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2008
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Trafic d’Outre-Manche: réflexion sur Une trilogie anglaise de Floc’h et Rivière

2008
Hugo Frey
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43 Hugo Frey Trafic d’Outre-Manche: réflexion sur Une trilogie anglaise de Floc’h et Rivière Depuis une période relativement récente, les historiens européens ont privilégié l’écriture par rapport au visuel - surtout au détriment du cinéma qui avait une réputation frivole de divertissement des masses. Les films intéressaient peu le chercheur érudit. Précédemment, les écrits et l’enseignement de l’histoire se concentraient sur l’interprétation des documents écrits et des livres publiés. L’historien se penchait sur les études laissées par l’élite politique et racontait une histoire élitiste. Les „sciences de l’histoire“ collaboraient avec les archives nationales et les bibliothèques publiques qui furent fondées par des groupes d’intellectuels, souvent en cohésion avec les gouvernements. 1 Les sources visuelles étaient interprétées par les historiens traditionnels comme étant étrangères à leurs références méthodologiques. Cependant, ainsi que Shlomo Sand l’a aussi expliqué, la pesante domination de l’audio-visuel sur la vie publique au cours du vingtième siècle a forcé les historiens à s’éloigner de leur recherche exclusive de documents écrits. Les longs métrages, le journal parlé et les documentaires apparaissent dans le courant populaire de l’historiographie contemporaine. L’œuvre novatrice de Marc Ferro engendre une nouvelle génération de chercheurs à l’esprit ouvert au visuel et qui analysent le rôle du cinéma dans la société du vingtième siècle. 2 Le cinéma représente pour ce groupe un mouvement important qui permet de mieux appréhender les problèmes politiques et sociaux. Ils affirment que les scénarios des films à succès reflètent les courants de l’identité nationale et du genre ainsi que la révélation de la structure des niveaux sociaux et des identités sexuelles. Le cinéma a souvent été reconnu comme une source privilégiée d’études car il semble refléter une mémoire collective de la société. Se référant à l’œuvre de Siegfried Kracauer, la nouvelle génération d’historiens médiatiques se base sur le cinéma afin d’interpréter les tendances psychologiques du public. 3 Adoptant une tactique post-moderniste différente, Robert Rosenstone affirme que les intrigues de films, parce qu’elles se réfèrent au passé, ont une valeur culturelle égale à n’importe quel autre texte historique, y compris les publications académiques. 4 Sans faire le rapprochement entre les sources des connaissances historiques, Natalie Zemon Davis a suggéré que les historiens empiriques devraient s’inspirer, pour leurs recherches, de Hollywood et des productions indépendantes de mélodrames historiques. 5 Ses études cinématographiques sur l’esclavage révélèrent que les films d’époque pouvaient éclairer l’historien. Par comparaison avec la nouvelle vague de popularité que connaît ‘le débat films et Histoire’, assez peu de recherches ont été consacrées aux gravures, aux 44 dessins humoristiques, à la caricature ou à la bande dessinée. Les interprétations de l’histoire sous cette forme font rarement l’objet de travaux académiques des chercheurs des recherches politiques ou sociales. Ce fut principalement l’interprétation de l’Holocauste par Art Spiegelman, avec son célèbre livre Maus, qui attira le plus l’attention des chercheurs. L’œuvre de l’artiste français Tardi, qui sortit plusieurs albums décrivant l’expérience de la Grande Guerre, se fit remarquer dans le milieu universitaire. 6 Un relatif développement des études francophones, à la différence des études exclusivement françaises, a forcément encouragé l’analyse de la bande dessinée traditionnelle belge. Des études générales approfondies ont aussi permis une vue d’ensemble de l’histoire de la BD et ont révélé la vogue d’une tendance européenne artistique et narrative. Des recherches approfondies faites par des sémiologues - Jan Baetens, Thierry Groenstein entre autres - permirent de créer une méthodologie d’interprétation de la BD. 7 Cet article est une réflexion académique approfondie de la position légitime croissante de la BD. Trois albums dans une série de polars, Une trilogie anglaise (1993) des auteurs Jean-Claude Floc’h et François Rivière en constituent le thème central. 8 Ces tomes reflètent une œuvre très particulière, fascinante et importante. D’origine francophone, son scénario et ses dessins nous présentent les Anglais et Londres, leur capitale, des années 1920 aux années 1950. Ce feuilleton d’Outre-Manche propose deux possibilités d’interprétation. D’une part, il est important de situer Une trilogie anglaise dans son contexte de création française. Ainsi que je l’expliquerai, la BD reproduit (et par conséquent permet d’analyser) plusieurs idées typiquement européennes de l’Angleterre du vingtième siècle. De plus, cette trilogie devient un exemple classique d’une BD adulte laissant aux lecteurs une impression de nostalgie. D’autre part, cette trilogie mérite réflexion sur ce qu’elle a à raconter à propos du style de vie anglais et de sa littérature. Tout comme Natalie Zemon Davis conviait les chercheurs à se tourner vers Hollywood, je conseillerais aux académiciens qui étudient la culture britannique du vingtième siècle de consulter Une trilogie anglaise. Bien que cette BD soit un pastiche expérimental de pure fiction des romans policiers anglais, elle nous donne néanmoins un aperçu instructif de la littérature et de la société anglaise. Mémoires françaises de lieux lointains d’un crime Une trilogie anglaise fut créée à la fin des années 70 avec la publication de la première partie de la série dans le magazine Pilote. Elle se compose de trois volumes séparés. Le rendez-vous de Sevenoaks sorti en 1976, suivi par Le dossier Harding en 1979 et complété en 1983 par A la recherche de Sir Malcolm. 9 Le début des années 90 voit ces trois albums fusionner en un volume: Une trilogie anglaise. Bien que chaque épisode ait sa propre histoire, on retrouve cependant de nombreuses similarités entre les différents épisodes. La trilogie est, grosso modo, un pastiche du roman policier de fiction anglaise. Elle remanie les conventions narrati- 45 ves du genre en l’adaptant au genre de la BD. Les albums de la trilogie mettent en scène les aventures de deux détectives amateurs: Francis Albany et Olivia Sturgess. Ces personnages sont d’illustres membres de l’élite littéraire de la Bloomsbury. Olivia est un auteur à succès de romans de type ‘crimes et anticipation’. Son ami Francis est un critique littéraire réputé et fils de diplomate. Ainsi que le roman policier classique de Margery Allingham, Flowers for the Judge (1938), oublié depuis longtemps, les BD sont ancrées dans le milieu des écrivains et de leurs maisons d’éditions. 10 Ces dernières affichent irrémédiablement des complots, des intrigues secondaires sinistres, et des rôles de personnages secondaires bien étranges. Les fréquentes descriptions de Londres, des „Homes Counties“ et du Kent champêtre, situent l’œuvre dans une ambiance relativement typique des romans policiers. La trilogie se réfère fréquemment à ces lieux historiques. L’époque prédominante choisie est la fin des années 40. On découvre cependant dans le premier et dernier volume des procédés fréquents de flash-back, notamment dans la période de l’entre-deux-guerres et les années précédant la déclaration de la Grande Guerre. Utilisant la formule éditoriale qui consiste a réunir une collection de trois histoires en un seul volume, nous retrouvons avec l’illustration de la mode des éditeurs américains qui rééditaient deux ou trois romans policiers en un seul tome. Dans les années 40 et 50, le New York Detective Book Club utilisait cette formule avec des auteurs comme Agatha Christie, Eric Stanley Gardner et Francis et Richard Lockridge. 11 L’inclusion d’auteurs moins connus parmi ces grosses „pointures“ était un procédé apte à accroître la publicité. Les maisons d’édition anglaises avaient déjà bien sûr utilisé ce genre de procédé, notamment dans la collection intitulée Six against Scotland Yard. 12 Le titre choisi par Floc’h et Rivière - avec sa référence géographique évidente à l’Angleterre - rappelle davantage l’ancienne édition des romans d’espionnage d’Eric Ambler, Double-Decker: the Complete Spy Novels. 13 Ceci n’est qu’un exemple parmi d’autres confirmant à quel point Floc’h et Rivière possèdent le don de transformer et de re-penser les méthodes propres au genre du roman policier. Le Rendez-vous de Sevenoaks est l’album le plus abouti. L’épisode présente une série d’horribles meurtres commis à Londres, dans sa banlieue et dans le Comté du Kent en 1949. Un ami lointain d’Albany et de Sturgess, George Croft, l’auteur de romans fantastiques, découvre qu’une de ses nouvelles avait déjà été publiée depuis une vingtaine d’années par l’écrivain Basil Sedbuk. Croft se hâte d’enquêter sur cette fâcheuse découverte. Nos deux détectives sont incapables de le sauver d’une fin atroce. Ce n’est que vers la fin de la BD que nous apprenons qu’Olivia connaissait Sedbuk et qu’elle possédait donc sans doute des indices susceptibles d’aider Croft. Olivia est pourtant étrangement inactive et elle ne peut lui porter secours. La fin de l’histoire révèle une analogie métaphysique et ironique sur la notion du temps. Le lecteur apprend que George Croft est en fait probablement un personnage issu de Nightmares, la dernière nouvelle de Sedbuk. Cette découverte inverse le procédé narratif jusqu’alors présent dans la BD, qui faisait toujours croire que Sed- 46 buk n’était que le fruit de l’imagination fertile de Croft. Ce retour de l’unité temporelle et thématique de la BD se replie sur lui-même. Le mystère qui débuta en 1949, s’achève en 1928. Il constitue d’ailleurs un genre que David Lynch allait exploiter quelques années plus tard avec son film Lost Highway. Cette technique est parfois comparée à l’idée du ruban de Moebius, ce modèle mathématique dans l’espace apte à représenter le temps de façon elliptique, et astucieusement dessiné par M. C. Escher. 14 Une trilogie anglaise n’est pas simplement un jeu intellectuel, bien qu’elle apporte beaucoup de plaisir au lecteur. Floc’h et Rivière du Dossier Harding, seconde partie, nous montrent qu’ils sont tout aussi habiles à bien placer leurs personnages qu’à nous fournir des revirements narratifs astucieux. Cet album étoffe les personnages d’Albany et de Sturgess déjà campés dans Rendez-vous de Sevenoaks. C’est également ici que le lecteur s’aperçoit que Francis et Olivia sont de bons amis et que leurs vies sont aussi intrigantes et troublantes que les mystères sur lesquels ils enquêtent. Parallèlement, A la Recherche de Sir Malcolm possède une toile de fond psychologique et émotionnelle. L’album décrit Albany et la mémoire qu’il conserve de son père disparu, le Sir Malcolm du titre. La majeure partie de la BD est consacrée à l’illusion fantaisiste que possède Albany d’avoir accompagné son père lors de l’auguste croisière du Titanic en 1912. La trilogie s’achève quand les appréhensions d’Albany se dissipent après qu’il a passé au crible son histoire familiale. Olivia Sturgess joue un rôle beaucoup plus restreint. Bien qu’aucune information précise ne soit donnée, la narration implique fortement que les deux personnages principaux sont l’un homosexuel et l’autre lesbienne. Nous pouvons en déduire que leur vie sexuelle doit être relativement clandestine si l’on pense aux répressions homophobes de l’époque. Les dessins de Floc’h et le scénario de Rivière se complètent à la perfection. Du point de vue graphique, la trilogie reprend la formule classique de la ligne claire, inventée et développée par Hergé avec ses aventures de Tintin. Le style des dessins de Floc’h est aussi influencé par d’autres représentants de la ligne claire, comme E. P. Jacobs et Jacques Martin. Cette espèce de nostalgie provenant du contenu graphique se reflète dans la technique narrative et les obsessions littéraires de Rivière. Il réutilise et caricature les trames des livres d’énigmes et des romans policiers anglais. Ce qu’il apporte dans les BD recoupe ses connaissances en tant que critique littéraire et romancier connu. Rivière est devenu un biographe prolifique de personnages vedettes de la littérature anglaise et américaine. Comme l’on peut s’y attendre, il est fort intéressé par les polars et il a écrit des livres sur Agatha Christie, Patricia Highsmith et Enid Blyton. 15 Il a également beaucoup écrit à propos d’Hergé et de Jacobs, représentants de l’école belge de la bande dessinée. 16 La fascination que porte Rivière aux romans policiers explique ses tendances à se porter vers l’écriture expérimentale. Il était un des membres fondateurs de l’OULIPOPO (Ouvroir de Littérature Policière Potentielle) et un représentant du Nouveau Roman. De plus, Rivière est l’auteur de nombreux livres du type des romans policiers anglais. 17 Tout comme les BD en question, ses ro- 47 mans se situent dans le monde fictif de l’édition et reprennent souvent les lieux et les trames narratives associés à la littérature anglaise et au genre du polar, comme par exemple la ville de Torquay où Agatha Christie passa sa jeunesse et où se déroule son premier roman, The Mysterious Affair at Styles. Rivière est devenu, avec les années 90, un auteur apprécié de la BD. Il est le porte-parole de la série populaire Victor Sackville et de Maître Berger, pour ne mentionner que deux de ses contributions. 18 Le seul auteur contemporain de BD à avoir influencé davantage autant de disciplines parallèles au sein de cette élite intellectuelle de la culture francophone est probablement Benoît Peeters. Le fait que fort peu d’attention soit prêté à Rivière, à part quelques magazines pointus, tels que les Cahiers de la Bande dessinée, est un symbole de la position relativement affaiblie de la BD, surtout dans le milieu universitaire anglais. Ce qui est paradoxal, compte tenu de la promotion par Rivière de la littérature anglaise auprès du public français. Malgré cet écart, le premier prix de BD de la ville d’Angoulême fut décerné en janvier 2006 à Floc’h et Rivière pour Olivia Sturgess 1914-2004, un album de synthèse dérivé des précédents. L’univers imaginaire d’Une trilogie anglaise, qui se compose de hameaux endormis aux charmantes maisonnettes et chaumières et des rues bruyantes de la City de Londres, peut, d’une certaine façon, être interprété comme une convention littéraire dont l’objectif est tout simplement fonctionnel. Ainsi que Sigmund Freud l’avait impliqué dans son fameux pamphlet à propos du surnaturel, le besoin d’établir une ambiance de normalité est nécessaire afin de créer un univers mystérieux. 19 En d’autres termes, une littérature du mystère ou du surnaturel efficace se doit d’établir cette atmosphère de tranquillité en la ville afin d’introduire avec un maximum d’effets les situations étranges et hors du commun. La représentation par Floc’h et Rivière de cette vie ordinaire anglaise est dans cette perspective fort bien construite. Les belles pelouses du sud de l’Angleterre entretenues avec soin que Floc’h nous présente sont autant de mirages pour animer subtilement les horribles meurtres commis aux alentours. De la même manière, dans le milieu ordonné et élitiste de l’édition où évoluent Albany et Sturgess, ce sont leurs vêtements chics et leur style de vie bourgeois qui contrastent fort bien avec cette violence qui, par moment, jaillit comme de nulle part dans les deux premiers albums de la trilogie. Il faut noter d’ailleurs, que ces mêmes régions proches de Londres, où Floc’h et Rivière placent leurs personnages apparaissent par tradition dans la littérature en combinant leurs caractéristiques de style de vie bourgeois, bien tranquille, avec une tendance au macabre et au surnaturel. C’est ainsi que H. G. Wells a fait atterrir l’engin spatial des Martiens près de Woking dans le Surrey. Sir Arthur Conan Doyle vécut un certain temps dans les environs, écrivant dans une maison avec une vue idyllique sur la frontière entre le Surrey et le Sussex, près d’Haslemere. Toujours dans le Surrey, Aldous Huxley passa sa jeunesse à Godalming, petite ville toute proche d’un fleuve pittoresque. Après avoir brièvement aperçu Agatha Christie dans Rendez-vous de Sevenoaks, nous apprenons qu’elle a disparu près du Newlands Corner, près de Guildford (un comportement qui fut 48 probablement déclenché par la liaison de son mari avec une femme de Godalming). La liste est longue… Lewis Carroll et l’acteur de films d’horreurs Boris Karloff sont tous deux enterrés dans le comté du Surrey, à Guildford. C’est dans cette ville que vivait parfois Freeman Wills Crofts, l’auteur de polars, et où se situe son Crime at Guildford. 20 Plus récemment, l’écrivain de science-fiction J. G. Ballard a perpétué cette tradition à utiliser les environs de Londres et du Berkshire comme lieux privilégiés de la littérature populaire d’anticipation. Quand Sevenoaks fut initialement publié à la fin des années 70, son The Unlimited Dream Company apporta une contribution importante à cette tradition littéraire que je viens d’esquisser. 21 En résumé, la trilogie de Floc’h et Rivière se situe dans une riche tradition littéraire psycho-géographique qui est saturée de lieux auxquels les auteurs ont sans cesse recours. Floc’h et Rivière ne sont certainement pas les premiers, et ils ne seront pas les derniers à exploiter cette formule qui consiste à choisir une communauté bourgeoise du sud de l’Angleterre d’apparence paisible au premier par y mettre en scène des histoires fantastiques, de meurtres ou d’horreur. Les Français ont d’ailleurs souvent une prédilection pour les histoires de meurtres sur fond de paysages anglais. Ainsi que nous le fait remarquer Murch dans son fameux compte rendu sur les polars anglais, américains et français, les histoires de Conan Doyle étaient lues en version française par un large public. 22 Il y eut d’autres pastiches, bien avant Une trilogie anglaise. Maurice Leblanc avait fait une satire du roman policier anglais avec Arsène Lupin contre Herlock Sholmès (1908). Marcel Aymé continua plus tard dans la même veine avec L’Affaire Touffard (1934). 23 Mais il existait, à part Doyle, d’autres écrivains qui étaient lus en français. La fameuse série Le Masque, avec sa librairie des Champs-Elysées, avait à ses débuts publié en exclusivité des titres provenant des romans policiers de l’école littéraire anglaise. Sous les auspices de l’éditeur de séries Albert Pigasse, le premier livre publié fut une étude expérimentale d’Agatha Christie, Le Meurtre de Roger Ackroyd, dont les ventes furent apparemment faibles. 24 Ces livres étaient cependant fort populaires et d’autres maisons d’édition publièrent d’autres traductions de livres policiers anglais. Il est étonnant de voir des auteurs de polars anglais comme Leslie Charteris rejoindre Georges Simenon chez Gallimard. C’est ainsi que, dans Une trilogie anglaise, Floc’h et Rivière ne font que réinterpréter un genre de littérature francophone déjà assez bien établi - le roman policier anglais. Ils alimentèrent cette fascination européenne pour la littérature anglaise d’anticipation déjà répandue par un bon nombre de traductions dans les années 20 et 30. Au delà des frontières françaises, Scherz, une maison d’édition suisse allemande, publia à son tour une série de titres analogues en allemand. Démontrant la position internationale du genre, une édition en Esperanto, Murder on the Orient Express d’Agatha Christie fut publié en 1937 en traduction, sous le titre Murdo en la Orienta Ekspresso. 25 Nous pouvons aussi insérer l’œuvre de Floc’h et Rivière dans la tendance européenne en vogue au cours des années 60, laquelle consistait à prendre Londres comme toile de fond dans les films „branchés“ du cinéma européen. Les films de 49 Michelangelo Antonioni, de Roman Polanski et de François Truffaut s’étaient appropriés l’image littéraire de Londres et du sud de l’Angleterre en lui rendant, ingénieusement, une ambiance mystérieuse. C’est de façon sensationnelle que, dans son film Blow-up, Antonioni s’appuya sur le concept du „meurtre et mystère à l’anglaise“ et qu’il l’unira à l’angoisse moderniste touchant à la connaissance et à la vérité. C’était d’ailleurs un second film, de la même veine que I Vinti (1952). Dans celui-ci, bien moins connu, Antonioni avait déjà repris d’une manière ironique le genre de l’histoire policière. Le film raconte comment un journaliste londonien, jeune et ambitieux, devient un meurtrier afin de voir publier ses articles en exclusivité à la une des journaux. Tout comme Blow-up, le film est une satire des médias et réinterprète le style des polars anglais pour présenter une polémique sociale ironique. Il est évident qu’Une trilogie anglaise peut être comparée à ce type de cinéma. La trilogie utilise également Londres et le sud de l’Angleterre, avec, par décors, ses classes sociales moyennes. Suivant aussi la méthode adoptée par Antonioni, la BD va renouveler la tradition littéraire des années 20 et 30 en déployant une narration moderne et en posant des questions philosophiques portant sur la fiabilité de la narration, de l’image et des droits d’auteur. Il vaut la peine de souligner, au passage, qu’ironiser sur ce genre de littérature anglaise était populaire dans le cinéma des années 70. Le film de Billy Wilder, The Private Life of Sherlock Holmes connut un succès mondial en 1970. Même réussite en 1978 pour une comédie britannique basée sur The Hound of the Baskervilles avec Dudley Moore et Peter Cooke en tête d’affiche. Une trilogie anglaise est bien sûr d’un niveau intellectuel supérieur à ces deux références. Toutefois la trilogie utilise aussi une formule mélangeant sérieux et ironie. Pourquoi cette manie d’associer le mystérieux et le modernisme à l’Angleterre, est-elle tellement en vogue en France et partout Outre-Manche? Comme je l’ai partiellement suggéré, à l’époque de la publication d’Une trilogie anglaise, ce genre littéraire et artistique à la mode était relativement établi. Floc’h et Rivière avaient ajouté une forme de culture reconnue qui, d’une certaine façon, était tout aussi française que britannique. Une fois traduite et exportée, cette littérature policière avait fait reconnaître ce mouvement littéraire dans l’imagination collective. Des films de la ‘nouvelle vague’ européenne, notamment ceux d’Antonioni, avaient ouvert le chemin de productions expérimentales françaises telles qu’Une trilogie anglaise. Un certain nombre de réarrangements satiriques des aventures de Sherlock Holmes préfiguraient des représentations plus ironiques des Anglais avec le côté absurde de leurs intrigues policières. Les implications sociales à tirer des tendances que je propose sont toutefois encore plus complexes. Pour simplifier, nous pouvons suggérer que les Français et les Européens avaient tendance à décrier leurs voisins d’une manière qui était politiquement équivoque. Ces histoires à énigmes situées en Angleterre (que ce soient des productions françaises et européennes ou des traductions de l’anglais) reflétaient une certaine nostalgie à l’égard de la tranquillité et de l’aisance qui caractérisent le sud de l’Angleterre et la capitale. Mais elles apportaient également une atmosphère de menace, de violence inhé- 50 rente à la spécificité anglaise en Grande-Bretagne. Ces conceptions de l’excentricité britannique et de son individualisme semblent être célébrées dans une œuvre telle qu’Une trilogie anglaise. Albany et Olivia sont des héros intelligents, attrayants, qui réagissent au monde tourmenté qui les entoure. Leurs vies sociales semblent paisibles et enrichissantes (bien que leurs identités sexuelles paraissent réprimées). Ils sont bien dans leur peau, ils pratiquent des sports individuels, le tennis et le golf, ainsi que d’autres passe-temps sans oublier l’écriture bien sûr. Autant d’indices qui suggèrent une admiration anglophile pour la société libérale qui engendra cette élite aisée. D’odieux crimes sont cependant commis et il semble qu’une vague de violence rende cette tranquillité éphémère. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Une trilogie anglaise confirme l’existence de la dualité entre fascination et répulsion qui est en jeu quand un Français analyse un Anglais par l’intermédiaire du polar. De plus, l’association d’actes de violence à une culture étrangère risque de frôler la xénophobie ou, dans notre cas, de traduire tout simplement une anglophobie traditionnelle. Mais nous devons rester prudents et nous méfier d’une telle affirmation. Tout d’abord, ce sont les maisons d’édition britanniques, les écrivains et leurs traducteurs qui ont exporté cette littérature équivoque d’English murders. En remaniant ce genre littéraire, Floc’h et Rivière ne font qu’ajouter leur part d’admiration à une tradition déjà présente dans le contexte anglais. Floc’h et Rivière sont néanmoins prudents en se gardant de trop glorifier leur interprétation des crimes et du mystère de la haute société. Etant Français, ils profitent de leur position à l’écart, étant français pour proposer leur version. Malgré les belles théières en porcelaine et les petits gâteaux à la crème, nos deux artistes donnent parfois dans leurs albums une image peu flatteuse des classes sociales anglaises. La couverture de la seconde édition du Dossier Harding nous donne un indice du malaise qui existe entre les classes sociales. Ce dessin montre Albany se faisant agresser par deux voyous loin de son appartement situé dans le quartier chic de Soho Square. Au lointain, nous devinons quelques grues des chantiers portuaires. C’est un clin d’œil politique: quand le bourgeois intellectuel Francis Albany se retrouve dans les quartiers mal famés de la ville, il doit s’attendre au pire. Une description détaillée des bars fréquentés par la classe ouvrière, nommés ‘The Dark Sheep’, ‘The Friend at Hand’ ou encore ‘The Three Colt Tavern’, apparaît tout au long de la trilogie. Ces bars sont des clichés bien ancrés dans le milieu spécifique anglais qui instaure un climat d’intimidation dans les albums. Placés parfois dans l’ambiance prolétaire des bars, les écrivains se sentent angoissés et coupables d’appartenir à une classe supérieure. Ces tableaux vivants rappellent aux lecteurs que résoudre un crime est plus facile que d’être confronté à des problèmes sociaux, Floc’h et Rivière sachant pertinemment bien que l’ensemble de l’Angleterre est loin de vivre dans l’aisance d’un Francis ou d’une Olivia et que les barrières de classes sont difficiles à renverser. Le Français est, chez lui, bien conscient du rôle restreint qu’avait l’élite littéraire anglaise (si séduisante qu’elle fût) dans la hiérarchie complexe du système de classes. 51 Pour quelles autres raisons un écrivain et un dessinateur français se tourneraient-ils vers l’Angleterre? Cette intention de faire l’éloge d’un pays étranger (avec ses villes et ses campagnes), de louer ses écrivains (avec les hommages tacites au polar anglais) pourrait aussi suggérer un désir de fuir les pesantes traditions de la culture française. Ces albums, ainsi que la plupart des livres de Rivière, symbolisent un rejet audacieux de la tradition populaire de la littérature française - à l’exception bien sûr du rôle des English detectives dans cette tradition et de ses liens avec le Nouveau Roman. Sortir du patrimoine de sa culture pour tenter de créer une œuvre influencée par une tradition littéraire étrangère revient à un acte implicite d’autocritique reniant son héritage national ou du moins à un acte d’exil volontaire. Cela correspond à une stratégie d’insoumission reflétée par le désir de faire de la BD, un art qui connaît beaucoup de succès mais qui, jusqu’à une période récente, possédait de moindres valeurs culturelles que les arts plus traditionnels comme, par exemple, le roman, le théâtre ou la poésie. C’est donc un double reniement des institutions françaises que de créer une BD English, ce qui est une preuve supplémentaire de leur audace. C’est aussi, potentiellement, une stratégie qui donne à l’écrivain l’opportunité de découvrir des références qui ne sont pas toujours disponibles dans des contextes plus traditionnels. Il est discutable que l’emploi d’un genre de culture étrangère (le polar anglais) avec ses couleurs locales (l’Angleterre 1900-1965) sous forme de bande dessinée ait facilité l’introduction d’un élément radical supplémentaire: les tendances homosexuelles et lesbiennes implicites des deux détectives. Ceci n’est qu’une thèse purement spéculative. Ces histoires sont cependant d’une unité harmonieuse et c’est précisément pour cela qu’elles regroupent tant d’éléments radicaux. Une trilogie anglaise est imprégnée de nostalgie pour les années 40. Floc’h nous dépeint Londres avec compassion (y compris ses quartiers ouvriers parfois menaçants). Les dessins saisissent avec beaucoup de justesse ce milieu de librairies désuètes, de jardins publics „à la Bloomsbury“ et de maisons traditionnelles de l’époque géorgienne, le tout sur fond rassurant d’autobus rouges à deux étages. Des boîtes aux lettres écarlates ornent chaque coin de rue, tandis qu’on voit passer taxis noirs et les cyclistes pédalant vers leur travail. La banlieue abonde de détails pittoresques. Les albums nous révèlent un monde de parterres de gazon, de haies verdoyantes et de signes clignotants Belisha, sans oublier les villages rustiques. Le Dossier Harding, par exemple, dépeint toute la couleur locale à laquelle un touriste pourrait s’attendre. Nous découvrons bien sûr „Burton Lodge“, l’imposant manoir de Sir Christopher Harding, probablement imaginé par l’architecte Sir Edwin Lutyens et entouré d’un jardin dessiné par Gertrude Jekyll. De larges haies bordent les pelouses et assurent l’intimité. Non loin, Floc’h situe un terrain de golf où nous retrouvons Francis et Olivia discutant de l’évolution de leurs enquêtes. Peu après, nos deux détectives amateurs traversent le village, permettant au lecteur d’observer, comme sur les cartes postales, ces chaumières pittoresques aux jardins soigneusement entretenus. Pourquoi toute cette ambiance nostalgique, alors que d’autres auteurs de bandes dessinées, notamment Enki Bilal, ver- 52 saient dans la science-fiction ou dans le fantastique? Quand Sevenoaks fut publié à la fin des années 70, „retro-art and literature“ était toujours en vogue. La tendance évoluait vers des représentations violentes (au cinéma, en littérature) du Fascisme, du Nazisme et de la question de l’Holocauste. 26 D’un jour à l’autre, à la fin des années 70, des révélations furent faites qui qualifiaient l’Histoire française de „sale affaire“, avec un passé gênant et douteux. Pour l’époque, Floc’h et Rivière, en choisissant de situer leurs albums dans l’Angleterre des années 40, avaient pris un rendez-vous relativement tranquille avec l’Histoire. Leurs bandes dessinées suivaient cette mode rétro de l’entre-deux-guerres et de la guerre ellemême mais évitaient de vives controverses politiques en choisissant un passé anglais. Une trilogie anglaise devient une publication d’autant plus nostalgique qu’elle évite les débats et les embrouilles d’un passé français récent. Elle ne soulevait pas de questions embarrassantes qui auraient pu diviser le public en France. Nous est offerte à la place une énorme quantité de merveilleux dessins représentant les années 20, 30 et 40. Deux albums supplémentaires de la série révèlent l’admiration de Floc’h et de Rivière pour l’histoire récente de l’Angleterre, parce qu’elle a évité la honte d’une collaboration avec le Nazisme. Blitz et Underground racontent comment Londres a malgré tout survécu aux bombardements. 27 Certains incidents de cette sombre époque (les ‘Blackshirts’ anglais; le marché noir) ne parviennent pas à troubler une période marquée par un désir commun de résistance face à l’ennemi, une qualité bien ‘British’. Ainsi que Rivière le note dans la préface de Blitz: „Londres vivait plus que jamais“. Ces BD et Une trilogie anglaise rappellent que les Européens en général admirent l’expérience britannique des années 40, un sentiment que les Anglais ignorent en grande partie, présumant, à tort d’ailleurs, que les Américains sont leurs seuls amis. De même, il est facile de soutenir que les pays d’Europe se reposent uniquement sur leur passé pour créer leur mythologie. Ces BD et tout particulièrement Underground montrent que beaucoup de Français apprécient l’histoire récente anglaise et l’héroïsme des Londoniens. Au delà des formules modernistes, il est clair que l’œuvre de Floc’h et de Rivière révèle un attachement profond pour Londres en guerre. C’est un point de vue européen qui trop souvent passe inaperçu. Cependant, une partie de cet attachement nostalgique n’avait rien à voir avec l’Angleterre ou bien indirectement seulement. Recréer Londres en images et textes s’inscrit dans la grande tradition de la BD francophone. Avec l’esthétique de sa ligne claire, avec le mystérieux de ses scénarios et de ses décors anglais, la trilogie rend un hommage touchant à l’œuvre de E. P. Jacobs à ses débuts. La série de science-fiction et d’anticipation avec son ‘Blake et Mortimer’ fut une bande dessinée qui connut un succès foudroyant dans les années 50 et 60 et qui influença beaucoup d’artistes. Une trilogie anglaise est parsemée de rappels montrant l’influence et l’empreinte Jacobsienne. A part la reprise des mêmes lieux - Londres - (La Marque Jaune) et de l’atmosphère des romans d’anticipation, d’autres clins d’œil au Maître sont apparents. Francis Albany et ‘Francis Blake’, le détective de 53 Jacobs, se partagent le même prénom. Détail moins facile à détecter, à la seconde page de Rendez-vous de Sevenoaks; dès son entrée dans une librairie, Croft tombe sur de vieilles éditions, en particulier un roman d’espionnage d’antan, The Mask of Dimitros, d’Eric Ambler. Tout près se trouve Three Blind Mice et Crooked House d’Agatha Christie. Et puis, au premier rang, un titre de livre complètement fictif: Mega Wave, du Dr. J. Wade. Ce roman avait apparu dans La Marque Jaune de Jacobs. C’est un texte scientifique imaginé, un plagiat tout comme le livre de Croft. Ces clins d’œil de Floc’h et Rivière rendent hommage à l’école belge de la bande dessinée et tout particulièrement à Jacobs. Une trilogie anglaise reproduit avec émotion les éléments et les formules classiques de la BD francophone. La date de parution de la trilogie est importante. A la fin des années 70, début 80, la ligne claire tombait en désuétude. Une nouvelle génération d’artistes orientait la BD dans des directions expérimentales et stimulantes. A l’unisson, ils rejetèrent la ligne claire et la composition des planches. Les dessins détaillés comptaient moins et ils se transformèrent en illustrations encore jamais vues auparavant au long des planches éclatées. Le choix de style de Floc’h et Rivière fut donc une intervention nostalgique. Ce n’était pas la nostalgie d’une culture différente qu’ils recherchaient, mais un retour aux débuts de la bande dessinée. On associe souvent la mélancolie et la nostalgie à une disparition ou à la mort. Il est souvent dit qu’une disparition ou la mort provoquent les états pathologiques de la mélancolie et de la nostalgie. J. B. Pontalis prétend qu’une personne nostalgique n’aspire pas à une époque révolue, à un retour ‘au bon vieux temps’. 28 Elle essaye plutôt de réinterpréter sa jeunesse qui consistait à accomplir des choses pour la première fois, c'est-à-dire à s’attendre constamment à de nouvelles expériences. Cet espoir de retour à l’enfance est, à la rigueur, une tentative pour contester ou fuir sa mortalité. Si nous approuvons cette définition, Une trilogie anglaise est une œuvre nostalgique presque parfaite. La série de Floc’h et Rivière évoque les deux aspects de cet état pathologique défini par Pontalis. D’une part, nous trouvons cette savoureuse transposition de l’esthétique de la BD des années 20- 50 (la ligne claire) et de la Grande-Bretagne des années 40. D’autre part, nous sommes témoins tout au long du récit de représentations graphiques de la mort et de brusques disparitions. Nous assistons à des crimes sanglants, à un accident de la route et à la tragédie du naufrage du Titanic. Ces allusions à la mort réveillent chez le lecteur la conscience de la finalité de la vie et encouragent le goût de la nostalgie. Ce désir de mélancolie, stimulé par les événements tragiques de l’histoire, s’oppose à la beauté réconfortante de la ligne claire et à l’époque judicieusement représentée des années 40. La bande dessinée fonctionne en ellipse d’une façon tout à fait rassurante. Le désir de nostalgie est formé, puis immédiatement comblé. Le fait que ces tendances soient conçues dans le dépaysement (Londres, l’Angleterre) met l’accent sur cette atmosphère. Voici donc, une fois de plus, une Grande-Bretagne ‘des Lettres’ tout à fait reconnaissable, avec les allusions aux romans policiers de notre jeunesse, ce qui intensifie l’atmosphère rétro. C’est rassurant, aussi, puisque les références aux lectures habituelles des enfants 54 (bandes dessinées; romans policiers) renvoient les lecteurs à leurs premiers polars traduits de l’anglais. D’après Irène Pennacchioni, ce qui est d’ailleurs sujet à caution, toutes les bandes dessinées génèrent une impulsion nostalgique chez le lecteur. 29 La BD répète, modifie ou inverse les scénarios favoris des livres de jeunesse. La BD renvoie les lecteurs au monde de l’enfance où l’écrit ne supplante pas l’image. De même, les personnages dans la BD sont souvent jeunes ou passent à la maturité. Souvenez-vous, Une trilogie anglaise utilise ce procédé de scénario dans le troisième album, A la Recherche de Sir Malcolm. Dès lors, nous pourrions penser que le succès de la bande dessinée dans les pays francophones est dû à un besoin de nostalgie et est symptomatique d’une appréhension collective de la mort. Pour terminer, une question intéressante se pose si la phrase précédente a du sens. Où placer les Anglais avec leur désinvolture et leur manque d’intérêt pour la bande dessinée? Mais laissons, pour l’instant, cette question rhétorique en suspens et voyons plutôt ce que les lecteurs anglais pourraient apprendre d’eux-mêmes s’ils venaient à lire Une trilogie anglaise. Une leçon pertinente donnée aux Anglais La trilogie est ancrée dans l’ambiance nostalgique des années ‘mode rétro’ et elle trouve sa place au sein de cette fascination européenne pour les romans policiers anglais. De plus, Une trilogie anglaise fait aussi allusion à une variété de sujets susceptibles d’intéresser l’étudiant en histoire et littérature anglaise. Ces premières BDs, suivies de l’album récent, Olivia Sturgess, 1914-2004, démontrent l’importance de la fiction anglaise au milieu du vingtième siècle. Cet album est instructif et important parce qu’il rappelle aux professeurs et aux universitaires une période et des auteurs souvent négligés. Olivia Sturgess 1914-2004 offre une quantité imposante d’informations sur la littérature anglaise de l’entre-deux-guerres, de la guerre et des années 50. L’album propose un documentaire fictif de la BBC sur la romancière. Tout au long de l’histoire, Albany et Sturgess rencontrent toute une panoplie d’écrivains renommés. Tout comme les références à Jacobs, de nombreuses personnalités littéraires de la génération des années 30 à 50 sont évoquées ou mentionnées dans le texte, comme par exemple Graham Greene et Evelyn Waugh. Somerset Maugham et André Maurois font même la connaissance de Francis et Olivia - et les romanciers à suspense, Ian Fleming et Eric Ambler sont mentionnés en plus de ces fameux protagonistes. Il en est de même pour des écrivains moins connus tels que Patrick Hamilton, auteur d’Hangover Square et du scénario de Rope, un film de Hitchcock, dans Le Dossier Harding. La tombe d’Hamilton se trouve à côté de celle de Harding. D’une manière plus évidente, le personnage d’Olivia Sturgess est basé sur des auteurs parfois connus, parfois moins: de Virginia Woolf à Katherine Mansfield, Mary Butts, Patricia Highsmith et Agatha Christie. 55 Tout ce beau monde littéraire est décrit par Floc’h et Rivière comme attrayant et érudit. La lecture de ces BD nous donne envie de découvrir ou de redécouvrir ces gens de lettres et autres écrivains qui ne sont plus lus de nos jours. Il est heureux que nos deux auteurs français nous fassent partager leur passion contagieuse pour la littérature anglaise, d’autant plus que la tendance critique populaire avait suggéré que les décennies entre 1930 et 1980 n’apportèrent rien de bien passionnant. 30 Des Graham Greene, Evelyn Waugh et Somerset Maugham méritent sûrement autant notre attention aujourd’hui que des auteurs en vogue, tels qu’un Ian McEwan, un Salman Rushdie ou encore une Jeannette Winterson! Ainsi, l’œuvre de Floc’h et Rivière accomplit une admirable mission européenne de sauvetage du roDman anglais. Les albums nous rappellent que le roman anglais ne s’est pas dissipé dans un brouillard londonien et que ses représentants si divers écrivaient des choses étonnantes. La série de Floc’h et Rivière redécouvre et embellit un ‘âge d’or’ des romans de fiction populaire. Les auteurs chorégraphient toute une troupe littéraire qui mériterait une meilleure attention ici en Grande-Bretagne. Le cas de la réputation d’Agatha Christie donne beaucoup à réfléchir. D’un côté son étoile brille toujours et elle est réputée pour ses romans policiers aux habiles intrigues. De l’autre, ses livres en Angleterre sont devenus synonymes d’adaptations télévisées populaires. Pratiquement tous ses romans ont étés adapté pour le petit écran anglais. La réputation de Christie comme auteur en a, par conséquent, souffert. Les films d’Hercule Poirot et de Miss Marple sont devenus trop familiers. Ces intrigues sont souvent trop simplifiées pour la télévision et deviennent peu à peu des formules toutes faites. Ces adaptations ou ces reconstitutions dramatiques dérivées sont rabâchées à la télévision anglaise depuis le début des années 80. Il semble que les séries d’enquêtes ‘à la Poirot’, ainsi que d’autres parodies (Inspector Morse; Midsomer Murders; Rosemary and Tyme) ont nui à la réputation d’Agatha Christie, parce que simplifiant son style à l’extrême. Il y eut de mémorables interprétations dans les feuilletons et au cinéma, notamment par Sir Peter Ustinov et John Suchet. Mais les chaînes de télévision exercent un contrôle si important dans les productions du genre ‘énigmes policières’ que les romans d’Agatha Christie sont à présent fort peu lus. L’universitaire Nickianne Moody manque certainement d’audace quand elle affirme que le polar à la télé assure la vente de livres et crée des icônes culturelles. 31 C’est possible… Mais les adaptations télévisées ont aussi ravalé Agatha Christie à un niveau médiocre d’une culture de masses. La télévision peut avoir un effet parasite regrettable sur l’écrit. Dans le contexte, Une trilogie anglaise nous rappelle que les romans d’Agatha Christie étaient, à l’origine, des créations littéraires. La trilogie, avec ses allusions directes à l’œuvre d’Agatha Christie, qui rencontre Albany et Sturgess au début du Dossier Harding, tend à la considérer avant tout comme un auteur. Les judicieux hommages de Floc’h et Rivière nous invitent à réapprécier les romans d’origine avec leurs gracieuses touches d’humour et leurs tournures de phrases aussi sobres qu’élégantes. En lisant ces BD, nous n’avons plus envie de regarder ces films à la télévision. De plus, la lecture de ces albums nous stimule et nous récompense en 56 replaçant Christie sur son piédestal littéraire. Rien que pour cette raison Une trilogie anglaise mérite d’être traduite en anglais le plus vite possible. D’autres leçons historiographiques sont évidentes. La présence de ‘l’occulte’ dans les BD, avec surtout les événements macabres décrits dans Rendez-vous de Sevenoaks, nous rappellent la place importante de l’ésotérisme dans l’Histoire anglaise contemporaine. Ce sujet est trop souvent ignoré dans les comptes rendus historiques populaires. Et pourtant ces croyances en l’occulte et la magie étaient fort courantes dans les mœurs anglaises. Des écrivains connus, tel Conan Doyle, croyaient au spiritualisme et à l’existence des fées. Des écrivains comme Katherine Mansfield communiquaient avec d’étranges illuminés tels que Gurdjieff. Des modernistes, comme le poète Yeats, recherchait une union intime avec le monde du mysticisme. Même des tacticiens militaires de la vieille garde, comme le conseiller aux déploiements de chars d’assaut, JFC Fuller, étaient en contact avec le Sataniste notoire Aleister Crowly. 32 A. N. Wilson nous apprend dans son After the Victorians que nombreux furent les adeptes du paranormal, peu importe la classe sociale d’où ils étaient issus. Cette mentalité se retrouvait apparemment ‘de haut en bas’ et même le Premier Ministre Arthur Balfour, avec l’aide d’un médium, prétendait avoir reçu de l’au-delà plus de 20.000 lettres d’une de ses maîtresses. 33 Agatha Christie et d’autres écrivains renommés nous racontaient des histoires issues du surnaturel. Son livre The Sittaford Mystery est un bon exemple. 34 Un auteur contemporain, Dennis Wheatley, fut extrêmement populaire avec ses romans d’épouvante et d’anticipation. 35 Le choix d’une ambiance occulte dans Sevenoaks est important. L’introduction de celle-ci invite le lecteur anglais à se pencher sur un passé historique récent, dont je tracerai à présent les grandes lignes. Ce penchant pour le surnaturel s’accompagne d’un certain malaise dans une politique ‘Whig/ néo-libérale’ qui reste dominante. Ces tendances à l’étrange et à l’inexplicable de l’Histoire britannique et européenne avaient souvent attiré l’attention des écrivains français, notamment Louis Pauwels et ses recherches sur Gurdjieff et plus tard en tant qu’éditeur du magazine Planète. 36 Les intellectuels anglais (les critiques littéraires; les historiens; les théologiens) furent cependant bien plus récalcitrants. La popularité de la pensée ésotérique en Angleterre n’est jamais mentionnée dans la plupart des livres d’Histoire, ni dans les notes de recherches bien connues d’Arthur Marwick, Alan Sked ou de David Cannadine. 37 Et cependant, l’intérêt populaire croissant pour l’occulte fut probablement le prix que les Anglais durent payer pour leur politique bornée de développement économique libéral. Ces superstitions jouaient le rôle d’une sorte de processus de répit envers le nationalisme des forces du marché. Elles consolèrent étrangement les générations qui subirent les pertes des deux guerres. Une trilogie anglaise fixe ce processus socioculturel au centre de sa narration. Elle stigmatise une ambiguïté historique. L’ordre social britannique, avec son marché libéral, fut toujours accompagné d’une doctrine irrationnelle face au comportement bien plus étrange des classes sociales et de l’imagination littéraire. 57 Une trilogie anglaise nous rappelle enfin que les romans de fiction, comme les polars et la bande dessinée, entretiennent une relation complexe avec la thématique de l’identité nationale. L’introduction et le mélange d’influences culturelles françaises, belges, britanniques, et en grande partie nord-américaines (Poe; Lovecraft) dans une seule œuvre, permet à nos auteurs d’évoquer l’héritage mondial de ce genre populaire de littérature. L’œuvre hybride - combinant Agatha Christie avec une narration de style Nouveau Roman et avec l’esthétique de la ligne claire - est une élégante revendication mondiale. Par dessus tout, les albums nous précisent que ce fut toujours le cas en littérature de fiction populaire. Comme je l’ai noté précédemment, les romans policiers et les livres d’anticipation réussirent à traverser les frontières grâce aux nombreux adeptes francophones de la littérature anglaise. Il en allait de même avec les auteurs français qui, depuis la Grande Guerre, faisaient partie du milieu littéraire britannique. Les traductions du français étaient plus répandues qu’on peut le penser. Les lecteurs de romans populaires semblent avoir apprécié une littérature autre que les polars traditionnels anglais. L’inspecteur Maigret des romans de Simenon connut un succès évident. Dans la catégorie des romans d’aventure, les histoires coloniales de Pierre Benoît gagnèrent une part des marchés anglais et nord-américains, ainsi que les contes romantiques de Paul Morand sur les années folles. Des recherches supplémentaires allongeraient la liste des incursions françaises sur le marché britannique, ainsi que des romans publiés vers le milieu des années 50, Bonjour Tristesse de Françoise Sagan et les textes romantiques de Louise de Vilmorin. 38 Ce côté international des habitudes de lecture de la première moitié du vingtième siècle - par l’intermédiaire des traductions de fiction populaire - est trop souvent négligé par l’intelligentsia littéraire. Cette expansion mondiale mérite une plus grande attention car ce fut une tendance dominante. Conclusion L’auteur de cet article ose espérer qu’une bande dessinée peut être une source de références pour l’historien ou le critique littéraire. Nous avons pu constater qu’Une trilogie anglaise nous éclaire sur les cultures française et anglaise. La trilogie illustre l’amour des Français pour la culture de la nostalgie. La trilogie révèle une certaine sympathie pour le mode de vie britannique avant, pendant et après la seconde guerre mondiale. Avec sa ligne claire de style classique et ses nombreuses références textuelles et visuelles, la trilogie suggère une grande nostalgie pour l’époque d’Hergé et de Jacobs, la ligne claire perdant vite de sa popularité à la fin des années 70 et 80. L’œuvre nous rappelle la renommée mondiale des romans policiers anglais. Les romans, de Conan Doyle à Agatha Christie, étaient traduits en masse depuis le début des années 1900, révélant ainsi à beaucoup d’Européens une représentation de la société britannique. Bien avant sa première visite à Londres, le lecteur français connaît déjà fort bien le brouillard des rues de 58 la capitale, ses jardins publics à la ‘Hyde Park’ et, bien sûr, ses fameux romans policiers. Tous ces clichés abondent dans Une trilogie anglaise, qui en rajoute même bien d’autres encore. Toutefois, ces stéréotypes juxtaposent par leurs idées de fond des styles narratifs expérimentaux, des vies sexuelles ambivalentes et des exagérations ironiques. A la lecture de cette trilogie, l’Anglais ne peut s’empêcher d’être flatté par les petits détails judicieusement choisis et les chutes habilement abouties. Nous apprenons des choses intéressantes. La série nous rend un grand service en nous rappelant le génie d’Agatha Christie et en sauvant la réputation de la romancière malgré certaines adaptations télévisées douteuses. La trilogie nous présente encore des écrivains peu lus de nos jours - Amis, Greene, Mansfield, Maugham, pour ne citer que quelques noms. L’œuvre pose également de passionnantes questions d’historiographie en évoquant ces lieux où règne l’occulte et en mentionnant l’ésotérisme dans la vie et la littérature anglaises. En conclusion, Francis Albany et Olivia Sturgess, avec leurs vies admirablement délimitées, sont de remarquables personnages de bandes dessinées. Une trilogie anglaise représente l’idée que se font les Français de l’Angleterre et des Anglais. La série invite même le lecteur anglais à reconsidérer son héritage culturel. L’œuvre de Floc’h et de Rivière démontre que beaucoup de choses peuvent être apprises du neuvième Art. Il n’y a, jusqu’à présent, qu’une avant-garde d’érudits et de médias qui se réfèrent à la BD. Il ne tient qu’à des historiens à l’esprit ouvert de décider s’ils désirent étoffer leur intérêt relativement récent pour le graphisme avec la bande dessinée. Il y aurait alors un risque de rupture avec les préjudices infligés non seulement au visuel mais aussi à la tradition des textes populaires comme sources de références historiques. Remerciements Je tiens à exprimer toute ma gratitude à Stéfan Moriamé, François Jardin et Eric Urvoy, qui ont œuvré pour que cet article puisse être publié en français. 1 Voir Shlomo Sand: Le XX e siècle à l’écran, Paris, Seuil, 2004, 461. 2 Marc Ferro: Cinéma et Histoire, Paris, Ed. Denoël, 1977. 3 Siegfried Kracauer: From Caligari to Hitler, Princeton, Princeton University Press, 1947. 4 Robert Rosenstone: Visions of the Past, Cambridge, MA., Harvard University Press, 1995. 5 Natalie Zemon Davis: Slaves on Screen: Film and historical vision, Cambridge, MA, Harvard University Press, 2000. 6 Voir, entre autres, Michael Hein: „What Haunts a Soldiers Mind“, in: Jan Baetens (ed.): The Graphic Novel, Leuven, Leuven University Press, 2001, 101-115; Gillian Banner: Holocaust Literature, Schulz, Levi, Spiegleman and the Memory of the Offence, London, Valentine Mitchell, 2000; Joshua Brown, „Of Mice and Memory“ in: Oral History Review 16.1 (1998): 91-109. 59 7 Benoît Peeters: La Bande dessinée, Paris, Flammarion, 1993; Jan Baetens: Formes et politique de la bande dessinée, Paris, Peeters Vrin, 1998; Thierry Groenstein: Système de la bande dessinée, Paris, PUF, 1995. 8 Jean-Claude Floc’h et François Rivière: Une trilogie anglaise, Paris, Dargaud, 1993. 9 Jean-Claude Floc’h et François Rivière: Le Rendez-vous de Sevenoaks, Paris, Dargaud, 1976; Jean-Claude Floc’h et François Rivière: Le Dossier Harding, Paris, Dargaud, 1979, Jean-Claude Floc’h et François Rivière: A la recherche de Sir Malcolm, Paris, Dargaud, 1983. 10 Margery Allingham: Flowers for the Judge, London, Heineman, 1936. 11 New York Detective Crime Club Trilogy - Eric Stanley Gardner, The Case of the Empty Tin, Agatha Christie, Evil under the Sun, Francis and Richard Lockridge, A Pinch of Poison, New York, Detective Crime Club, 1942. 12 Six Against the Yard: In which Margery Allingham, Anthony Berkeley, Freeman Wills Crofts, Father Ronald Knox, Dorothy L.Sayers, Russel Thorndike commit the crime of Murder which Ex-Superintendent Cornish is called upon to solve - Tales, London, Selwyn and Blount, 1936. 13 Eric Ambler: Double-Decker: The Complete Spy Novels, Cleveland, World publishing, 1945. 14 Voir l’excellent article sur Floc’h et Rivière de ‘Laurent V’: Floc’h et Rivière: construction d’une œuvre - www.artelio.org/ art.php3? id_article=1352. 15 François Rivière: Agatha Christie, duchesse de la mort, Paris, Champs-Elysées, 2001; François Rivière: Enid Blyton et le club des cinq, Paris, Les Quatre Chemins, 2004; François Rivière: Un long et merveilleux suicide: regard sur Patricia Highsmith, Paris, Calman- Lévy, 2003. 16 Benoît Mouchart et François Rivière: La Damnation d’Edgar P. Jacobs, Paris, Seuil, 2003. 17 Comme, par exemple, entre plusieurs romans, François Rivière: Le jardinier de Babbacombe, Paris, Editions du masque, 2000. 18 Francis Carin, François Rivière, et Gabrielle Borile: Victor Sackville, Le Code Zimmerman, Paris, Le Lombard, 2001; Dumas et François Rivière: Maître Berger: 1. L’hériter de Rochemont, Paris, Glénat, 1984. 19 Sigmund Freud: „The Uncanny“ in: Sigmund Freud: Art and Literature, vol. 14, London, Penguin, 1985 [1919]: 339-76. 20 Freeman Wills Crofts: Crime at Guildford, London, W. Collins and Co., 1935. 21 J. G. Ballard: The Unlimited Dream Company, London, Jonathan Cape, 1976. 22 A. E. Murch: The Development of the Detective Novel, London, Peter Owen, 1958, 195. 23 Maurice Leblanc: Arsène Lupin contre Herlock Sholmès, Paris, Collections Arsène Lupin, 1908; Marcel Aymé: „L’Affaire Touffard“ in Le Nain, Paris, Gallimard, 1934. 24 Elisabeth Parinet: Une histoire de l’édition à l’époque contemporaine, Paris, Seuil, 2004, 341-42. 25 Agatha Christie: Murdo en la Orienta ekspresso, Rickmansworth, Esperanto books, 1937. 26 Henry Rousso: Le Syndrome de Vichy, Paris, Seuil, 1990, 194-248. 27 Jean-Claude Floc’h and François Rivière: Underground, Paris, Albin Michel, 1996; Jean- Claude Floc’h and François Rivière: Blitz, Paris, Albin Michel, 1983. 28 J. B. Pontalis: Fenêtres, Paris, Gallimard/ Folio, 2000, 51-52. 29 Voir, Irène Pennacchioni: La nostalgie en images, Paris, Librairie des Méridiens, 1982. 30 Jago Morrison: Contemporary Fiction, London, Routledge, 2003, 4-8. 60 31 Nickianne Moody: „Crime in Film and Television“, in: Priestman (ed.): Crime Fiction, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, 242. 32 Patrick Wright: Tank, London, Faber, 2001. 33 A. N. Wilson: After the Victorians 1901-1953, London, Hutchinson, 2005, 91-92. 34 Agatha Christie: The Sittaford Mystery, London, Collins, 1931. 35 Denis Wheatley: The Devil Rides Out, London, Hutchinson, 1935. 36 Louis Pauwels: Monsieur Gurdjieff, Paris, Seuil, 1954. 37 Arthur Marwick: Britain in a Century of Total War, London, Penguin, 1968; Alan Sked and Chris Cook: Post-war Britain: a political history, London, Penguin, 1979. David Cannadine: In Churchill’s Shadow, London, Allen Lane, 2002. 38 Voir Louise de Vilmorin: Juliette, trad. Alison Brothers, London, Harvill, 1952; Louise de Vilmorin: Love Story. trad. Francis Wyndham, London, Collins, 1957. Resümee: Hugo Frey, „Trafic d’Outre-Manche“: Über Une trilogie anglaise von Floc’h und Rivière zeigt wie die drei Alben der Krimi-Reihe Une trilogie anglaise (1993) von Claude Floc’h und François Rivière im Szenario und in den Zeichnungen England, Engländer und die Hauptstadt London zwischen 1920 und 1950 darstellen. Zwei interpretatorische Möglichkeiten eröffnen sich. Zum einen muß Une trilogie anglaise als ein dem kulturellen Kontext Frankreichs verpflichtetes Werk verstanden werden. Andererseits verdient die Trilogie Beachtung, was die konzise Schilderung des englischen Alltagslebens und die Auseinandersetzung mit englischer Literatur betrifft. Obwohl es sich bei diesen Comics um ein Pastiche englischer Kriminalromane handelt, entstehen höchst interessante und instruktive Bilder Englands, seiner Literatur und Gesellschaft.