Licoppe 2014, Mondada 2007b, Velkovska / Zouinar 2007) ou personnelles (Licoppe / Morel 2012, 2014). 2.1.1 Les usages de la vidéocommunication en situation professionnelle Même si un des premiers tests connu et documenté de la vidéocommunication en milieu professionnel (impliquant des interactions entre des clients et le représentant d’une organisation publique ou privée) a été réalisé en France dans le cadre des expérimentations de Biarritz à la fin des années 1980, 20 les usages professionnels de ces systèmes, et en conséquence les recherches sur ces usages, ne se développent que dans les années 2000. Il est à noter par ailleurs que l’ensemble des travaux conduits en France sur ce sujet s’inscrivent dans l’approche ethnométhodologique. A l’époque de l’expérimentation de Biarritz, la faible utilisation de la vidéocommunication par les professionnels explique sans doute l’inexistence des travaux. Du côté anglo-saxon en revanche, plusieurs travaux ont été publiés dès les années 1990. Une série de recherches portent sur des expérimentations de la vidéocommunication comme support aux interactions informelles entre collègues de travail, comme celles qui se produisent autour des machines à café ou dans les couloirs. Il s’agit plus précisément de Mediaspaces. Les analyses de Heath et Luff, discutés ci-dessus, des échanges et des comportements non verbaux entre des employés d’un centre de recherche et développement montrent que la vidéocommunication se caractérise par une difficulté pour les participants à interpréter les gestes et les regards de l’interlocuteur, ce qui a pour conséquence de dégrader le flux et la régulation de la conversation. Dourish et al. (1996) ont étudié les usages et l’appropriation pendant une longue période d’un Mediaspace installé dans leurs bureaux (des PC équipés de caméra). Les auteurs soutiennent que les Mediaspaces doivent être vues comme une ‚augmentation‘ ou une extension et non un remplacement des autres formes de rencontre, comme le face à face. Ces études spécifiquement centrées sur l’intérêt de l’image ou sur les aspects interactionnels sont caractéristiques de la première période des recherches sur la visiocommunication. Comme indiqué plus haut, les travaux de la deuxième période, à partir des années 2000, se sont davantage intéressés à la façon dont la vidéocommunication est prise dans différents types de relations et à ses conséquences dans des situations variées. L’étude de Martin et Rouncefield (2003) sur la mise en place de la vidéocommunication dans deux grandes banques britanniques illustre cet élargissement. Les auteurs montrent comment la relation visiophonique, notamment lorsqu’elle s’accompagne de la mise en partage d’éléments (données informatiques) initialement invisibles pour le client dans la relation téléphonique, modifie l’activité du conseiller. S’y ajoute notamment un travail supplémentaire de guidage du client dans l’interaction visiophonique et d’explication des dysfonctionnements qui apparaissent sur son système informatique. En effet, la 55 DDossier nouvelle situation permet au client de voir ce qui à l’origine n’était pas destiné à être vu de l’activité du conseiller. En France, le champ des recherches ethnométhodologiques sur les usages professionnels de la vidéocommunication s’est considérablement développé depuis la fin des années 1990. Les enquêtes portent sur une grande variété de systèmes de vidéocommunication et de situations de travail comme en témoigne par exemple le numéro thématique que la revue Réseaux a consacré aux usages professionnels de la vidéocommunication (Licoppe / Relieu 2007). Il réunit six recherches françaises récentes utilisant toutes la méthode d’observation et d’analyse des pratiques par enregistrement vidéo et s’inspirant de l’approche EM / CA et de l’action située. Elles explorent chacune des aspects spécifiques des usages de systèmes de vidéocommunication dans différents contextes professionnels: la réunion à distance entre les cadres d’entreprise ou entre des chirurgiens discutant un diagnostic, le procès judiciaire, les usages des murs de Téléprésence dans les couloirs d’une grande entreprise, les entretiens entre les demandeurs d’emploi et les conseillers à l’ANPE. Ces recherches montrent les liens d’interdépendance pratique entre les types de relations professionnelles et les usages des systèmes de vidéocommunication. Tout d’abord, lorsqu’un dispositif vient médiatiser une activité interactionnelle, il n’est jamais ‚transparent‘ au sens où il laisserait cette activité intacte. Les enquêtes mettent en évidence différentes pratiques d’ajustement collectif au cadre de communication médiatisé qui impliquent des modifications dans le déroulement habituel des activités (les réunions, les procès, l’entretien à l’ANPE) et donc des transformations dans l’ordre des places et des relations entre les participants. De cette façon, les relations professionnelles et institutionnelles sont façonnées par la manière dont les participants s’approprient, mobilisent, déploient les propriétés d’une technologie qui vient médiatiser leur rencontre. Les travaux de Christian Licoppe et ses collègues sur l’introduction de systèmes de visioconférence dans les audiences judiciaires s’intéressent à leur inscription dans les pratiques juridiques (Licoppe et al. 2007, Verdier et al. 2012, Licoppe et al. 2013a, Licoppe 2014). Le dispositif d’enquête consiste à filmer l’écran de la visioconférence avec ses deux images: l’image distante et l’image de retour de la salle d’audience (cf. Figure 1). Les auteurs identifient une série d’opérations pratiques réalisées par les participants pour produire et gérer dans la durée, par visioconférence, une scène intelligible et pertinente pour l’activité en cours, autrement dit pour „produire des audiences ‚convenables‘ en intégrant ce dispositif“ (Verdier et al. 2012: 14). Il s’agit de pratiques interactionnelles spécifiques visant à articuler le cadre de participation visiophonique aux exigences rituelles et normatives de l’audience judiciaire en rendant lisible les places de chacun (président de la cour, magistrats, avocat, prévenu, greffier), mais aussi de pratiques de cadrage visant à produire pour le site distant des images pertinentes (un plan serré sur une personne ou, au contraire, un plan large sur l’ensemble de la cour). Ces pratiques de cadrage sont 56 DDossier analysées dans les situations de visioconférence entre deux sites: la prison ou la maison de détention où se trouve le détenu et le palais de justice où se trouvent la cour et l’avocat (ibid., Licoppe 2014). Une règle pratique oriente ces cadrages que les auteurs formulent ainsi: ‚mettre la personne qui parle à l’écran‘. Ainsi la production d’images pertinentes constitue un travail supplémentaire en audience par visioconférence qui n’est pas pour autant reconnu et formalisé pour le moment, ni assigné à une personne particulière. Dans les données étudiées, il est effectué par des acteurs différents, le président du jury ou la greffière. Les analyses séquentielles des interactions montrent comment l’activité judiciaire incorpore cette nouvelle technologie qui la transforme en retour. Ainsi l’ouverture et la fermeture des audiences sont moins ritualisées, certaines conventions se trouvent modifiées (par exemple l’avocat plaide non plus débout mais assis pour rester dans le cadre), ainsi que les modalités d’application de certains droits (le droit à un entretien préalable entre l’avocat et son client; Verdier et al 2012: 13). Tous ces résultats témoignent d’une profonde imbrication des dimensions techniques et interactionnelles dans l’activité judiciaire médiatisée. Les auteurs pointent la tension entre cette réalité des pratiques et la façon dont les textes juridiques envisagent l’introduction de la vidéocommunication. En effet, ceux-ci traitent la médiation technologique comme un ‚moyen technique‘ extérieur à l’activité judiciaire et qui la laisserait intacte. Les résultats de ces recherches montrent bien en quoi la démarche d’enquête de type EM / CA par vidéo-ethnographie peut découvrir des phénomènes nouveaux liés à l’inscription sociale des technologies qui peuvent rester imperceptibles aussi bien pour d’autres méthodes d’enquête que pour l’institution et les participants eux-mêmes. Un autre résultat important des études sur l’introduction de systèmes visiophoniques dans les rencontres institutionnelles est la mise en évidence d’un phénomène d’accentuation des asymétries relationnelles entre les représentants de Figure 1: Dispositif de prise de vue de l’enquête en milieu judiciaire: filmer l’écran de visioconférence de la chambre de l’instruction (le prévenu est gauche et la cour à droite). Source: Verdier et al. 2012. 57 DDossier l’organisation et leurs usagers. C’est un résultat commun des analyses des interactions visiophoniques dans le cas des audiences judiciaires discuté ci-dessus et dans les entretiens entre demandeurs d’emploi et employés de l’ANPE (Velkovska / Zouinar 2005, 2006, 2007). Velkovska et Zouinar (2007) comparent des enregistrements vidéo d’entretiens entre conseillers à l’ANPE et demandeurs d’emploi se déroulant en coprésence physique ou médiatisés par un système de visiophonie (cf. Figure 2). Figure 2: Dispositif de prise de vue de l’enquête à l’ANPE: deux caméras filmant les deux participants à l’interaction visiophonique face à leurs écrans, ici la demandeuse d’emploi à gauche et l’agent de l’ANPE à droite. Deux bornes constituent le système visiophonique: la borne Client (gauche) est située dans un centre socio-culturel, se trouvant à environ 70 kilomètres de l’agence où est située la borne Agent (droite). Source: Velkovska et Zouinar 2007. Les auteurs décrivent les conséquences pratiques de l’introduction de cette médiation technologique en milieu institutionnel à travers l’analyse des liens entre les modalités de l’interaction et les formes de relations à l’institution. Ils identifient trois formes d’asymétrie dans l’entretien visiophonique: asymétrie contextuelle, interactionnelle et relationnelle. A la suite de Heath et Luff (1992), Velkovska et Zouinar observent une asymétrie contextuelle qui caractérise la situation d’interaction étudiée, c’est-à-dire le fait que les participants n’ont pas accès de façon commune à certains éléments contextuels qui peuvent être mobilisés dans l’interaction. Cette dimension est ensuite articulée aux dimensions relationnelle et organisationnelle de la situation étudiée par une analyse des conséquences de la technologie pour la relation entre usagers et institution et pour le travail du conseiller. Il en ressort que l’asymétrie contextuelle n’est pas uniquement un problème ‚technique‘ se rapportant à la fluidité de l’interaction, à l’intercompréhension, à la coordination et à la nécessité de fournir des explicitations. Elle modifie profondément le déroulement de l’entretien et par là - la forme de la relation entre le demandeur d’emploi et le conseiller - en accentuant les asymétries interactionnelle et relationnelle propres aux rencontres institutionnelles. En effet, les analyses montrent une transformation des modalités de participation du demandeur d’emploi en contexte médiatisé qui ne peut plus ‚voir ensemble‘ avec le conseiller certaines ressources (comme les documents ou l’écran de l’ordinateur) et ne peut plus contribuer de la même façon qu’en coprésence physique à 58 DDossier l’élaboration de son dossier. En conséquence, les occasions de prise d’initiative dans la conversation de la part du demandeur d’emploi sont plus limitées qu’en coprésence physique, ainsi que la dimension ‚collaborative‘ dans la réalisation de la tâche consistant à renseigner le dossier. De fait, le mode de guidage de l’entretien de la part du conseiller est plus directif qu’en coprésence, plus proche de la forme interrogatoire. En résumé, la modification de l’accès partagé à l’environnement par la médiation technologique définit une asymétrie contextuelle qui appuie l’asymétrie relationnelle caractéristique des conversations entre experts et profanes en milieu institutionnel. Mais elle transforme également l’activité des professionnels qui accomplissent un travail supplémentaire de ‚mise en lisibilité‘ de la situation en environnement visiophonique, travail qui mérite d’être mieux étudié afin de mettre en place des dispositifs de formation et de valorisation, ainsi que des aménagements de l’activité globale des professionnels. Ce constat est un résultat commun des recherches sur la vidéocommunication dans les rencontres institutionnelles (en milieu judiciaire et dans les agences pour l’emploi). La ligne de force qui ressort des études ethnométhodologiques et conversationnelles sur les usages professionnels de la vidéocommunication - à savoir l’imbrication des dimensions techniques, interactionnelles et institutionnelles - a été également éprouvée sur les terrains de la télémédecine (Mondada 2007a, 2007b, 2014b) et dans des grandes entreprises autour des dispositifs de Téléprésence installés en salle de réunion (Bonu 2007) ou dans des lieux de passage (Relieu 2007). 21 Mondada a étudié les usages de la vidéocommunication en télémédecine dans différentes situations: discussion de diagnostics entre chirurgiens de différents pays (Mondada 2007a) et la transmission en direct d’opérations chirurgicales à l’attention d’une audience d’experts et d’apprenants (Mondada 2007b, 2014b). Les analyses conversationnelles des enregistrements vidéo de ces situations d’usage montrent comment les participants s’orientent continuellement vers le dispositif technologique pour mener à bien leurs activités. La technologie n’offre pas simplement un espace médiatisé fixe qui rend possible l’interaction à distance. Elle est plutôt une ressource pour le travail interactionnel des participants qui constitue cet espace d’activités en commun et le transforme en fonction des différentes tâches. A la différence de la situation étudiée par Velkovska et Zouinar (2007) qui engage deux interlocuteurs, les autres enquêtes portent sur des scènes qui impliquent plusieurs participants distribués géographiquement (audience judiciaire, réunions et couloirs des grandes entreprises, télémédecine). L’ensemble de ces analyses identifient un problème pratique commun concernant l’installation d’un espace d’activité commun et la gestion de ses transformations pendant la durée de la rencontre visiophonique. En effet, l’entrée en visioconférence, le maintien d’un cadre de participation multi-parties et sa clôture ne vont pas de soi et demandent des procédés interactionnels spécifiques comme, par exemple, composer à l’écran une scène pertinente pour l’audience judiciaire par des pratiques de 59 DDossier cadrage (Licoppe / Dumoulin 2007, Verdier et al. 2012), vérifier la connexion et la présence des participants en début de réunion visiophonique pour les médecins et à des endroits séquentiels précis au cours de celle-ci (Mondada 2007a), gérer la dislocation des réunions visiophoniques (Bonu 2007), tester le dispositif de Téléprésence par des courtes salutations en passant (Relieu 2007). Les propriétés pratiques des différents dispositifs de communication deviennent ainsi observables dans l’organisation située des rencontres sociales et dans le travail interactionnel d’ajustement aux contraintes et aux ressources de l’objet technique. On peut constater plus de vingt ans après l’expérimentation de Biarritz et les débuts des recherches sur la vidéocommunication en France, la fécondité de la perspective dessinée par Fornel invitant les chercheurs à être attentifs à ce travail local et minutieux qui fait de l’objet technique un artefact interactionnel. Ce champ de recherche s’est structuré autour du constat commun de l’existence de liens coconstitutifs entre interaction et technologie dont la description empirique est une question sans cesse renouvelée, comme l’écrit Relieu: La genèse des propriétés des objets techniques, qui est également celle des pratiques qui les incorporent au présent, est un processus continu qui ne connaît pas de point d’arrêt. Qu’ils inspirent des romanciers contraints d’imaginer des situations d’usage intelligibles pour leurs lecteurs, ou qu’ils tracent leur chemin au sein de pratiques concrètes qu’ils animent, les objets n’ont d’autre espace d’intelligibilité que celui du monde commun (Relieu 2007: 218). 2.1.2 Les usages de la vidéocommunication dans les relations familiales et amicales (visiophone, PC et téléphone mobile) Les études publiées sur les usages non-professionnels de la vidéocommunication sont très rares. Depuis la série de publications sur ce type d’usages à partir de l’expérimentation de Biarritz (Fornel 1991, 1992a, 1992b, 1994, Jauréguiberry 1989) seulement quelques articles très récents ont paru sur cette thématique (Licoppe / Morel 2012, ibid. 2014). Ce constat est sans doute lié à l’inexistence d’usages non professionnels avant le développement récent de la vidéocommunication sur PC. En revanche, les communications présentées aux conférences internationales témoignent d’un intérêt grandissant pour ce domaine. 22 Comme pour les usages professionnels, c’est l’expérimentation de Biarritz qui a permis pour la première fois d’observer les usages de la vidéocommunication dans l’espace familial pendant six ans (1984-1990). L’enquête de Fornel par observation vidéo des usages a permis pour la première fois d’identifier des caractéristiques de la conversation visiophonique familiale. Fornel montre que la vidéocommunication est différente de l’interaction en face à face et que les usages de ces systèmes dépendent avant tout des pratiques spécifiques que les participants développent pour rester coprésents et interagir dans le cadre visiophonique. Elles reposent sur un apprentissage, sur un véritable savoir-faire et des compétences que l’analyse des usages doit découvrir. Fornel (1994) montre comment le visiophone est 60 DDossier produit comme un artefact interactionnel par la manière dont les participants traitent les affordances de la situation de communication et par le travail interactionnel qu’ils mettent en œuvre. En ce qui concerne la vidéocommunication sur téléphone mobile, ce sont les pratiques de monstration qui ont tout particulièrement attiré l’intérêt des chercheurs (Morel / Licoppe 2009, Licoppe / Morel 2012, ibid. 2014). Morel et Licoppe (2009) observent que la mobilité spatiale et la maniabilité des „caméra-phones“ modifient l’écologie de la vidéocommunication fixe et génèrent des procédures d’ajustement entre certaines exigences du cadre interactionnel visiophonique et celles des environnements plus ou moins inédits d’usage. La maniabilité des téléphones et leur capacité à être orientés dans presque toutes les directions constituent une ressource cruciale pour l’interaction. La visiophonie mobile apparaît comme une modalité de communication fournissant des ressources et des opportunités pour les participants de se saisir d’un élément visuel pour alimenter ou réorienter l’interaction en cours. Mais l’environnement peut également être source de difficultés. Les auteurs observent que la majorité des appels visiophoniques sont passés depuis le domicile. La difficulté à maintenir son attention visuelle sur l’écran en situation de déplacement, le fait que la conversation peut devenir publique et les bruits ambiants qui gênent l’intercompréhension expliquent en partie ce constat. L’une des questions qui semblent se poser aux utilisateurs de façon continue pendant l’interaction est ‚quoi montrer‘. Le cadrage est mouvant, celui des ‚têtes parlantes‘ se produit mais est limité dans le temps. Il constitue pourtant selon les auteurs le format interactionnel attendu ‚par défaut‘ dans les ouvertures ou dans des situations où aucun autre cadre ne paraît pertinent. Dans leurs travaux ultérieurs Licoppe et Morel comparent les pratiques de cadrage sur mobile et sur PC (Skype) et découvrent des règles et des attentes normatives qui organisent la vidéo-conversation et l’alternance entre les images des personnes (configuration ‚têtes parlantes‘) et les images de leur environnement. L’identification de ces orientations normatives permet de documenter l’émergence de formes de civilité propres à ce mode de communication et de rendre compte des droits et des obligations des participants: les personnes visibles à l’image, celle qui manie la camera lorsque plusieurs participants sont présents (dans ce cas la règle qui s’applique est ‚mettre la personne qui parle à l’écran‘) ou lorsqu’elle produit des images de l’environnement à la façon d’un cameraman. Les auteurs décrivent une série de règles de civilité émergentes: les ouvertures se font en configuration ‚têtes parlantes‘; les passages vers des séquences de monstration de l’environnement sont préparées et introduites de façon collaborative et présentent une organisation séquentielle proche de storytelling décrite par Sacks (1995); les vues de l’environnement doivent répondre à des exigences de pertinence et les images inintelligibles qui peuvent apparaître au début d’une séquence de monstration font systématiquement l’objet d’un traitement interactionnel spécifique visant à suspendre l’interprétation et les attentes normatives de pertinence. Par ailleurs, les analyses séquentielles de la vidéo- 61 DDossier conversation font apparaître des paires relationnelles: personne qui montre / personne qui regarde, ainsi que hôte / invité lorsqu’il s’agit de montrer l’intérieur des logements et en quelque sorte les faire visiter à distance. Dans ce cas, les pratiques de monstration impliquent des questions d’intimité et de confiance et rendent observables des liens personnels proches entre les participants. Cette discussion des recherches sur la vidéocommunication orientées EM / CA permet de souligner deux résultats importants pour la compréhension de ces usages. Premièrement, à travers la diversité des terrains étudiés, ces travaux adoptent tous comme point d’entrée la question de savoir comment les participants s’orientent vers le dispositif pour mener à bien leurs activités. Ce point de vue endogène à l’action permet de montrer l’imbrication intrinsèque des dimensions techniques et des dimensions interactionnelles. Ainsi la technologie ne joue pas un rôle en soi, mais toujours en tant qu’elle est mobilisée dans des activités concrètes. Ce résultat a des conséquences importantes à la fois pour la conception des systèmes que pour la sociologie des usages. Il en découle qu’il n’y a pas de système de vidéocommunication générique et la conception et l’introduction de ces technologies doivent reposer sur une connaissance des activités qu’elles visent à soutenir. En ce qui concerne l’étude des pratiques de vidéocommunication, l’imbrication des dimensions techniques et interactionnelles montre qu’il n’y a pas d’usage en général, mais des types d’activités spécifiques qui font émerger des façons particulières de s’orienter vers la technologie. De plus, ces recherches remettent en cause la perspective techno-déterministe en montrant que la technologie n’est ni un déterminant extérieur des activités, ni un objet transparent qui n’aurait pas de conséquences sur les pratiques de communication. C’est seulement par la découverte des formats interactionnels propres à la vidéocommunication qu’il est possible de comprendre le rôle de ces systèmes et la configuration pratique de leurs usages. Deuxièmement, la discussion de ces travaux permet de revenir plus spécifiquement sur la question du rôle de l’image dans l’interaction vidéo. Un des résultats importants des études sur les situations professionnelles, notamment de travail collaboratif, a été la remise en question du modèle des talking heads sur lequel reposait la conception des systèmes de vidéocommunication. La mise en évidence du caractère incarné des activités et du rôle de l’environnement a conduit à un double constat concernant les activités professionnelles médiatisées: 1) il est important de rendre accessible par l’image une partie de l’environnement distant pour faciliter la compréhension des actions (par exemple, Velkovska / Zouinar 2005, ibid. 2006); 2) l’image des objets ou des documents sur lesquels les participants travaillent est plus importante que l’image des personnes. A l’inverse, dans la vidéocommunication familiale et personnelle, l’image des personnes est primordiale pour le maintien des dimensions affectives et intimes des relations à distance entre proches (par exemple les rapports intergénérationnels entre grandsparents et petits enfants). 62 DDossier Ainsi, si le modèle des talking heads est fortement remis en cause pour les contextes professionnels, il retrouve toute son importance dans les contextes familiaux et personnels. Comme pour la technologie dans son ensemble, la place de l’image dans l’interaction visiophonique est à relier aux différentes pratiques et situations d’usage. Ces résultats différenciés sur le rôle de l’image dans les situations professionnelles et familiales renforcent l’argument selon lequel la technologie n’est pas porteuse du sens des usages et celui-ci se construit au sein des types d’activités, de relations et de situations sociales. 2.2 Les conversations sur le téléphone mobile et sur internet Les revues bibliographiques font apparaître qu’après les recherches pionniers sur le téléphone fixe, le téléphone mobile est sans doute la technologie de communication qui a le plus sollicité les enquêtes ethnométhodologiques récentes en France comme à l’étranger, suivi par la vidéocommunication. En revanche, il existe peu de publications consacrées aux interactions écrites sur les différentes plateformes de discussion sur internet (chats, forums, messagerie instantanée, réseaux sociaux). Ce constat est sans doute en partie lié à l’intérêt historique de l’ethnométhodologie pour l’organisation de la parole ‚vivante‘ et l’orientation de son appareillage méthodologique vers ce type de données. Par ailleurs, à la différence de la vidéocommunication qui a été analysée uniquement dans une perspective ethnométhodologique, les usages du téléphone mobile et d’internet ont été largement traités par une variété d’autres approches de la sociologie des usages. C’est pourquoi, plutôt qu’une vue exhaustive des analyses, je propose d’esquisser les spécificités du regard que l’EM a porté sur ces deux technologies. 2.2.1 Le téléphone mobile: articulation de l’interaction et de la mobilité Le téléphone portable a naturellement suscité l’intérêt des ethnométhodologues en leur offrant l’opportunité de poursuivre à nouveaux frais l’exploration des liens entre interaction et environnement, d’y intégrer de nouvelles questions sur les déplacements et la mobilité, sur l’émergence de nouveaux formats interactionnels (Relieu 2002, 2005, 2006), ou encore de formes de civilité et d’inscription dans l’espace urbain (Morel 2002). La problématique de l’imbrication entre les dimensions techniques et interactionnelles s’est déclinée ici dans des investigations sur les liens entre les propriétés du téléphone mobile - un objet portable, personnel et multifonctionnel - et les propriétés de l’activité médiatisée. En quoi les nouvelles possibilités d’action ouvertes par cette technologie pouvaient affecter les manières de converser, de se coordonner, de se rencontrer, de travailler, de construire et de maintenir des relations sociales? À la différence des études d’usage basées sur d’autres approches qui adoptent un point de vue externe à l’activité (statistiques d’équipements, de fréquences d’usage, de nombre d’interlocuteurs, récits ou carnets de pratique), les travaux ethnométhodologiques abordent ces questions de 63 DDossier point de vue de l’organisation de l’activité médiatisée elle-même en s’appuyant sur des enregistrements de conversation en situation naturelle. Cette posture permet en particulier d’appréhender le contexte de l’activité - et donc les modes d’inscription de ce nouvel objet technologique dans les situations sociales - non pas de l’extérieur ou a postériori, mais en tant qu’il émerge et se structure dans la progression de l’interaction. Les questions classiques d’usage et d’appropriation deviennent alors des interrogations sur les propriétés des interactions mobiles et s’ouvrent sur trois axes complémentaires et transversaux: 1) inscription de la conversation mobile dans l’environnement local (Relieu 2006) en s’intéressant précisément à son articulation avec „la situation de co-présence proximale“ (Relieu 2005). 2) découverte de formats interactionnels spécifiques au téléphone mobile (Relieu 2002, 2006, Licoppe 2009), et 3) usages des références spatiales et des localisations (Licoppe / Morel 2011, ibid. 2013, Mondada 2011, Relieu 2002, Relieu / Morel 2011). S’inscrivant dans le premier axe, Morel (2002) mobilise une enquête qui combine l’enregistrement des conversations avec d’autres types de données (notes, cartes des déplacements des téléphonistes, photographie et vidéo) pour décrire les modes d’inscription de la conversation sur mobile dans différents lieux publics de circulation ou de sociabilité (rues, transports, cafés et restaurants). L’analyse articule finement conversation mobile, rapports à l’espace urbain, formes de civilité envers des tiers dans les cas où l’interaction mobile intervient dans les rencontres conversationnelles déjà en cours et techniques du corps (retrait, déplacements, marche). Prenant le contre-pied de l’argument selon lequel le mobile constitue une source de troubles sur les scènes publiques, une forme d’impolitesse et de présence autistique, l’auteur montre comment les multiples pratiques d’ajustement et de prise en compte de l’entourage l’inscrivent dans le paysage des interactions quotidiennes et des ‚formes normales d’être ensemble‘, régies par des attentes normatives précises. Concernant le deuxième axe, Relieu (2002, 2006) s’interroge sur la place des affordances propres à la technologie mobile (identification de l’interlocuteur par la présentation du numéro ou la sonnerie, les possibilités graphiques d’écriture asynchrone et de dessin d’une application de messagerie) dans l’organisation de l’interaction. En se focalisant sur l’analyse des ouvertures et les modes d’identification de l’interlocuteur, l’auteur observe l’émergence d’attentes normatives concernant la reconnaissance de l’appelant par son numéro de téléphone et les troubles provoqués en début d’interaction lorsque ces attentes ne sont pas accomplies. Les spécificités de la conversation mobile sont en particulier recherchées en comparaison avec le téléphone fixe et cette question fait débat dans le domaine. Relieu constate que si certaines ouvertures des appels mobiles sont assez similaires à celles des appels sur ligne fixe, en revanche elles présentent une plus grande hétérogénéité de formats liée aux affordances technologiques et la difficulté d’anticiper le contexte local de l’interlocuteur. 64 DDossier La question de la spécificité du format interactionnel mobile par rapport à d’autres (la conversation sur téléphone fixe, en face à face ou par écrit sur les interfaces des jeux vidéo) traverse par ailleurs l’ensemble des travaux. Les recherches s’inscrivant dans le troisième axe la traitent en prenant pour objet les localisations et les références aux lieux dans des séquences d’activités précises comme les ouvertures, les clôtures, le guidage, la coordination lors de rendezvous, les invitations et l’organisation des rencontres en ville. Il en ressort que ces pratiques sont liées à des façons plurielles de gérer l’incertitude sur le contexte local de l’appelé (comparativement à la conversation sur la ligne fixe) et n’ont pas une fonction générique dans les interactions mobiles. Relieu (ibid.) souligne les dimensions normatives et le potentiel thématique des localisations dans les ouvertures en montrant que dans certains cas la question ‚où es-tu? ‘ vise davantage à vérifier la disponibilité de l’interlocuteur que de connaître sa localisation exacte. Cette question est systématiquement placée à l’endroit où l’on trouve l’introduction du motif d’appel dans les conversations sur fixe, modifiant ainsi le format des ouvertures. De même, à la fin des conversations, les auto-localisations peuvent accomplir une dimension rituelle et être mobilisées pour préparer la clôture (en se référant par exemple aux bruits dans la rue). Les usages des références aux lieux qui font de la mobilité une propriété sensible du format interactionnel sont pourtant très différents et moins rituelles dans d’autres types d’activité. Tel est le cas des micro-coordinations pour se retrouver sur un lieu de rendez-vous (Relieu 2002) ou du guidage à distance lorsque conversation et progression du trajet entretiennent une relation de coconstitution (Relieu / Morel 2011); des pratiques de sociabilité où les localisations peuvent intervenir dans les invitations et les projets de rencontres non planifiées (Licoppe 2009, Licoppe / Morel 2011, ibid. 2013); ou de la relation d’aide à distance en centre d’appel étudiée par Mondada (2011) lorsque les localisations deviennent une dimension de l’activité de service en vue d’une intervention. Dans tous ces cas, un travail interactionnel est réalisé pour rendre commensurables des „géographies mobiles et divergentes“ (ibid.), pour construire une compréhension commune des références spatiales et pour rendre possible l’activité en cours ou préparer des projets d’actions à venir. 2.2.2 Les discussions sur internet: faire émerger un ordre social par l’écriture Le domaine de la communication médiatisée par ordinateur (CMO) 23 se structure sur le plan international dès la fin des années 1990 autour des études d’une classe de pratiques de communication particulière: les interactions écrites sur les différentes interfaces conversationnelles d’internet (Baym 1995a, 1995b, Herring 1996, 1999, Danet et al. 1997, Donath 1999, Donath et al. 1999, Reed / Ashmore 2000, Rintel / Pittam 1997, Vallis 2001). En France, l’apparition précoce d’échanges écrits dans le cadre des messageries du Minitel qui préfigurent le développement ultérieur de ce mode de communication médiatisée donnent lieu à des publications en sociologie des usages dès les années 1980 (Jouët 1989) dont certains adoptent le 65 DDossier cadre analytique de l’ethnométhodologie (Fornel 1989). Mais c’est avec l’expansion des pratiques d’internet à partir de la fin des années 1990 que les recherches ethnométhodologiques francophones sur les interactions écrites sur internet prennent plus d’ampleur à travers la réalisation de deux thèses de doctorat (Bays 2001a, Velkovska 2004) et la publication de quelques articles (Beaudouin / Velkovska 1999, Bays 2010, Velkovska 2002, 2011, Dupret et al. 2010, Dupret / Klaus 2011). Néanmoins ces travaux restent peu nombreux pour le moment comparativement à ceux consacrés aux autres situations de communication discutées dans ce texte, ainsi que par rapport à l’explosion des pratiques. Si bien qu’on peut se demander dans quelle mesure la forme écrite, souvent asynchrone et étalée dans le temps des interactions sur internet ne pose pas des défis spécifiques à l’appareillage méthodologique de l’ethnométhodologie et de l’analyse conversationnelle, davantage orienté vers l’observation des interactions en temps réel. Pourtant les travaux existants témoignent de la fécondité de cette approche praxéologique dans la mesure où elle est la seule à prendre empiriquement en compte les modes d’organisation propres des activités d’écriture sur le réseau à travers l’analyse naturaliste des interactions en ligne. Il devient alors possible d’éclairer des dimensions nouvelles et de comprendre d’un point de vue endogène aux activités comment les affordances technologiques sont mobilisées pour produire un espace d’intersubjectivité et d’interactivité en contexte asynchrone dans les courriels, les forums et les listes de discussion (Mondada 1999); comment l’engagement dans l’écriture des chats repose sur le rythme et la temporalité quasi-synchrone de ce mode de communication (Bays 2001a) tout en mettant en tension les catégories de singularité et de généralité (Simmel 1984) dans la formation de relations sociales caractérisées par une „intimité anonyme“ (Velkovska 2002); ou encore comment les interactions médiatisées articulent des dispositifs différents: la constitution pratique des identités et des relations sur un forum dépasse largement ce cadre de participation pour investir des sites personnels et des outils de conversation en temps réel (Beaudouin / Velkovska 1999). Les recherches ethnométhodologiques sur internet ont également investi les terrains des rapports entre les communications interindividuelles et l’actualité médiatique, entre production et réception de l’information journalistique (Dupret et al. 2010) ainsi que ceux de la formation des identités, des collectifs, des publics et d’un ordre moral par l’écrit à l’écran (Dupret / Klaus 2011). En contre-point de la fascination pour chaque nouvelle interface de communication censée bouleverser les sociabilités, la mise en perspective d’interactions écrites issues de différents espaces (chats, forums, liste de discussion) montre des logiques transversales de constitution des identités, des relations et des collectifs par écrit qui peuvent être qualifiées par la polarité entre ‚personnel‘ et ‚impersonnel‘ (Velkovska 2004). Il en ressort que la connexion sur internet n’assure pas en elle-même l’intégration à des collectifs, comme le prétendent les discours promotionnels, relayés par certaines études des ‚communautés virtuelles‘. Les analyses 66 DDossier montrent au contraire que participer à des collectifs électroniques, c’est avant tout constituer, partager et manifester un savoir allant-de-soi et une histoire commune. Ces observations battent en brèche les conceptions qui présentent internet comme un espace d’échange libre et ouvert aux rencontres de différences. Du point de vue technique, les interfaces de communication offrent, en effet, des possibilités a priori infinies de contacts et d’échange. Pourtant, internet est produit, dans les pratiques de ses utilisateurs, comme une mosaïque de différents espaces de ‚faire ensemble‘, plus ou moins étanches, constitués autour de médiations et de régulations spécifiques qu’il faut décrire pour saisir les entités collectives émergeantes par l’écriture électronique. Plus largement, pour rendre compte des pratiques de communication et de consommation des médias il convient de s’intéresser aux activités des participants, en tant qu’elles déterminent des situations, c’est-à-dire qu’elles proposent d’entretenir un rapport particulier aux contenus, aux protagonistes de l’échange et aux outils de communication. Dans cette perspective, l’analyse des usages des technologies de la communication et des médias a pour tâche d’étudier la configuration des engagements et des modes de participation constitutifs d’identités, de relations et de collectifs. Par la production de connaissances sur la structuration pratique des activités d’écriture sur internet, les analyses ethnométhodologiques contribuent de façon empirique à nuancer les débats sur les bouleversements que ce média aurait apportés aux modes de sociabilité, au travail, à la formation des collectifs et des publics, à l’espace public. Conclusion Cet article est une tentative de produire une image panoramique de la structuration du champ de la sociologie ethnométhodologique des usages des TICs en France, en articulant ses dimensions épistémologiques, historiques, institutionnelles, méthodologiques et empiriques. Ce tour d’horizon permet de suivre le déploiement d’une perspective épistémologique à travers des générations de chercheurs et sur une diversité de terrains d’enquête dans le domaine mouvant des nouvelles technologies. Il est pourtant frappant de constater la continuité et la cohérence de cet ensemble de travaux à travers la persistance d’un cadre analytique, des problématiques, des objets d’étude et des méthodes qui - malgré l’évolution des technologies d’enregistrement vidéo - poursuivent toujours plus loin la saisie du travail interactionnel sur le vif. Réalisant un véritable tournant praxéologique au sein de la sociologie française des usages et de la communication, les recherches ethnométhodologiques n’ont cessé d’examiner l’organisation in situ des activités ordinaires instrumentées s’emparant de terrains d’enquête à la pointe de l’innovation technologique, 24 d’inventer de nouveaux dispositifs d’observation naturaliste et d’approfondir les connaissances sur les articulations entre ordre technique et ordre social. Ce faisant elles ont radicalement renouvelé non seulement la notion d’usage et de pratique, en montrant comment il est possible de s’y intéresser d’un point de vue endogène des activités en train de se faire, mais 67 DDossier également celle de contexte. Dans la prolongation de l’approche pragmatiste des rapports réflexifs entre action et environnement, les recherches ethnométhodologiques sur les TICs ont abandonné la vision statique du contexte comme un réceptacle de l’interaction médiatisée, telle qu’elle apparaît dans la sociologie des usages, pour proposer une vision dynamique où interaction et contexte se coconfigurent mutuellement dans la progression des activités. La conception dynamique du contexte permet alors d’envisager les usages des technologies de communication non plus comme un élément externe pour lequel les contextes et les relations sociales seraient un contenant mais comme une dimension constitutive, inséparable des activités, des façons ordinaires de faire et de se rapporter aux autres et au monde, autrement dit d’une culture. Cette posture n’est pas sans faire écho à la position de Simondon (1958) invitant la pensée philosophique de son époque à dépasser l’opposition entre technique et culture en replaçant la technique dans la culture. Selon cet auteur, les objets techniques constituent des dimensions de la culture en tant qu’ils médiatisent le rapport de l’homme au monde. Si, plus d’un demi-siècle plus tard, on ne peut que s’accorder à cet argument, il est possible cependant de se demander dans quelle mesure les développements ultérieurs dans le domaine de la sociologie des technologies de communication s’inscrivent encore dans cette vision. On peut en particulier prendre acte, au-delà des très grandes avancées dans ce domaine de recherche récent, des difficultés de cette sociologie à construire la technologie comme objet d’étude qui remettent parfois en question la pertinence des entrées technologiques comme points de départ des enquêtes. Pour y voir plus clair, il est possible de distinguer les approches actuelles en deux grandes familles selon le point de vue qu’elles adoptent par rapport aux activités médiatisées. D’un côté les approches dites ‚classiques‘ les traitent d’un point de vue exogène à leur organisation en situation en s’appuyant sur des données qualitatives déclaratives (entretiens, carnets) ou quantitatives (questionnaires, statistiques d’équipements, traitements des traces informatiques d’usage jusqu’aux développements actuels des Big Data). De l’autre côté, les approches dites ‚micro‘ de type ethnométhodologique adoptent un point de vue endogène aux activités analysées en travaillant avec des enregistrements des interactions en situation naturelle. Mais les efforts d’articulation entre ces deux modes de productions de connaissances sont rares. Tout en reconnaissant l’énorme richesse des résultats produits sur les situations investiguées dans l’ensemble de ces recherches, la relecture de Simondon inviterait à aller plus loin: Dans quelle mesure l’une et l’autre de ces familles d’approches contribuent à une compréhension globale des rapports entre les formes sociales et les formes technologiques contemporaines? Est-il possible et comment d’articuler le plan des analyses empiriques des usages des technologies - et celles de la communication en particulier - avec celui d’une réflexion générale des rapports entre ces technologies et les formes culturelles? Comment tenir entier le fil qui relierait l’indispensable attention analytique au détail, aux particularités des situations et la production d’une vision plus totalisante sur la place de la technologie dans la 68 DDossier société contemporaine? 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Bien qu’il existe des différences entre l’ethnométhodologie et le courant de l’analyse conversationnelle qui en est issu, celles-ci ne seront pas traitées dans ce texte qui vise davantage à dessiner une perspective d’ensemble vers les interactions médiatisées. 2 La notion de membre est élaborée dans la tradition ethnométhodologique (Garfinkel 2007) en référence à la maîtrise du langage naturel ou, dit autrement, du sens commun qui caractérise un univers social. Elle est définie de la manière suivante: „La notion de 74 DDossier membre est le fond du problème. Nous n’utilisons pas ce terme en référence à une personne. Cela se rapporte plutôt à la maîtrise du langage commun, que nous entendons de la manière suivante. Nous avançons que les gens, à cause du fait qu’ils parlent un langage naturel, sont en quelque sorte engagés dans la production et la présentation objectives du savoir de sens commun de leurs affaires quotidiennes en tant que phénomènes observables et racontables.“ (Garfinkel / Sacks 1970: 342, traduit dans Coulon 1987: 40). 3 Par exemple, en psychologie, on observe un déplacement de l’intérêt porté aux processus mentaux vers la réalisation de l’action en situation (théorie de l’activité, ergonomie). Le même mouvement en sociologie - depuis l’interactionnisme et l’Ecole de Chicago, jusqu’au regain d’intérêt actuel pour les démarches ethnographiques - dessine un déplacement de l’intérêt des structures sociales vers le déroulement concret et situé des activités sociales. 4 Pour une vue synthétique sur cette problématique pragmatiste cf. Quéré 2006. 5 Ce terme est introduit par Suchman (1987) pour désigner une famille d’approches qui partagent le postulat du caractère situé et émergent de l’action. 6 Dans les théories déterministes, le contexte détermine l’action de l’extérieur et ce sont ces extériorités qui constituent les objets d’analyse, que ce soient les structures sociales pour les structuralistes, les systèmes de normes et valeurs pour les fonctionnalistes, l’infrastructure pour le marxisme. De même, pour l’individualisme, l’activité est pilotée par l’individu et la rationalité individuelle, constitués en unités d’analyse (théories de l’acteur rationnel, du choix rationnel et des plans d’action). Même si l’interactionnisme prend comme objet d’analyse les interactions et l’agir ensemble, les stratégies individuelles restent présentes. 7 La notion d’affordance a été largement mobilisée dans les travaux ethnométhodologiques français portant sur les interactions médiatisées (par exemple Fornel 1994 sur le visiophone; Velkovska 2004 sur les conversations écrites sur internet dans les chats, forums et listes de discussion, Relieu 2002 sur le téléphone mobile). Pour une discussion critique de cette notion, cf. Quéré 1999. 8 Sur la méthode vidéo en EM / CA cf. Heath et al. 2010, Mondada 2006, 2013, 2014a, Relieu 1999, Verdier et al. 2012. 9 Sur ces différences cf. Relieu 1999, Velkovska / Zouinar 2012. 10 L’UST est le laboratoire de sciences sociales du CNET. Devenu aujourd’hui SENSe (Sociology and Economy of Networks and Services) au sein des Orange Labs, il regroupe une trentaine de chercheurs en sociologie, économie et ergonomie, des doctorants et post-doctorants travaillant dans le domaine des usages des TICs. 11 Cf. Jouët 2000 pour une histoire critique de ce courant de recherche. Cf. aussi les ouvrages plus récents de Jauréguiberry / Proulx 2011, Vidal 2012, Denouël / Granjon 2011. 12 Pour une lecture historique du rôle de la revue Réseaux dans la réception de l’ethnométhodologie et de l’analyse conversationnelle en France, cf. Relieu 2014. 13 Plus récemment, les deux traductions françaises d’ouvrages fondateurs de l’ethnométhodologie sont également l’œuvre de ce collectif de chercheurs: Garfinkel (2007) traduit par Barthélémy, Dupret, de Queiroz et Quéré; Jayyusi (2010) traduit par Barthélemy. 14 Cf. les travaux pionniers de Fornel en France qui mobilisent le cadre analytique de l’EM / CA pour l’étude des usages du minitel (Fornel 1989) et du visiophone (Fornel 1988, 1991, 1994). 15 Pour une synthèse des travaux sur la conversation téléphonique, cf. Schegloff 1993. 16 Conein / Quéré 1984. 75 DDossier 17 Conein 1990, Quéré 1986, 1988, 1990. 18 A la différence du visiophone de Biarritz, le PicturePhone des laboratoires Bell a fait l’objet de brèves commercialisations avant d’être abandonné. Les premiers suivis d’usage datent de la fin des années 1960 (Relieu 2003). 19 Pour une histoire détaillée des recherches sur la vidéocommunication, en particulier à ses débuts, cf. Relieu 2003, 2007. 20 Expérimentation technique de grande ampleur menée par la DGT et le CNET entre 1984 et 1990 d’un réseau de fibres optiques à large bande et d’un système visiophonique: 1500 abonnés résidentiels et professionnels ont été équipés (commerçants, banques, polyclinique, soutien scolaire, commissariats). 21 Un rapport de recherche détaillé réunit les analyses et les résultats de cette enquête originale sur les dispositifs de la famille Téléprésence dans différentes situations d’usage (Bonu / Relieu 2006). 22 En témoigne également l’organisation très récente d’un colloque dédié : Skype and the Gaze of Family and Friendship Conference, Cambridge UK, juin 2014: http: / / research. microsoft.com/ en-us/ events/ scgff (dernière consultation: 19 septembre 2014). 23 Le terme anglais consacré est CMC pour Computer-Mediated Communication. 24 En témoignent également les travaux d’inspiration ethnométhodologique sur les relations de services que nous n’avons pas abordé dans ce texte: sur l’intelligence artificielle et la mise travail du client (Velkovska / Beaudouin 2014) ou sur les centres d’appel (Relieu / Licoppe 2005, Lan Hing Ting 2009, Lan Hing Ting / Pentimalli 2009).