eJournals lendemains 34/133

lendemains
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Narr Verlag Tübingen
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2009
34133

Latinité vs. germanité

2009
France Nerlich
ldm341330162
162 France Nerlich Latinité vs. germanité: un fantasme identitaire de l’histoire de l’art allemande (…) denn lateinisch! und germanisch! Das ist der Gegensatz, um den es sich in Europa auch in der Kunst handelt1 A la lecture des textes traitant de la peinture française contemporaine qui paraissent en Allemagne tout au long du XIX e siècle, on est avant tout frappé de leur nombre et de la redondance d’un discours presque uniforme qui émane de la plume de critiques d’art amateurs comme de celle de sommités scientifiques confirmées. La manière dont nombre de ces auteurs abordent la peinture française participe d’un système de pensée symptomatique de l’état général des sciences humaines de l’époque et reflète les préoccupations d’une histoire de l’art qui, en devenant discipline scientifique, a dû se forger des instruments de travail pour répondre à une question centrale: comment intégrer la complexité des manifestations artistiques dans un système logique et cohérent. La conception nationaliste qui s’impose dès la fin du XVIII e siècle dans toutes les sciences humaines devient également le fondement philosophique de l’histoire de l’art. 2 Si cette quête des caractéristiques „nationales“ comme explication des différences dans l’expression artistique des peuples à travers l’histoire, repose en grande partie, pour ce qui est de l’histoire de l’art, sur les propositions de Johann Joachim Winckelmann, l’interrogation sur l’identité culturelle et idéologique d’une nation devient un thème obsessionnel dans l’Allemagne de la fin du XVIII e siècle et du début du XIX e siècle. La fragilité de l’identité allemande, fragmentée en différents royaumes et villesétats, est ressentie de façon cruciale à un moment où elle est exposée une fois de plus à la menace d’une conquête à la fois militaire, politique mais aussi philosophique par la France. 3 Ce raccourci schématique permet de comprendre comment un texte comme les Discours à la nation allemande (1808) de Johann Gottlieb Fichte a pu avoir une influence décisive dans la constitution des disciplines scientifiques allemandes. 4 Le discours de Fichte répond en effet à l’état d’esprit de certains intellectuels contemporains et aux aspirations patriotiques générées par ce que la plupart d’entre eux considèrent comme une humiliation infligée par Napoléon aux différents Etats allemands. Nombre d’auteurs exhortent les Allemands à redevenir „une“ nation allemande en se souvenant de leur culture germanique commune afin d’affronter la nation ennemie, si puissante et si unie. Mais Fichte va plus loin que les fréquents appels à l’unité allemande diffusés dans des pamphlets et des feuilles volantes appelant à bouter hors d’Allemagne les armées napoléoniennes. 5 Il offre en effet un véritable fondement philosophique et scientifique à ce discours, en 163 exposant les raisons logiques de la supériorité de la culture germanique de la nation allemande sur son pendant antagoniste, la culture „romane“ de la France. Catalyseur d’idées contemporaines, le texte de Fichte sert de socle à toute une réflexion sur l’identité allemande qui va se cristalliser dans cette dichotomie fondamentale „France-Allemagne“, „Romania-Germania“. Les arguments historiques avancés par Fichte pour expliquer cet antagonisme semblent relever de prime abord de la linguistique, la langue exprimant la nature profonde d’un peuple. Il s’attache ainsi à démontrer que contrairement aux Allemands, les Français ne disposeraient pas d’une langue vivante, mais d’une langue importée et morte, néolatine, donc artificielle et non-naturelle qui les sépareraient de leur langage originel ainsi que de leur identité première. Pour cette raison, les Français ne seraient pas capables d’exprimer naturellement les mouvements de leur âme et ne pourraient donc pas produire de réflexion profonde ou éprouver un vrai enracinement culturel. 6 Comme les Allemands auraient toujours résidé au même endroit et résisté aux influences dominatrices étrangères, ils auraient conservé leur langue originelle. Celle-ci leur permettrait de vivre dans une harmonie totale, grâce à la compréhension spontanée d’une langue naturelle, autorisant toutes les classes à partager le savoir et la philosophie. Ce lien à son état originel ferait de l’homme germanique un penseur profond et un poète véritable puisqu’en unisson avec son âme. Les pays parlant des formes modernes du latin resteraient en revanche figés dans une artificialité moribonde, flottant à la surface d’un langage étranger et „appris“, incapables de véritable poésie: ainsi les littératures romanes n’intéressent Fichte qu’aussi longtemps que les poètes ont exprimé leur identité germanique, c'est-à-dire jusqu’à la fin du Moyen-âge. Il considère en effet que l’homme roman ne dispose de la langue que comme d’un bien extérieur à lui-même, et qu’il ne produirait donc que des constructions artificielles, sa philosophie se résumant à une explication du dictionnaire, allusion évidente aux ouvrages des philosophes des Lumières, notamment à l’entreprise de l’encyclopédie de Diderot. 7 Fascinés cependant par l’habileté et l’élégance des „néo-latins“ (en fait les Français), les Allemands auraient tendance à vouloir les imiter, honteux de leur „naturel primitif“. 8 Déplorant le manque de confiance de ses compatriotes en leur propre culture, Fichte s’applique à démontrer, dans ses quatorze conférences, la supériorité de la culture germanique sur la culture romane et dresse les antagonismes en un système dichotomique efficace, opposant vie et mort, état originel et état artificiel, inné et appris, profondeur et superficialité, âme et esprit, courage et lâcheté, force et faiblesse, etc.. 9 Une lecture superficielle du texte - celle de la censure française en 1808 - ne comprend ces Discours que comme un ouvrage savant consacré à l’étude comparée des langues „germanique“ et étrangères jamais vraiment définies. Mais une lecture attentive révèle la véritable nature du texte: il s’agit bien d’un discours virulent visant à établir la supériorité de la nation allemande sur la nation française. Les fondements du texte qui se présentent comme philosophiques lui confèrent une dimension inédite et offrent un point de départ essentiel pour les sciences humaines en quête de la définition de l’identité culturelle alle- 164 mande. 10 La dualité franco-allemande permet de concevoir une identité allemande en opposition à l’identité française. La polarité des deux „peuples“ devient ainsi fondamentale pour la réflexion sur l’identité allemande, comme le souligne avec violence Friedrich Gottlieb Welcker dans son pamphlet, Warum muss die französische Sprache weichen und wo zunächst? , exigeant la suppression de toute connaissance sur la France en Allemagne afin que l’être allemand puisse s’épanouir à nouveau dans toute sa pureté et son intégrité. 11 Si la virulence francophobe de Welcker s’explique par la situation historique immédiate, elle ne doit pas être considérée comme une simple émanation provisoire d’un sentiment antifrançais. Cette pensée anti-française devient en effet système, à tel point que Goethe se voit contraint de s’expliquer sur le fait qu’il n’ait pas lui aussi composé de chants de haine contre la France: mais pour le poète, aussi soulagé qu’il ait été lors du départ des troupes françaises, il n’a jamais été question de haïr une nation „qui appartient aux plus cultivées de la terre“ et à laquelle il doit „une grande partie de [s]a propre éducation“. 12 Mais les propositions de Fichte, qui s’accordent avec les opinions „anti-classiques“ et donc „anti-françaises“ de tout un courant romantique sous l’égide des Schlegel, 13 trouvent un écho durable dans une large frange de la pensée allemande contemporaine. De même que les discours de Fichte influencent la conception des sciences romanes (Romanistik) en Allemagne qui dans un premier temps s’orientent vers toutes les autres langues romanes - l’étude du français se limitant à l’ancien français et à la littérature médiévale jusque dans les années 1920 -, 14 ils offrent une toile de fond à la réflexion allemande sur l’art français et le système sémantique dichotomique qui y est mis en place constitue un répertoire permanent pour la critique artistique allemande confrontée à la peinture française contemporaine. 15 Fossilisation d’un certain discours sur l’art français En 1921, l’historien d’art francophile, Otto Grautoff, achevait son ouvrage sur les plus récentes manifestations de l’art contemporain en France par l’évocation du courant cubiste, „cette théorie conçue avec intelligence, mais sans considérations pour les possibilités des sens et de l’esprit“. 16 Il y raille ses confrères allemands qui cherchent à déceler dans ces œuvres la profondeur „des mouvements de l’âme“, alors même qu’il ne s’agirait que d’un jeu sur la forme. Si Grautoff juge avec lucidité la vanité de ces quêtes de „l’âme“ des théoriciens allemands, il demeure lui-même, malgré ses affinités avec la France, prisonnier de ce système de pensée qui veut que les Français soient - en raison de leur race - les maîtres de la forme, prisonniers des règles, incapables de créer librement. S’extirper d’un mode de pensée alors qu’il est toujours d’actualité s’avère effectivement difficile. D’autant plus que le système mis en place au début du XIX e siècle se révèle toujours aussi vivant dans les premières décennies du XX e siècle où l’on continue à déduire le caractère national des manifestations artistiques et inver- 165 sement. Les leitmotive de la critique d’art allemande à l’égard de la peinture française que l’on rencontre dans les textes du milieu du XIX e siècle gardent ainsi encore toute leur actualité. Condensée en une paire sémantique particulièrement efficace, l’opposition est résumée par la différence entre „esprit“ et „Geist“, cette fameuse distinction, récupérée en 1927 pour le titre de l’ouvrage du romaniste Eduard Wechssler, professeur à l’université de Berlin, Esprit und Geist. Versuch einer Wesenskunde des Deutschen und Franzosen, synthèse convaincue des stéréotypes antagonistes entre Français et Allemands. 17 On peut être surpris de la longévité de ce discours sur la France jusque tard dans le XX e siècle: 18 les historiens d’art qui se sont penchés sur l’histoire de la discipline constatent avec horreur les dérives scientifiques d’une histoire de l’art formaliste qui a produit des thèses racistes au cours des années 1920-1930. 19 Mais il faut bien comprendre que l’image de la France „ennemie héréditaire“, celle qu’en 1933 un certain Adolf Hitler voulait éliminer à cause du danger qu’elle représentait pour la race blanche européenne, 20 a été forgée depuis le début du XIX e siècle pour servir à définir par opposition une identité allemande encore floue et insaisissable. Dans le domaine de l’art, c’est entre le monde germanique, qui comprend par extension également l’art anglais, l’art néerlandais, l’art scandinave, etc., et la sphère romane ou latine, essentiellement représentée par l’art françaisque va se jouer au XIX e siècle la lutte pour l’art moderne. 21 Notons tout d’abord que le rôle que joue l’école française dans la réflexion sur l’art vivant n’est d’aucune commune mesure avec celui des autres écoles étrangères. C’est la peinture française qui occupe le plus de place dans les revues artistiques, en particulier au moment où paraissent les longs comptes-rendus de Salon, vitrine médiatique par excellence de l’école française contemporaine. Le public allemand est bien plus informé de „l’actualité“ des peintres français - de leurs déplacements, de leurs dernières productions ou des reproductions d’après leurs œuvres principales - que de celle des peintres anglais ou italiens du moment. De même, les œuvres françaises présentées aux expositions allemandes comme celle de l’Académie royale des Beaux-arts de Berlin retiennent tellement l’attention des critiques locaux qu’ils leur consacrent souvent une place plus importante qu’aux peintres allemands. Mais c’est avant tout dans les textes généraux consacrés à l’art français et les bilans réguliers sur l’état de l’art en France au moment du Salon que va se développer toute une rhétorique dont les variations sur le modèle de Fichte sont innombrables: la peinture française est ainsi généralement qualifiée d’artificielle et de superficielle parce que le Français ne possèderait que les secrets techniques et ne serait pas capable de „profondeur“, elle serait dictée par la raison et le calcul parce que le Français ne serait pas capable de ressentir d’émotion et d’exprimer la poésie, elle serait orientée vers l’effet et la pompe parce que le Français serait orgueilleux et qu’il aimerait plaire, elle serait frivole et légère, théâtrale et immorale parce que le Français serait tout cela. 22 Les différents travers dénoncés de façon récurrente dans ces textes critiques - le caractère théâtral, figé, larmoyant, terrifiant ou atroce - sont expliqués par l’obsession des Fran- 166 çais pour la forme: comme ils ne disposeraient pas des ressources poétiques pour le fond de leurs œuvres, ils seraient contraints de consacrer toute leur énergie à la forme de la représentation. 23 Les critiques allemands confrontés aux „sujets atroces“ et „répugnants“ („grausam“ et „widerlich“) 24 attaquent cette recherche d’effets („Effekthascherei“) qui, caractéristique de l’art français, pousserait les artistes à choisir des voies plus faciles pour toucher le public et leur ferait transgresser les limites de l’esthétique et de l’éthique avec des scènes insoutenables de cruauté ou de laideur. 25 Ce serait là l’aspect ultime et pervers d’un art uniquement orienté vers la forme. Cette critique du formalisme de l’art français transpose dans l’histoire de l’art le conflit philosophique qui oppose nombre de philosophes allemands à la tradition classique et rationaliste française. 26 Un autre aspect récurrent dans le discours allemand sur l’art français est la critique du rapport trop étroit que les arts entretiennent avec la politique. Ludwig Schorn, le rédacteur du Kunstblatt - journal artistique qui domine de 1816 à 1849 le monde des arts en Allemagne - avait déjà dénoncé ce „poison destructeur“ dans un compte-rendu des Lettres à David sur le Salon de 1819, 27 le seul nom de David suffisant d’ailleurs à ses yeux à évoquer tout le danger d’une telle union. 28 Schorn voyait dans la politique la mort de l’amour véritable pour l’art, et se consolait de voir que les artistes allemands conservaient pur leur sens de l’art. Cette thèse revient en permanence dans la critique allemande du XIX e siècle et aboutit toujours à la même conclusion sur la nocivité de l’emprise politique sur les arts, qu’il s’agisse de l’Empire ou de la Restauration, de la Monarchie de Juillet ou du Second Empire. Si certains auteurs présentent parfois la politique artistique française comme un modèle du genre - surtout du point de vue des artistes allemands qui souhaitent bénéficier d’un soutien similaire -, on dénonce plus souvent la perversité qui se cacherait derrière l’efficacité de l’aide apportée aux artistes: le gouvernement du Second Empire aurait ainsi, en couvrant ses artistes d’or et de médailles, fait croire à un épanouissement naturel et général des arts alors qu’il était en train de le faire pourrir de l’intérieur. La disparition de la religiosité dans la société française contribuerait à la décadence morale et donc artistique du pays, comme le répète inlassablement Eduard Collow, le correspondant à Paris du Kunstblatt. Il est aussi intéressant de noter à quel point les textes sur l’art français ancien font écho aux conclusions de l’étude linguistique de Fichte, notamment dans l’interprétation historique des causes de l’état décadent de la peinture française actuelle: la plupart des auteurs s’accordent en effet à dire que l’art français a été „national“, et donc authentique, jusqu’à la fin du Moyen-âge, mais qu’avec le règne de François I er il serait devenu artificiel en raison de l’arrivée des peintres italiens. L’art gothique serait ainsi encore l’expression authentique - et germanique - d’un art profondément enraciné, alors que l’art moderne serait le résultat d’une aliénation à l’autre. 29 De cette aliénation, les auteurs déduisent d’une part le caractère artificiel de toute production française, d’autre part l’absence d’une école nationale véritable. La diversité stylistique de l’art français contemporain qui déroute les criti- 167 ques qui tentent de traquer le trait de caractère national finit par devenir la preuve de l’incapacité des Français à exprimer de manière authentique leur nature véritable: leur art serait le résultat d’un froid calcul, oscillant sans cesse entre des extrêmes artificiels et s’éparpillant en une infinité de directions. 30 Parmi les innombrables conclusions tirées alors sur la peinture française contemporaine, celle qui considère que la peinture de genre serait la forme la plus appropriée au caractère national français est, avec toutes les conséquences que cela implique, sans doute la plus symptomatique des tendances de ce discours qui rejoint la condamnation de Molière comme avatar ultime de l’aliénation de la langue française chez Fichte et comme décadence artificielle chez Schlegel. Au-delà des stéréotypes, face aux œuvres A force de répéter inlassablement les arguments de cette structure dichotomique qui renvoie dos à dos Français et Allemands, le discours finit par perdre de vue l’objet de son analyse. De fait, alors que, de David à Manet, l’art change d’aspect, les termes restent sensiblement les mêmes, signe qu’il s’agit moins d’une lecture rapprochée des œuvres que de la répétition d’une forme de litanie autosuffisante. Si l’on ne s’en tenait qu’à ces textes, on en viendrait à croire que l’art français n’a pas vraiment été vu par les auteurs allemands, mais qu’il a surtout servi de prétexte à une sorte de thérapie collective visant à établir ex exemplo negativo une identité collective, intellectuelle, artistique, idéologique et spirituelle. De fait, la grande majorité des textes sur l’art français s’apparente à une condamnation définitive - généralement associée à une critique de l’état de la société française décadente et immorale. Certains appellent cependant de leurs vœux la fusion des deux caractères complémentaires: l’Allemand, introverti et poétique, et le Français, léger et brillant, pourraient, s’ils s’assemblaient, donner lieu à l’équilibre parfait d’un art nouveau. 31 Le regard porté sur l’art français permet donc aussi aux auteurs d’envisager, par un mouvement de retour, les forces et les faiblesses de l’art allemand. Mais les textes qui demeurent ancrés dans cette vision schématique reviennent généralement à la conclusion d’une suprématie sinon de l’art allemand du moins du caractère honnête, sérieux et grave de l’homme allemand. A la lecture des innombrables textes sur l’art français qui paraissent en Allemagne tout au long du XIX e siècle, on mesure à quel point les fondements idéologiques conditionnent les réflexes par rapport aux œuvres. Auteurs comme lecteurs voient la „théâtralité“, la „superficialité“, la „légèreté“ dans les œuvres françaises parce qu’ils sont habitués à ce type de vocabulaire et à ce type de lecture. La connaissance médiate des œuvres contribue à éloigner des yeux la plastique des œuvres pour laisser place au discours inlassablement répété. Toutefois, quelques auteurs sont parvenus à dépasser l’antagonisme „germano-romain“ ou „francoallemand“ comme proposition axiomatique de la conception d’une identité allemande, à la fois artistique, philosophique et biologique, pour se plonger dans des 168 analyses alternatives et nuancées. Si la richesse de ces expériences ne peut être ici retracée in extenso, nous nous contenterons de rappeler que les œuvres françaises qui circulèrent en Allemagne déclenchèrent des réactions nouvelles liées à la rencontre physique avec les œuvres. 32 Confronté aux couches de pigment épaisses des tableaux exposés chez le marchand d’art Sachse à Berlin, Adolph Schöll rejette explicitement les idées reçues sur l’art français et se lance, exalté, dans la réinvention du langage critique, 33 tandis que face aux œuvres présentées à Leipzig en 1839, Gustav Theodor Fechner procède à une analyse systématique et expérimentale des œuvres sans tenir compte de leur nationalité. 34 Parmi les rares auteurs qui parviennent à porter sur l’art français un regard dénué de préjugés, Julius Meyer joue un rôle de premier ordre. Conservateur du musée de Berlin, 35 plus connu aujourd’hui pour avoir été le beau-père de Conrad Fiedler, il est en effet l’auteur d’une brillante synthèse sur l’Histoire de la peinture française moderne depuis 1789 qui paraît en 1867. 36 L’ouvrage se distingue des textes mentionnés plus haut par l’absence de jugements stéréotypés et par la clarté d’une analyse objective. Marqué par Hegel et David Friedrich Strauss, Meyer révèle une grande intelligence de l’art français qu’il connaît parfaitement bien jusqu’à ses acteurs les plus récents. Il ne manque pas d’envisager l’art dans son contexte historique, tentant ainsi d’expliquer la singularité des individualités artistiques qu’il traite tout en donnant un aperçu plus global de l’évolution de la peinture française en général - et c’est sans doute sur ce dernier point que son étude date le plus. Les résultats de son travail sont d’une réelle importance à la fois pour l’histoire de l’histoire de l’art et pour les perspectives qu’il ouvre dans l’étude des artistes français de cette époque, mais hormis l’article de Hans Lüthy de 1974, 37 aucune étude récente ne lui a été consacrée et l’histoire de l’art contemporaine semble avoir complètement occulté son nom de la recherche sur l’art français du XIX e siècle, alors même qu’il sert de référence à de nombreux dictionnaires. 38 On mesure pourtant particulièrement la pertinence de son texte lorsqu’on le compare à la plupart des écrits contemporains dont il émerge avec force, s’essayant à l’objectivité scientifique positiviste comme son contemporain Anton Springer. Les réactions contemporaines à la publication de l’ouvrage ne manquent d’ailleurs pas: tandis que les uns apprécient la richesse du travail dont la méthode montre l’exemple du travail „historien“, documenté et érudit, en opposition aux déductions nationalistes, religieuses et psychologiques, les autres s’offusquent de ses conclusions anti-nationales. Il se fait ainsi attaquer par Hofstede de Groot qui prône dans sa biographie consacrée à Ary Scheffer les vertus idéales et religieuses de l’homme et du peintre, ainsi que sa „magie“, sa „piété“, sa „germanité“, et qui n’admet pas le jugement de Julius Meyer qui ne voit dans les œuvres religieuses de Scheffer qu’une „symbolique frigorifiée“ ou des représentations allégoriques qui ne correspondent pas à la conception religieuse de l’époque. 39 Pour de Groot, il est évident que le point de vue de Meyer manque d’élévation, puisqu’il qualifierait même la résurrection chrétienne par les peintres allemands comme Cornelius, Kaulbach ou Lessing, de „Nazarénisme excité de l’art allemand“. 169 L’ouvrage de Meyer s’achève certes sur une note pessimiste quant à l’évolution future de l’art contemporain français, 40 mais il nous ouvre la piste d’une autre réception que ce discours stéréotypé omniprésent que nous avons longuement évoqué. Il serait en effet faux de réduire la réception de l’art français en Allemagne à ces positions idéologiques hostiles ou fossilisées dans une rhétorique répétitive. Derrière la prépondérance d’un discours théorique peu favorable à l’art français, l’Allemagne se révèle une terre d’accueil tout à faire ouverte et réactive pour les images françaises. L’attitude de „l’Allemagne“ ne se résume pas à une francophobie manifeste et généralisée et ces textes - bien qu’ils dominent le débat et qu’ils émanent aussi bien d’amateurs que de professionnels de l’art - ne représentent en réalité qu’une facette de cette relation complexe. De fait, le „grand public“, entité difficilement qualifiable et quantifiable, réserve au contraire un accueil favorable aux „produits“ français, qu’ils soient littéraires, artistiques ou autres. C’est ce que souligne Nicolas Martin en 1847 dans L’Artiste, dans un article consacré à ses impressions d’un voyage effectué en Allemagne. 41 Ce qui frappe le plus un Français au delà du Rhin, c’est l’engouement que provoquent à cette heure, en Allemagne, les idées, les modes, la langue et les livres de la France. (…) Apprendre la langue française n’est pas un objet de luxe en Allemagne; on l’enseigne dans les écoles élémentaires; le moindre artisan est en état de soutenir passablement une conversation française. (…) Parmi nos écrivains modernes, Eugène Sue, George Sand et Béranger font surtout fureur présentement au delà du Rhin. La gravité sentimentale, l’humanitarisme ainsi que la curiosité de l’esprit allemand, en ce qui concerne la France, expliquent la vogue incomparable qu’ont rapidement conquise en Allemagne les Mystères de Paris. Les questions sociales, mêlées à l’intrigue d’ailleurs fort attachante de ce roman, en ont doublé la valeur aux yeux de la consciencieuse Allemagne, et désormais Eugène Sue est pour elle non seulement un grand romancier, mais qui plus est, un grand philosophe. (…) La popularité croissante de notre Béranger en Allemagne prouve en faveur des progrès politiques de la nation. Cette popularité prend sa source dans l’admiration des Allemands pour Napoléon, et dans le besoin de liberté et de vie pratique qui les tourmente généralement à cette heure. Et il ajoute comme preuve de son témoignage l’Ode à la France composée par le poète de Düsseldorf, Wolfgang Müller: Salut, peuple de France! Un chant doit aujourd’hui résonner en ton honneur, un chant glorieux, un chant qu’anime une jeune et joyeuse sympathie fraternelle. La pusillanimité, la sottise, la haine et la jalousie auront beau dire, le cœur loyal et content de l’homme libre n’en bat pas moins dans ta poitrine. (…) Ainsi que les roses, les Beauxarts et les libres sciences ont crû de tout temps sur ton sol. Ton généreux exemple anima les peuples d’une émulation féconde. Ou l’aveugle déraison peut seule méconnaître le génie de tes penseurs, de tes poètes, que la vérité doit proclamer maîtres en tous lieux. Salut terre et peuple de France! (…) C’est toi qui briseras les dernières entraves dont souffre encore l’humanité, toi dont l’esprit est plein de courage et la main pleine de force. Si l’auteur de L’Artiste évoque avant tout l’engouement du public allemand pour la littérature française moderne et que le poète allemand exprime dans son ode les 170 espérances politiques libérales du Vormärz, les deux voix nous disent aussi que les sentiments de l’Allemagne pour la France ne se limitent pas à ces professions de „sottise“ et de „haine“. Dans le domaine de l’art, les rencontres entre artistes français et allemands génèrent des relations fécondes, les collectionneurs s’arrachent les œuvres françaises et les mouvements progressistes et libéraux - aussi bien politiques qu’artistiques - s’emparent des œuvres françaises pour en faire leur cheval de bataille contre le caractère passéiste d’une certaine production artistique allemande. Loin de se réduire à une relation de domination comme le suggèrent des auteurs comme Louis Dussieux ou Louis Réau, 42 la présence des œuvres françaises en Allemagne donne lieu à des réactions contrastées qui révèlent ce que les détracteurs de la France cherchaient à évincer: un réseau de relations intellectuelles, artistiques, commerciales et sentimentales fondé sur les convictions cosmopolites héritées des Lumières. C’est à partir d’un matériau moins visible que les articles parus dans la presse, à partir de fonds d’archives, de catalogues d’expositions et de collections de l’époque, et en retraçant les pratiques culturelles des sociétés d’art et en remettant en valeur des textes critiques peu pris en considération jusqu’alors, qu’apparaît l’importance de la présence et du succès public de la peinture française contemporaine dans une grande partie du pays. La peinture française n’est ni complètement occultée en Allemagne durant la période qui nous intéresse, ni omniprésente partout et à tout moment. Contrairement à l’idée reçue que c’est par le biais des critiques d’art que le public allemand a appris à connaître la peinture française dans une dimension plus théorique que pratique et que la véritable réception ne se faisait que grâce à des déplacements à Paris comme le suggérait le travail de Wolfgang Becker, 43 nos recherches montrent bien que la peinture française était visible et vivement discutée dans les villes allemandes. Au point qu’aux yeux de certains amateurs, il était parfois plus facile de voir des œuvres françaises en Allemagne qu’à Paris! 44 Au-delà du discours, cette expérience directe des œuvres françaises en Allemagne doit être prise en compte pour comprendre les enjeux véritables de la réception dans le travail des peintres, la réflexion des critiques d’art, le goût du public, enfin dans la société civile tout entière. Se contenter des textes ne permettrait pas d’en saisir l’ampleur réelle. Se défaire du discours dominant pour entrevoir une réalité plus nuancée n’est pas seulement un défi pour les critiques d’art d’antan, mais aussi et surtout pour le chercheur d’aujourd’hui. 1 Dr. Henri Sloman, Leichte Blätter über die Pariser Kunstausstellung, über Klaus Groth’s Roman und die neue französische Übersetzung seiner Gedichte, Kiel, Schwersche Buchhandlung, 1859, 108. 2 Hubert Locher, „Stilgeschichte und die Frage der ‘nationalen Konstante’“, in: Zeitschrift für Schweizerische Archäologie und Kunstgeschichte, Band 53, 1996, Heft 4, 285-293. 3 Voir France Nerlich, „Le Panthéon des Allemands ou comment l’Allemagne éclairée honore ses grands hommes“, in: Thomas W. Gaehtgens et de Gregor Wedekind (dir.), Le 171 Culte des grands hommes en France et en Allemagne, 1750-1850, Maison des Sciences de l’homme, Passages/ Passagen, vol. 16, Paris, 2008. 4 Chargé par le gouvernement de Prusse de concevoir la future université de Berlin, Fichte élabore le projet d’une école de la pratique de la pensée (Deducirter Plan einer zu Berlin zu errichtenden höhern Lehranstalt, Stuttgart, 1817), mais son principe de fonctionnement très dogmatique (il prévoit en effet une seule chaire de philosophie pour ne pas susciter de débats) est rejeté. Si son projet n’aboutit pas, les conférences de l’hiver 1807- 1808 ont une influence notable sur les sciences humaines. 5 Voir par exemple le pamphlet du comte de Wittgenstein au titre trompeur, destiné à cacher à la censure un fervent appel à tous les Allemands à se rassembler autour du roi de Prusse pour combattre Napoléon et l’armée française: Graf von Wittgenstein, Napoleons edle Handlungen gegen den Rheinbund, den Papst und seine wohlwollende Gesinnung gegen die Deutschen, März 1813: „Kommt! Kommt! Ihr mögt Euch nennen, wie Ihr wollt, Westphälinger oder Sachsen, Baiern oder Hessen, alles gleichviel! wenn ihr nur Deutsche seyd, und deutsche Herzen mitbringt“. 6 Johann Gottlieb Fichte, Reden an die Deutsche Nation, Reinhard Lauth (ed.), Hambourg, 1978, 67-71. 72: „Somit ist unsre nächste Aufgabe, den unterscheidenden Grundzug des Deutschen vor den andern Völkern germanischer Abkunft zu finden, gelöst. Die Verschiedenheit ist sogleich bei der ersten Trennung des gemeinschaftlichen Stamms entstanden, und besteht darin, dass der Deutsche eine bis zu ihrem ersten Ausströmen aus der Naturkraft lebendige Sprache redet, die übrigen germanischen Stämme eine nur auf der Oberfläche sich regende, in der Wurzel aber tote Sprache. Allein in diesem Umstand, in die Lebendigkeit, und in den Tode, setzen wir den Unterschied; keinesweges aber lassen wir uns ein auf den übrigen innern Wert der deutschen Sprache. Zwischen Leben und Tod findet gar keine Vergleichung statt, und das erste hat vor dem letzten unendlichen Wert; darum sind alle unmittelbare Vergleichungen der deutschen und der neulateinischen Sprachen durchaus nichtig, und sind gezwungen von Dingen zu reden, die der Rede nicht wert sind. Sollte vom innern Werte der deutschen Sprache die Rede entstehen, so müsste wenigstens eine von gleichem Range, eine ebenfalls ursprüngliche, als etwa die griechische, den Kampfplatz betreten“. 7 Fichte, 1978, 79-80: „Es erhellet im Vorbeigehen, dass beim Volke einer toten Sprache im Anfange, wie die Sprache noch nicht allseitig klar genug ist, der Trieb des Denkens noch am kräftigsten walten, und die scheinbarsten Erzeugnisse hervorbringen werde; dass aber dieser, so wie die Sprache klarer und bestimmter wird, in den Fesseln derselben mehr ersterben; und dass zuletzt die Philosophie eines solchen Volks mit eignem Bewusstsein, sich bescheiden wird, dass sie nur eine Erklärung des Wörterbuchs, oder wie undeutscher Geist unter uns dies hochtönender ausgedrückt hat, eine Metakritik der Sprache sei; zu allerletzt, dass ein solches Volk etwa ein mittelmässiges Lehrgedicht über die Heuchelei in Komödienform für ihr grösstes philosophisches Werk anerkennen wird“. 8 Fichte, 1978, 84: „Naturgemässheit von deutscher Seite, Willkürlichkeit und Künstelei von der Seite des Auslandes sind die Grundunterschiede; bleiben wir bei der ersten, so sind wir eben, wie unser ganzes Volk, dieses begreift uns, und nimmt uns als seinesgleihen; nur wie wir zu letzten unsre Zuflucht nehmen, werden wir ihm unverständlich, und es hält uns für andere Naturen. Dem Auslande kommt diese Unnatur von selbst in sein Leben, weil es ursprünglich und in einer Hauptsache von der Natur abgewichen; wir müssen sie erst aufsuchen, und an den Glauben, dass etwas schön, schicklich, und bequem sei, das natürlicherweise uns nicht also erscheint, uns erst gewöhnen. Von diesem allen ist nun 172 beim Deutschen der Hauptgrund sein Glaube an die grössere Vornehmigkeit des romanisierten Auslandes, nebst der Sucht, ebenso vornehm zu tun, und auch in Deutschland die Kluft zwischen den höhern Ständen und dem Volke, wie im Auslande natürlich erwuchs, künstlich aufzubauen. Es sei genug, hier den Grundquell dieser Ausländerei unter den Deutschen angegeben zu haben; wie ausgebreitet diese gewirkt, und dass alle die Übel, an denen wir jetzt zugrunde gegangen, ausländischen Ursprungs sind, welche freilich nur in der Vereinigung mit deutschem Ernste, und Einfluss aufs Leben, das Verderben nach sich ziehen mussten, werden wir zu einer andern Zeit zeigen“. 9 Fichte, 1978, 74. Ces paires dichotomiques parcourent tout le texte. Voir aussi page 84- 85: „Nun kann überdies im Volke einer toten Sprache gar keine wahrhaft erschaffende Genialität zum Ausbruche kommen, weil es ihnen am ursprünglichen Bezeichnungsvermögen fehlt, sondern sie können nur schon Angehobnes fortbilden, und in die ganze schon vorhandene und vollendete Bezeichnung verflössen“. 10 Sibylle Ehringhaus, Germanenmythos und deutsche Identität, Weimar 1996. Voir en particulier le chapitre: „IV. Von Franz Kugler bis Richard Hamann: Frühmittelalterliche Kunst in Kunsthistorischen Handbüchern 1842-1933“, 25-51. 11 Friedrich Gottlieb Welcker, Warum muss die französische Sprache weichen und wo zunächst? Zum Besten unbemittelter Freywilliger des Grossherzogthums Hessen, von Seiten des Verfassers und des Verlegers, Giessen, 1814. 12 Eckermann, Gespräche mit Goethe, H. Th. Kroeber (ed.), Weimar, 1918, t. II, 615: „Wie hätte ich Lieder des Hasses schreiben können ohne Hass! - Und unter uns, ich hasste die Franzosen nicht, wie wohl ich Gott dankte, als wir sie los waren. Wie auch hätte ich, dem nur Kultur und Barbarei Dinge von Bedeutung sind, eine Nation hassen können, die zu den kultiviertesten der ganzen Erde gehört und der ich einen so grossen Teil meiner eigenen Bildung verdankte! “. 13 Les propos de August Wilhelm Schlegel sur l’âme allemande sont innombrables dans le genre de cette „idée“ qui paraît dans l’Athenaeum: „Der Geist unsrer alten Helden deutscher Kunst und Wissenschaft muss der unsrige bleiben, solange wir Deutsche bleiben. Der deutsche Künstler hat keinen Charakter oder den eines Albrecht Dürer, Kepler, Hans Sachse, eines Luther und Jacob Böhme. Rechtlich, treuherzig, gründlich, genau und tiefsinnig ist dieser Charakter, dabei unschuldig und etwas ungeschickt. Nur bei den Deutschen ist es eine Nationaleigenheit, die Kunst und die Wissenschaft bloss um der Kunst und der Wissenschaft willen göttlich zu verehren“ (in: Athenaeum, t. II, ausgewählt und bearbeitet von Curt Grützmacher, Rowohlt, 1969, 148). Dans un autre entretien avec Eckermann, Goethe critique l’arbitraire du jugement de Schlegel qui ne serait pas en mesure de reconnaître la grandeur d’un auteur comme Molière (in: Eckermann, op. cit., 511- 512). 14 Michael Nerlich, „Romanistik: Von der wissenschaftlichen Kriegsmaschine gegen Frankreich zur komparatistischen Konsolidierung der Frankreichforschung“, in: Cahiers d’Histoire des Littératures Romanes. Romanistische Zeitschrift für Literaturgeschichte, 20. Jahrgang (1996), Heft 3-4, 396-434. Dans cet article, M. Nerlich tente de retracer les conditions de la naissance de la discipline universitaire allemande consacrée à la littérature et aux langues romanes (c’est-à-dire française, italienne, espagnole, portugaise, etc.). Les résultats de ses recherches qui reconstituent le contexte anti-français de la pensée romanistique ont suscité un tollé dans le milieu de la philologie romane en Allemagne. Pourtant, il apparaît au vu de nos résultats que ces conclusions ne sont pas isolées dans le monde scientifique du XIX e siècle et du début du XX e siècle. Il semble au 173 contraire que cet antagonisme franco-allemand ait été un élément fondamental dans l’élaboration des sciences humaines. 15 Flaubert avait bien compris l’importance cruciale de Fichte, lorsqu’il écrit: „Il me semble que le rêveur Fichte a réorganisé l’armée prussienne après Iéna (…)“, cité in: Wolfgang Leiner, Das Deutschlandbild in der französischen Literatur, Darmstadt, 1991, 170-171. 16 Otto Grautoff, Die französische Malerei seit 1914, Berlin, 1921, 48-50: „Die Kubisten Frankreichs gehen von der Form aus. Man mag ihre Bilder als Spielereien des Pinsels oder ernsthafter als Paraphrasen über die Form bewerten, jedenfalls wird ihre Malerei aus dem Handwerk entwickelt und nicht aus der heute so vielfältig missbrauchten Seele. Der Kubismus ist in Frankreich ein Formproblem, das früher oder später von dem starken französischen Qualitätsgefühl aufgesogen werden wird. Deutsche Theoretiker versuchten mit rührender Pedanterie auf intellektuellen, theoretisierenden Wegen den tief verborgenen „Seeleninhalten“ dieser Malerei nahe zu kommen. Diese bewundernswert Geduldigen und Gläubigen mühen sich noch heute mit schulmeisterlichem Ernst um einen Strudel, der in Frankreich, vom heiter belebten Blut der Rasse getragen, schon wieder in die grosse, breite Strömung einzumünden scheint, die die Kunst dieses glücklichen Landes von Jahrhundert zu Jahrhundert trägt. Dieser Strom fliesst im Tal des Gesetzes und nicht in uferloser Freiheit dahin“. 17 Michael Nerlich, op. cit. 1996, 419-420: „Da steht der „deutschen Einfühlung“ der französische „besoin d’émotions et de sensations“ gegenüber, dem „deutschen Naturgefühl“ der französische „ordre et style“, unserem deutschen „Drang ins Unendliche“ der französische „horreur de l’infini“, unserer „Treue zum Alten“ die französische „curiosité pour les nouveautés et l’ennui“, unserem „deutschen Werden“ der französische „esprit de conquête“, der deutschen „Arbeitsamkeit und Sachlichkeit“ französische „ambition“ und „gloire“, unserer deutschen „Heiligung der Weiblichkeit“ und unserem Kult der deutschen „Jungfrau“ die französische „galanterie“, unserer deutschen „Freiheits“-Liebe und unserem „Schicksal“-Glauben französische „liberté“ und „fatalité“-Rhetorik“. Voir aussi: Ruth Florack (ed.), Nation als Stereotyp. Fremdwahrnehmung und Identität in deutscher und französischer Literatur, Max Niemeyer Verlag, Tübingen, 2000. 18 Hans Manfred Bock, „Tradition und Topik des populären Frankreich-Klischees in Deutschland von 1925 bis 1955“, in: Francia, Forschungen zur westeuropäischen Geschichte, Sigmaringen, 1987, 457-508; id. „La nation, un moment de l’Histoire“, in: Jean- Noël Jeanneney, Une idée fausse est un fait vrai. Les stéréotypes nationaux en Europe, Paris, 2000, 157-165. 19 Locher, op. cit. 1996, 290. 20 Adolf Hitler, Mein Kampf, (1933), 699: „Der unerbittliche Todfeind des deutschen Volkes ist und bleibt Frankreich“. 21 Voir entre autres: Dr. Henri Sloman, Leichte Blätter über die Pariser Kunstausstellung, über Klaus Groth’s Roman und die neue französische Übersetzung seiner Gedichte, Kiel, Schwersche Buchhandlung, 1859, 108: „Der deutsche Genius in der Kunst und im Handeln glaubt an Gewissensbisse, deshalb wollen wir den Holländer Ary Scheffer uns nicht hin nach Frankreich entführen lassen, sondern ihn zu den Deutschen im weitern Sinne, in welchem auch die Engländer zu ihnen gehören, zählen - denn lateinisch! und germanisch! das ist der Gegensatz, um den es sich in Europa auch in der Kunst handelt“; Julius Hübner, „Heutige Kunstzustände. Bemerkungen bei Gelegenheit der letzten grossen Brüsseler Ausstellung“, Deutsches Kunstblatt, N° 1, 1852, 2: „Frankreich und Deutschland - romanische und germanische Nationalität (...) - traten hier im Gränzlande einan- 174 der noch natürlicher gegenüber, beide in berechtigtem Interesse, einander zu verdrängen, zu überflügeln oder im besten Fall zu ergänzen“. 22 Voir l’anthologie de textes critiques dans France Nerlich, La réception de la peinture française en Allemagne, 1815-1870, thèse de doctorat, Université Paris IV Sorbonne, Freie Universität Berlin, 2004, 783-812. 23 Voir par exemple: Waldemar Baron von Wimpfen, „Bemerkungen über den jetzigen Zustand der Malerey in Frankreich“, Kunstblatt, N° 76, 1828, 301-304: „Mangelhafte, unpassende, oft unmoralische Wahl des Sujets, übertriebener, häufig karikirter Ausdruck, theatralische Gezwungenheit oder zu häufige Erinnerung an Akademien und Akte in den Stellungen und Gruppirungen, gefleckte, oft unnatürlich schimmernde Farbengebung im Fleische, Härte in der Drapirung, zu häufige Anwendung des Nackten, übelgewählte Nachahmung der Antike und unbehutsames Nachfolgen der Theaterwirkung. (…) Für die Vorzüge: zuvörderst Lossagung von dem früher herrschenden, läppischen, verderbten Geschmack, also Ernst in der Kunst, sorgfältiges Studium des menschlichen Körpers (Anatomie), sehr richtige und oft graziöse Zeichnung, Rundung der Formen und großartige Composition“; Karl Immermann, „Ueber die Kunst-Akademie zu Düsseldorf“, Kunstblatt, N°3, 1829, 9-12: „Nur zu „Französisch“ findet er den Charakter dieser Schule. Er ist so gütig, uns zu sagen, was er sich dabey gedacht habe. Er meint: ‚jene süßliche Sentimentalität, jenes abentheuerliche Festhangen an dem Romantischen, jenes Imponirenwollen durch äußre Pracht, jene theatralische Effekthascherey, jene Affektation und Modernität und affektirte Popularität der Franzosen.’“; [Anonym], „Betrachtungen über die Kunstausstellung in München, im Oktober 1829“, Kunstblatt, N° 93, 1829: „Die französische Schule zeigt auffallend genug, wie wenig der Künstler mit eingelernten Formen auszudrücken vermag, wie leer und kalt sie für den Beschauer bleiben. Sie sind wie eine Anzahl hübscher Phrasen, woraus jeder, der selbst nicht viel denkt, leicht eine Rede zusammensetzen kann, die sich aber in Nichts auflöst, wenn man genau nach ihrem Inhalt fragt“. 24 Un exemple parmi d’autres, Johann Domenico Fiorillo, Geschichte der zeichnenden Künste von ihrer Wiederauflebung bis auf die neueste Zeiten, Göttingen, 1798-1808, 479- 480: „Allein sein letztes Gemälde, Bonaparte, der seine Hand auf die Pestbeule eines Kranken im Hospital von Jaffa legt, um der Armee des Orients dadurch Muth einzuflössen, ist abscheulich; und zwingt jeden, die Augen wegzuwenden, um einem widrigen Eindruck zu entgehen. (…) Es ist unbegreiflich, daß dieses scheußliche Bild so großen Beifall hat finden können“. 25 France Nerlich, „Marcher vers l’avenir“. Delaroche, Vernet et Scheffer en Allemagne et les enjeux de la peinture d’histoire moderne“, in: 1830-1870: Diffusion et appropriation de l’image du pays voisin, Centre allemand d’histoire de l’art, Paris, Passagen/ Passages, 2009. 26 Eduard Collow, „Über den gegenwärtigen Zustand der französischen Schule und den Pariser Salon im Jahr 1842“, Kunstblatt, N° 35, 1842, 137-140: „Die Franzosen sind wesentlich ein reflectirendes, abstrahirendes Volk, und dieser Trieb zu abstractem, arithmetisch- und formalconsequentem Denken und Handeln zeigt sich in der Theorie und Praxis ihrer Gelehrten, Staatsmänner, Dichter und Künstler, und verträgt sich wirksam mit Wissenschaft und Politik, aber höchst unwirksam mit Poesie und Kunst. Die am Ende des 18ten Jahrhunderts von David ausgehende Revolution in der Kunst, die fast mit demselben Terrorismus zu Werke schritt, wie die gleichzeitige Umwälzung des Staates, mit der sie überdiess in engste Verbindung trat, verunglückte an dieser abstracten Denkweise der Franzosen. David lenkte die französische Schule in die Bahnen des classischen Al- 175 terthums und somit in den Weg zurück, welchem Raffael und die römische Schule einen guten Theil ihrer Vortrefflichkeit verdankten. Aber was hat die Wirksamkeit der David’schen Schule für exemplarische Kunstwerke hervorgebracht? Man gehe die Hervorbringungen der berühmtesten classischen Maler durch: welche Unfruchtbarkeit, welche peinliche Anstrengung im Concipiren und Produciren, welche frostige Kälte in ihren Sujets, welche Einförmigkeit, welches declamatorische Pathos in ihren Compositionen, wo man öfter die gemalten Gypsabgüsse zu sehen glaubt! (…) Der Klassizismus war abstrakte Kunst und bewegte sich auf dem Hintergrunde eines ästhetischen Kosmopolitismus; der Romanticismus strebt zum Concreten und bewegt sich vorzüglich auf dem Boden eines ästhetischen Patriotismus“. 27 Ludwig Schorn, „Briefe an David über die lezte Pariser Kunstausstellung“, Kunstblatt, N° 19, 1820, 73-75: „So seichte, halbwahre Grundsätze und Ansichten, so ganz der Begeisterung des Künstlers fremde, ja widerstreitende Gesinnungen wird man selten vereinigt finden. Das zerstörende Gift politischer Partheysucht ist auch in die Gemüther dieser Künstler gedrungen, und Ersterben wahrer Liebe und Begeisterung für die Kunst zeigt sich als unausbleibliche Wirkung. (...) An David sind diese Briefe geschrieben. Der Name allein deutet schon an, welche Maximen hier herrschen mögen (…)“. 28 France Nerlich, „David, peintre révolutionnaire. Le regard allemand“, Annales historiques de la Révolution Française, N°340, Avril/ Juin 2005, 23-47. 29 Eduard Collow, „Über den gegenwärtigen Zustand der französischen Schule und den Pariser Salon im Jahr 1842“, Kunstblatt, N° 34, 1842, 133-135; Richard Fischer, „Die Häupter der modernen französischen Malerei. Ein Beitrag zur Geschichte und Kritik derselben“, Die Dioskuren, 1857, N°9, 77ss. 30 Eduard Collow „Über den gegenwärtigen Zustand der französischen Schule und den Pariser Salon im Jahr 1842“, Kunstblatt, n°35, 1842, 140. 31 Hermann Matthäi et Theobald von Oer, „Ueber die neueste Malerei in Paris. (Bemerkungen Zweier Freunde)“, Kunstblatt, N° 104, 1836, 437-439; Eduard Collow, „Pariser Kunstbericht. Ausstellung 1838“, Kunstblatt, N°46, 1838, 181-183. 32 France Nerlich, La peinture française en Allemagne, 1815-1870, Editions de la Maison des Sciences de l’homme, Passages/ Passagen, Paris, 2009. 33 Adolph Schöll, „Berlin, den 22. August 1835“, Kunstblatt, n°94, 1835, 395-396. 34 Doktor Mises, [Gustav Theodor Fechner], Ueber einige Bilder der zweiten Leipziger Kunstausstellung, Leipzig, 1839. 35 Dans ses mémoires, Wilhelm von Bode ne trace pas de Julius Meyer un portrait très flatteur, soulignant avant tout sa morphinomanie qui l’aurait avec le temps empêché d’exercer correctement son travail de conservateur. Il se souvient cependant avoir souhaité lui voir confier ce poste parce qu’il était passionné par l’art, érudit et animé des sentiments les plus nobles. Bode relève également l’admiration éperdue de Meyer pour l’art français classique au moment de l’acquisition du Saint Matthieu de Poussin. Wilhelm von Bode, Mein Leben, Reckendorf Verlag, Berlin, 1930, 57-78, 94. 36 Julius Meyer, Geschichte der modernen französischen Malerei seit 1789, Leipzig, 1867. 37 Hans Lüthy, „Zu Julius Meyers „Geschichte der modernen Malerei“ aus dem Jahr 1867“, in: Eduard Hüttinger, Hans A. Lüthy (eds.), Gotthard Jedlicka; eine Gedenkschrift. Beiträge zur Kunstgeschichte de 19. und 20. Jahrhunderts, Zurich, Orel Füssli, 1974, 71-77. 38 On retrouve en effet la référence à l’ouvrage de Meyer aussi bien dans le dictionnaire de Thieme-Becker que dans le Grove Art Dictionary. Plus étonnant, la mention de Meyer dans certains dictionnaires „libres“ consultables sur internet comme „The free dictionary“ sur http: / / encyclopedia.thefreedictionary.com. 176 39 P. Hofstede de Groot, Ary Scheffer. Ein Charakterbild, Berlin, Verlag der Hofbuchhandlung von Paul Gerh. Heinersdorff, 1870, 43-44 40 Meyer ne condamne cependant pas l’art français en général en situant dans son „être“ la raison de sa décadence. Il considère plutôt le contexte historique et social comme peu favorable à l’éclosion d’un nouvel art moderne consacré à l’homme (son dernier chapitre porte sur la peinture de paysage). 41 Nicolas Martin, „Voyage en Allemagne. Les Arts et les Lettres. Aventures et Impressions (suite)“, dans L’Artiste, t. IX, série 4, 1847, 22-25. 42 Louis Dussieux, Les Artistes Français à l’étranger. Recherches sur leurs travaux et sur leur influence en Europe, précédées d’un essai sur les origines et le développement des Arts en France, Paris, Gide et J. Baudry, 1856, IV-V: „Aussitôt que la France eut trouvé et manifesté les formes de son développement social, toute l’Europe se prit à l’imiter, à adopter sa littérature, à penser et à parler comme elle, à bâtir comme elle bâtissait; l’Europe encore à moitié barbare se fit française autant qu’elle le put. A l’exception de quelques moments pendant lesquels la France a subi une influence extérieure, l’influence française s’est exercée sur l’Europe et elle dure encore“. 43 Wolfgang Becker, Paris und die deutsche Malerei 1750-1840, „Studien zur Kunst des 19. Jahrhunderts“, Band 10, Prestel-Verlag München, 1971. Dans son ouvrage d’une importance capitale pour la connaissance des relations artistiques franco-allemandes, Becker ne consacre qu’une page à la présence des œuvres françaises en Allemagne (101-102). 44 Hermann Matthäi et Theobald von Oer, „Ueber die neueste Malerei in Paris. (Bemerkungen Zweier Freunde)“, Kunstblatt, N°95, 1836, 397-398 (et numéros suivants).