eJournals lendemains 36/144

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Narr Verlag Tübingen
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2011
36144

J. Pröll: Das Menschenbild im Werk Michel Houellebecqs

2011
Aurélie Barjonet
ldm361440137
137 Comptes rendus JULIA PRÖLL: DAS MENSCHENBILD IM WERK MICHEL HOUELLEBECQS. DIE MÖGLICHKEIT EXISTENZORIENTIERTEN SCHREIBENS NACH SARTRE UND CA- MUS, MÜNCHEN: M PRESS, MARTIN MEIDENBAUER VERLAGSBUCHHANDLUNG, 2007, 607 S. (FORUM EUROPÄISCHE LITERATUR, 11) ISBN: 978-3-89975-642-5. 68 €. Cet ouvrage est la publication d’une thèse de doctorat soutenue en 2006 à l’Université d’Innsbruck. La rapidité de la publication, ainsi que la présence d’une longue introduction, où le texte des notes est parfois plus long que le texte courant, suggèrent que la thèse n’a pas été reprise en profondeur. On peut regretter ce choix car le thème retenu (l’image de l’homme dans les œuvres de Houellebecq) et la structure générale étaient déjà orientés vers une publication grand public. Un remaniement aurait été judicieux pour un travail qui se donne - à raison - comme „la première présentation générale, dans l’espace germanophone, de l’œuvre de Houellebecq“. L’exhaustivité du Forschungsstand, qui rappelle la nature initiale du texte, est cependant à souligner: un tel bilan international sera utile à tous ceux qui s’intéressent à l’écrivain contemporain. Ce travail, consacré à la représentation de l’être humain dans l’ensemble de l’œuvre de Houellebecq (romans, poèmes, chansons, films, essais), entend circonscrire avec précision le rapport de l’auteur avec les pensées philosophiques de l’existence, essentiellement celles de Sartre et de Camus, mais aussi celles de Beauvoir, Heidegger, Kierkegaard et Schopenhauer. Julia Pröll ne prétend pas hisser Houellebecq au rang des écrivains philosophes mais s’intéresse à la reprise, chez lui, des thèmes centraux de leur pensée pour mieux l’inscrire dans l’histoire littéraire. A la différence des journalistes qui n’ont pas hésité, dans une première période de réception, à rapprocher Houellebecq de l’existentialisme, Julia Pröll ne fait pas de lui le représentant d’un nouvel existentialisme. S’appuyant sur une lecture immanente des textes, elle montre que chez Houellebecq, il y a reprise „avec“ et „contre“ les penseurs de la condition humaine, et - sans surprise - que cette reprise se distingue par une distance fortement ironique (18). Ainsi, Sartre est mobilisé pour définir l’engagement houellebecquien: il y a pour elle un parallèle à faire dans leur définition de la littérature comme une arme qui ouvre des plaies, Houellebecq n’attendant cependant pas comme son aîné de la littérature qu’elle change le monde (96 et 564). Le renvoi à Camus quant à lui permet de montrer que dans Extension du domaine de la lutte et Plateforme, Houellebecq pastiche L’Etranger pour révéler l’incapacité de l’homme postmoderne à la révolte et à l’authenticité (110-114). Guidée par son angle d’attaque, Julia Pröll se consacre d’abord à toutes les stratégies de destruction mises en œuvre par l’auteur à scandale puis - ce qui est plus rarement le cas - fait le point sur ce que Houellebecq envisage comme possibilités de reconstruction du sujet, à savoir l’amour et la création. Ce choix acquiert la valeur d’une intuition au regard du dernier opus de l’écrivain, La Carte et le territoire (2010), tout entier fondé sur ces deux valeurs positives. La première partie est consacrée à des remarques générales sur l’écrivain et sur son œuvre. L’auteur promet de nous éclairer d’une part sur l’homme-protagoniste des œuvres - généralement un antihéros - mais aussi sur le „je lyrique“ des poèmes, d’autre part sur l’homme hors de la fiction, c'est-à-dire sur l’homme-écrivain avec sa subjectivité, celui qui apparaît dans les essais et dans les passages autoréflexifs de l’œuvre (14). Cette distinction s’avère difficilement tenable avec un personnage aussi menteur et provocateur que Houellebecq. La posture de l’écrivain permet en revanche toutes les hypothèses et même les lectures de l’écrivain contre lui-même. Pour Julia Pröll, la cohérence de ses œuvres résulte du „réseau de souffrance“ qu’elles forment (80-84) et cette idée l’autorise à faire un usage récurrent d’un jeu de mot sur „leitmotiv“, à savoir Leidmotiv („motif de la souffrance“). Il faut signaler que depuis cette étude, le récit de la mère de l’écrivain a paru, 138 Comptes rendus sans livrer comme annoncé sur le bandeau de couverture, „les clés de l’œuvre de son fils“. 1 La deuxième partie, qui fait le point sur l’ensemble des stratégies de destruction, traite de manière attendue de l’absurde, de la déréliction, de l’indifférence, du dégoût, de la mauvaise foi, de la condamnation à la liberté, de la mort, mais aussi de la question des relations humaines. L’intérêt de cette partie réside dans les multiples comparaisons qu’établit l’auteur avec les textes et les personnages imaginés par les écrivains-philosophes (Meursault pour l’indifférence, Roquentin pour le dégoût etc.). Du reste, Julia Pröll montre que les textes de Houellebecq semblent souvent illustrer la pensée de Jean Baudrillard également définie par son hostilité au monde postmoderne et à ses simulacres. Mais elle n’évoque pas le reproche qui leur est commun, à savoir d’être des réactionnaires. Par rapport à la philosophie existentielle, il apparaît finalement que Houellebecq procède à un renversement de tous ses concepts, un par un (369). Les solutions envisagées par Sartre et Camus n’en étant plus dans notre société postmoderne, Houellebecq en envisagerait d’autres, mais le plus souvent, il laisserait ses protagonistes étrangers au monde ou ne les ferait accéder à l’authenticité que dans leurs échecs. Les quelques solutions envisagées différencieraient cependant Houellebecq de Baudrillard, qui en resterait à „l’affirmation du négatif“. Houellebecq envisagerait même une solution discréditée par Baudrillard, à savoir la „réappropriation de soi-même“ (374). Si l’auteur est fermement résolue à démontrer que Houellebecq n’est pas qu’un professeur de désespoir - ainsi que l’appelle Nancy Huston -, elle ne peut cependant pas trouver chez lui autant de stratégies de reconstruction que de stratégies de destruction, et cela se reflète dans le déséquilibre entre les parties deux et trois (100 pages de moins pour la troisième! ). Dans l’ensemble, le plan fait apparaître un fort déséquilibre: 55 pages pour la première partie, 259 pour la deuxième, 160 pour la troisième et 24 pour la dernière, consacrée au roman de Houellebecq paru en 2005: La Possibilité d’une île mobilisé pour „vérifier la validité des thèses avancées au sujet des textes précédents“ (21). La solution de l’amour et celle de la création, qui font l’objet de la troisième partie, sont comparées aux idées de l’ensemble des écrivains philosophes sur ces sujets. Ici, Julia Pröll en vient souvent à rapprocher Houellebecq de Camus sans pour autant gommer leurs nombreuses différences, la plus essentielle étant la présence, chez Camus, d’un „soleil inépuisable“ (531). Dans le but de montrer que pour Houellebecq, l’amour peut offrir de manière éphémère une alternative aux valeurs économiques (par la régénération de l’homme léthargique et un accès à un nouveau monde), Julia Pröll s’appuie sur les quelques moments de bonheur que connaissent les personnages romanesques mais de manière plus convaincante encore sur l’œuvre poétique. Dans les romans, où domine le monde néo-libéral, aucune issue durable autre que la destruction de celui-ci ne semble possible, tandis que dans la poésie, le sentiment peut se déployer. La création, refuge ultime dans les romans de ceux qui souvent, ont perdu ou n’ont pas trouvé l’amour, permet à l’écrivain de s’écrier mais surtout, à partir de la souffrance déployée dans ce cri, de s’écrire, moins sous forme d’autofictions que de „nécrofictions autos(t)imulantes“ (530). Si elle parle de „nécrofictions autos(t)imulantes“, c’est parce que les romans de Houellebecq seraient en mesure d’„anticiper la mort d’un grand nombre de ses narrateurs et ainsi de le libérer de visions angoissantes“ (574). La Carte et le territoire valide une fois encore l’hypothèse de Julia Pröll car Houellebecq y met en scène son propre meurtre, ainsi que son enterrement! Enfin, dans cette partie, elle montre tout l’intérêt de son point de vue quand elle compare la fonction positive de la musique dans La Nausée, les idées de Ca- 1 Lucie Ceccaldi, L’Innocente. Récit, Paris: Scali, 2008. 139 Comptes rendus mus sur cet art, sa place dans les romans et les essais de Houellebecq ainsi que la pratique musicale de ce dernier (463-473): tous les trois considèrent que la musique s’adresse aux émotions et non à la raison. Une distinction plus générale est établie: les romans de Houellebecq articuleraient le rationnel et l’analytique, ses poèmes le pathétique, et ses chansons parleraient surtout aux émotions (472-3). Sur cette distinction entre les genres, on se référera aussi à sa pyramide des genres houellebecquiens (463). Ce chapitre est salutaire car il permet d’échapper au rejet pur et simple par la diabolisation et même la haine de l’écrivain tel que le pratique François Meyronnis. Dans un essai paru la même année que la thèse de Julia Pröll (raison pour laquelle il n’en est pas question dans cet ouvrage), Meyronnis accuse, plus violemment encore que Nancy Huston, le nihilisme provocateur et à ses yeux non-littéraire dont se rend coupable la production contemporaine, et dont il fait de Michel Houellebecq et de Jonathan Littell les pires avatars, les traitant respectivement de „pleureur arsénieux“ et de „charogne cérébrale“. 2 Ironiquement, Meyronnis prône comme antidote à ces auteurs une rédemption par l’amour, preuve que le chapitre de Julia Pröll sur ce même sujet n’est pas inutile. Enfin, il faut noter que l’auteur donne aux travaux précurseurs de Rita Schober sur Houellebecq leur juste valeur. Elle rappelle que la grande spécialiste de Zola dans le monde germanophone fut la première, en Allemagne, à consacrer une réflexion universitaire à Houellebecq. Dans plusieurs articles, Rita Schober a fait de cet écrivain le représentant d’une nouvelle tendance littéraire qui se caractérise par un éloignement de l’écriture, issue du Nouveau Roman, et un retour au réel. A l’instar de cette dernière, Julia Pröll lit l’œuvre à rebours (14), c’est-à-dire qu’elle n’en reste pas à l’„actionnisme destructeur“ de Houellebecq. 3 De même, elle reprend l’intuition de Rita Schober concernant le rôle attribué par Houellebecq dans ses essais à la lecture: celui d’être potentiellement un acte de résistance. De fait, la lecture permettrait à l’individu de mener une „révolution froide“ contre la destruction opérée par la société (34). Le texte est rédigé dans un style clair (bien que l’auteur affectionne l’usage actuel des guillemets servant à marquer une distance vis-à-vis de son propre énoncé) et se distingue plusieurs fois par ses trouvailles linguistiques. Vu l’épaisseur de l’ouvrage, un index aurait été le bienvenu, ainsi qu’un classement thématique de la bibliographie secondaire. Aurélie Barjonet, Université de Versailles St-Quentin (Centre d’Histoire culturelle des Sociétés contemporaines, CHCSC) PETER KUON (ED.): TRAUMA ET TEXTE, FRANKFURT A. M., PETER LANG, 2008 (COLL. KZ-MEMORIA SCRIPTA, 4) Le volume Trauma et Texte est issu du colloque international qui s’est tenu à Salzbourg du 28 juin au 1 er juillet 2006. Cet événement a pu être réalisé grâce à la collaboration entre l’université de Salzbourg (KZ-memoria scripta) et l’université de Bordeaux 3 (LA- PRIL). L’intérêt de ce colloque est double; d’une part parce que les contributeurs proviennent de pays très différents (Autriche, France, Allemagne, Italie…), d’autre part parce que ce colloque parvient à faire dialoguer des personnes dont les spécialités demeurent par- 2 François Meyronnis, De l’extermination considérée comme un des beaux-arts, Paris: Gallimard, 2007, Coll. „L’Infini“, 46. 3 Rita Schober, „Weltsicht und Realismus in Michel Houellebecqs utopischem Roman Les Particules élémentaires“, Zeitschrift für Literaturgeschichte, Heft 1/ 2, 2001, 181, ou comme l’appelle Julia Pröll son „unilatéralité destructive“ („destruktive Eindeutigkeit“, 27).