eJournals lendemains 36/142-143

lendemains
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2941-0843
Narr Verlag Tübingen
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2011
36142-143

Pour une étude des symboles franco-allemands

2011
Andreas Rittau
ldm36142-1430209
207 Actuelles jedoch nicht den gewaltsamen Regimewechsel. Dieser soll vorgeblich der Demokratie in Libyen den Weg breiten, in Wirklichkeit dient er handfesten materiellen und politischen Interessen. Außerdem sind die Gegner Gaddafis keineswegs alle „lupenreine Demokraten“. Niemand vermag daher heute voraussehen, was für ein Regime dem Gaddafis folgen wird. Moralisch ist das französische Vorgehen umso problematischer, als es sich auf Libyen beschränkt, das in der arabischen Welt isoliert ist, nicht jedoch auf Syrien ausgedehnt wird, wo der dortige Machthaber Assad seine Gegner von der Armee zusammenschießen lässt. 2. Das französische Vorgehen wurde zwar zunächst von den Anführern der arabischen Protestbewegung begrüßt, inzwischen ist jedoch die Meinung unter den arabischen Massen umgeschlagen. Für viele Araber erscheint die westliche Intervention als eine weitere postkoloniale Einmischung in innerarabische Angelegenheiten. Sie belastet daher politisch die französischen Beziehungen zur arabischen Welt. Dies kann zu erheblichen diplomatischen Nachteilen führen. 8 3. Frankreich konnte zwar in der Anfangsphase der Intervention diplomatisch eine führende Rolle spielen, es sah sich jedoch gezwungen, die Führung de facto den USA zu überlassen und die militärischen Operationen in die NATO zu integrieren. Die Grenzen seines internationalen Einflusses wurden damit erneut deutlich. 4. Die französische Initiative spaltete das westliche Bündnis und belastete die deutsch-französischen Beziehungen, da Deutschland sie nicht unterstützte. Die Spaltungslinie verlief zwischen den alten (westlichen) und den neuen (östlichen) NATO-Mitgliedern, unter den alten NATO- Mitgliedern zwischen den Westmächten und Deutschland. Dies weckte nicht nur alte Ressentiments und schuf neue Spannungen, sondern schwächte auch die Position der Allianz in der Auseinandersetzung mit den Folgen der arabischen Protestbewegung. 5. Die französische Initiative offenbarte auch erneut die außenpolitische Ohnmacht der EU. In einer wichtigen internationalen Frage konnte sie sich nicht zu einer gemeinsamen Haltung durchringen. Wozu die EU eine eigene Außenministerin und einen eigenen diplomatischen Dienst mit tausenden von Mitgliedern braucht, ist daher heute unerklärlicher denn je. 6. Die deutsch-französischen Beziehungen erlitten durch das französische Vorpreschen schweren Schaden. Demonstrative Freundschaftsgesten und gemeinsame Finanzaktionen zur Rettung des Euro überdecken zwar nach außen den tiefen Graben, der sich zwischen Paris und Berlin aufgetan hat, aber er ist unübersehbar. Während Frankreich mit seinen ehemaligen Kriegsalliierten Großbritannien und Amerika neokoloniale Ziele verfolgt, praktiziert Deutschland eine Neutralitätspolitik, die ihm vielleicht in der arabischen Welt Sympathien einträgt, aber innerhalb des Westens isolieren. Die Folgen werden nicht auf sich warten lassen. Neutralität ersetzt keine aktive Friedenspolitik. 208 Actuelles 7. Der Verlauf der Intervention hat erneut die begrenzte militärische Handlungsfähigkeit Frankreichs bei Auslandseinsätzen gezeigt. Ohne die Hilfe der Verbündeten, insbesondere der Amerikaner, wäre die französische Luftwaffe schon nach kurzer Zeit erschöpft gewesen. 8. Die Intervention könnte sich auch finanziell als großes Verlustgeschäft erweisen. Sie kostet täglich etwa eine Million Dollar. Wer soll das bezahlen? Außerdem wird der Wiederaufbau des Landes, insbesondere der zerstörten Infrastruktur, Milliarden verschlingen. Ohne fremde, insbesondere deutsche Hilfe, werden sich diese kaum aufbringen lassen. Diese überwiegend negative Bilanz von Sarkozys Interventionsentscheidung sollte die Franzosen veranlassen, über Sinn und Unsinn ihrer „arabischen Politik“ nachzudenken. Die bevorstehenden Präsidentschaftswahlen im Frühjahr 2012 böten dafür reichlich Gelegenheit dazu. Hoffen wir im Interesse auch der deutschfranzösischen Beziehungen, das sie genutzt wird. 1 L’Express, 4.05.2011. 2 Ebd. 3 1830 Algerien, 1889 Tunesien, 1912 Marokko, 1920 Syrien/ Libanon. 4 Während französische und britische Fallschirmjäger in Port Said landeten, stießen israelische Verbände zum Suezkanal vor. Man kann davon ausgehen, dass beide Operationen von den Generalstäben der Interventionsmächte abgesprochen waren. 5 Cf. Aron, Raymond: De Gaulle, Israel et les Juifs, Paris 1968. 6 Cf. Höhne, Roland: „Frankreich im Golfkrieg: das Scheitern einer Ambition“, in: Lendemains 63, 1991, 101-106. 7 Cf. Gentilli, Anna Maria. Gheddafi l’Africano, in: il Mulino 3/ 11, 443-452. 8 Cf. Le Monde.fr, 12.07.11, 18.05. Abgefragt am 3.07.2011, 8.53. 15: 49: 18 209 Discussion Andreas Rittau Pour une étude des symboles franco-allemands Introduction Si de nombreuses études ont déjà été consacrées aux symboles nationaux respectifs en France 1 comme en Allemagne, 2 très peu se sont penchées sur les symboles communs franco-allemands actuels pourtant existants et très nombreux. C’est surtout l’ouvrage Allemagne-France, lieux et mémoire d’une histoire commune qui marque un très vif intérêt pour ce sujet en récapitulant les différents lieux de commémoration franco-allemands et leur actualisation: Verdun, Versailles, Strasbourg, Reims autant de lieux d’expression devenus canoniques de la construction de la réconciliation franco-allemande. Le but de ce livre est de réunir ensemble les symboles écartelés par les guerres: pour les uns, „Versailles et sa galerie des Glaces est le lieu de la proclamation de l’Empire allemand. Pour les autres, c’est celui de la grandeur retrouvée et du Traité de Versailles. Rares sont ceux pour lesquels ils sont l’un et l’autre à la fois“. 3 Outre cet ouvrage, le tome récent „Lieux de mémoires franco-allemands“ des Cahiers d’études germaniques élargit les références à d’autres lieux de mémoire comme la ville de Göttingen (et Charles de Villers), Sarrebourg, le camp des Milles, la Montagne Sainte-Victoire, où „se rejoignent les deux mémoires française et allemande“ et qui du même coup génèrent „une dynamique interculturelle“. 4 Rechercher et repérer des symboles communs, en essayant de les analyser systématiquement, représente donc un terrain d’étude encore neuf. Le symbole est un support culturel universel et l’un des constituants de toute culture. Cette base formelle peut se déployer de la référence au mythe politique (héros fondateur ou réussite industrielle technique) aux emblèmes-allégories (le drapeau), en passant par les lieux de mémoire (de savoir) et leurs rituels jusqu’aux objets culturels pour achever son parcours dans le stéréotype (activité ou produit „mythologique“ qui devient stéréotype par usure). Le recours à la notion de symbole permet ainsi de constituer un champ plus large autour des échanges francoallemands (au-delà des lieux de mémoire) et peut associer des éléments pris dans des échelonnages, différents en apparence, mais pourtant reliés dans une unité de sens à l’intérieur de laquelle gravitent certes des variations. Le symbole libère ainsi du cloisonnement des disciplines en „conférant une cohérence à une multitude de phénomènes non directement corrélés entre eux“ 5 ouvrant à une prise de conscience de l’interdépendance des différents facteurs. Par conséquent, les lieux symboliques franco-allemands n’ont pas à être isolés ou détachés des autres aspects de la présence du symbole franco-allemand: les lieux de mémoire sont complétables, par exemple par le domaine des emprunts 210 Discussion lexicaux réciproques, lisibles comme un système d’ouverture/ fermeture d’une langueculture à l’autre. Les lieux de savoir et d’échanges s’ajoutent aussi aux lieux de mémoire bien connus. Enfin, les images répandues dans la presse, en particulier la plus célèbre, celle du „couple“, „moteur“ de l’Europe, se rattachent aussi aux autres points énumérés. C’est donc tout un domaine qui se dégage à part entière. Ces symboles se réactualisant sans cesse, ils peuvent encore, dans l’ensemble, être classés comme relevant de la langue, des lieux et de l’image concrète. Cet article cherche à regrouper un champ de symboles franco-allemands allant de la langue-culture aux images en passant par le repérage spatial des lieux de mémoire et de commémoration afin de montrer qu’en élargissant les études existantes à de multiples échelles (lexique, lieux, images, objets, quotidien) combien la mémoire collective évolue et se renouvelle tout en perdurant. Elle ne cesse d’être régulièrement alimentée par les nombreuses occurrences existantes qui continuent de s’élaborer comme des véhicules favorisant l’ouverture européenne. Histoire interculturelle symbolique Le démarrage d’un nouvel intérêt pour l’explicitation des symboles est parti de l’orientation théorique de Pierre Nora (les lieux de mémoire) combinant mémoire et repérage culturel dans l’espace et qui réinterroge les lieux de trois points de vue: concret, à savoir un lieu précis offert à l’expérience, symbolique en rapport avec le souvenir et construit intellectuellement. Le vécu intervient comme phénomène toujours actuel grâce au recours au symbole qui ménage „un reste d’identification vécue“. 6 Du côté allemand, ce sont Etienne François et Hagen Schulze qui ont pris en charge la direction des Mémoires allemandes 7 qui ne se superposent pas aux lieux de mémoire de Pierre Nora car le substrat d’appui n’est pas le même. 8 Mais pour les deux ouvrages, en France comme en Allemagne, l’accueil a dépassé les attentes. Il s’agit d’une mutation de méthode qui correspond à une autre approche des réalités historiques. A ces lieux visant des monuments historiques et culturels (matériels ou immatériels) se sont ajoutés des repérages aux lieux du quotidien et des échanges, développés principalement par des études s’intéressant en particulier aux lieux urbains comme les cafés, les jardins publics, les gares et les rapports de signification à leur usage fréquent (ceci également dans un cadre franco-allemand 9 ). Il s’agit là de lieux d’identité collective qui ont leur spécialisation propre et constituent une extension de l’histoire vers l’histoire culturelle et même immédiate comme une extériorisation de l’identité. D’une manière plus générale, c’est Pascal Ory qui a vulgarisé le recours aux procédés symboliques par le développement de l’histoire culturelle en affirmant comme agissante l’efficacité symbolique. Il a donc été conduit à porter davantage d’attention aux formes (signalétique, rituels, spectacles). Par ce rapport plus étroit aux formes, le lien social est entretenu et ménage des conditions d’émergence de nouvelles valeurs par un double jeu de complexification des objets culturels et de spectacularisation de la vie politique en raison de 211 Discussion l’amplification du pouvoir des médias, faisant apparaître progressivement une „logique du for intérieur“ à la place de l’assurance „logique de l’autorité“. 10 Bien entendu, tous les lieux ne peuvent pas gagner le statut de foyers interculturels. 11 Mais les anciens lieux déjà reconnus ne doivent pas non plus minimiser le surgissement de nouveaux comme, par exemple, celui de Sanary-sur-Mer (pendant la dernière guerre mondiale: village qui s’est changé en refuge culturel, „interculturel“ 12 ). Il ne suffit pas en effet de réemprunter les chemins, il faut aussi les prolonger (Sanary café Titon à Paris). Donc, si „tout élément de l’héritage ne devient pas un lieu de mémoire, tout épisode mémorable ne devient pas un passage obligé de la mémoire“, inversement, force est de constater que des „objets improbables dessinent les contours de lieux de mémoire nouveaux“. 13 Il est par conséquent réducteur de fixer uniquement tout le symbole dans des lieux si prestigieux soient-ils, des objets culturels même humbles pouvant eux aussi acquérir le statut de support symbolique de référence culturelle collective d’un moment donné. Par exemple pour l’ex-RDA, des objets spécifiques sont les vecteurs d’un rattachement culturel, d’une époque qui a représenté un épisode ayant bien eu sa réalité et qui ne peut pas non plus être entièrement gommé comme simple erreur de parcours. 14 Ces références aux objets culturels sont de plus en plus fréquentes. 15 La référence au symbole permet ainsi d’amalgamer divers supports tout en travaillant dans la même optique qui rejoint l’histoire culturelle, l’histoire immédiate et de fait l’histoire interculturelle. Le symbole Les symboles ne restent pas inertes, ils sont sans cesse revivifiés par des pratiques liées au présent, au quotidien en suivant les courants sociétaux. Comme tous les symboles, ceux qui nous retiennent empruntent également deux vecteurs, 16 l’un explicite et facilement reconnaissable: monuments, hymnes, drapeaux, et l’autre implicite induit par découverte personnelle comme un nom de rue évocateur (la rue Goethe à Paris), par exemple, ou qui peut avoir un effet inconscient dans la vie quotidienne. Le symbole 17 permet d’articuler le savoir à un accès réflexif ouvrant un chemin à la signification. Le support symbolique ne représente qu’un déclencheur sollicitant qu’il s’agisse d’un élément national officiel comme le drapeau ou une image de presse à la fois indicative et expressive d’une situation donnée. Ces deux exemples captent tout de même l’attention d’une manière identique présentant autant de chance de pouvoir s’interroger en vue d’un approfondissement du sens. Seulement les symboles visés ici ne sont plus nationaux mais transnationaux. Non plus le drapeau allemand et français de chaque côté mais les deux mêlés par l’intermédiaire de figures graphiques inventives (voir illustration 1) qui répètent la volonté de l’Union européenne. Tous les effets graphiques sont une manière de souligner, de réaffirmer l’Union. Dans ce cas précis d’un jeu de couleurs, la signification est facile à percevoir et à déduire. Mais, tous les symboles franco-alle- 212 Discussion mands ne font pas l’objet d’une lecture simplifiée. L’effort nécessaire de lecture, d’interprétation détermine la seconde caractéristique du symbole: de simple présence reconnaissable, il exige ensuite un effort de lecture afin de devenir compréhensif comme si une figure, un texte, un monument équivalaient à un réservoir de significations culturelles parfois complexes toujours prêtes à être sollicitées ou même restituées. Plus qu’une compréhension, le symbole réclame une attitude d’adhésion de la part d’un groupe, d’une communauté et cette forme de cohésion peut se maintenir au-delà de l’accès à la communication directe. Même à travers le stéréotype, un tremplin d’accès aux fondements culturels, et aujourd’hui transculturels, est laissée comme possible. Les symboles franco-allemands sont les témoins directs de ce qui a été élaboré en commun au fil des années entre l’Allemagne et la France. Il ne s’agit plus de repérer des équivalents, des similitudes et des différences mais de réaliser une construction commune dans un cadre et une époque qui se dirige vers une transculturalité. Le dernier épisode en date dans les relations franco-allemandes a été la réaction officielle des enfants nés pendant la guerre de père allemand en France et inversement de père français en Allemagne. Ces enfants demandent, dans le contexte actuel des relations entre les deux pays, réparation et la double nationalité, ce qui aurait été impensable après-guerre. Sous des biais très différents, le tissage entre les deux pays resurgit toujours sous forme d’actualité, de mémoire ou encore de la volonté de poursuivre en commun une lente élaboration des cultures partagées. Ainsi aujourd’hui, au lieu que chaque pays campe sur ses interprétations historiques à double face, il existe, par exemple, un manuel d’histoire dégageant des positions communes sur les grandes phases du développement historique écrivant donc par des symboles en commun une nouvelle phase, réactualisation pacifique des mêmes lieux tant de fois déjà évoqués. 18 Le symbole se profile comme une créativité à la fois de l’agir et de la représentation interculturelle. A travers le symbole, les ajustements sémantiques engendrés par les courants sociétaux se reflètent sur de nouveaux supports sans cesse en rééquilibrage. Il existe aussi en réalité une logique du sens symbolique qui fait que les interprétations du symbole présentent une certaine universalité et une permanence relative: „la symbolique introduit le sujet dans une communauté et lui permet de prendre part à un partage et à une transmission du sens“. 19 Le repérage des symboles franco-allemands, déjà existants et construits dans la culture ou en latence, introduit la dimension historique au sein même de l’interculturalité. Si les symboles conventionnels sont bien reconnus, comme la confrontation des deux drapeaux, les figures face à face de Marianne et Germania, 20 les autres symboles communs sont peu étudiés, même s’ils sont connus et reconnaissables à commencer par l’enchâssement des deux drapeaux à l’aide du rapprochement des cinq couleurs présentes ce qui a donné lieu à des combinai- 213 Discussion sons inventives, reproduites sur des affiches, des couvertures de livres, des commémorations de jumelage ou encore des sites Internet (voir illustration 1 ci-contre). Logo du 50 e anniversaire du jumelage Freiburg-Besançon Lors des festivités autour du cinquantième anniversaire du jumelage entre Freiburg et Besançon (2009), un sac en toile a été distribué aux participants. Ce sac du 50 ème anniversaire du jumelage se présente sous la forme d’un double drapeau esquissant un arc-en ciel aux couleurs changeantes constituées de l’association des deux drapeaux nationaux. La présentation ne cherche pas à lier les couleurs avec le rouge en commun mais le graphisme montre que l’un des drapeaux prend peu à peu la place de l’autre sans l’effacer. Le bleu devient noir, le blanc rouge et le rouge jaune-or et chaque nom de ville prend place près de son drapeau identifiant. Rappelons que vu sur la droite les couleurs du drapeau de la ville de Besançon se reforme (noir jaune rouge) et que dans la partie intermédiaire, c’est celui de la ville de Freiburg-im-Breisgau qui se reforme (rouge et blanc). Il s’agit donc d’un logo complexe créé pour l’occasion dont nul ne peut prévoir à ce jour le devenir. Cet arc est aussi un chemin, on va de Besançon vers Freiburg pour fêter le jumelage sur place d’où la place du drapeau français en bas si bien que la zone centrale présente deux couleurs superposées: bleu et noir, puis blanc et rouge et enfin rouge et jaune. Les chiffres ne sont qu’esquissés de manière à amorcer un arc - au symbole favorable - plutôt qu’un 0. Le haut du 5 reste suffisant pour l’identifier. Ce graphisme d’un designer devient donc un symbole à part entière rattaché à l’année 2009. S’il est compréhensible, il demande pourtant un effort de décodage personnel. Par l’intermédiaire de tels symboles, on prend conscience d’une complexité croissante des objets culturels utilisés qui concernent tous les supports du plus classique au design postmoderne. Des formes créatives interculturelles sont à repérer au niveau du symbole, toutefois soumises à des courants sociétaux capables de les faire émerger et de les faire comprendre à un moment donné. Au lieu de ne traiter qu’un aspect séparé, isolé et parcellaire comme il est aisé de le constater dans l’ensemble de la bibliographie avec d’un côté les lieux de mémoire, de l’autre les emprunts lexicaux, les images de presse, etc., cet article s’évertuera à montrer qu’une dynamique franco-allemande d’ordre plus général est à l’œuvre, qui peut être démontrée, alors qu’elle n’est guère unifiée dans l’état des bibliographies actuelles. En effet, des phénomènes existants (comme les emprunts lexicaux) peuvent être analysés autrement à la lumière d’un traitement symbolique franco-allemand, phénomènes qui prennent soudain une autre envergure et contribuent à développer la dynamique que l’on cherche à dessiner en considérant un ensemble allant de la langue aux lieux et à l’image autour d’une symbolique. Toutes les catégories dégagées: mythes, rituels, images, emblèmes, stéréotypes sont convoquées pour opérer un rapprochement entre la France et l’Allemagne concernant l’histoire, la politique, la vie culturelle, la presse, les sites Internet. Y seront 214 Discussion ajoutées les activités socioculturelles temporaires comme des expositions ou les activités de jumelage entre les villes qui contribuent encore à démultiplier les ressources d’expression même si elles ne sont pas aussi bien relayées par les médias. Symboles et langue-culture Les symboles lisibles au niveau de la langue elle-même se découpent en deux volets, d’une part les échanges sous forme d’emprunts lexicaux entre les deux langues-cultures et d’autre part, les expressions lexicales concernant la France et l’Allemagne (l’un des pays vu par l’autre, les „métaphores“) comme de véritables socles sémantiques. Faire le bilan-synthèse des échanges lexicaux entre les deux pays relève encore d’un point de vue purement linguistique qui n’a pas été élargi comme une symbolique. Toujours est-il que ces échanges existent largement puisqu’on obtient, par exemple pour le Petit Robert, 520 unités empruntées par le français „dont 139 empruntées de 1900 à 1995“. 21 Citons quelques exemples pour en reprendre davantage conscience: ces mots sont issus de la vie militaire (reître, lansquenet, „la langue française conserve les traces d’une très ancienne peur de l’Allemagne“ 22 ) mais aussi de la vie publique (sénéchal, ban, baron) et domestique (rôtir), la vie rurale (blé, bûche) ou encore des mots essentiels du vocabulaire de base des échanges quotidiens, comme „bleu“ ou „blé“ qui viennent en fait de l’allemand (francique et préfrancique). Il ne s’agit donc pas d’emprunts mineurs contrairement à l’opinion générale. De même pour des mots comme „roseau“, „saule“, „troène“, „latte“ ou encore de nombreux autres arbres, et plus récemment, des mots repris directement de l’allemand comme „cobalt“, „quartz“, „lied“, „putsch“ ou tout simplement „képi“, très familiers en français. Inversement l’allemand a fait siens des mots comme „Maskerade“, „Kotelett“, „servieren“, „Tablette“, „Kabinett“, ou encore „Friseur“ et „Konfitüre“. 23 Laissons de côté bien entendu le cas des faux amis avec leurs différences d’extension de sens comme par exemple pour „stupid“ ou „Flair“ utilisés en allemand, entraînant des répercussions de sens différents dans les deux langues. Si les emprunts lexicaux sont symboliques de la présence d’une langue-culture dans une autre en marquant de phases d’ouverture et de fermeture dans le cours du temps, 24 ce phénomène, souvent étudié et bien connu, est pourtant moins significatif que le soulignement des expressions lexicales franco-allemandes qui constituent, elles, des socles, des assises pour les vecteurs de significations culturelles. Une première collecte rapide révèle deux pôles opposés: d’une part le fameux „leben wie Gott in Frankreich“, vecteur favorable de la douceur de vivre et du désir de vivre chez l’autre. Cette expression déjà ancienne est relayée par une suite d’autres expressions dérivées et actualisées, comme par exemple „le bonheur allemand“ 25 ou „le bonheur en Allemagne“, 26 titres qui s’avèrent être une manière de rebondir par rapport à l’ancienne donnée. Ou encore „vom Glück, Franzose zu sein“ 27 qui revitalise le fonds en trouvant une audience sociale nouvelle. D’autre part, la France face à l’Allemagne, cela a été pendant longtemps le royaume „des 215 Discussion casques à pointe“, agressivité et puissance concédée. Rien de neutre donc entre ces deux peuples. Bien au contraire, une longue alternance des deux aspects en présence est à noter. Tantôt „la chute du mur“, expression positive étendue au monde entier, tantôt de nouvelles formules se fraient un passage à travers la société comme „anciens rivaux“, en passe de détrôner les relents de guerre - „Erbfeinde“ - longtemps prolongés par les médias („bruit de bottes“). 28 Les Français ne sont d’ailleurs pas mieux lotis avec des expressions comme „Pariser“ ou „Französisch“ qui les ciblent dans un registre sexuel à mœurs légères. Quant à la langue elle-même, la langue allemande est souvent qualifiée en France de „langue de Goethe“ et de même, l’Allemagne est toujours „au-delà du Rhin“ (par exemple Arte-météo). Malgré la crise et ses difficultés, les produits allemands demeurent „made in Germany“ et le demeureront encore longtemps dans la conscience médiatique française. De même en politique, „le moteur de l’Europe“ est toujours en priorité l’alliage France-Allemagne qui d’ailleurs a fini par se présenter sous forme d’un „couple“. Toujours est-il que l’énumération est suffisante pour comprendre que la notion de symbole commence par les formules-habitus de la langue-culture véhiculées très longtemps après leur création, si bien que la langue devient savoir culturel. De tels mots installent un climat de pensée utilisé comme point d’ancrage, de repère, pour entrer en matière ou pour montrer qu’on est au fait du terrain. C’est un premier pointage balisé de reconnaissance destiné à installer une discussion, un sujet d’étude, une entrée en matière, ou encore à prendre contact, etc. Les médias s’appuient par commodité sur les mêmes formules sans pouvoir facilement les faire évoluer. Toujours est-il que les expressions lexicales francoallemandes sont répétées très régulièrement et contribuent à installer un paysage sémantique générant un étayage qui pourra, par la suite, être confirmé par d’autres aspects culturels. Le noyau d’appui de la culture réside d’abord dans la langue, à l’intérieur même de la langue et aimante l’ensemble des autres faces. Ces diverses expressions ne sont pas anodines car elles reprennent sous forme condensée et imagée d’anciennes synthèses qui vont du politique, toujours premier dans les échanges franco-allemands, au culturel (titres de films, de livres, de tableaux). Nier cette première assise serait ne pas prendre conscience de l’ampleur du phénomène qui plonge ses racines dans l’expression lexicale sachant en garder longtemps les traces. Lieux de mémoire La référence la plus couramment agréée pour les aspects symboliques des échanges avec l’Allemagne sont fortement représentés par les lieux de mémoire tels qu’ils ont été définis par Pierre Nora et ensuite popularisés par le grand succès rencontré dans le public qui apprécie in situ les ancrages de l’histoire. La plus grande manifestation a été solennisée par le „couronnement“ de Verdun en un site devenu en vingt ans un modèle de ce type de symbole historique. La mémoire y 216 Discussion est activée et actualisée de manière vivante, si l’on peut s’exprimer ainsi. Autour de cet espace géopolitique ont pris place des parcours rituels très empruntés, des rituels officiels, réguliers, des récits, des discours, des émissions télévisées, des commémorations fidèles. C’est là désormais un foyer interculturel inaugural, spatial et géoculturel, serti de reconnaissance symbolique majeure. Mais ce n’est pas pour autant un cas unique. Cette année, à Verdun - à l’occasion du 25 ème anniversaire de la fameuse rencontre entre François Mitterrand et Helmut Kohl - le 22 septembre, Pierre Lellouche, secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes et secrétaire général pour la coopération franco-allemande, a tenu un discours où il a proposé officiellement de rebaptiser la date du 11 novembre en „journée de la réconciliation de l’Europe“ (voir encadré 2). Extrait du discours de Pierre Lellouche à Verdun (22 septembre 2009) Je souhaiterais, pour ma part, faire en sorte que le 20ème anniversaire de la chute du Mur du Berlin, le 9 novembre prochain, soit véritablement un événement partagé entre l’Allemagne et la France, une sorte de cadeau que nous pourrions faire à nos amis allemands pour leur montrer que nous prenons aujourd’hui toute la mesure d’un événement qui fait désormais pleinement partie de notre histoire commune. Et alors que les derniers combattants de la Grande Guerre ne sont plus de ce monde, je souhaiterais aussi que nous puissions honorer leur mémoire en faisant à l’avenir du 11 novembre une „journée de la réconciliation de l’Europe.29 Verdun n’est plus seulement aujourd’hui le lieu d’une bataille ou une date (22/ 9), mais l’expression d’une vision plus large où viennent se fondre maintenant l’anniversaire de la chute du mur de Berlin (2009) et la volonté de changer la référence à une autre date, celle du 11/ 11. Ainsi, dans ce discours, une date remplace l’autre et un lieu éloigné remplace le lieu d’où l’on parle. Verdun est devenu „la rencontre de Verdun“, on cherche à y réussir non plus une initiative franco-allemande nouvelle mais des anniversaires. Si les dates d’origine ont été des signes symboliques d’affrontements passés ou de méfiance confirmée, et même d’indifférence, les lieux d’anniversaire deviennent des lieux de rencontre pour des consolidations réussies après coup. Les déclarations prononcées dans les lieux de mémoire engagent officiellement la volonté politique des Etats. C’est dans un lieu interculturel que ces paroles sont prononcées et non dans la capitale. Le site de Verdun est sûrement le plus symbolique, renforcé par l’existence face à face des deux livres-clefs: Lieux de mémoire en France (partiellement traduit en allemand 30 ) et Mémoires allemandes traduit en français dont l’introduction sur le rapport entre les deux pays s’achève sur ces mots: „Ces convergences et concomitances sont autant d’expressions d’une reconnaissance réciproque avancée; elles confirment l’interpénétration croissante des mémoires françaises et allemandes que de nombreuses enquêtes ont mises en lumière. N’est-ce pas là le signe qu’après avoir été longtemps séparées par des mémoires antagonistes, en dépit et à cause de leur histoire entremêlée, Français et Allemands sont désormais entrés dans l’ère des mémoires partagées“. 31 217 Discussion On peut aussi citer le cas de Reims, ville des sacres des rois de France qui a fait place à la scène de réconciliation sous la forme d’une messe à laquelle assistaient de Gaulle et Adenauer, image qui a finalement pris le relais de l’imagerie purement française et pris place dans le manuel d’histoire contemporaine franco-allemand utilisé conjointement dans les deux pays. Ce lieu est d’ores et déjà devenu franco-allemand. Un autre de ces lieux-rappels de l’affrontement franco-allemand, à la fois ancien et émouvant, c’est le pont de Kehl (pont de l’Europe). Ce pont s’est d’abord subdivisé (route/ voie ferrée). Le pont de l’Europe, construit en 1953, a remplacé le point frontière qui se voulait infranchissable. Puis, ce lieu a été ranimé comme lieu de mémoire vivante par la création d’une passerelle pour piétons au centre du jardin transfrontalier entre Strasbourg et Kehl conçu comme lieu interculturel de détente. 32 La chancelière allemande Angela Merkel et le président français Nicolas Sarkozy y sont venus s’afficher en image symbolique au moment de la présidence française de l’UE en cette année 2009. Ce lieu continue donc d’exister fortement tout en changeant d’image. Son ancrage symbolique se trouve encore renforcé en raison de l’emblème du pont comme passage, moyen de rapprochement, d’inter-compréhension et non plus comme frontière, marque d’opposition et de différences. La frontière sur le Rhin entre Weil am Rhein (Bâle) et Strasbourg pourrait constituer un magnifique sujet d’étude franco-allemande en montrant combien cette ligne dramatique n’a pas été effacée ou désertée mais est devenue elle aussi un espace culturel et interculturel de promenade, d’animation, d’interrogation. Une étude de terrain a permis de confirmer l’existence d’une réappropriation des lieux sans que, pour autant, des déclarations officielles y aient été prononcées. 33 Le passage le plus significatif demeure Breisach en Allemagne et Neuf-Brisach en France, en miroir de chaque côté. Une fresque concernant les légendes du Rhin mythique (le mur de la centrale hydroélectrique est décoré de sirènes sur fond bleu) renforce cet espace comme lieu public de fréquentation individuelle, de promenade symbolique et interculturelle. Ce sont des lieux de curiosité, de surcharge imaginaire de ce qui a été si longtemps redouté, de ce qui a constitué un espace particulier sur plusieurs siècles soumis à de nombreuses et changeantes négociations. Aujourd’hui, ce même espace rendu soudain à la neutralité suscite un intérêt d’un tout autre type. D’autant que les différentes zones de passage se ressemblent toutes: traversée du canal, du bras français du Rhin auquel est rattaché l’appareillage de béton d’une centrale hydroélectrique et souvent une île, ensuite vient le bras allemand. Tout cet ensemble dessine donc plutôt une frontière épaisse qui n’est pas aussi simple que l’idée de ligne bien intégrée en raison des leçons scolaires de géographie (en France). Les régions frontières ont aujourd’hui une responsabilité: „autrefois délaissées car en première ligne, elles ont désormais vocation à être des espaces laboratoires de l’Europe nouvelle. Parce que leurs habitants connaissent les mêmes réalités que leurs voisins. Parce qu’ils sont habitués à se fréquenter, à prendre en 218 Discussion compte leur différence, à imaginer leur avenir ensemble“. 34 Ces espaces interculturels pourraient être étudiés au-delà des institutions transfrontalières mises en place. Les reconsidérer comme ce qu’elles ont toujours été: un contact entre deux rives pratiquant des échanges extrêmement variés dont on n’a pas une conscience si précise. 35 Une thèse aide cependant à aborder davantage la question et la fait passer „d’une ligne qui sépare à un pont qui unit“. Une double approche historique et sociologique a été nécessaire pour commencer à envisager une nouvelle approche des frontières, à la fois réelle, imaginaire et symbolique. Les différences de perception en termes d’images sont bien sûr dissemblables de part et d’autre et varient selon les orientations politiques. Mais surtout, „l’imaginaire de la population est fortement influencé par les médias“. 36 Ce rapide tour d’horizon serait incomplet sans la mention d’un nouveau lieu de mémoire franco-allemande, non plus lié aux batailles ou à la ligne frontière, mais décalé dans le sud de la France à Sanary-sur-Mer, un lieu de refuge (1933-1945) pour les artistes allemands (musiciens, peintres, écrivains). Ce village a en effet accueilli de nombreux créateurs voulant échapper au conflit et aux poursuites du régime totalitaire. Il ne s’agit pas non plus d’une information confidentielle puisque le syndicat d’initiative de Sanary propose de la documentation en français et en allemand, et consacre un repérage informatif par un parcours balisé par des plaques à l’intérieur de la localité. Des livres ont été consacrés à ce foyer intellectuel faisant passer une réalité ancienne au statut de mémoire collective. 37 Foyer de liberté culturelle authentique relayé maintenant par une activité touristique, pédagogique et revisité par l’histoire culturelle (voir encadré). Sanary sur Mer: nouveau foyer de mémoire culturelle franco-allemande Sanary n’est pas seulement un double lieu de mémoire, mais est aussi en train de devenir un lieu de commémoration franco-allemand par excellence.38 Le dépliant de la mairie de Sanary (ci-contre), accompagnant une publication récente du syndicat d’initiative de Sanary sur les exilés allemands de 1933 à 1945,39 est une déclaration officielle du maire s’engageant à reconnaître ce foyer interculturel où se sont réunis tant d’écrivains et d’artistes.40 Par la référence à un lieu précis, que rien ne prédisposait à trouver un poids dans l’histoire, peuvent se lire des références à la fois politiques (résistance franco-allemande), culturelles (création d’un journal, d’œuvres) dans le sillage d’une histoire culturelle ouverte et maintenant interculturelle à l’ordre du jour. Transmission et expression interculturelle se rejoignent. 219 Discussion Il s’agit cette fois du site franco-allemand le plus récent ayant réussi à parvenir à l’état de lieu de mémoire loin des frontières de l’est de la France. Dépliant officiel, livres, brochures sont complétés par des visites proposés sur place, des différents lieux concernés balisés par des plaques officielles urbaines. La plupart des plaques apposées devant des immeubles en France font toujours état des soldats abattus morts pour la France. Ici, il s’agit d’Allemands ayant souffert du régime totalitaire qui sont reconnus et visualisés. La liste est impressionnante par le nombre et la qualité des auteurs. Tous les centres d’intérêt franco-allemands ne sont cependant pas installés définitivement en se reliant à des villes. Il existe aussi des symboles temporaires comme les grandes expositions franco-allemandes. Cette année, en 2009, c’est le problème des étrangers en Europe et plus particulièrement dans les deux pays qui a mobilisé l’énergie commune faisant place à une réalisation d’envergure: A chacun ses étrangers réunit de la documentation visuelle sur l’immigration dans les deux pays. 41 L’affiche apposée sur la grille du nouveau Musée de l’immigration (voir illustration 2) devient alors l’objet symbolique franco-allemand et constitue un nouveau maillon pour continuer de se repérer l’un par rapport à l’autre mais ensemble. Ce travail d’échanges, de collaboration franco-allemande a permis de faire avancer ensemble la question de la comparaison des migrations en Europe. On est passé à un autre stade interculturel. Photo (AR) de l’affiche de l’exposition franco-allemande de 2009: A chacun ses étrangers Sur la photo de l’affiche de l’exposition à Paris, les deux références allemande et française s’affichent ensemble dans une rue de Paris (avenue Daumesnil) sur la clôture de l’entrée du nouveau Musée national de l’Histoire de l’immigration dans le douzième arrondissement. L’Allemagne et la France se posent la question sur la manière dont les étrangers ont été perçus en France et en Allemagne depuis 140 ans. Si „le sujet n’est pas spécifiquement franco-allemand, pendant longtemps l’histoire de l’immigration n’a pas fait l’objet de comparaisons, c’est pourquoi l’accent particulier mis sur la France et l’Allemagne dans cette exposition comble une lacune dans ces deux pays“.42 Cette photo elle-même n’est pas moins symbolique puisqu’il s’agit d’une part d’un soldat colonial de l’armée française accompagné d’une jeune femme allemande (à Mayence, vers 1930). On constate donc sur cette affiche-symbole plusieurs niveaux superposés, les deux noms des deux pays, les deux personnages, une exposition commune ayant réclamé la coopération de deux musées, la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration (Paris) et le Deutsche Historische Museum (Berlin), donc une obligation de travailler en tandem pour faire avancer ensemble une question sociétale cruciale d’aujourd’hui. 220 Discussion Lieux de savoir L’histoire des savoirs est récente, elle a suivi celle des institutions culturelles et celle des systèmes médiatiques (médiologie). Il existe des traditions de savoir rarement explicitées mais expérimentées par ceux qui suivent le même chemin. Ces savoirs sont considérés maintenant comme des objets symboliques, „à la fois trait identitaire, signe de reconnaissance, valeur d’échange, instrument de pouvoir et lien communautaire“. Les savoirs se rattachent aussi à des configurations spatiales disponibles à travers des institutions qui offrent des points de repère matériels qui sont plus que des centres-ressources mais font aussi office de rattachement symbolique ou d’ancrage culturel ou peuvent encore être considérés comme des zones d’influence transmettant des courants de pensée. Il est donc légitime de les voir figurer dans ce cadre. En ce sens, toute bibliothèque „désigne peut-être moins un lieu matériel qu’une dynamique“ 43 un point de rattachement au-delà des services matériels. Moins cités que les autres, ces lieux de savoirs interculturels ont été édifiés depuis longtemps entre la France et l’Allemagne. Ce sont des clefs indispensables pour progresser dans la connaissance de l’autre: l’Ofaj, le Ciera, le Dfi, l’Ufa, les centres culturels franco-allemands en Allemagne et en France. Autant de lieux de références doublés par leur sitologie sur Internet. Bref „les savoirs font lieu“. Il n’est pas possible de passer en revue tous ces maillons constitutifs du franco-allemand dans les deux pays. Mais, la nouvelle attitude consiste à porter sur eux un autre regard, celui d’une efficacité symbolique maintenant une cohésion du domaine. Si bien que des ouvrages-sommes sont régulièrement reconnus comme des balises pour les études franco-allemandes. Par exemple, la parution événement du livre Le jardin des malentendus - Fremde Freunde, Deutsche und Franzosen vor dem 21. Jahrhundert 44 qui a été un élément marquant, une synthèse globale remplacée aujourd’hui par les lieux de mémoire et le Dictionnaire du Monde germanique publié en français. 45 Leur existence même plaide en faveur du dynamisme des échanges sans cesse entretenus. Précisément, une personne spécialisée dans le domaine n’a plus à signaler ces parutions car elles sont intégrées d’office à son domaine de savoir. Le couronnement de ces pratiques, c’est bien sûr d’être arrivé à la confection d’un manuel d’histoire commun d’histoire contemporaine utilisé conjointement dans les deux pays, dans les deux langues-cultures (en Première et en Terminale). Ouvrages éminemment symboliques et d’une autre nature que la coopération économique qui, elle, existe de longue date. Ce livre a été considéré „tout simplement comme un événement historique. Au-delà de sa forte médiatisation, ce manuel d’histoire franco-allemand est aussi un événement politique et méthodologique“, bref un événement de „valeur symbolique“. 46 „Pour la première fois, les deux pays ont un manuel en commun de leur histoire dans le contexte européen et mondial“. 47 221 Discussion Les images Passons des images historiques, rééditées dans ce manuel, aux images d’actualité qui, elles aussi, forment un réseau de référence qui ne peut être négligé. Les images commencent en effet à être davantage utilisées, sinon analysées. Elles deviennent „des supports-clefs de la formation de l’identité collective“. L’attention est portée „aux évolutions des images elles-mêmes, mais aussi au choix de l’iconographie“. 48 En effet, l’image fait figure de révélateur sémantique à condition d’être analysée d’un point de vue à la fois graphique et socioculturel ou encore sociopolitique dans le cadre de l’histoire contemporaine. Sans la conjonction des deux dimensions beaucoup d’informations passent à travers les mailles du filet. Ces images fonctionnent aussi bien comme rappels synthétiques que comme prise de conscience. Cependant, l’image se présente aussi aujourd’hui comme un support de réflexion dépassant la simple illustration et même l’analyse technique. Plus que des relations de formation, elles entretiennent un rapport à des valeurs symboliques (celle du „couple“, par exemple) en en mesurant les aléas, les modifications et transformations dans la conscience collective à l’épreuve du temps car cette conscience fait preuve de beaucoup plus de réactivité que par le passé. En plus des presses nationales, Internet permet des éventails synthétiques sur cette question. La première image du „couple“ fraternel de Mitterrand et Kohl a été suivie par celle de Chirac et Merkel pour faire place à celle de Merkel/ Sarkozy. 49 Les attitudes, les cadrages, les couleurs sont autant de composantes qui fournissent des informations symboliques de l’état de la vie politique au jour le jour. Ces images successives ont habitué le public à cette représentation symbolique du „couple“ avec ses hauts et ses bas, mais continuant toujours de se maintenir. Les photographes se sont en effet emparés de cette dimension symbolique, changeant l’information communicative en véritable expressivité symbolique nécessitant une lecture à part entière, libérant des chassés-croisés de sens entre le texte et l’image, l’image ancienne et récente et ouvrant plus largement l’interrogation dans la temporalité (voir illustration 3). Photo d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy du 4 avril 2009 à Strasbourg-Kehl50 Si l’image du couple est toujours actuelle comme le montre cette photo, elle est devenue beaucoup plus décontractée. Que l’on songe aux photos d’Angela Merkel et Jacques Chirac entourés de la garde républicaine,51 les images actuellement diffusées sont désormais celles d’un couple moderne aux gestes amples et libérés. Et non plus des postures officielles figées. Le cliché est parfaitement symétrique, chacun tenant sa fiche de note d’une main et formant de l’autre bras un double V amplifié par les deux encolures en v de l’ouverture des vestes. Le seul contraste réside dans le jeu des couleurs entre le noir et le blanc en quelque sorte noir sur blanc et blanc sur noir. 222 Discussion Sourires équivalents et regards dans la même direction qui est, dit-on traditionnellement, la meilleure gestuelle pour un couple. Le fond bleu uni renforce encore l’impression favorable du lecteur. La photo officielle apparaît aussi comme non guindée, naturelle. Et, le couple est toujours là! Même si l’on a pu écrire qu’il existait un développement institutionnel „d’une plus grande formalisation des rencontres et des échanges“52 franco-allemands, on constate qu’il n’en est rien. Mais, ce qui retient au contraire l’attention, c’est que les lieux de mémoire (Kehl) ont réussi à „se détacher de la mémoire nationale pour devenir un élément franco-allemand“.53 Les médias reprennent régulièrement cette notion de „couple“ dans les titres à commencer par l’article de l’officiel secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes, Pierre Lellouche, dans le Monde: „Le couple franco-allemand mis au service de l’Europe, le moment est venu de lever les incompréhensions“. 54 Il ne faudrait pas non plus pratiquer une lecture idyllique de cette notion de „couple“. 55 Stephan Martens a bien régulé la notion: „Le partenariat franco-allemand n’a pas été l’expression d’une attraction irrésistible et réciproque spontanée, mais une nécessité et un choix rationnel. La relation franco-allemande repose sur la conscience partagée que, sans une certaine solidité de ce couple, l’Europe n’avancerait plus. En d’autres termes, si l’entente franco-allemande n’est pas suffisante, elle reste toutefois nécessaire. C’est un acquis de la construction européenne“. 56 Bien entendu, les photographes suivent toutes les fluctuations avec finesse et seule l’analyse permet d’entrer dans le vif du sujet. Les choix graphiques ne sont pas faits au hasard mais font partie du consensus en construction active sur lequel on peut s’appuyer pour faire avancer les analyses des relations entre la France et l’Allemagne qui, „d’ennemis héréditaires“, passent à un rapport fraternel, puis affectif et de consolidation: „dans l’inconscient collectif français s’est en effet imposée la vision d’une relation affective, émotionnelle, mais aussi tumultueuse, au point de confondre la coopération interétatique avec une vie de ‘couple’“. 57 Les objets interculturels A ces images officielles institutionnalisées, commentées et répétées, font aussi écho des objets culturels 58 élaborés dans la perspective de communauté ponctuellement réaffirmée. Il ne faudrait plus restreindre les objets culturels aux objets de musée ou de souvenirs de voyage. Des objets du quotidien, du moins pour certains, continuent d’exister dans la mémoire créant des marques de repérage. Ceci a été bien prouvé dans le cas de l’ex-RDA: „tout objet d’occasion peut comporter une charge symbolique lui permettant de matérialiser le passé“. 59 Il en est de même des objets franco-allemands, par exemple ceux liés aux jumelages des villes. Le sac (voir illustration 1) distribué à l’occasion du cinquantième anniversaire de la reconduction du jumelage entre Freiburg et Besançon révèle un double drapeau où un rayon de lumière colorée est remplacé par une autre couleur des drapeaux, ceci par trois fois. Par une recherche graphique inventive, les deux drapeaux se 223 Discussion trouvent ainsi unis, associés, comme une consécration de ce long jumelage de 50 ans. Les objets culturels, interculturels frappent l’attention en soulignant des emblèmes autrement agencés, donc renouvelés au-delà du national étriqué et éculé. La curiosité et la compréhension renaissent ensemble à la vue de cet objet inventé pour marquer l’occasion et qui s’immisce autrement dans la collectivité. Le franco-allemand au quotidien Enfin, il ne faudrait pas négliger non plus les lieux quotidiens affirmant une volonté d’ancrage et d’échanges dans la continuité. C’est Brigit Krulic qui s’est la première lancée dans „une territorialisation des identités culturelles“. Elle a organisé une extension de l’histoire contemporaine à la culture immédiate, prise dans le présent. Les lieux du quotidien (bibliothèques, cafés, jardins publics) créent une connivence sous forme de compréhension instantanée inférant une grande force fédératrice. Ces lieux partagés immédiatement disponibles existent aussi pour le franco-allemand. Le café Titon dans le 11 ème arrondissement de Paris est l’exemple même d’un de ces lieux interculturels réussis. Ce café prend en charge la convivialité francoallemande de Paris par des initiatives dont la dernière a permis de reconstituer un „Biergarten“ à Paris. Le succès a été total et inattendu, signe d’un changement des temps. La gastronomie, les renseignements culturels, en font une vitrine non négligeable de l’interculturalité. Il s’agit donc de recenser davantage ces initiatives, de les analyser et de montrer par là la direction que prend de nos jours l’image du franco-allemand. Ce café a été crée lors du Mondial de 2006 avec le slogan „Deutsch ist schöner“. Il a pour but de ne pas s’ériger en bar allemand à Paris mais „d’établir une ambiance franco-allemande“, un entre-deux, ce qui est tout différent comme projet. 60 Encore modeste, il y a bien là une nouvelle ouverture qui demande à être soulignée, reconnue. La fréquentation des lieux conviviaux francoallemands donnera elle aussi la mesure des échanges. Dans le cadre du quotidien, l’émission d’Arte, Karambolage, doit être ici même reconnue comme un des moyens médiatiques pour construire le franco-allemand au quotidien. L’écran se tresse alors de points méconnus, non appris officiellement, trouvés en chemin. Emission relayée par des publications et des DVD qui font reconnaître, à leur manière, l’empreinte précise du franco-allemand dans le panorama culturel de l’actualité. La date anniversaire du traité de l’Elysée, le 22 janvier, muée en journée francoallemande, donne lieu chaque année à des animations dont certaines sont hautement symboliques. Il s’agit de rendre compte de l’état de cet interculturel, existant certes, mais qui ne fait pas toujours l’objet de réflexions dans le sens indiqué. Il ne s’agit pas non plus de réénumérer toutes les activités franco-allemandes nombreuses dans des domaines très divers, mais on peut démontrer la tendance actuelle à traiter ensemble une question sociétale, comme par exemple le climat, les transports, au lieu de se confronter ou même d’échanger. Le faire-ensemble, le faire- 224 Discussion avancer ensemble une question (projets de co-actions) se dégage comme pour la confection du manuel d’histoire contemporaine. Des images culturelles franco-allemandes viennent ponctuer ce cheminement. Le stéréotype L’éventail des différents symboles franco-allemands s’achève dans le stéréotype: les deux images stéréotypées les plus répandues sont respectivement la tour Eiffel pour identifier Paris à la manière d’un signe graphique concret et pratique, et pour Berlin, c’est la Porte de Brandebourg qui redit l’Allemagne réunifiée. Ces deux images réunies en montage se trouvent projetées sur la couverture d’un livre. 61 La tour Eiffel en incrustation côtoyant le quadrige, lui en présentiel, dans Berlin: les deux capitales figurent donc ensemble (voir illustration 4). Utilisation du stéréotype dans les rapports franco-allemands Bien cadrée au centre de la couverture, en clin d’œil avec le titre du livre, la photo de la porte de Brandebourg de Berlin se surimpose avec les deux monuments parisiens les plus stéréotypés: l’un historique, l’arc de triomphe des Champs Elysées et l’autre la référence touristique que représente la tour Eiffel qui fête ses 120 ans cette année. Les trois stéréotypes sont à nouveau bousculés par le rapport entre présentiel et virtuel. Le tout dans une dominante de couleur bleu idéal constitué par la bâche et le ciel en prolongement, contrastant avec le rouge étal du fond. Rapprochement, acceptation, ce cliché est tout un programme à lui seul, une photo possible au 21 e siècle. Non seulement paix retrouvée en Europe, mais interaction entre les deux „anciens rivaux“. En effet, en 2000, la porte de Brandebourg était en travaux et devant elle, se dressaient des bâches masquant les échafaudages représentant les deux monuments français en trompe-l’œil. Dans la vie urbaine de Berlin (bus et inscriptions en langue allemande) se profilaient ces images symboliques bien connues de Paris, le tout accompagné d’un fond bleu relayé par celui du ciel. Ce montage tout à fait authentique peut être regardé comme un symbole interculturel des stéréotypes encore impensable avant 1989. On comprend combien de chemin a été parcouru. C’est aussi un symbole nouveau de type temporaire et facilement compréhensible même s’il surprend au premier coup d’œil. Le cadrage a volontairement superposé le haut de l’Arc de triomphe parisien au-dessous de la porte de Brandebourg, elle en réel. Cet arc se visualise à travers les colonnes. Actualité (bus, publicité, circulation) et tradition (le quadrige vert) se côtoient tout comme se côtoient la double référence présentielle et virtuelle. 225 Discussion Conclusion: Trajectoire des relations franco-allemandes Les études réalisées sur les projections dans le futur des échanges franco-allemands sont assez rares pour se permettre de signaler la tentative de Sloterdijk dans sa conférence du 15 novembre 2007 à Freiburg intitulée Théories des aprèsguerres. 62 Pour lui, les relations franco-allemandes sont devenues standard et se sont en quelque sorte inversées. Elles ont abouti à un état de neutralité inerte. Les échanges franco-allemands, „la fameuse amitié franco-allemande, est un fantôme inventé par les professionnels de la rencontre officielle“. 63 Depuis l’après-guerre, l’Allemagne n’a cessé de progresser en fournissant des efforts réguliers d’abord sur le plan économique, puis sur celui d’une décomplexion politique et enfin par la réunification des deux forces antagonistes. Pendant ce temps la France a déçu en affirmant une supériorité de plus en plus artificielle et il subsume les deux pays dans deux personnages figures symboliques révélatrices: d’une part un pape Allemand à Rome, d’autre part un chef d’Etat de droite en France qui affirmerait avant tout une volonté de remise en ordre autoritaire. Semblant toucher un autre aspect, Stefan Martens s’interroge sur la portée et les limites du traité d’amitié de l’Elysée en l’assimilant lui aussi à un lieu de mémoire immatériel et se pose la question de savoir „si le traité de l’Elysée est un lieu de mémoire franco-allemand“ 64 en y répondant affirmativement. Au contraire, on pourrait penser ce traité en termes de mythe politique selon l’acception de Raoul Girardet: le traité d’amitié de 1963 fait fonction de mythe politique dans la mesure où toutes les initiatives officielles et associatives sont venues s’y axer. L’image de ce traité, signé par Charles de Gaulle et Konrad Adenauer, se présente alors sous la forme de la figure archétypale du „sauveur“: 65 „c’est au nom de la fidélité aux messages qu’ils [les sauvers] ont dictés, de la conformité aux principes qu’ils ont posés ou aux institutions qu’ils ont fondées que l’on entend répondre aux interpellations et aux défis du présent“. 66 Ainsi l’axe fondateur est devenu mythe symbolique historique. Sloterdijk, de son côté, va encore plus loin en prolongeant en quelque sorte la pensée de Girardet qui considère que „les images (des grands hommes) encombrent tous les carrefours de notre histoire“. De rassurance en rassurance, selon la Théorie des après-guerres, toutes ces répétitions concernant les mêmes références débouchent finalement sur une sorte de neutralité faisant perdre la fascination pour la figure de l’autre. „La crise de distance et l’amitié nouée ne signifient au fond qu’une seule et même chose“ 67 car les tensions sont annulées du même coup. En revanche, Slotedijk ne tient pas compte de la construction européenne qui a eu lieu entre l’Allemagne et la France. Il n’y aurait en effet pas eu l’Europe d’aujourd’hui sans le traité initial qui a donné le coup d’envoi. L’Allemagne n’est ni familière, ni ennemie de la France, elle en serait ignorée si elle ne se rattachait pas à l’idée d’Europe. 68 Mais le franco-allemand, leader de l’Europe, ne devient-il pas à son tour un mythe face au chômage dévorant et aux alternatives qui se cherchent? Malgré toutes les objections que l’on puisse soulever, on retiendra que la réconci- 226 Discussion liation franco-allemande a une valeur de modèle conduisant à des actes et à des manières de penser différents. * C’est tout un champ déjà existant, authentique, qui est dégagé, le champ de la symbolique franco-allemande concernant plusieurs registres ou échelles. Ce champ spécifique est encore peu reconnu comme tel et s’inscrit dans les politiques culturelles symboliques soulignées surtout par Pascal Ory et Herfried Münkler. Les symboles permettent enfin des focalisations plurielles sur un même support en présence. „Créatrice de formes, la politique symbolique est, par là même, modelée par la conjoncture“. 69 Le champ franco-allemand des symboles s’utilise aussi comme créativité de mémoire identitaire, comme activité créatrice et comme réseau puisque ces différents éléments sont reliés entre eux ou plutôt reliables. Ces symboles franco-allemands sont un type de représentation sociale de l’interculturel englobant l’histoire culturelle et le souci du quotidien, du présent. La transculturalité enfin se définit donc comme une dynamique de tension liée à un parcours heuristique trouvant sa profondeur dans le symbole qui en parachève le sens en indiquant les directions prises au cours de l’histoire contemporaine et immédiate dans un ajustement perpétuel de nouvelles configurations développant une créativité de la mémoire régulièrement alimentée, car dans le contexte de la mondialisation „la réconciliation franco-allemande a toujours valeur de modèle“ (Stefan Martens). L’accent a été mis sur l’expressivité de ces symboles, qu’il s’agisse de références historiques, politiques ou culturelles. Ces attributs permettent toujours de s’impliquer dans un processus d’identification collective, tout en assurant des interprétations faites de réactivités individuelles selon les contextes et les lieux, ménageant en tout cas un lien entre passé et présent, à partir de modalités d’appréhension et de décodage. Une histoire sans cesse revivifiée et qui n’empêche pas la découverte des valeurs actuelles. La preuve en est donnée par les manifestations conjuguées du 9/ 11 et du 11/ 11 2009 entre Berlin et Paris. Les deux anciennes dates de la mémoire sont devenues des symboles en action par le truchement d’un chassé-croisé: N. Sarkozy rattrapant le faux-bord de Mitterrand à la porte de Brandebourg et A. Merkel acceptant, dans un esprit positif, l’invitation à l’arc-de-triomphe. Tous deux voulant faire du 11 novembre une date de la Paix européenne, une Paxa Europa actuelle. La prochaine initiative sera la mise en place d’un ministère commun sur proposition française, sorte de fuite en avant institutionnelle ce qui n’empêche pas de déplorer l’absence de véritable projet politique commun. De même la Porte de Brandebourg ne peut être séparée des manifestations du 9/ 11 de la place de la Concorde où cette porte a été projetée sur un immense écran entre l’hôtel de Crillon et le ministère de la marine. Ainsi on peut parler d’un dédoublement en faveur de la liberté à Berlin et de la paix à Paris selon les propres termes du discours d’A. Merkel à Paris. Ces nouveaux gestes symboliques sont autant de germes d’actions fonction- 227 Discussion nelles entre les deux pays allant dans le sens d’une cohésion européenne (fête de la paix), au-delà des deux pays concernés s’affichant face à une opinion générale. Contrairement donc à ce qu’affirme Sloderdijk, toutes les constructions communes franco-allemandes militent pour le vivant. Ce qui a déjà été accompli depuis 1963 plaide encore pour la recherche de nouvelles occurrences toujours plus souples et performantes, c’est-à-dire capables de souligner les forces positives de convergence à partir d’une adhérence et d’une cohésion adaptées. Toutes les initiatives citées dans cet article viennent en quelque sorte infirmer les dires de Sloterdijk. Il existe bien une volonté de continuer à bâtir en commun, même si toutes les initiatives ne se rangent pas sur le même plan. L’existence de ces échanges a contribué à faire connaître largement une tendance non démentie, même si des réticences ont existé de part et d’autre. La construction de symboles communs contribue à franchir un cap important dans la reconnaissance et l’affirmation double, bi-étatique des décisions. 1 Par exemple Maurice Agulhon, Les métamorphoses de Marianne, l’imagerie et la symbolique républicaines de 1914 à nos jours, Flammarion, 2001, ou Michel Pastoureau, Les emblèmes de la France, Editions Bonneton, 2001. 2 Par exemple Stiftung Haus der Geschichte der Bundesrepublik Deutschland, Flagge zeigen? Die Deutschen und ihre Nationalsymbole. Begleitbuch zur Ausstellung (du 5 décembre 2008 au 13 avril 2009), Kerber Verlag, 2008, ou Herfried Münkler, Die Deutschen und ihre Mythen, Berlin, Rowohlt, 2009. 3 Horst Möller et Jacques Morizet (sous la direction de), Allemagne-France, lieux et mémoire d’une histoire commune, Albin Michel, 1995 (en allemand: Franzosen und Deutsche. Orte der gemeinsamen Geschichte, München, Beck, 1996), 10. 4 Thomas Keller, Jean-Marie Guillon, „Du lieu de migration au lieu de commémoration - du lieu de commémoration au lieu de migration“, in: Cahiers d’études germaniques, n° 53, 2007 (Lieux de mémoires franco-allemandes, Etudes réunies par Thomas Keller), 8. 5 Françoise Lartillot, „Du mythe aux histoires ‘symboliques’, la méthode Elias“, in: Françoise Lartillot (Coord.), Norbert Elias: Etudes sur les Allemands, L’Harmattan, 2009, 18. 6 Pierre Nora, „Présentation“, in: Pierre Nora (sous la direction de), Les lieux de mémoire, Quarto, Gallimard, tome 1, 1997, 20. 7 Etienne François, Hagen Schulze (sous la direction de), Deutsche Erinnerungsorte, 3 tomes, München, Beck, 2001. 8 La France se réfère avant tout à l’Etat-nation qui est capable de dégager immédiatement une géographie mentale générale. Quand il s’agit de l’Allemagne, la superposition entre réalité culturelle, imaginaire et réalité territoriale ne se consolide pas de la même manière car „l’Allemagne s’est longtemps définie plus en référence à la langue et à la culture qu’à l’état et au territoire“ (Etienne François, „Mémoires divisées, mémoire partagées: à la recherche des mémoires allemandes“, in: Etienne François et Hagen Schulze (sous la direction de), Mémoires allemandes, Gallimard, 2007, 11). 9 Cf. par exemple Brigit Krulic, Europe, Lieux communs, Cafés, gares, jardins publics…, Autrement, 2004. 10 Cf. Pascal Ory, „Pour une histoire des politiques symboliques“, in: Pascal Ory, La culture comme aventure, Editions Complexe, 2008, 85. 228 Discussion 11 Thomas Keller par exemple dégage quatre stades pour que des lieux de mémoire puissent devenir des lieux de reconnaissance franco-allemands: à savoir le lieu de migration (Migrationsort) devient un lieu de souvenir (Erinnerungsort) puis de mémoire collective (Gedächtnisort) et enfin un lieu de commémoration (Gedenkort), cf. Thomas Keller, Jean- Marie Guillon, „Du lieu de migration au lieu de commémoration - du lieu de commémoration au lieu de migration“, art. cit, 7-18. 12 Voir le site officiel de la ville de Sanary (www.sanarysurmer.com „terre et mémoire de l’exil, les écrivains allemands“). 13 Jacques Poumet, „Présentation“, in: Allemagne d’aujourd’hui, n° 173, juillet-septembre 2005 (Lieux de mémoire dans les nouveaux Länder allemands, sous la direction de Jacques Poumet), 4 et 5. 14 Cf. par exemple Dietrich Mühlberg, „Les objets du quotidien: des lieux de mémoire? Spécificités des cultures mémorielles est-allemandes“, in: Allemagne d’aujourd’hui, n° 173, juillet-septembre 2005, 6-25. 15 L’émission Karambolage d’Arte a développé la même tendance face à des objets culturels présents/ absents en Allemagne ou en France révélant ainsi une caractéristique à saisir, une tendance différente qui était souvent ignorée de part et d’autre, cf. par exemple Kathrin Uhde, Karambolage oder die deutsch-französischen Eigenarten mit fremden Augen sehen: eine interkulturelle Fernsehanalyse, Berlin, Avinus-Verlag, 2006. 16 Cf. Joseph Jurt, „Symbolische Repräsentationen nationaler Identität in Frankreich und Deutschland nach 1789“, in: Ruth Florack (ed.), Nation als Stereotyp, Fremdwahrnehmung und Identität in deutscher und französischer Literatur, Niemeyer Verlag, Tübingen, 2000, 115-140. 17 Il ne sera pas question dans le cadre de cet article de revenir sur la définition du symbole: Michel Pastoureau en historien distingue le symbole et l’emblème, Lévi-Strauss en anthropologie lie symbole et structure en systèmes, Sigmund Freud privilégie le point de vue personnel, C. G. Jung développe la notion groupale dans les archétypes, Gilbert Durand s’intéresse à la recherche de lois pour l’imaginaire humain, Todorov procède à une mise au point purement linguistique. Il n’est pas dans notre objectif de rentrer dans une mise au point sur le symbole ou la place du symbole dans les sciences humaines mais de reconnaître qu’il fait figure d’identifiant collectif et d’interprétant en produisant des variations polysémiques de réactivité pour une lecture avertie. 18 Cf. Peter Geiss et Guillaume Le Quintrec (sous la direction de), Histoire/ Geschichte, l’Europe et le monde depuis 1945, Klett/ Nathan, 2006, par exemple le dossier „Gestes symboliques et lieux de mémoire“, 302-303. 19 Baudouin Decharneux et Luc Nefontaine, Le symbole, Puf, 1998, 78 et 79. 20 Marianne et Germania, 1789-1889, un siècle de passions franco-allemandes, catalogue de l’exposition, Les musées de la ville de Paris, 1997. 21 Walburga Sarcher, „Le vocabulaire français d’origine allemande dans les dictionnaires existants“, in: La linguistique, 2003/ 1, 39, 169-172. Walburga Sarcher expose les ambiguïtés des répertoires de référence (datations, classement). 22 Michel Espagne, „Problèmes d’histoire interculturelle“, in: Revue germanique internationale, 4/ 1995, 5. 23 Cf. Johannes Thiele, „Deutsch-französische Lehnbeziehungen“, in: Ingo Kolboom, Edward Reichel (eds.), Handbuch Französisch, Berlin, Erich Schmidt Verlag, 2008, 216-222. 24 Cf. Paul Fischer, Die deutsch-französischen Beziehungen im 19. Jahrhundert im Spiegel des französischen Wortschatzes, Frankfurt/ M., Peter Lang, 1991. 25 Pascale Hugues, Le bonheur allemand, Seuil, 1998. 229 Discussion 26 Michel Tournier, Le bonheur en Allemagne, Maren Sell, 2004. 27 Ulrich Wickert, Vom Glück, Franzose zu sein, Hoffmann und Campe, Hamburg, 1999. 28 Michael Jeismann, Das Vaterland der Feinde, Studien zum nationalen Feindbegriff und Selbstverständnis in Deutschland und Frankreich 1792-1918, Stuttgart, Klett, 1992. 29 Voir www.france-allemagne.fr/ Discours-dePierre-Lellouche-a, 4705.html. 30 Pierre Nora (hrsg.von), Erinnerungsorte Frankreichs, München, Beck, 2005. 31 Etienne François, „Mémoires divisées, mémoire partagées: à la recherche des mémoires allemandes“, in: Etienne François et Hagen Schulze (sous la direction de), Mémoires allemandes, Gallimard, 2007, 23. Signalons un travail historique en commun (francoallemand) entre l’Institut historique allemand de Paris et l’EHESS. Cette histoire francoallemande comportera onze volumes dont cinq sont déjà parus depuis 2005. Le projet porte sur l’histoire du 9 e siècle à nos jours. Projet d’envergure qui apparaît comme un soulignement dirigé vers l’Europe tout entière car les concepts d’approche sont à repenser dans un axe transversal et non en se focalisant sur les relations diplomatiques habituelles. On échappe enfin au moule nationaliste (cf. Werner Paravicini et Michael Werner, éd. par, Deutsch-französische Geschichte, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2005). 32 Cf. Andreas Rittau, „Installation transfrontalière franco-allemande et le Jardin des deux Rives à Strasbourg-Kehl“, in: Documents-Revue des questions allemandes, n° 4, 2004, 54-56. 33 Cf. Andreas Rittau, Interaction Allemagne-France, L’Harmattan 2003, 283-308. 34 Richard Kleinschmager, „Les nouveaux rapports de l’Alsace et de l’Allemagne“, in: Hérodote, n° 80, (1/ 1996), 156-174. 35 Cf. par exemple Odile Kammerer, Entre Vosges et Forêt-Noire, Pouvoirs, terroirs et villes de l’Oberrhein 1250-1350, Publications de la Sorbonne, 2002. 36 Karen Denni, Rheinüberschreitungen-Grenzüberwindungen, die deutsch-französische Grenze und ihre Rheinbrücken (1861-2006), Konstanz, UVK Verlagsgesellschaft, 2008, 289. 37 Cf. Ulrike Voswinckel et Frank Berninger, Exils méditerranéens, écrivains allemands dans le sud de la France (1933-1941), Seuil, 2009. 38 Magali Laure Nieradka, „Sanary-sur-Mer balisé - un lieu de commémoration franco-allemand par excellence? “, in: Cahiers d’études germaniques, n° 53, 2007, 90. 39 Ville de Sanary sur Mer, Sur les pas des Allemands en exil à Sanary 1933-1945, Imprimerie Hemisud, 2004, 120 p. 40 Ce foyer d’exil donne une autre aura à l’attirance régulière et bien connue des Allemand pour le sud de la France, qu’il s’agisse de voyages et d’installations d’artistes. En confirmant autrement ce qui deviendra par la suite une tendance, Sanary s’édifie comme symbole exemplaire à la fois spécialisé et général d’une référence allemande caractéristique du sud de la France au 20 e siècle. 41 Cf. Marianne Amar, Marie Poinsot, Catherine Wihtol de Wenden (sous la direction de), A chacun ses étrangers? France-Allemagne de 1871 à aujourd’hui, (catalogue de l’exposition), Actes Sud/ Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration, 2009. 42 Marie Baumgartner, „A chacun ses étrangers, France-Allemagne depuis 1870“, in: Documents, n° 2, 2009, 69. 43 Christian Jacob, „Introduction: Faire corps, faire lieu“, in: Christian Jacob (sous la direction de), Lieux de savoir, Espaces et communautés, Albin Michel, 2007, 20 et 32 44 Cf. Jacques Leenhardt et Robert Picht (textes édités par), Au jardin des malentendus, le commerce franco-allemand des idées, Denklingen, Babel, 1997, et Fremde Freunde, Deutsche und Franzosen vor dem 21. Jahrhundert, München, Piper, 1997.